Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant :
Joint les pourvois n° M 05-15.187, formé par le ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, et n° R 05-14.501, formé par l’association X… France, qui attaquent le même arrêt ;
Sur le moyen unique des pourvois, pris en leur deuxième branche, réunies :
Vu les articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du Traité CE ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que, saisi le 25 juin 1999 par l’association Tenor, devenue X… France, de pratiques mises en oeuvre sur le marché de la téléphonie fixe vers mobile des entreprises, le Conseil de la concurrence (le Conseil) a, dans une décision n° 04-D-48 du 14 octobre 2004, dit que les sociétés France Télécom et Cegetel groupe, devenue SFR (SFR), ont enfreint les dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité CE et a prononcé des sanctions pécuniaires ; qu’après avoir exposé que, dans le cadre d’une architecture classique, un appel provenant d’un téléphone fixe et destiné à un téléphone mobile, dit « appel entrant », utilise une connexion directe entre le réseau fixe de l’appelant et le réseau mobile de l’appelé, puis la boucle radio de l’appelé, et qu’après avoir délimité un marché pertinent des communications fixes vers mobiles des entreprises se décomposant entre, d’une part, un marché aval de collecte, transport et interconnexion directe des appels aux réseaux mobiles où opèrent les opérateurs de téléphonie fixe et notamment France Télécom, dominant, et, d’autre part, trois marchés amont de terminaison des appels sur le réseau mobile appelé, chacun de ces marchés étant dominé par l’opérateur de téléphonie mobile en monopole sur son réseau GSM, soit FTM, devenu Orange France filiale de France Télécom, SFR filiale de Cegetel Groupe avant 2003 et Bouygues Télécom, le Conseil a constaté, en procédant à des tests de « ciseau tarifaire », que France Télécom et SFR avaient l’une et l’autre pratiqué pour les entreprises des tarifs de détail pour les communications fixes vers mobiles de leurs réseaux respectifs qui ne couvraient pas les coûts incrémentaux encourus pour ce type de prestations, dont la « charge de terminaison d’appels » (CTA) sur leurs réseaux mobiles respectifs, que la CTA facturée à France Télécom ou à SFR en tant qu’opérateurs de fixe par leurs branches de téléphonie mobile étant supérieure aux coûts effectifs de fourniture de la prestation de terminaison d’appel sur réseau mobile, les tarifs des télécommunications fixes vers mobiles proposés par ces sociétés couvraient pour le groupe France Télécom ou le groupe SFR les coûts variables effectivement encourus et n’entraînaient pas de pertes, qu’en revanche, les opérateurs de réseaux fixes non intégrés entrants sur le marché de la téléphonie fixe, ouvert à la concurrence depuis le 1er janvier 1998, ne pouvaient proposer aux entreprises, à des tarifs compétitifs, des prestations fixes vers mobiles via une interconnexion directe aux réseaux mobiles, sans encourir de pertes du fait de l’obligation pour eux d’acquitter la CTA fixée par les branches mobiles des opérateurs intégrés ; que, devant le Conseil, la société France Télécom faisait valoir que le niveau élevé de la CTA ne pouvait entraîner « d’effet de ciseau » car les nouveaux opérateurs disposaient de la possibilité de proposer des prestations fixes vers mobiles, sans interconnexion directe entre réseaux et donc sans paiement de la CTA nationale, en ayant recours au « reroutage international » consistant à envoyer le trafic collecté d’un fixe à un opérateur étranger afin que celui-ci le renvoie à France Télécom à charge pour cette dernière de le faire aboutir sur le réseau mobile de destination, la CTA étant alors peu élevée en raison d’accords conclus entre France Télécom et les opérateurs étrangers ;
que le Conseil, après avoir constaté que France Télécom avait conclu entre le 1er janvier 1999 et le 15 février 2000 avec plus de 25 opérateurs étrangers de nouveaux accords réciproques instituant une surcharge tarifaire pour les appels fixes destinés à un réseau mobile étranger, a notamment relevé qu’en raison de ces accords, mis en place au premier trimestre 1999 avec les principaux pays à travers lesquels le trafic était « rerouté », le « reroutage » par ces pays est devenu économiquement moins rentable, voir non rentable et que, contrairement à ce qu’alléguait France Télécom, il n’était pas établi que le trafic « rerouté » se serait alors déporté sur d’autres pays ; que le Conseil, constatant que le « reroutage » avait, avant le mois d’avril 1999, permis d’atténuer l’inégalité de la compétition entre opérateurs intégrés et opérateurs de réseaux fixes non intégrés et de retrouver une situation meilleure bien que dégradée pour le surplus du consommateur, n’a retenu les pratiques de « ciseau tarifaire » comme constitutives d’abus de position dominante que lorsqu’elles avaient été mises en oeuvre pendant une période s’étendant d’avril 1999 à fin 2001 durant laquelle « les opérateurs alternatifs sur le fixe ne disposaient pas de moyens leur permettant de significativement échapper à l’obligation d’acquitter la CTA imposée par les opérateurs GSM du fait de leur position dominante » ;
Attendu que, pour dire non établies des pratiques contraires aux dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du Traité CE et par conséquent réformer la décision du Conseil, l’arrêt, après avoir confirmé l’analyse par ce dernier des marchés pertinents et de la position des entreprises sur ces marchés, retient que « le Conseil, à qui il incombait de démontrer les éléments constitutifs de la pratique poursuivie, en particulier qu’au moment des faits, les concurrents de France Télécom et SFR sur le marché de la téléphonie fixe étaient contraints de recourir à l’interconnexion directe pour le trafic entrant », n’a pas suffisamment ni sans contradiction rapporté cette preuve et qu’aucun élément complémentaire n’est produit en appel ;
Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait de rechercher, non si le Conseil avait établi que les nouveaux opérateurs de téléphonie fixe ne disposaient plus d’aucun moyen permettant d’éviter l’effet de ciseau subi en cas d’interconnexion directe, mais si les pratiques de « ciseau tarifaire » respectivement mises en oeuvre par France Télécom et par SFR avaient pour objet ou pouvaient avoir pour effet, notamment après la signature par France Télécom d’accords de surcharge tarifaire vers mobiles avec les principaux pays au travers desquels le trafic était « rerouté », de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché de la téléphonie fixe vers mobile des entreprises, la cour d’appel a méconnu les dispositions des textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 12 avril 2005, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;
remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;
Condamne les sociétés France Télécom et SFR aux dépens ;
Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne les sociétés France Télécom et SFR à payer, chacune, au ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie la somme de 2 000 euros et, chacune, à l’association X… France la somme de 2 000 euros ; rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;
Vu l’article 48-1 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 modifié par le décret n° 2005-1668 du 27 décembre 2005, dit que sur les diligences du greffier en chef de la Cour de Cassation, le présent arrêt sera notifié, par lettre recommandée avec accusé de réception, à la Commission européenne, au Conseil de la concurrence et au ministre chargé de l’Economie ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix mai deux mille six.