Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Nikon France, société anonyme, dont le siège est …, en cassation d’un arrêt rendu le 30 juin 1994 par la cour d’appel de Paris (1e chambre, section concurrence), au profit de M. le ministre de l’Economie, domicilié Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, …, bât 5, Télédoc 031, 75703 Paris Cédex 13, défendeur à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, les cinq moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l’audience publique du 4 octobre 1995, où étaient présents : M. Nicot, conseiller doyen faisant fonctions de président, M. Léonnet, conseiller rapporteur, MM. Vigneron, Leclercq, Dumas, Gomez, Poullain, Canivet, conseillers, M. Lacan, Mme Geerssen, M. Huglo, conseillers référendaires, Mme Piniot, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Léonnet, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Nikon France, de Me Ricard, avocat de M. le ministre de l’Economie, des Finances et du Budget, les conclusions de Mme Piniot, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué que le ministre de l’Economie a saisi en 1989 le Conseil de la concurrence de certaines pratiques en usage dans le secteur de la vente de pièces détachées destinées aux appareils photographiques, qu’il considérait comme contraires aux dispositions des articles 7 et 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu’il exposait que certains fabricants ou importateurs d’appareils, tels que Canon, Minolta, Nikon, Fuji et Polaroïd se réservaient l’exclusivité des réparations et ne procédaient à la commercialisation d’aucune pièce détachée intégrée au boitier de l’appareil photographique ;
que le Conseil de la concurrence, par décision en date du 28 septembre 1993, a estimé que ces pratiques étaient « justifiées par des nécessités objectives tenant à la mise en place d’un service après vente de qualité, élément essentiel de l’image de marque du fabricant et qui ne peut être assuré, sans le contrôle permanent de l’importateur, que par des agents ayant des compétences techniques et un outillage appropriés et bénéficiant d’une formation initiale et continue » ; qu’ayant estimé en outre que cette « politique » n’avait pas pour objectif d’éliminer un concurrent assurant antérieurement cette activité, le Conseil a décidé que les pratiques dénoncées ne pouvaient être regardées comme prohibées au regard des articles 7 et 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;
que le ministre de l’Economie a formé, le 5 novembre 1993, un recours devant la cour d’appel tendant à faire réformer cette décision ;
Sur le premier moyen pris en ses cinq branches :
Attendu que la société Nikon France (société Nikon) fait grief à l’arrêt de lui avoir enjoint de ne pas s’opposer à la livraison de pièces détachées d’appareils de sa marque, alors, selon le pourvoi, d’une part, qu’elle faisait valoir dans ses écritures qu’aucun grief ne lui avait été notifié par le président du Conseil de la concurrence, de sorte que le ministre de l’Economie, des Finances et du Budget n’était pas recevable à demander sa condamnation à raison de griefs qui ne lui ont été notifiés par le président du Conseil de la concurrence ;
qu’en omettant de répondre à ce moyen pertinent, la cour d’appel de Paris a violé les dispositions de l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
alors, d’autre part, que le recours en réformation d’une décision du Conseil de la concurrence s’exerce, devant la cour d’appel de Paris, dans les limites du litige qui est soumis au Conseil de la concurrence, dont l’objet est défini par les griefs retenus par le rapport et, notifiés à l’entreprise poursuivie, par le président du Conseil de la concurrence ;
qu’en déclarant recevable et bien fondé, le recours en réformation exercé par le ministre de l’Economie, des Finances et du Budget et en sanctionnant à raison de prétendues pratiques anticoncurrentielles, tandis que le Conseil de la concurrence n’avait notifié aucun grief à cette entreprise, la cour d’appel de Paris a violé les dispositions des articles 15, 18 et 21 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, 18 du décret du 29 décembre 1986, ensemble l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
alors, encore, que le Conseil de la concurrence et, sur le recours exercé à l’encontre de ses décisions, la cour d’appel de Paris, ne peuvent retenir à la charge d’une entreprise que des griefs retenus par le rapport, préalablement notifiés par le président du Conseil de la concurrence ;
qu’en condamnant la société sur la base de griefs qui ne lui avaient pas été notifiés, sans renvoyer les parties devant le Conseil de la concurrence aux fins d’un complément d’instruction et, le cas échéant, d’une notification d’éventuels griefs, la cour d’appel de Paris a derechef, violé les textes susvisés ;
alors qu’en s’abstenant, à tout le moins, d’énoncer les griefs qu’elle envisageait de retenir à l’encontre de la société Nikon et de rouvrir les débats aux fins de permettre à celle-ci de présenter des observations sur ces griefs, la cour d’appel de Paris, a également violé l’article 16 du nouveau Code de procédure civile, ensemble le principe du contradictoire ;
et alors, enfin, qu’en ne mettant pas la société Nikon en mesure de s’expliquer utilement sur les griefs retenus, la cour d’appel de Paris a également violé les articles 15, 18 et 21 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, 18 du décret du 29 décembre 1986, ensemble l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu que la société Nikon ayant conclu à la confirmation de la décision du Conseil de la concurrence, sans tirer aucune conséquence juridique de son argumentation concernant l’absence de notification de griefs de la part du président du Conseil de la concurrence, la cour d’appel n’avait pas à répondre à ce qui n’était qu’un simple argument ;
que le moyen pris en ses diverses branches, qui fait ressortir des griefs nouveaux mélangés de fait et de droit, est, dès lors irrecevable et ne peut être accueilli ;
Mais sur le deuxième moyen pris en sa deuxième branche :
Vu l’article 8 alinéa 1 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Attendu que pour enjoindre à la société Nikon France de ne pas s’opposer à la livraison de pièces détachées d’appareils de sa marque qui lui seraient demandées par des réparateurs indépendants, la cour d’appel relève que les pratiques concernent le marché spécifique de la réparation des appareils photographiques et de la vente des pièces détachées nécessaires à cet effet ;
que c’est à tort que les sociétés poursuivies prétendent que ce marché ne constituerait qu’un service après-vente ne pouvant être détaché du marché de la vente, dès lors que la réparation répond à une demande distincte des possesseurs d’appareils qui doivent pouvoir s’adresser à d’autres réparateurs qu’au vendeur initial ; que les réparateurs doivent être en mesure de se procurer les pièces de chaque marque d’appareils et que celles-ci n’étant pas interchangeables, chacune des sociétés poursuivies détient sur la vente des pièces détachées de sa propre marque une position dominante ;
Attendu qu’en se déterminant par ces motifs impropres à établir que la vente des pièces détachées formait un marché économique, suffisamment identifiable pour être distinct du marché général des appareils photographiques ou de leur réparation, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;
Et sur le quatrième moyen pris en sa quatrième branche :
Vu les articles 8 et 10 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Attendu que pour décider que la société Nikon avait commis un abus de position dominante et que cette pratique n’était pas justifiée par le souci d’assurer un service après vente de qualité, l’arrêt relève que la nécessité de ce service après vente n’est nullement démontrée dès lors que les réparations d’appareils d’autres marques d’une technicité équivalente sont effectuées par des réparateurs indépendants ;
Attendu qu’en se déterminant ainsi sans vérifier si les pratiques dénoncées n’étaient pas justifiées par des nécessités objectives tenant à la mise en place d’un service après vente de qualité, qui ne peut être assuré sans le contrôle permanent de l’importateur que par des agents ayant des compétences techniques et un outillage approprié et bénéficiant d’une formation initiale et continue, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision, au regard des textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions concernant la société Nikon France, l’arrêt rendu le 30 juin 1994, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;
remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris autrement composée ;
Rejette la demande présentée par M. le ministre de l’Economie, des Finances et du Budget sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Le condamne, envers la société Nikon France, aux dépens et aux frais d’exécution du présent arrêt ;
Ordonne qu’à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d’appel de Paris, en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique , et prononcé par M. le conseiller doyen faisant fonctions de président en son audience publique du quatorze novembre mil neuf cent quatre-vingt-quinze.
1911