Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par :
1°/ la société Roux Combaluzier Schindler
2°/ la société Schindler, dont les sièges respectifs sont …,
3°/ la société Sacamas, dont le siège est …, et …, en cassation d’un arrêt rendu le 23 mars 1995 par la cour d’appel de Versailles (12e chambre, 1re section), au profit :
1°/ de M. Didier Y…, demeurant …,
2°/ de M. Aurèle X…, demeurant …, défendeurs à la cassation ;
Les demanderesses invoquent, à l’appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l’audience publique du 19 novembre 1997, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Ponsot, conseiller référendaire rapporteur, MM. Nicot, Vigneron, Leclercq, Dumas, Gomez, Léonnet, Poullain, Métivet, conseillers, M. Huglo, Mme Mouillard, conseillers référendaires, M. Lafortune, avocat général, Mme Moratille, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Ponsot, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat des sociétés Roux Combaluzier Schindler, Schindler et Sacamas, de Me Luc-Thaler, avocat de M. Y…, de Me Ricard, avocat de M. X…, les conclusions de M. Lafortune, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 23 mars 1995), que, le 26 mars 1986, M. Y… a assigné la société Sacamas dont il avait été administrateur jusqu’au 2 mai 1985, aux fin de voir annuler une assemblée générale tenue hors sa présence du fait de la remise à la société le 2 mai 1985 d’un bordereau de transfert de ses actions sur lequel avait été frauduleusement apposé le nom de M. Aurèle X…, actionnaire et administrateur de la société ; que saisi, par suite d’une plainte avec constitution de partie civile déposée par M. Y…, de faits d’abus de blanc-seing, le tribunal correctionnel de Nanterre a, le 24 octobre 1989, déclaré M. Aurèle X… coupable des faits reprochés, et, statuant sur les intérêts civils, l’a condamné à payer à M. Y… la somme de 700 000 francs à titre de dommages-intérêts ; que, par assignations délivrées les 14, 19 et 27 décembre 1990 à M. X…, à la société Sacamas et à la société Roux Combaluzier et Schindler (les sociétés), cette dernière ayant acquis, le 6 janvier 1988, les actions litigieuses auprès de M. X…, M. Y… a saisi le tribunal de commerce aux fins de voir annuler les cessions intervenues successivement ; que le tribunal de commerce puis la cour d’appel ont fait droit à cette demande ;
Sur le premier moyen, pris en ses cinq branches :
Attendu que les sociétés font grief à l’arrêt d’avoir rejeté une exception de péremption d’instance, alors, selon le pourvoi, d’une part, que la péremption d’instance est indivisible ; qu’il suffit en conséquence que l’une des parties ait soulevé cette exception in limine litis pour que les autres parties puissent s’associer à la demande, quand bien même elles auraient, quant à elles, déjà conclu au fond ; qu’en déclarant néanmoins irrecevables en leur exception de péremption les sociétés Sacamas et Schindler, qui s’étaient associées à l’exception soulevée in limine litis par M. X…, la cour d’appel a violé par fausse application l’article 388 du nouveau Code de procédure civile, ensemble l’article 389 du même Code, alors, d’autre part, que la personne assignée en déclaration de jugement commun devient partie à l’instance à laquelle elle est ainsi attraite ; qu’elle peut en conséquence soulever toute exception relative à cette procédure, et notamment faire valoir que l’instance à laquelle elle est appelée est périmée ; qu’en énonçant que M. X… n’était pas recevable à soulever l’exception de péremption d’instance, parce qu’il n’était pas « concerné » par l’assignation initiale et n’avait été attrait qu’en déclaration de jugement commun, la cour d’appel a violé les articles 323 et suivants, 331 et 387 du nouveau Code de procédure civile, alors, en outre, que seule une décision de sursis à statuer entraîne la suspension de l’instance, et donc du délai de péremption ; que la cour d’appel a constaté que le tribunal de commerce, devant qui l’une des parties s’était prévalue de la plainte pénale qu’elle avait déposée, avait simplement ordonné le renvoi de l’affaire par une mention portée par le greffe sur la cote de procédure ; qu’en décidant qu’une telle décision, qui n’était qu’une simple mesure d’administration judiciaire, valait « décision de sursis à statuer », emportant suspension de l’instance et du délai de péremption, la cour d’appel a violé les articles 377, 392, alinéa 2, 454 et suivants du nouveau Code de procédure civile, alors, au surplus, que l’instance est périmée lorsqu’aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans ; qu’il était constant en l’espèce que l’instance litigieuse avait été initiée le 5 mars 1986, avait fait l’objet d’un renvoi sine die le 20 février 1987 et n’avait été rétablie qu’à l’audience du 27 septembre 1990 ;
que la cour d’appel, qui s’est bornée à affirmer, pour dire que l’instance n’était pas périmée, que M. Y… avait régulièrement accompli des diligences et pouvait se prévaloir de celles de l’instance pénale, sans préciser quelles étaient ces diligences ni à quelle date elles avaient été accomplies, n’a pas mis la Cour de Cassation en mesure d’exercer son contrôle au regard de l’article 386 du nouveau Code de procédure civile et privé sa décision de toute base légale, et alors, enfin, que l’instance est introduite devant le tribunal de commerce par assignation, requête conjointe ou par la présentation volontaire des parties ; que la cour d’appel, qui a écarté les effets de la péremption d’instance parce que M. Y…, par conclusions écrites du 14 juin 1991, aurait « assigné » les trois défendeurs en reprenant les demandes formulées dans son assignation du 5 mars 1986, a violé les articles 385, 389 et suivants, 854 et suivants du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu’il ressort des énonciations de l’arrêt que les 14, 19 et 27 décembre 1990, M. Y… a assigné M. Aurèle X…, la société Sacamas et la société Roux Combaluzier Schindler, aux droits de laquelle se trouve la société Schindler, aux fins de voir constater la nullité des cessions de titres réalisées successivement les 2 mai 1985 et 6 janvier 1988, ce dont il résulte qu’au 26 mars 1992, date à laquelle le tribunal de commerce a fait droit à cette demande, aucune péremption d’instance n’était intervenue ; que, par ce seul motif, l’arrêt se trouve justifié ;
D’où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
Et sur le second moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que les sociétés font encore grief à l’arrêt d’avoir fait droit à la demande formée contre elles et prononcé, en conséquence, la nullité des cessions intervenues, alors, selon le pourvoi, d’une part, que la cour d’appel a constaté que le tribunal correctionnel avait indemnisé M. Y… du préjudice résultant pour lui de l’abus de blanc-seing dont il avait été victime, c’est-à-dire de la cession frauduleuse des actions dont il était propriétaire, et donc de la perte de ces actions ; que M. Y… était ainsi réputé avoir été intégralement indemnisé des conséquences de cette cession frauduleuse ; qu’en décidant néanmoins que M. Y… devait être réintégré dans son droit de propriété des actions litigieuses, la cour d’appel a violé l’article 1351 du Code civil, ensemble l’article 464 du Code de procédure pénale et l’article 10 du Code pénal, et alors, d’autre part, qu’en statuant ainsi, elle a méconnu le principe de la réparation intégrale, et violé l’article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que la cour d’appel, qui n’était pas saisie d’une demande en responsabilité civile délictuelle mais d’une demande en nullité des cessions d’actions intervenues successivement, n’a pas, faute d’identité d’objet entre ces différentes demandes, méconnu l’autorité de la chose jugée attachée au jugement sur intérêts civils ayant condamné M. X… à verser à M. Y… la somme de 700 000 francs à titre de dommages-intérêts, ni méconnu le principe de réparation intégrale, inapplicable à la cause, en prononçant la nullité desdites cessions ;
D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les sociétés Roux Combaluzier Schindler, Schindler et Sacamas aux dépens ;
Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de M. Y… ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du treize janvier mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.