Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant :
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que l’association « Comité national interprofessionnel des palmipèdes à foie gras » (le CIFOG), organisation interprofessionnelle agricole au sens de la loi du 10 juillet 1975, a fait assigner la société Soulard Ernest (la société) devant le tribunal de grande instance en paiement de cotisations estimées dues en vertu d’arrêtés interministériels d’extension, au titre des années 1994, 1995, 1996 et 1997 ; que la société faisait valoir en défense que les statuts du CIFOG, les accords négociés en son sein et les cotisations obligatoires perçues pour financer ses activités enfreignaient les règles communautaires issues de l’organisation commune des marchés dans le secteur de la volaille et les règles communautaires de la concurrence ;
Sur le moyen unique, pris en ses première, deuxième et troisième branches :
Attendu que la société Soulard Ernest reproche à la cour d’appel d’avoir accueilli la demande du CIFOG, alors, selon le moyen :
1 / qu’en présence d’une organisation commune de marché comportant une réglementation exhaustive, les Etats membres n’ont plus compétence pour étendre aux producteurs non affiliés des accords interprofessionnels ; que la Communauté européenne a instauré une organisation commune en matière de viande de volaille englobant le marché du foie gras de canard et du foie gras d’oie ; que le CIFOG est une organisation interprofessionnelle agricole dont l’objet coïncide avec celui de l’organisation commune communautaire; qu’enfin, la société Soulard Ernest n’est pas affiliée au CIFOG ; qu’ainsi, en condamnant celle-ci à payer au CIFOG les cotisations litigieuses, la cour d’appel a violé les articles 32 et 34 du Traité instituant la Communauté européenne, ensemble le règlement CEE n° 2777/75 du Conseil du 29 octobre 1975, le règlement CEE 1906/90 du Conseil du 26 juin 1990, les articles 2 et 3 de la loi n° 75-600 du 10 juillet 1975 et le cas échéant les articles L. 632-4 et L. 632-6 du Code rural ;
2 / que les organisations interprofessionnelles agricoles ne peuvent instaurer des cotisations, ou des taxes parafiscales, pesant sur tous les opérateurs européens et dont le résultat ne profite qu’au seul marché national, une telle mesure instaurant une discrimination en faveur des producteurs internes; que la société Soulard Ernest faisait valoir que le CIFOG imposait des cotisations en rupture de l’égalité de traitement exigée dans l’ordre communautaire, et le jugement entrepris avait lui-même relevé que le CIFOG imposait une cotisation qui était prélevée sur les producteurs français et communautaires ; que la société Soulard Ernest soutenait que ce procédé instaurait une discrimination en défaveur des producteurs intracommunautaires, dès lors que la cotisation litigieuse ne bénéficiait qu’au seul marché interne ; que la cour d’appel a rejeté ce moyen au seul motif qu’il n’existerait pas de discrimination entre les producteurs français de foie gras d’oie et de foie gras de canard ; que dès lors, la cour d’appel a laissé sa décision sans base légale au regard des articles 33 et 34 du Traité instituant la Communauté européenne, ensemble les articles 2 et 3 de la loi n° 75-600 du 10 juillet 1975 et le cas échéant les articles L. 632-4 et L. 632-6 du Code rural ;
3 / qu’une organisation interprofessionnelle agricole ne peut instaurer une discrimination entre les professionnels d’un même secteur, à moins que la différence de traitement ne soit justifiée par des situations différentes ; que la société Soulard Ernest soutenait que l’accord interprofessionnel du 29 avril 1992 instaurait une différence de traitement entre les producteurs, les transformateurs et les découpeurs, le producteur se trouvant le plus pénalisé, puisqu’il doit payer la cotisation la plus lourde et doit en outre recouvrer les cotisations dues par les autres professionnels ; qu’en rejetant le moyen en se bornant à affirmer, sans plus d’explications ou de recherches et sans nullement analyser l’accord du 29 avril 1992, que tous les professionnels seraient soumis aux mêmes obligations, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 33 et 34 du Traité instituant la Communauté européenne, ensemble les articles 2 et 3 de la loi n° 75-600 du 10 juillet 1975 et le cas échéant les articles L. 632-4 et L. 632-6 du Code rural ;
Mais attendu, d’une part, qu’il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour de Justice des Communautés européennes (Arrêt du 18 mai 1977, Van den Hazel ; arrêt du 22 mai 2003, Freskot AE) qu’en présence d’un règlement portant organisation commune des marchés dans un domaine déterminé, les Etats membres sont tenus de s’abstenir de toute mesure qui serait de nature à y déroger ou à y porter atteinte ;
qu’aux termes de l’arrêt Freskot AE, précité, l’organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de volaille est fondée sur un ensemble de mesures destinées à stabiliser les marchés et à assurer un niveau de prix équitable, sans recours à des mesures d’intervention comparables à celles qui sont prévues pour d’autres marchés agricoles ;
que, selon le même arrêt, il résulte tant de l’économie générale que des dispositions du règlement n° 2777/75 du Conseil, du 29 octobre 1975, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de volaille, notamment de son article 2, que ce règlement procède d’un choix délibéré de politique économique consistant à s’en remettre essentiellement aux forces du marché pour assurer les équilibres souhaités et que, dès lors, pour ce qui concerne le commerce intracommunautaire, l’organisation des marchés de la viande de volaille est fondée sur la liberté des transactions commerciales, dans des conditions de concurrence loyale ; qu’après avoir constaté, répondant au moyen pris de la violation des règles fixées par l’organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de volaille par un accord ayant pour effet d’affecter la liberté des transactions dans un marché ouvert et de provoquer des discriminations entre producteurs et des distorsions dans les échanges entre Etats membres, que le CIFOG ne procédait à aucune mesure d’intervention sur le marché, ne fixait ni prix, ni quotas, n’achetait pas de stocks, ne disposait d’aucun monopole de production ou de commercialisation direct ou indirect, qu’il n’avait demandé l’extension d’aucun accord impliquant une intervention sur le marché par fixation de prix ou de quantités et que, dès lors, le
CIFOG ne se livrait à aucune activité contraire au droit communautaire de nature à lui interdire de percevoir des cotisations, la cour d’appel a pu statuer comme elle a fait ;
Attendu, d’autre part, que, dans ses conclusions d’appel, la société a soutenu que les mesures prévues par l’accord interprofessionnel étendu du 29 avril 1992, comme les cotisations obligatoires, n’affectaient que les producteurs français à l’exclusion des producteurs d’autres Etats membres et que les producteurs français et la production française se trouvaient défavorisés puisqu’ils avaient notamment à acquitter des cotisations qui alourdissaient les coûts et affectaient dès lors potentiellement tant la compétitivité de ces producteurs que les échanges intracommunautaires ; que la société n’est pas recevable à présenter un moyen contraire à la thèse qu’elle a développée devant les juges du fond ;
Attendu, enfin, que le principe communautaire de non-discrimination prévu par l’article 34, paragraphe 2, CE, aux termes duquel une organisation commune des marchés agricoles doit exclure toute discrimination entre producteurs ou consommateurs de la Communauté, n’étant pas applicable aux mesures nationales qui, tel l’accord litigieux, ne mettent pas en oeuvre des réglementations communautaires, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à une recherche inopérante, a légalement justifié sa décision ;
D’où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
Sur le moyen, pris en ses quatrième, cinquième, sixième et septième branches :
Attendu que la société Soulard Ernest fait le même grief à l’arrêt, alors, selon le moyen :
1 / que l’activité des organisations interprofessionnelles agricoles n’échappe pas en principe aux règles du droit communautaire de la concurrence ; que la société Soulard soutenait que, tant les activités du CIFOG que les cotisations réclamées au titre de cette activité, caractérisaient diverses infractions au droit communautaire ; que ce moyen a été rejeté au seul motif que le CIFOG ne serait pas une entreprise intervenant sur le marché ; qu’en se bornant à de telles affirmations sans même rechercher si le CIFOG n’était pas le cadre institutionnel, dominant l’entier marché du foie gras d’oie et du foie gras de canard tant français qu’européen, dans lequel se regroupaient la plupart des professionnels de ces deux filières pour y négocier des accords anticoncurrentiels, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des article 81 et 82 du Traité instituant la Communauté européenne ;
2 / qu’aux termes mêmes des articles 1 et 2 de la loi n° 75-600 du 10 juillet 1975, alors applicables, et des actuels articles L.. 632-1 et L. 632-4 du Code rural, les organisations interprofessionnelles agricoles constituent des organismes dominant le marché qu’ils concernent et sur lequel ils jouissent en outre d’un monopole de droit ; qu’en affirmant qu’il n’est pas établi que le CIFOG occuperait une position dominante sur le marché du foie gras d’oie ou de canard, la cour d’appel a violé les articles 81 et 82 du Traité instituant la Communauté européenne, ensemble les textes susvisés ;
3 / qu’il appartient à l’organisation interprofessionnelle agricole concernée et aux juridictions saisies des litiges portant sur les cotisations de mesurer quelle fraction de la cotisation litigieuse est la stricte et égale contrepartie d’un service qui répond à la demande des utilisateurs ; qu’en l’espèce, ni le CIFOG n’a apporté les éléments permettant de constater que cette cotisation n’était pas disproportionnée aux prestations fournies, ni les juges du fond n’ont recherché qu’elle était la part licite de ces cotisations ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 82 et 86 du Traité instituant la Communauté européenne ;
4 / que la cour d’appel a affirmé « qu’il n’est justifié d’aucun accord tendant à fixer les prix minima des produits » ; que pourtant l’accord du 29 avril 1992 stipule notamment que « les prix contractuels sont conclus annuellement au début de chaque année avant le 1er mars pour chacun des produits » ; qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a dénaturé ledit accord et a ainsi violé l’article 1134 du Code civil ;
Mais attendu que la cour d’appel était saisie de conclusions de la société tendant à faire juger d’une part que les accords interprofessionnels conclus dans le cadre du CIFOG et étendus selon la procédure alors prévue par l’article 2 de la loi n° 75-600 du 10 juillet 1975, en vertu desquels sont réclamés les cotisations litigieuses, accords auxquels sont applicables les dispositions du règlement CE n° 26/32 du Conseil du 4 avril 1962, constituent des ententes prohibées par l’article 81 du Traité CE et d’autre part, que le fait d’imposer de telles cotisations constitue, par application de l’article 82 du Traité CE, un abus de position dominante de la part du CIFOG ; que c’est sans dénaturer les termes de l’accord interprofessionnel du 29 avril 1992 que l’arrêt retient, pour écarter le grief d’entente, qu’il n’est justifié d’aucun accord tendant à fixer les prix ; que, pour exclure toute violation par le CIFOG de l’article 82 du Traité CE, la cour d’appel, qui n’a, à juste titre, pas déduit des articles 1 et 2 de la loi n° 75-600 du 10 juillet 1975, alors applicables, que le CIFOG détient une position dominante sur le marché des foies gras d’oie ou de canard, relève que le CIFOG, qui n’exerce aucune activité économique, ne détient pas de position dominante, ni a fortiori de monopole sur le marché ; qu’en l’état de ces énonciations, qui, faisant ressortir que le CIFOG ne peut abuser d’une position dominante sur le marché du foie gras d’oie ou de canard en prélevant, conformément aux
dispositions de la loi du 10 juillet 1975, les cotisations, prévues par accords interprofessionnels étendus, sur tous les membres des professions le constituant, rendaient inutiles les recherches évoquées par la troisième branche du moyen, la cour d’appel a légalement justifié sa décision et a statué à bon droit ; d’où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
Mais sur le moyen, pris en sa huitième branche :
Vu l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que l’arrêt condamne la société à payer au CIFOG une somme à valoir sur le montant des cotisations dues au titre des années 1994 à 1997 ;
Attendu qu’en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société qui soutenait que l’accord du 29 avril 1992 n’avait, en ce qui concerne les cotisations, été étendu par l’arrêté du 24 décembre 1992 que pour une période d’une année et que les avenants à cet accord, qui seraient intervenus après la date d’expiration de cet accord, n’avaient été étendus que par arrêté du 23 février 1995, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ses dispositions relatives au montant des cotisations dues par la société Soulard Ernest au CIFOG, l’arrêt rendu le 4 juin 2002, entre les parties, par la cour d’appel de Poitiers ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Limoges ;
Condamne la société Soulard Ernest aux dépens ;
Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix mai deux mille six.