Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par Mme Marie-Françoise X…, en cassation d’un arrêt rendu le 4 octobre 1991 par la cour d’appel de Bordeaux (6ème chambre), au profit de M. Jacques Y…, défendeur à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l’audience publique du 27 octobre 1993, où étaient présents : M. Grégoire, conseiller doyen faisant fonctions de président, M. Thierry, conseiller rapporteur, MM. Renard-Payen, Lemontey, Gélineau-Larrivet, Forget, Mme Gié, M. Ancel, conseillers, M. Savatier, Mme Catry, conseillers référendaires, M. Gaunet, avocat général, Mlle Ydrac, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Thierry, les observations de Me Le Prado, avocat de Mme X…, de Me Choucroy, avocat de M. Y…, les conclusions de M. Gaunet, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que les époux Y…-X… se sont mariés le 22 novembre 1962 sous le régime de la communauté réduite aux acquêts ; qu’au jour du mariage, ils étaient chacun propriétaires d’exploitations viticoles ; que, par jugement du 22 mai 1967, le tribunal de grande instance de Bordeaux a prononcé la séparation de corps et ordonné le partage de la communauté, partage qui a été réalisé selon acte notarié en date des 27 et 29 avril 1968 ; que les époux ont encore poursuivi la vie commune pendant douze ans, période durant laquelle Mme X… a acquis plusieurs parcelles de vignes ; que, le 27 octobre 1980, cette dernière a sollicité la conversion de la séparation de corps en divorce ; que celui-ci a été prononcé par arrêt du 13 décembre 1984 de la cour d’appel de Bordeaux qui a prescrit la liquidation des droits des parties et sursis à statuer sur le montant de la prestation compensatoire sollicitée par M. Y… ; que, le 2 mai 1989, ce dernier a demandé la liquidation de la société de fait ayant existé entre les époux entre 1968 et 1980 et le partage par moitié des biens acquis en commun, ainsi que des bénéfices réalisés au cours de cette période ;
que l’arrêt attaqué (Bordeaux, 4octobre 1991) a constaté l’existence d’une société de fait entre M. Y… et Mme X… pour la mise en valeur de leurs patrimoines respectifs et des parcelles acquises avec des fonds indivis, dit que la plus-value procurée aux apports par l’activité de chacun des coindivisaires serait partagée par moitié, déclaré que les propriétés Champagne, Dubourg et Bayle seraient exclues du partage, condamné Mme X… à verser à M. Y… une provision de 100 000 francs, et ordonné une expertise sur les autres demandes ;
Sur le premier moyen pris en ses quatre branches, tel qu’il est énoncé au mémoire en demande et reproduit en annexe du présent arrêt :
Attendu que, dans ses conclusions d’appel, Mme X… a énoncé sucessivement que si la notion même de société de fait était contestable, « la concluante fait reste de droit à M. Y… en l’admettant », qu’il convenait d’examiner la question des revenus « pendant la période de la société de fait » et que « la société de fait n’existe plus depuis février 1980 » ;
Qu’il s’ensuit que, pris en ses quatre branches, le premier moyen, qui contredit l’argumentation soutenue devant les juges du fond, est irrecevable ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que Mme X… fait grief à l’arrêt d’avoir déclaré indivises toutes les exploitations acquises, à l’exception des propriétés Champagne, Dubourg et Bayle, alors, selon le moyen, d’une part, qu’en faisant peser sur Mme X…, défenderesse à l’instance, l’obligation de prouver que les propriétés litigieuses avaient été achetées avec ses fonds propres, alors qu’il appartenait à M. Y…, demandeur, d’établir que ces biens avaient été acquis avec des deniers indivis, l’arrêt attaqué a inversé la charge de la preuve et violé l’article 1315 du Code civil ; et alors, d’autre part, que Mme X… avait fait valoir que les acquisitions litigieuses avaient été réalisées au moyen de chèques tirés sur son compte personnel, distinct des comptes joints sur lesquels étaient crédités les revenus des exploitations, et que, pour chacune de ces acquisitions, ce compte personnel avait été alimenté par des virements en provenance de sa mère ou d’un ami de cette dernière, de telle sorte que le caractère indivis des deniers n’avait pas été établi, étant observé qu’il n’existe aucune présomption de deniers indivis ; qu’en s’abstenant de répondre à ces conclusions, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences de l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu’ayant relevé que Mme X… détenait les deniers indivis provenant de l’administration de l’indivision, qu’elle n’exerçait aucune autre activité, et qu’elle ne disposait pas de revenus personnels, c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation des éléments de preuve soumis à son examen, et sans inversion de la charge de cette preuve, que la cour d’appel a estimé que, pour toutes les exploitations litigieuses à l’exception des propriétés Champagne, Dubourg et Bayle, l’origine des virements effectués sur le compte personnel de Mme X… en vue de ces acquisitions demeurait indéterminée, de telle sorte que ces achats n’avaient pu être effectués qu’avec des deniers indivis ;
qu’elle a ainsi légalement justifié sa décision, et répondu auxconclusions invoquées ;
D’où il suit que le deuxième moyen ne peut être accueilli ;
Sur le troisième moyen :
Attendu qu’il est également reproché à la cour d’appel d’avoir ordonné le partage par moitié de l’actif de l’indivision, ainsi que des plus-values procurées aux apports par l’activité de chacun des coindivisaires, alors que, selon le moyen, le partage de l’actif de toute société est, sauf clause ou convention contraire, effectué entre les associés dans les mêmes proportions que leur participation aux bénéfices, c’est-à-dire en proportion de leur part dans le capital social, la part de l’associé ayant apporté son industrie étant égale à celle de l’associé qui a le moins apporté ; que, dès lors, en décidant de procéder à un partage par moitié de tous les éléments de l’actif, y compris la plus-value des biens propres, sans avoir égard à l’importance respective des apports en nature et des apports en industrie des associés, la cour d’appel a violé les articles 1844-1, 1844-9, et 1843-2 du Code civil ;
Mais attendu que, dans ses conclusions d’appel, Mme X… s’est bornée à contester que M. Y… ait contribué à la plus-value procurée aux biens litigieux, sans soutenir que le partage par moitié de l’actif net devait être exclu, de telle sorte que le moyen est nouveau, mélangé de fait et de droit et, par suite, irrecevable ;
Que le troisième moyen ne peut donc être retenu ;
Sur le quatrième moyen pris en ses quatre branches, tel qu’il est énoncé au mémoire en demande et reproduit en annexe du présent arrêt :
Attendu, d’une part, que la plus-value due au travail d’un indivisaire n’est pas assimilable aux fruits et revenus des biens indivis et n’obéit pas aux règles de l’article 815-10 du Code civil ; que l’indivisaire qui a, par son activité personnelle, procuré une plus-value aux biens indivis, peut demander qu’il lui en soit tenu compte selon l’équité ;
Attendu, ensuite, que Mme X…, qui n’a jamais invoqué la prescription quinquennale instaurée par le même texte à propos de la perception des fruits et revenus des biens indivis, n’est pas recevable à invoquer pour la première fois ce moyen, que les juges du fond ne pouvaient soulever d’office ;
Attendu, par ailleurs, qu’ayant constaté qu’après février 1980, date de cessation de la société de fait, Mme X… avait conservé un certain nombre de propriétés acquises avec les bénéfices de l’indivision et en avait perçu seule les fruits et revenus, la cour d’appel en a justement déduit qu’elle devait reverser à M. Y… une partie de ceux-ci ;
Attendu, enfin, qu’ayant relevé que Mme X… avait admis dans ses conclusions d’appel que « pourrait être partagé éventuellement le matériel qui avait été acquis pendant la durée de la société de fait avec les produits de l’exploitation », l’arrêt attaqué n’a pas dénaturé ces conclusions en énonçant que les parties étaient d’accord sur ce point ;
Qu’il s’ensuit que le quatrième moyen n’est pas davantage fondé que les précédents ;
Et attendu que le pourvoi revêt un caractère abusif ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme X… à une amende civile de cinq mille francs, envers le Trésor public ; la condamne, envers M. Y…, aux dépens et aux frais d’exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par M. le président en son audience publique du huit décembre mil neuf cent quatre-vingt-treize.