Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société ISMS, société Internationale Supermarket Stores, société anonyme, dont le siège est rue du Maréchal de Lattre de Tassigny, 59170 Roubaix, agissant en qualité d’ayant droit de la société anonyme Docks de France et de la société anonyme Alsacienne de Supermarchés (SASM),
en cassation d’un arrêt rendu le 1er septembre 1998 par la cour d’appel de Colmar (1re Chambre civile, Section A), au profit de la société Système U, Centrale Régionale Est, dont le siège est 43, rue E. Ducretet, 68200 Mulhouse,
défenderesse à la cassation ;
En présence de :
– M. Gérard Moillic, ancien président directeur général de la société Wolfidis, demeurant 6, rue du Rouet, 67200 Eckbolsheim,
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l’article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l’organisation judiciaire, en l’audience publique du 29 janvier 2002, où étaient présents : M. Dumas, président, M. Métivet, conseiller rapporteur, Mme Garnier, conseiller, Mme Moratille, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Métivet, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de la société ISMS, société Internationale Supermarket Stores, de la SCP Vincent et Ohl, avocat de la société Système U, Centrale Régionale Est, les conclusions de M. Viricelle, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Colmar, 1er septembre 1998), que M. Moillic qui souhaitait se voir confier par la société Unico, devenue Système U, l’exploitation d’un supermarché à l’enseigne Super U, a constitué la société anonyme Wolfidis ; que par acte notarié des 5 et 11 septembre 1986 la société Wolfidis représentée par M. Moillic, son président, a conclu avec la société coopérative Unico une convention définissant les conditions de son adhésion à la coopérative et les modalités d’exploitation du supermarché, la société Unico se voyant notamment reconnaître un droit de préférence en cas de cession par la société Wolfidis de son fonds de commerce, à laquelle était assimilée toute cession d’actions portant sur plus de 50 % du capital de la société ou entraînant un changement dans sa direction ; que le 30 décembre 1991 M. Moillic a, sans en informer au préalable la société Système U, cédé à la Société alsacienne de supermarchés (SASM), aux droits de laquelle s’est trouvée la société Docks de France et se trouve aujourd’hui la société International Supermarket store (ISMS), 97 % du capital de la société Wolfidis, un dirigeant de la société SASM étant nommé président du conseil d’administration en remplacement de M. Moillic ; qu’à la suite des difficultés nées entre elles à la suite de cette cession, la société Wolfidis a notifié à la société Système U, le 4 février 1992, sa décision de cesser d’adhérer au réseau coopératif ; que la juridiction arbitrale saisie par la société Système U s’est déclarée
incompétente pour connaître de la demande dirigée contre M. Moillic, non lié par la clause compromissoire et a déclarée irrecevable la demande d’annulation de la cession d’actions, ni les cédants ni le cessionnaire n’étant partie à la procédure arbitrale ; que la société Système U a alors assigné M. Moillic et la société SASM pour voir annuler la cession litigieuse et les voir condamner à lui payer des dommages-intérêts ;
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche :
Attendu que la société ISMS reproche à l’arrêt d’avoir dit que M. Moillic et la société Docks de France avaient commis une faute délictuelle à l’égard de la société Système U, que la cession par M. Moillic à la société Docks de France des actions qu’il détenait dans le capital de la société Wolfidis avait été conclue en fraude des droits de la société Système U, d’en avoir prononcé l’annulation et de les avoir condamnés à des dommages-intérêts alors, selon le moyen, qu’en cas de dépôt de conclusions récapitulatives, les moyens qui ne sont pas récapitulés sont regardés comme abandonnés, si bien qu’en fondant sa décision sur la faute que la société Wolfidis aurait commise en donnant son agrément à la cession litigieuse, moyen qui avait été abandonné par la société Système U dans ses conclusions récapitulatives, la cour d’appel a méconnu les articles 4 et 954, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que la société ISMS ne produit pas les conclusions qu’elle invoque au soutien de son moyen ; que celui-ci est donc irrecevable ;
Sur le premier moyen, pris en ses trois autres branches :
Attendu que la société ISMS fait le même reproche à l’arrêt alors, selon le moyen :
1 / qu’ayant constaté que la société Wolfidis, qui n’était pas propriétaire des actions composant son capital social, n’avait pu valablement consentir à un tiers un droit de préférence restreignant la liberté de cession de ses actionnaires, la cour d’appel, en retenant néanmoins que le cédant et le cessionnaire avaient commis une faute en méconnaissant le droit de préférence de la société Système U, n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard de l’article 1119 du Code civil ;
2 / qu’en retenant que la clause de la convention conclue entre la société Unico et la société Wolfidis aux termes de laquelle « il est expressément convenu que sera assimilée à une cession de fonds de commerce, toute cession à titre onéreux de droits sociaux ou de titres de la société susvisée, entraînant une mutation de plus de 50 % du capital social de la société…, la société Unico, chaque fois que la présente convention trouvera à s’appliquer, disposera d’un droit de préemption sur tous les droits sociaux, objet de mutations opérées dans le contexte ci-dessus établi, et pourra en devenir acquéreur selon les mêmes modalités », signifiait que le conseil d’administration de la société Wolfidis s’obligeait à refuser l’agrément à toute cession à un tiers, la cour d’appel a dénaturé les termes clairs et précis de la convention, violant ainsi l’article 1134 du Code civil ;
3 / que la cour d’appel, qui retient, d’un côté, que M. Moillic et la société SASM ont commis une faute à l’égard de la société Système U, avec laquelle ils n’ont pas de lien contractuel, et, d’un autre côté ont réalisé, par la cession, une infraction contractuelle à laquelle il convient de mettre fin sous forme d’annulation de la cession, s’est déterminée par des motifs contradictoires, violant ainsi l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain que la cour d’appel, recherchant la commune intention des parties, a estimé, sans dénaturation ni contradiction, que le droit de préférence conféré à la société Système U obligeait la société Wolfidis, en cas de cession des actions composant son capital social, de s’abstenir de tout acte susceptible d’empêcher la mise en oeuvre de ce droit et, en conséquence de ne pas donner son agrément à une cession consentie à un tiers sans que la société Système U ait été mise à même de faire valoir son droit, et que M. Moillic et la société SASM, complices de la violation contractuelle du droit de préemption commis par la société Wolfidis, avaient engagé leur responsabilité délictuelle ; d’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses quatre branches :
Attendu que la société ISMS fait encore le même reproche à l’arrêt alors, selon le moyen :
1 / que nul ne peut se constituer une preuve à soi-même, si bien qu’en se fondant exclusivement sur l’attestation d’un préposé de la société Système U pour retenir que cette dernière avait manifesté l’intention d’acheter les actions de M. Moillic, la cour d’appel a violé l’article 1315 du Code civil ;
2 / que sous le titre « Déclaration des vendeurs », le protocole d’accord du 30 décembre 1991 disposait « que la société n’a, avec sa clientèle, ses fournisseurs ou des tiers quelconques d’autres engagements que des engagements normaux et courants et que, notamment, la société n’est pas partie à des contrats qui ne pourraient être résiliés sans indemnité à tout moment, moyennant un préavis de trois mois au plus, à la seule exception des polices d’assurance, des abonnements contractés auprès des services publics et des autres contrats dont la liste est fournie en annexe 3 aux présentes et du contrat d’adhésion à la Unico Alsace Bourgogne Franche-Comté, dont l’acquéreur déclare avoir connaissance et dont il déclare faire son affaire… », si bien qu’en retenant que le protocole d’accord du 30 décembre 1991 contenait l’engagement de la société SASM de « faire son affaire » du droit de préemption, la cour d’appel a dénaturé le protocole, violant ainsi l’article 1134 du Code civil ;
3 / qu’en se fondant sur les dispositions ainsi dénaturées du protocole pour en déduire que la société Système U avait l’intention de se prévaloir du droit de préemption et que la société SASM et M. Moillic le savaient, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du Code civil ;
4 / que la société SASM avait invoqué l’attestation régulièrement versée aux débats de M. Witt, désigné dans l’attestation de M. Tischmacher comme étant la personne l’ayant « démarché » au nom de la société SASM, qui démentait avoir tenu les propos qui lui étaient prêtés, si bien qu’en fondant sa décision sur l’attestation de M. Tischmacher sans s’expliquer sur les éléments de preuve contraires invoqués par elle, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences de l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, que ne sauraient être remis en discussion devant la Cour de Cassation les éléments de preuve sur lesquels le juge du fond, qui apprécie souverainement la valeur à leur attribuer, compte tenu notamment, s’agissant d’une attestation, des liens de subordination, de collaboration ou de communauté d’intérêts existant entre leur auteur et les parties et qui n’est pas tenu de s’expliquer sur ceux d’entre eux qu’il décide d’écarter, a fondé sa décision ;
Attendu, en second lieu, que l’arrêt retient que la société SASM avait connaissance de la clause de préférence consentie à la société Système U ainsi que du règlement intérieur de cette société, ce dont il résultait qu’elle était consciente de l’importance que celle-ci attachait au maintien de chaque point de vente dans le réseau coopératif et du fait qu’elle se serait prévalue de son droit de préemption, si elle avait été avisée de la cession, la volonté de la SASM d’empêcher la mise en oeuvre du droit de préemption de la société Système U étant, par ailleurs, illustrée par une attestation relative à ses propositions d’acquisition d’un autre magasin à l’enseigne Super U en méconnaissance du droit de préemption ; qu’en l’état de ces constatations et énonciations, la cour d’appel a légalement justifié sa décision, abstraction du motif surabondant critiqué par les deuxième et troisième branches du moyen ;
D’où il suit que celui-ci, non fondé en ses première et quatrième branches, ne peut être accueilli en ses deux autres branches ;
Sur le troisième moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que la société ISMS reproche à l’arrêt d’avoir condamné la société Docks de France, in solidum avec M. Moillic à payer des dommages-intérêts à la société Système U alors, selon le moyen :
1 / que la responsabilité découlant de l’article 1382 du Code civil suppose un rapport de causalité certain entre la faute et le dommage ; qu’ainsi que l’avaient relevé les premiers juges, les fautes reprochées aux parties à la cession d’actions de la société Wolfidis étaient sans lien direct de cause à effet avec le préjudice invoqué par la société Système U découlant de la résiliation du contrat conclu avec la société Wolfidis, si bien qu’en statuant comme elle a fait, la cour d’appel a violé l’article 1382 du Code civil ;
2 / que la société Docks de France avait fait valoir dans ses écritures que la société Wolfidis étant au bord du dépôt de bilan en 1991, la perte de gains invoquée par la société Système U au titre d’une perte de marge sur les ventes et d’une perte de cotisation ne constituait pas un préjudice certain, si bien qu’en ne s’expliquant pas sur ce moyen, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard de l’article 1382 du Code civil ;
3 / que la société Docks de France avait fait valoir dans ses écritures que la rupture du contrat liant la société Wolfidis à la société Système U était imputable à la faute de cette dernière, ainsi que l’avait jugé le tribunal arbitral saisi du litige entre les deux sociétés, si bien qu’en ne s’expliquant pas sur ce moyen, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu’il ne résulte ni de ses conclusions, ni de l’arrêt, que la société Docks de France ait soutenu devant la cour d’appel les prétentions qu’elle fait valoir au soutien du moyen ; que celui-ci est par conséquent nouveau et que mélangé de fait et de droit, il est irrecevable ;
Attendu, en deuxième lieu, que la cour d’appel n’était pas tenue de s’expliquer sur la simple allégation selon laquelle la société Wolfidis aurait été « au bord du dépôt de bilan en 1991 » ; qu’elle n’était pas plus tenue de répondre à un chef de conclusions affirmant inexactement que le tribunal arbitral avait jugé que « la rupture du contrat liant la société Wolfidis à la société Système U était imputable à faute à cette dernière », alors que les arbitres avaient seulement relevé que la société Système U, qui était fondée à exclure la société Wolfidis en raison de son comportement, avait commis une faute en ne respectant pas la procédure formelle d’exclusion prévue aux statuts ;
D’où il suit que le moyen, irrecevable en sa première branche, n’est pas fondé en ses deux autres branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société ISMS aux dépens ;
Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société ISMS à payer à la société Système U la somme de 1 800 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du douze mars deux mille deux.