Cour de Cassation, Chambre commerciale, du 13 janvier 1998, 95-18.023, Inédit

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Cour de Cassation, Chambre commerciale, du 13 janvier 1998, 95-18.023, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par :

1°/ la société des Transports Verdier, société anonyme, dont le siège administratif est …, et le siège social …,

2°/ de M. Michel A…, ès qualités d’administrateur de la société Transports Verdier en redressement judiciaire, domicilié …,

3°/ M. René Y…, ès qualités de représentant des créanciers de la société Transports Verdier, domicilié …, en cassation d’un arrêt rendu le 31 mai 1995 par la cour d’appel de Limoges (1re et 2e chambre réunies), au profit :

1°/ de la société des Transports Verdier-Giraudeau, société anonyme, dont le siège est …,

2°/ de M. Guy B…, demeurant …, défendeurs à la cassation ;

Les demandeurs invoquent, à l’appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

LA COUR, composée selon l’article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l’organisation judiciaire, en l’audience publique du 18 novembre 1997, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Léonnet, conseiller rapporteur, M. Nicot, conseiller, M. Lafortune, avocat général, Mme Moratille, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. Léonnet, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de la société des Transports Verdier et de MM. A… et Y…, ès qualités, de Me Foussard, avocat de la société des Transports Verdier-Giraudeau et de M. Guy B…, les conclusions de M. Lafortune, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen unique, pris en ses six branches :

Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué, rendu après cassation, (Limoges, 31 mai 1995), que la société Transports Verdier (société B…) a été créée, en 1955, et qu’elle était spécialisée, pour certaines de ses lignes, dans le transport des denrées périssables, essentiellement la marée fraîche, par véhicules isothermes ; que Mme Lucette B…, épouse X…, fille aînée des époux B… est devenue présidente du directoire de la société en 1973 ; que son frère, M. Guy B…, travaillait également dans cette entreprise dont il a gravi les différents échelons jusqu’à occuper les fonctions de directeur d’exploitation au mois de décembre 1986 ; qu’il a quitté au mois de février 1987 la société à la suite d’une modification de son contrat de travail qui lui était imposée par les dirigeants sociaux et refusée par lui ; qu’il a, alors, saisi la juridiction prud’homale pour être indemnisé ; que, parallèlement à cette procédure, son fils, Frédéric, et son gendre, M. Z…, ont créé une entreprise concurrente dénommée société Transports Verdier-Giraudeau (société TVG) ; que la société B…, reprochant à la société TVG et à M. Guy B… de l’avoir désorganisée par débauchage de son personnel, d’avoir détourné sa clientèle et d’avoir particulièrement entretenu auprès de celle-ci une confusion entre les deux entreprises, les a assignés en dommages et intérêts pour concurrence déloyale ;

Attendu que la société B…, M. A…, pris en sa qualité d’administrateur de cette entreprise et M. Y…, en sa qualité de représentant des créanciers, font grief à l’arrêt d’avoir rejeté leurs demandes en dommages et intérêts, alors, selon le pourvoi, d’une part, que l’action en concurrence déloyale ne requiert pas la constatation d’un élément intentionnel ; que la cour d’appel, qui se borne à énoncer que les erreurs de nom commises par les fournisseurs ne caractérisent pas le caractère frauduleux du comportement de la société TVG et que l’utilisation du domicile personnel de M. Guy B… n’est pas déloyale car il n’est pas interdit à un père ou beau-père d’aider sa famille sans rechercher si la domiciliation de la société concurrente chez M. Guy B…, ancien dirigeant de la société B…, pendant 8 mois n’aggravait pas la confusion possible entre les deux établissements aux noms communs, a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil ;

alors, d’autre part, qu’après avoir constaté que la démission brutale sur une période d’un mois de 11 salariés de la société B… avait été suivie de l’embauche de 8 d’entre eux par la société TVG et après avoir relevé que le départ du quart de ses chauffeurs routiers, parmi les plus anciens et les plus qualifiés, avait désorganisé de façon substantielle la première, la cour d’appel ne pouvait écarter la concurrence déloyale sans rechercher si ces départs concomitants d’un nombre important de salariés, pour exercer des fonctions analogues au sein de la société concurrente, n’étaient pas de nature à établir qu’ils avaient été provoqués par la société des TVG, fait pouvant constituer une manoeuvre sanctionnée par la loi ; qu’ainsi, la cour d’appel a encore privé sa décision de base légale au regard des articles susvisés ; alors, de surcroît, que la société B… faisait valoir dans ses conclusions d’appel que, par suite de la désorganisation de ses lignes de transport et du transfert massif de sa clientèle, jusqu’ici fidèle, au profit de la société TVG, elle avait vu son chiffre d’affaires chuter en quelques mois de 50 % tandis que la société nouvellement créée réalisait le sien à 87 % sur la clientèle détournée ; si bien que la société de TVG était directement à l’origine de la perte de toute valeur du fonds de commerce de la société B… ; qu’en s’abstenant de répondre à ce moyen, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences de l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, par ailleurs, que l’action en concurrence déloyale formée contre un ancien salarié n’est pas subordonnée à l’existence d’un lien de droit entre l’intéressé et l’entreprise concurrente au bénéfice de laquelle s’exercent les manoeuvres déloyales ; qu’en décidant que la responsabilité de M. Guy B… devait être appréciée en fonction de l’absence de lien juridique l’unissant à la société des TVG jusqu’en juillet 1989, la cour d’appel a violé les articles 1382 et 1383 du Code civil ;

alors, en outre, que l’action en concurrence déloyale ne requiert pas la constatation d’un élément intentionnel ; qu’après avoir constaté que M. Guy B… a assisté son fils et son gendre dans la création de la société TVG, qu’il les a fait profiter de son expérience et des relations qu’il avait entretenues pendant le temps de son service à la société B…, enfin qu’il a mis à leur service une partie de son domicile afin de loger les bureaux de la nouvelle société et après avoir relevé l’existence concomitante d’un transfert de clientèle vers la société Transports Giraudeau et d’une désorganisation de la société B…, la cour d’appel déclare, cependant, qu’en agissant ainsi dans le souci de donner à son fils et à son gendre une situation financière rémunératrice, M. Guy B… n’a pas usé de procédés déloyaux ; qu’en statuant ainsi, elle a violé les articles 1382 et 1383 du Code civil ; et alors, enfin, que la société B… faisait valoir devant la cour d’appel, pour établir le rôle direct joué par M. Guy B… dans le débauchage de certains de ses salariés que la société Express côte d’amour reconnaissait elle-même, dans le cadre du litige l’opposant à la société B… devant le tribunal de commerce, avoir procédé à leur embauche sur la recommandation de l’ancien dirigeant ; qu’en s’abstenant de répondre à ce moyen la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences de l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, que la cour d’appel n’a pas énoncé que l’action en concurrence déloyale requérait l’existence d’un élément intentionnel mais a seulement rappelé qu’elle impliquait la preuve de l’existence d’une faute ; qu’après avoir apprécié le caractère probatoire des documents versés au débat elle a constaté que la société TVG, en adoptant le sigle TVG, aussi bien dans ses documents de correspondance que sur la carrosserie de ses véhicules, avait voulu réduire les effets d’une éventuelle confusion entre les deux ; qu’elle a également relevé que le fait que certains clients aient pu par erreur s’adresser à la société TVG, n’était pas constitutif d’un caractère déloyal de sa part ; qu’ayant, en outre, constaté que la société TVG avait été domiciliée à titre temporaire et pendant un court délai au domicile de M. Guy B…, la cour d’appel a pu statuer ainsi qu’elle l’a fait, sans encourir les griefs de la première et cinquième branches du moyen ;

Attendu, en deuxième lieu que, si l’arrêt a constaté que le départ de 9 chauffeurs et de 2 manutentionnaires sur une courte période avait désorganisé la société B…, il a relevé que 3 de ces salariés avaient été embauchés par une tierce entreprise et qu’il n’était pas apporté la preuve que ces départs aient eu pour origine des manoeuvres de débauchage de la part de la société TVG, ce qui ressortait du fait que la société B… avait assigné ces 11 préposés devant la juridiction prud’homale en dommages et intérêts pour rupture abusive de contrat ;

qu’en l’état de ces constatations, la cour d’appel, qui n’avait pas à entrer dans le détail de l’argumentation contenue dans les conclusions de la société B…, a pu statuer, ainsi qu’elle l’a fait, sans encourir les griefs de la deuxième et sixième branches du moyen ;

Attendu, en troisième lieu, que la cour d’appel n’ayant pas relevé de fautes constitutives de concurrence déloyale par détournement de clientèle à l’encontre de la société TVG et de M. Guy B…, n’avait pas à s’expliquer sur les motifs de la baisse du chiffre d’affaires de la société B…, les clients de cette société restant libres de contracter avec l’entreprise de transport de leur choix ;

Attendu enfin, que l’arrêt a constaté, qu’entre le 13 avril 1987 et le mois de juillet 1989, M. Guy B… n’avait été ni salarié, ni actionnaire ou dirigeant social de la société TVG et que c’est seulement au mois de juillet 1989 qu’il en était devenu le directeur technique ; qu’il a également relevé que la société B… n’apportait pas la preuve que M. Guy B… ait été « le dirigeant de fait » de la société TVG ou qu’il ait « joué un rôle quelconque dans la gestion » de cette entreprise ; qu’en l’état de ces constatations la cour d’appel a pu statuer ainsi qu’elle l’a fait ;

Que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société des Transports Verdier et MM. A… et Y…, ès qualités, aux dépens ;

Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société des Transports Verdier-Giraudeau et de M. Guy B… ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du treize janvier mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.


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