Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant :
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société Montpellier diffusion presse (la société MDP), dépositaire central de presse, a conclu, le 27 mai 1988, avec Mme X… qui exploitait un fonds de commerce de tabac, presse, papeterie, un contrat de diffuseur conforme au contrat type mis au point par les organisations professionnelles et ayant reçu l’agrément du Conseil supérieur des messageries de presse ; que, par courrier du 1er juillet 1996, Mme X… a résilié ce contrat, en raison du refus du dépositaire central « d’alléger son stock de presse » ; qu’elle a assigné la société MDP afin d’obtenir réparation de l’ensemble des préjudices subis du fait des pratiques de cette entreprise, lesquelles l’auraient contrainte à la rupture des relations commerciales ;
Sur le premier moyen :
Attendu que Mme X… fait grief à l’arrêt du rejet de ses demandes alors, selon le moyen :
1 ) que le groupage et la distribution de plusieurs journaux et publications périodiques ne peuvent être assurés que par des sociétés coopératives de messageries de presse ; que si ces sociétés peuvent confier l’exécution de certaines opérations matérielles à des entreprises commerciales, c’est à la condition qu’elles détiennent une participation majoritaire dans la direction de ces entreprises ; qu’en l’espèce, il est constant que la société MDP a notamment pour objet la distribution et la vente de journaux et publications, et que son capital n’est pas majoritairement détenu par une société coopérative de messageries de presse ; qu’elle ne répond donc pas aux exigences de la loi du 2 avril 1947, et qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé les articles 2 et 4 de cette loi ;
2 ) que ne sont pas soumises aux dispositions du Code de commerce prohibant ententes et abus de position dominante les pratiques qui résultent de l’application d’un texte législatif ou d’un texte réglementaire pris pour son application ; que dans son arrêt, la cour d’appel a indiqué que « la loi du 2 avril 1947 ne dispose que jusqu’aux sociétés commerciales de messagerie de presse », et que la société MDP est « un dépositaire central de presse qui exerce une activité qui se situe en aval des dispositions de la loi du 2 avril 1947 » ; que si la loi du 2 avril 1947 n’est pas applicable, l’article L. 420-4 du Code de commerce admettant des exceptions au jeu de la concurrence lorsque certains textes le prévoient ne l’est pas davantage ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a méconnu l’article L. 420-4 du Code de commerce ;
3 ) qu’en toute hypothèse, aucune disposition de la loi du 2 avril 1947 ou d’un autre texte ne permet de conférer à une seule entreprise un monopole de distribution de plusieurs journaux pour une région déterminée ; qu’en l’espèce, elle a invoqué l’existence d’une entente entre entreprises de messagerie de presse pour distribuer journaux et publications sur la zone de Montpellier, interdisant à un diffuseur de presse situé dans cette région de signer un contrat avec une autre entreprise que la société MDP ; que pour refuser d’examiner les conséquences de cette entente, qu’elle n’a pas contestée, la cour d’appel s’est fondée sur l’article L. 420-4 du Code de commerce, relatif aux pratiques qui résultent de l’application d’un texte législatif ou d’un texte réglementaire pris pour son application ; qu’en se déterminant par ce motif, bien qu’aucune disposition légale n’implique d’ententes en matière de distribution groupée de presse, la cour d’appel a violé les articles L. 420-1 et L. 420-4 du Code de commerce ;
4 ) qu’aucune disposition de la loi du 2 avril 1947 ou d’un autre texte n’autorise un abus de position dominante d’un dépositaire central de presse consistant à livrer à un diffuseur d’importantes quantités de certains journaux que ce diffuseur ne peut vendre ; qu’en l’espèce, elle a soutenu que la société MDP s’était livrée à une telle pratique à son égard ; que pour refuser d’examiner les conséquences de cet abus, la cour d’appel s’est fondée sur l’article L. 420-4 du Code de commerce, relatif aux pratiques qui résultent de l’application d’un texte législatif ou réglementaire pris pour son application ; qu’en se déterminant par ce motif, bien qu’aucune disposition ne permette à un dépositaire central de livrer à un diffuseur des quantités excessives de certains journaux, la cour d’appel a violé les articles L. 420-1 et L. 420-4 du Code de commerce ;
5 ) qu’une atteinte à la concurrence peut être caractérisée quelle que soit la nature des relations contractuelles entre les parties ;
que, pour écarter l’existence d’ententes prohibées et d’abus de position dominante, tant au niveau national qu’en droit communautaire, la cour d’appel a relevé que les éditeurs restent propriétaires de la presse jusqu’à la vente aux consommateurs, que les agents du circuit de distribution ne sont que des commissionnaires qui ne déterminent pas le prix de vente de la presse, la sélection des titres et la présentation de la vente, et qui n’assument pas le risque commercial ; qu’en se fondant ainsi sur des circonstances inopérantes relatives au statut juridique respectif des éditeurs et des agents du circuit de distribution, la cour d’appel a violé les articles 85 et 86 du traité de Rome, devenus les articles 81 et 82, et les articles L. 420-1 et L. 420-4 du Code de commerce ;
6 ) que sont soumis aux règles de concurrence les dépositaires centraux de presse qui détiennent des pouvoirs propres en matière de distribution groupée de publications, spécialement dans leurs relations avec les diffuseurs qui ont la qualité de mandataire d’intérêt commun et assument un risque financier ; que pour écarter l’application de ces règles, la cour d’appel a relevé que les agents du circuit de distribution de presse n’étaient que des prestataires de services, violant ainsi les articles 85 et 86 du traité de Rome, devenus les articles 81 et 82, et les articles L. 420-1 et L. 420-4 du Code de commerce ;
7 ) qu’il est constant, puisque la société MDP l’a admis dans ses conclusions, que cette société dispose d’une exclusivité pour assurer la distribution groupée de la presse dans la région où elle exerce son activité ; qu’en décidant néanmoins qu’elle ne rapporte pas la preuve que la presque totalité de la presse nationale ou étrangère passe exclusivement par l’intermédiaire de la société MDP, la cour d’appel a violé les articles 1315 du Code civil et 4 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, qu’ayant constaté que, selon ses statuts, la société MDP a pour objet l’exercice de l’activité de distribution et de vente de presse dans le cadre des conventions avec les entreprises de presse, organismes de messageries et leurs mandataires, à une personne physique de leur choix et qu’ainsi cette entreprise n’est pas une société de messagerie de presse, mais un dépositaire central de presse, la cour d’appel retient à bon droit que rien dans la loi du 2 avril 1947 ne lui n’impose d’être constituée sous la forme d’une coopérative de messagerie de presse ;
Attendu, en deuxième lieu, que si, contrairement à ce que retient l’arrêt, les dispositions du livre IV du Code de commerce relatives à la liberté des prix et de la concurrence, s’appliquent à toutes activités de production, de distribution et de services, et donc à la distribution de la presse, l’allégation par Mme X… de l’existence d’une pratique anticoncurrentielle consistant dans la création d’une filiale commune par différents groupes est dépourvue de portée dès lors que ce dépositaire n’a pas déterminé le marché pertinent sur lequel cette prétendue entente aurait pour objet ou pour effet d’entraver le jeu de la concurrence ;
Attendu, en troisième lieu, s’agissant de l’abus de position dominante sur le marché de la diffusion de la presse dans la région de Montpellier que Mme X… reproche à la société MDP, que l’arrêt relève qu’en vertu des principes de la liberté de la presse, d’égalité et d’impartialité de traitement de tous les éditeurs, et de celui selon lequel les éditeurs conservent la propriété de leurs titres jusqu’à l’achat par le lecteur, les diffuseurs sont tenus de recevoir tous les titres que leur confient en dépôt les éditeurs par l’intermédiaire des dépositaires centraux et retient que la société MDP ne peut, dans ce régime de la répartition des titres ainsi définie, que procéder aux modifications de service qui lui sont demandées par les diffuseurs dans la mesure de ses possibilités, en fonction de l’acceptation des éditeurs ; qu’en l’état de ces seules appréciations, abstraction faite des motifs erronés critiqués par les troisième, quatrième, cinquième et sixième branches, la cour d’appel, devant laquelle il n’était ni établi ni même allégué que des écarts de livraison entre les diffuseurs répondraient à une volonté délibérée du dépositaire de traiter de façon discriminatoire les différents points de vente dans le but de fausser la concurrence, a fait ressortir, qu’à les supposer excessives, ces pratiques ne seraient dues qu’à l’obligation pour le dépositaire de livrer aux diffuseurs toutes les quantités acheminées par les messageries ou, éventuellement, à une mauvaise gestion de cette obligation ;
Attendu, en quatrième lieu, que l’invocation du droit communautaire de la concurrence est également sans portée, dès lors, d’une part, que les pratiques ne sont pas établies, d’autre part qu’il n’est pas pas établi que l’entente ou l’abus de position dominante allégué serait susceptible, en l’espèce, d’affecter le commerce entre Etats membres ;
D’où il suit que le moyen qui ne peut être accueilli en ses troisième, quatrième, cinquième et sixième branches, n’est pas fondé pour le surplus ;
Et sur le second moyen, pris en ses trois premières branches :
Attendu que Mme X… fait le même grief à l’arrêt, alors, selon le moyen :
1 ) que le contrat conclu entre elle et la société MDP stipulait que « personne ne doit être le banquier de personne » ; que les comptes entre les parties étant effectués chaque semaine, le respect de cette règle devait être apprécié selon la même périodicité, c’est-à-dire chaque semaine, ce qu’avait admis l’expert judiciaire ; que la cour d’appel a néanmoins décidé que la période à prendre en compte à propos du principe selon lequel aucune partie ne devrait être le banquier de l’autre renvoyait à la durée d’activité du diffuseur, violant ainsi l’article 1134 du Code civil ;
2 ) qu’elle avait fait valoir, dans ses conclusions d’appel, que la trésorerie du diffuseur était grevée dans plusieurs hypothèses précises, et que les sommes que le diffuseur détenait pour le compte de l’éditeur ne lui permettaient pas de s’acquitter de sa part de règlement hebdomadaire afin d’obtenir la fourniture de nouveaux titres ; qu’en ne s’expliquant pas sur ce moyen, la cour d’appel a violé l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
3 ) que la répartition des publications entre les différents points de vente du secteur d’un dépositaire central est effectuée par ce dernier ; que le dépositaire central peut donc commettre une faute en confiant à un diffuseur des quantités excessives de certains titres ; qu’en l’espèce, pour décider que la société MDP n’avait pas commis de faute dans la répartition des journaux et publications périodiques, la cour d’appel a considéré que cette répartition était effectuée par les éditeurs, violant ainsi l’article 1134 du Code civil ;
Mais attendu, d’une part, s’agissant des relations financières, que c’est par une interprétation que les termes ambigus de la convention et la complexité des comptes entre les parties rendaient nécessaires, que les juges du fond ont estimé que la période à prendre en compte pour l’appréciation de l’application du principe selon lequel « personne ne doit être le banquier de personne » était la durée d’activité du diffuseur ;
Attendu, d’autre part, qu’appréciant souverainement les éléments de preuve fournis par les parties, l’arrêt retient que la trésorerie moyenne du diffuseur sur la durée d’activité est positive ; que la cour d’appel a ainsi répondu en l’écartant à l’ensemble de l’argumentation de Mme X… ;
Attendu, enfin, que le contrat prévoyant que le dépositaire a l’obligation de procéder, dans le cadre des instructions de chaque éditeur, à un réglage approprié des quantités livrées au diffuseur, la cour d’appel n’a pas méconnu la loi des parties en retenant que « MDP peut procéder aux modifications de service qui lui sont demandées par les diffuseurs dans la mesure de ses possibilités, en fonction de l’acceptation des éditeurs » ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Mais sur ce moyen, pris en sa quatrième branche :
Vu l’article 1134 du Code civil ;
Attendu que, pour dire non fondé le reproche fait par Mme X… à la société MDP de l’avoir approvisionnée de manière abusive en journaux et publications périodiques, l’arrêt retient que l’examen de la ventilation sur l’évolution du taux d’invendus fourni par la société MDP montre pour chaque catégorie de presse que le taux du diffuseur était inférieur à celui du dépositaire central ;
Attendu qu’en statuant ainsi, alors que la convention précise que le dépositaire à l’obligation de procéder à un réglage approprié des quantités livrées au diffuseur dans le cas où les quantités reçues par un diffuseur feraient apparaître un pourcentage d’invendus excessif ou insuffisant par titre, la cour d’appel a méconnu la loi des parties ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 23 septembre 2003, entre les parties, par la cour d’appel de Montpellier ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Montpellier, autrement composée ;
Condamne la société Montpellier diffusion presse (MDP) aux dépens ;
Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix mai deux mille six.