Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société civile immobilière (SCI) Tara, dont le siège est …, en cassation d’un arrêt rendu le 22 novembre 1995 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence (11e chambre), au profit :
1°/ de M. Jean-Marie Z…, demeurant « Le Coralin », 3e étage, 700, venue Jules A…, La Musardière, 06160 Antibes,
2°/ de M. Patrick C…,
3°/ de Mme Danielle Y…, épouse C…, demeurant ensemble …,
4°/ de M. Michel X…, demeurant …, pris en sa qualité de liquidateur de la société à responsabilité limitée Cuisimess,
5°/ de la société Unijuris, société anonyme, dont le siège est …,
6°/ de M. Christophe B…, demeurant …, défendeurs à la cassation ;
La société Unijuris a déposé un pourvoi incident contre le même arrêt ;
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l’appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l’appui de son recours, le moyen de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l’article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l’organisation judiciaire, en l’audience publique du 18 novembre 1997, où étaient présents : M. Lemontey, président, Mme Marc, conseiller rapporteur, M. Fouret, conseiller, M. Sainte-Rose, avocat général, Mme Aydalot, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Marc, conseiller, les observations de la SCP Boré et Xavier, avocat de la SCI Tara, de Me Choucroy, avocat de M. X…, ès qualités, de la SCP Gatineau, avocat de la société Unijuris, de la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, avocat de M. B…, les conclusions de M. Sainte-Rose, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que, le 25 octobre 1988, la société Tara a donné à bail un local commercial à M. C… ; qu’après s’être portée caution au profit de cette société pour garantir l’exécution par le preneur des obligations résultant de ce bail, l’épouse de M. C… a, par acte du 29 janvier 1991, fait apport en nature à la société Cuisimess, en sa qualité d’associée, du fonds de commerce lui appartenant et des éléments en dépendant, notamment du droit au bail susvisé ; que, par acte sous seing privé du 3 octobre 1991, établi par la société Unijuris, les époux C… et M. B…, associés de la société Cuisimess, et M. Z…, gérant de cette dernière, se sont portés cautions solidaires, au profit de la société Tara, pour garantir l’exécution par la société Cuisimess des obligations résultant du bail ; que le liquidateur judiciaire de la société Cuisimess a résilié le bail ; qu’ayant déclaré sa créance au passif de la procédure collective, la société Tara a assigné les époux C…, M. Z… et M. B…, pris en leurs qualités de cautions, en paiement de sommes restant dues au titre du bail ; que ceux-ci ont conclu à l’annulation de leur engagement, en faisant valoir que la mention manuscrite « lu et approuvé, bon pour caution solidaire » apposée par chacun d’eux sur l’acte du 3 octobre 1991 n’exprimait pas de façon explicite et non équivoque la connaissance qu’ils avaient de la nature et de l’étendue de l’obligation contractée ; que la société Tara a assigné, en outre, la société Unijuris en paiement des mêmes sommes pour le cas où la nullité des cautionnements serait prononcée ; que l’arrêt confirmatif attaqué (Aix-en-Provence, 22 novembre 1995), accueillant la demande formée contre les époux C… et M. Z…, mais retenant que le cautionnement de M. B… était nul, a condamné la société Unijuris à payer des dommages-intérêts à la société Tara ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches, du pourvoi principal de la société Tara, et sur le moyen unique, pris en ses deux branches, du pourvoi incident de la société Unijuris, qui sont identiques :
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir décidé que le cautionnement de M. B… était nul, alors, d’une part, que, dans leurs conclusions d’appel, les sociétés Tara et Unijuris avaient prétendu que M. B… avait une parfaite connaissance de la portée de son engagement ; que dès lors, en énonçant que la connaissance qu’avait M. B… de son engagement n’était pas alléguée, la cour d’appel a modifié l’objet du litige ; alors, d’autre part, qu’en se bornant à relever que la participation active de M. B… au fonctionnement de la société Cuisimess n’était pas démontrée, sans rechercher si M. B… n’en connaissait pas moins la portée de son engagement, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;
Mais attendu, d’une part, que l’arrêt attaqué relève qu’aucune participation active de M. B…, associé minoritaire de la société Cuisimess, dans la gestion ou le fonctionnement de cette société n’était démontrée ou seulement alléguée au-delà d’une adhésion formelle à la constitution de celle-ci ; que la cour d’appel n’a donc pas énoncé que la connaissance qu’avait M. B… de son engagement n’était pas alléguée ;
d’où il suit que le premier grief manque en fait ;
Attendu, d’autre part, que, par motifs propres et adoptés, la cour d’appel, après avoir constaté que l’engagement de M. B… était indéterminé, a relevé que ce dernier était seulement l’un des associés de la société Cuisimess, qu’aucune participation active de sa part dans la gestion ou le fonctionnement de cette société n’était démontrée et que le bail commercial n’avait pas été annexé à l’acte de cautionnement par lui signé ;
qu’elle a retenu que, dans ces conditions, la mention manuscrite apposée par M. B… sur ledit acte et dont les termes étaient « lu et approuvé, bon pour caution solidaire » n’exprimait pas de façon explicite et non équivoque la connaissance qu’il avait de la nature et de l’étendue de l’obligation cautionnée ; que le second grief est donc sans fondement, la cour d’appel ayant procédé à la recherche prétendument omise ;
Sur les troisième et quatrième branches du premier moyen du pourvoi principal, tel qu’il figure au mémoire en demande et est reproduit en annexe au présent arrêt :
Attendu que, procédant à une distinction entre, d’une part, les cautionnements des époux C… et de M. Z…, et, d’autre part, celui de M. B…, la cour d’appel a relevé que M. C… et M. Z… avaient été condamnés à combler l’insuffisance d’actif de la société Cuisimess par un jugement décrivant, dans ses motifs, le montage réalisé par les époux C… pour la création de cette société afin de dissimuler les difficultés rencontrées par Mme C… dans l’exploitation en son nom personnel du fonds de commerce ainsi que le rôle de gérant de bail tenu par M. C… avec la complicité de M. Z… et la collaboration active de Mme C… ; qu’en revanche, en ce qui concerne M. B…, elle a retenu qu’aucune participation active de celui-ci dans la gestion ou le fonctionnement de la société Cuisimess n’était démontrée ou seulement alléguée au-delà d’une adhésion formelle, sinon de pure complaisance, à la constitution d’une société déficitaire dès sa création, ce dont il ressortait qu’à la différence des époux C… et de M. Z…, M. B… n’avait pas donné son adhésion à la constitution de la société dans le but déterminé de réaliser un montage frauduleux destiné à faire supporter le passif personnel de Mme C… par cette société ; qu’en l’état de ces constatations et énonciations, la cour d’appel, qui a répondu aux conclusions invoquées, a légalement justifié sa décision sans encourir les griefs du moyen ;
Sur le second moyen, pris en ses trois branches, du pourvoi principal, tel qu’il figure au mémoire en demande et est reproduit en annexe au présent arrêt :
Attendu, d’abord, que la cour d’appel a retenu, à juste titre, que la faute commise par la société Unijuris pour avoir établi un acte de cautionnement entaché de nullité, avait fait perdre au créancier une chance de recouvrer sa créance ;
Attendu, ensuite, que la cour d’appel, qui n’était pas tenue de répondre au simple argument tiré de l’organisation par les époux C… et M. Z… de leur insolvabilité et présenté seulement dans le cadre d’une demande d’exécution provisoire de jugement, a procédé, par une appréciation souveraine, à l’évaluation de cette perte de chance ;
D’où il suit qu’en aucune de ses branches le moyen ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi principal et le pourvoi incident ;
Fait masse des dépens et les laisse pour moitié à la charge de la société Tara et pour moitié à la charge de la société Unijuris ;
Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Unijuris ;
Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la SCI Tara à payer à M. B… la somme de 12 000 francs ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six janvier mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.