Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Colmar, 6 juillet 1999), que par convention notariée du 26 juillet 1990, la société Oberdis, qui exploitait un supermarché à l’enseigne Super U, ainsi que M. X…, actionnaire majoritaire et président du conseil d’administration de cette société, ont adhéré aux statuts et au règlement intérieur de la société coopérative Système U Centrale régionale Est (la société Système U) et consenti à celle-ci un droit de préemption en cas de cession du fonds de commerce exploité par la société Oberdis ou de la majorité des actions de cette dernière ; que par lettre recommandée du 25 juin 1998, M. X… et la société Oberdis ont informé la société Système U du retrait de la société Oberdis et de l’intention de M. X… de céder les actions qu’il détenait au sein de cette société ; que par une convention portant la date du 6 juillet 1998, M. X… a consenti à M. Y… un mandat exclusif de négociation de ces actions ; que par acte d’huissier du 31 juillet 1998, M. X… a fait signifier à la société Système U un protocole d’accord portant promesse de cession à la société ITM Est F (la société ITM) de la quasi totalité des actions de la société Oberdis ; que cette promesse, conclue sous la condition suspensive de l’absence de préemption par la société Système U, stipulait un prix de 35 000 000 francs et mettait à la charge du cédant des honoraires
de négociation d’un montant de 3 500 000 francs ; que la société Système U, prétendant que le protocole avait été frauduleusement aménagé dans le dessein de la dissuader d’exercer son droit de préemption, a assigné M. X…, la société Oberdis et la société ITM en annulation du protocole et en dommages-intérêts ;
que ces demandes ayant été rejetées par le tribunal, la société Système U a fait appel de cette décision et, soutenant que le mandat donné par M. X… à M. Y… était fictif et tendait à assurer le reversement à la société cessionnaire de tout ou partie de la somme de 3 500 000 francs stipulée à titre d’honoraires, a déposé une plainte avec constitution de partie civile pour faux et usage de faux ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Système U fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté sa demande de sursis à statuer fondée sur l’article 4 du Code de procédure pénale, alors, selon le moyen, qu’en rejetant la demande de sursis à statuer tout en admettant que l’établissement du faux allégué par la société Système U pourrait justifier l’allocation de dommages-intérêts ou une diminution du prix de cession, ce dont il résultait nécessairement que la décision à intervenir sur l’action publique était de nature à influer sur celle de la juridiction appelée à apprécier si le prix de cession stipulé dans le protocole conclu entre M. X… et la société ITM Est, auquel la société Système U était conventionnellement tenue de préempter, constituait un prix sincère et véritable, si ce protocole lui était opposable dans le cadre de l’exercice de son droit de préemption et si, à défaut d’obtenir l’annulation de ce protocole, Système U n’était pas à tout le moins fondée à obtenir des dommages-intérêts pour avoir été empêchée d’exercer normalement ce droit, la cour d’appel n’a pas déduit de ses propres constatations les conséquences légales qui s’en évinçaient au regard des dispositions de l’article 4 du Code de procédure pénale qu’elle a violées ;
Mais attendu qu’ayant relevé que les honoraires de négociation avaient été mis à la charge de M. X… qui devrait les payer quel que soit le cessionnaire des actions, ce dont il résultait que la fictivité du mandat, à la supposer établie, n’était pas en elle-même de nature à influer sur les obligations que la société Système U devrait assumer dans le cas où elle exercerait son droit de préemption, la cour d’appel a pu estimer que la procédure pénale en cours était sans incidence sur l’issue de la procédure dont elle était saisie ; que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que la société Système U fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté sa demande d’annulation du protocole de cession d’actions, alors, selon le moyen :
1 / qu’en conformité au préambule des statuts de la coopérative et de l’article 16 du règlement intérieur, la convention conclue le 26 juillet 1990 mettait, expressément et clairement, à la charge de la société adhérente l’obligation, pendant une durée de quinze ans, de respecter le règlement intérieur et les statuts de la société Système U, de suivre la politique du groupe, de gérer et diriger le supermarché personnellement et de maintenir en permanence l’enseigne Super U, de sorte qu’en décidant que la démission de la société Oberdis de la coopérative à peine huit ans après la date de son adhésion ne caractérisait pas une violation des obligations contractées par M. X…, tant en son nom personnel qu’en sa qualité de dirigeant de ladite société, sous prétexte de la présence, dans la convention litigieuse, d’une clause inexistante, selon laquelle le droit de préemption y stipulé aurait pu être mis en oeuvre « pendant toute la durée de l’adhésion » et sous couvert de la recherche de l’intention des parties qu’aurait rendue nécessaire l’existence d’une telle clause, la cour d’appel a méconnu la loi du contrat et a violé les dispositions de l’article 1134 du Code civil ;
2 / qu’en toute hypothèse, les conventions légalement formées doivent être exécutées de bonne foi ; qu’en déliant purement et simplement la société Oberdis des engagements librement contractés aux termes clairs et précis de la clause de durée stipulée à la convention du 26 juillet 1990, et prévoyant que la convention ne cesserait de produire ses effets qu’à l’expiration d’une durée de quinze ans, motif pris d’une contradiction entre cette clause et l’article 16 du règlement intérieur, lui-même pris en application du préambule des statuts de la coopérative, qui prévoyait que cette dernière pourrait exiger en contrepartie d’aides spécifiques, l’engagement de demeurer associé de la coopérative pour une durée pouvant aller jusqu’à dix exercices sociaux, quand la nécessité d’exécuter les conventions de bonne foi devait conduire à décider que la clause de durée était seulement inopposable à la société adhérente pour la durée excédant celle prévue au règlement intérieur, la cour d’appel a encore violé l’article 1134 du Code civil ;
3 / que la renonciation à un droit ne peut résulter que d’actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer ; qu’en décidant par le motif que Système U, à réception de la notification de la démission, ne s’était pas prévalue de l’interdiction de démissionner, sans relever aucun acte manifestant sans équivoque sa volonté de renoncer à la clause de durée stipulée à la convention du 26 juillet 1990, la cour d’appel a encore privé sa décision de base légale au regard des articles 1315 et 1134 du Code civil ;
Mais attendu qu’après avoir analysé les stipulations litigieuses et fait ressortir l’imprécision de certaines d’entre elles ainsi que les contradictions résultant de leur rapprochement, c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’interprétation de la volonté des parties que la cour d’appel, qui n’a pas dit que la société Système U avait renoncé à un droit, a retenu que M. X… et la société Oberdis pouvaient se retirer de la société Système U sans commettre aucun manquement à leurs obligations contractuelles ; que le moyen, qui manque en fait en sa troisième branche, n’est pas fondé pour le surplus ;
Sur le troisième moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que la société Système U fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté sa demande d’annulation du protocole de cession d’actions conclu en fraude de ses droits et de paiement de l’indemnité contractuelle prévue par son règlement intérieur, alors, selon le moyen :
1 / que les juges du fond peuvent déclarer nulle la cession d’actions consentie au mépris d’un pacte de préférence, dès lors qu’ils relèvent l’existence d’un concert frauduleux entre les parties à la cession ayant consisté à annihiler les effets du pacte de préférence en indiquant au bénéficiaire du droit de préférence un prix tel, que celui-ci ne pouvait l’accepter, de sorte qu’en décidant que l’établissement par le juge pénal de la fictivité du mandat de négociation et de ce que, sous couvert de ce mandat fictif, la somme prévue au titre des honoraires de négociation devrait en réalité revenir à ITM Est, ne pourrait donner lieu qu’à l’allocation de dommages-intérêts, la cour d’appel a méconnu l’étendue des pouvoirs que lui conféraient le principe « fraus omnia corrumpit » et les dispositions de l’article 1143 du Code civil ;
2 / qu’en statuant, relativement aux autres éléments invoqués par Système U pour établir la fraude alléguée, par des motifs pris de ce que dans l’hypothèse ou elle aurait exercé son droit de préemption, elle aurait bénéficié de l’ensemble des avantages et garanties stipulés au profit de ITM Est, au lieu de rechercher si les garanties accordées, les modalités de versement du solde du prix de cession comme la dissimulation de la prise en compte, pour la fixation de ce prix de cession, de la plus-value liée à l’acquisition d’une parcelle attenante permettant l’extension de la surface de vente n’avaient pas pour objet
-tout en permettant à la société ITM Est, en cas d’acquisition des titres de la société Oberdis, de payer les titres litigieux à un prix en réalité inférieur à celui stipulé au protocole par le jeu de mécanismes de compensation ou de substitution- d’annihiler les effets du pacte de préférence en indiquant au bénéficiaire du droit de préférence un prix tel que celui-ci ne pouvait l’accepter, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard du principe « fraus omnia corrumpit » ;
Mais attendu qu’ayant exactement énoncé qu’il appartenait à la société Système U de rapporter la preuve que le prix convenu entre M. X… et la société ITM avait été frauduleusement surévalué en vue de la dissuader d’exercer son droit de préemption et retenu que rien ne permettait d’établir que le prix offert par la société ITM aurait été supérieur au prix qu’elle était effectivement prête à payer eu égard à l’intérêt qu’elle avait à acquérir dans ce secteur un nouveau point de vente et qu’en réalité, en raison d’accords occultes passés avec M. X…, le prix qu’elle serait conduite à payer aurait été inférieur à celui indiqué à l’acte, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a par ces seuls motifs légalement justifié sa décision ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le quatrième moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que la société Système U fait encore grief à l’arrêt d’avoir rejeté sa demande de paiement de l’indemnité contractuelle prévue par le règlement intérieur en cas d’entrave à la mise en oeuvre du droit de préemption, alors, selon le moyen :
1 / que la cassation à intervenir sur le premier et le troisième moyens de cassation, ou l’un à défaut de l’autre, entraînera, par voie de conséquence, en application de l’article 624 du nouveau Code de procédure civile, la cassation de ce chef du dispositif qui se trouve dans un lien de dépendance nécessaire avec ceux concernant le rejet de la demande de sursis à statuer de Système U et celui concernant l’opposabilité à cette société, dans le cadre de la mise en oeuvre de son droit de préemption, du protocole de cession litigieux ;
2 / qu’en toute hypothèse, en se limitant à relever qu’il n’était pas établi que Système U n’aurait pas été en mesure d’exercer son droit, au lieu de rechercher si, indépendamment même d’une collusion frauduleuse, le manque total de transparence et de loyauté qui avait entouré la conclusion et la notification du protocole de cession, n’avait pas à tout le moins empêché Système U d’exercer normalement ses droits, la cour d’appel, qui a statué par un motif inopérant, a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1147 du Code civil ;
3 / que le tiers qui se rend complice de l’inexécution d’une obligation contractuelle engage sa responsabilité délictuelle et s’oblige à réparer le préjudice qui en est découlé, cette réparation pouvant prendre la forme d’une condamnation solidaire au paiement de l’indemnité contractuellement prévue en cas de violation par les parties de leurs engagements, de sorte qu’en rejetant la demande de la société Système U en tant qu’elle était dirigée à l’encontre de ITM Est, par le motif que l’article 19-15 du règlement intérieur ne lui était pas opposable, la cour d’appel a statué par un motif inopérant au regard de l’article 1382 du Code civil ;
Mais attendu, d’une part, que les premier et troisième moyens ayant été rejetés, le moyen ne peut être accueilli en sa première branche ;
Attendu, d’autre part, que la cour d’appel n’était pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée ;
Et attendu, enfin, qu’ayant retenu qu’il n’était pas établi que la société Système U n’aurait pas été mise en mesure d’exercer son droit de préemption et ainsi constaté l’absence d’inexécution de l’obligation contractuelle, la cour d’appel, abstraction faite du motif surabondant que critique la troisième branche, a légalement justifié sa décision ;
D’où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
Et sur le cinquième moyen :
Attendu que la société Système U fait enfin grief à l’arrêt d’avoir rejeté sa demande de condamnation de la société ITM sur le fondement de la concurrence déloyale, alors, selon le moyen, que la cassation à intervenir sur le premier et le troisième moyens de cassation, ou l’un à défaut de l’autre, entraînera par voie de conséquence, en application de l’article 624 du nouveau Code de procédure civile, la cassation de ce chef du dispositif qui se trouve dans un lien de dépendance nécessaire avec ceux concernant le rejet de la demande de sursis à statuer et celui concernant l’opposabilité à cette société dans le cadre de la mise en oeuvre de son droit de préemption du protocole de cession litigieux ;
Mais attendu que les premier et troisième moyens ayant été rejetés, le moyen ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Système U aux dépens ;
Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Système U à payer à M. X… et à la société Oberdis la somme globale de 2 000 euros et à la société ITM Est F la somme de 1 800 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du treize novembre deux mille trois.