Cour d’appel d’Orléans, Chambre commerciale, 29 mai 2008, 07/01812

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Cour d’appel d’Orléans, Chambre commerciale, 29 mai 2008, 07/01812

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE

GROSSES + EXPÉDITIONS

Me Estelle GARNIER

Me Jean-Michel DAUDÉ

DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : Tribunal de Grande Instance de TOURS en date du 29 Mai 2007

PARTIES EN CAUSE

APPELANTS :

Monsieur Jean Claude X…, demeurant …

représenté par Me Estelle GARNIER, avoué à la Cour

ayant pour avocat Me Cécile MOREIRA, du barreau de PARIS

Madame Josiane Z… épouse X…, demeurant …

représentée par Me Estelle GARNIER, avoué à la Cour

ayant pour avocat Me Cécile MOREIRA, du barreau de PARIS

D’UNE PART

INTIMÉE :

BANQUE POPULAIRE VAL DE FRANCE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège, 9 Avenue Newton – 78180 MONTIGNY LE BRETONNEUX

représentée par Me Jean-Michel DAUDÉ, avoué à la Cour

ayant pour avocat la SCP SAINT-CRICQ & NEGRE, du barreau de TOURS

D’AUTRE PART

DÉCLARATION D’APPEL EN DATE DU 12 Juillet 2007

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats et du délibéré :

Monsieur Jean-Pierre REMERY, Président de Chambre,

Monsieur Alain GARNIER, Conseiller,

Monsieur Thierry MONGE, Conseiller.

Greffier :

Madame Nadia FERNANDEZ, lors des débats et du prononcé de l’arrêt.

DÉBATS :

A l’audience publique du 24 AVRIL 2008, à laquelle, sur rapport de Monsieur RÉMERY, Magistrat de la Mise en Etat, les avocats des parties ont été entendus en leurs plaidoiries.

ARRÊT :

Lecture de l’arrêt à l’audience publique du 29 Mai 2008 par Monsieur le Président REMERY, en application des dispositions de l’article 452 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La Banque Populaire Val de France (BPVF) a consenti aux époux X… en août 1999 une ouverture de crédit par découvert de 2.000.000 F destiné à financer un apport en compte courant d’associés dans la société X…, spécialisée dans la fabrication de cravates et qui connaissait de graves difficultés financières depuis la défaillance de son principal client, la société PRADY, en septembre 1998. La BPVF a effectué le 16 septembre 1999 deux virements de 1.000.000 F et 500.000 F du compte des époux X… sur celui de la société X… ouvert dans ses livres et a procédé le même jour à la contre-passation d’effets de commerce à concurrence de 1.620.000 F tirés par la société X… sur la société PRADY qui avaient été escomptés et demeuraient impayés depuis la liquidation judiciaire de cette dernière société un an auparavant. La société X… ayant été mise en liquidation judiciaire le 30 janvier 2002, les époux X… ont assigné la BPVF, par acte du 14 septembre 2005, en responsabilité et paiement de la somme de 402.000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à son obligation d’information et de conseil lors de l’octroi du prêt, et exécution déloyale du contrat de crédit. Parallèlement, l’établissement de crédit a assigné les emprunteurs, le 12 octobre 2005, en paiement du solde débiteur de leur compte.

Par jugement du 29 mai 2007, le Tribunal de grande instance de TOURS, après avoir ordonné la jonction des procédures, a débouté les époux X… de leur demande et les a condamnés solidairement à payer à la BPVF la somme de 404.506,70 euros avec intérêts au taux Euribor 3 mois + 1,5 sur 400.908,41 euros à compter du 15 septembre 2005 au titre de l’ouverture de crédit et celle de 91,61 euros avec intérêts au taux légal à compter de la même date à raison d’un autre compte débiteur.

Les époux X… ont relevé appel et demandent à la Cour, par infirmation du jugement entrepris, de dire que la BPVF a commis une faute et de fixer leur préjudice à la somme de 404.500 euros, ou subsidiairement à celle de 283.150 euros au titre de la perte de chance de ne pas souscrire l’emprunt. Ils considèrent également que la créance de la banque ne peut excéder 352.000 euros et que le taux conventionnel ne s’applique pas.

De son côté, la BPVF conclut à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et à la capitalisation des intérêts.

Pour l’exposé complet des faits, de la procédure, ainsi que des prétentions et moyens des parties, qui seront analysés en même temps que leur discussion dans les motifs qui suivent, il est expressément renvoyé à la décision entreprise et aux dernières conclusions signifiées les 6 février 2008 (époux X…) et 31 mars 2008 (BPVF).

A l’issue des débats, le président d’audience a indiqué aux parties que l’arrêt serait rendu le 29 MAI 2008.

SUR QUOI

Sur la responsabilité de la banque lors de l’octroi de l’ouverture de crédit

Attendu que les époux X… font valoir qu’à la date de l’octroi du prêt ils n’avaient la qualité ni d’actionnaires ni de dirigeants de la société X… et ne peuvent donc être assimilés à des emprunteurs avertis, de sorte que l’établissement de crédit a manqué à son obligation de mise en garde sur les risques de l’opération et sur les chances de la société X… de surmonter ses difficultés de trésorerie ;

Mais attendu qu’il résulte du dossier et notamment d’un protocole signé le 14 mars 2000 entre les époux X…, la société X… et les trois banquiers de la société, que la société X… avait été fondée en 1970 par la famille X…, qu’elle employait 250 salariés en 1990 et réalisait une trentaine de millions de francs de chiffre d’affaires ; qu’en 1991, la famille X… a cédé cette société à ses principaux clients mais qu’à la suite de la liquidation judiciaire de la société PRADY en septembre 1998, laissant un impayé de 12.000.000 F, et de la mauvaise gestion du nouveau dirigeant qui s’était manifestée par des capitaux propres de la société négatifs de 1.680.254 F au 31 mars 1999, les époux X… ont décidé de reprendre la majorité du capital de l’affaire avec leur fils Carl dans le but de sauvegarder les emplois et ont sollicité de la BPVF un concours de 2.000.000 F afin de reconstituer la trésorerie et d’assurer le paiement des salaires et des charges sociales et fiscales des mois d’août et septembre 1999 ;

Qu’au regard de ces constatations, et même si la reprise du contrôle de la société X… n’a eu lieu qu’en septembre 1999 par la souscription à une augmentation de capital de la société 4B, maison mère de la société X…, réservée aux époux X… et à leur fils, il apparaît que les appelants avaient la qualité d’emprunteurs avertis ; qu’en effet, leur longue expérience professionnelle d’une vingtaine d’années dans le domaine d’activité de l’entreprise qu’ils envisageaient de reprendre, et leur exacte information sur la situation financière de la société X… lorsqu’ils ont souscrit le prêt, permet de déduire que le montage organisé par les parties, en toute connaissance de cause et avec leur accord, même s’il aboutit à une substitution de débiteur, ne peut être source de responsabilité de la part de la banque ;

Que, dans ces conditions, les époux X…, qui ne démontrent pas que la BPVF aurait pu avoir des informations sur leurs capacités de remboursement ou sur les risques de l’opération financée, qu’eux-mêmes auraient ignorés, ne peuvent faire grief à cette banque de leur avoir accordé un concours qu’ils ont eux-mêmes sollicité, la BPVF n’étant redevable d’aucun devoir de mise en garde envers les intéressés qui disposaient déjà de tous les renseignements utiles sur leur situation respective et l’opportunité de recourir au crédit litigieux ;

Sur le non-respect de l’affectation des fonds prêtés :

Attendu que les époux X… ont adressé le 7 septembre 1999 à la BPVF un ordre de virement en faveur de la société X… de 1.000.000 F accompagné d’une lettre demandant à la banque de « faire très vite car le montant de ce premier versement servira au paiement des salaires de septembre qui sont toujours en attente » ; que le virement n’a été effectué que le 16 septembre 1999 avec un autre virement de 500.000 F ; que le même jour, la BPVF a débité le compte de la société X… d’une somme 1.620.000 F avec le motif « virement en faveur de clients divers », sans préavis ni information préalable de la société cliente, en se bornant à aviser les époux X…, par lettre recommandée du 16 septembre 1999, de l’exécution de leurs ordres pour un montant total de 1.500.000 F comme « opérations d’apport en compte courant d’associés dans la société X… » ; qu’à la même date, la banque a également envoyé à la société X… une lettre recommandée ainsi rédigée :

« Nous vous rappelons que depuis octobre et novembre 1998, nous sommes porteurs d’effets impayés tirés sur la société PRADY pour un montant global de 2.286.211,72 F. Suite à l’apport en compte courant réalisé par vos associés, à hauteur de 1.500.000 F, nous procédons ce jour à la contre-passation desdits effets à concurrence du solde créditeur de votre compte, à savoir : 1.620.000 F. Notre créance se trouve de ce fait ramenée à 666.211,72 F » ;

Que, néanmoins, la BPVF avait proposé le 4 mai 1999 d’amortir les impayés au moyen d’un crédit à moyen terme sur cinq ans et la société X…, sous la signature de Monsieur Carl X…, avait proposé, précisément le 16 septembre 1999, un remboursement sur 8 ans au taux de 4 % ;

Que la BPVF prétend avoir réalisé l’opération litigieuse en plein accord avec les appelants, ainsi qu’il serait mentionné dans le protocole d’accord précité du 14 mars 2000, et que les salaires ont été, en tout état de cause, réglés le 7 octobre 1999, ce qui exclut tout détournement des sommes versées ;

Mais attendu que le protocole invoqué stipule précisément que « pour assainir la situation financière, Monsieur et Madame Jean Claude X… apportèrent en compte courant à la SA X… deux millions de francs. La BPVF, sur cet apport en compte courant, préleva une somme de 1.620.000 F, se remboursant par ce prélèvement d’une grande partie des effets impayés qu’elle avait escomptés sur la société PRADY et ramenant sa créance sur ladite société PRADY à 666.211 F. Monsieur Carl X…, le nouveau dirigeant, constatant qu’il subsistait toujours de lourdes difficultés de trésorerie, sollicita alors la nomination d’un mandataire ad hoc chargé de négocier avec ses créanciers un éventuel moratoire » ;

Que les rapports entre un banquier et son client sont basés, de part et d’autre, sur la confiance et le respect des accords arrêtés entre eux et qu’il résulte de ce qui précède qu’il n’avait été à aucun moment prévu que le crédit accordé aux époux X… devait servir à apurer les effets impayés, les termes du protocole cités traduisant clairement que les époux X… ont été mis devant le fait accompli et ont subi la position unilatéralement prise par la banque, tandis que la société X… a été privée de la trésorerie apportée et a connu immédiatement de nouvelles difficultés ;

Qu’au surplus, l’ordre d’affectation spéciale donné à la banque par les époux X… dans leur lettre du 7 septembre 1999 constituait un mandat de réserver spécialement au profit des indications mentionnées la somme à virer au compte de la société X… et que la banque, en présence d’un tel ordre, n’était pas autorisée à disposer des fonds à son profit tant que ses clients n’auraient pas révoqué son mandat ; que l’affectation des fonds prêtés d’initiative par la banque à l’apurement des effets impayés constitue donc de sa part une faute génératrice de responsabilité qui sera sanctionnée par l’allocation aux époux X… de la somme de 246.967,41 euros correspondant au détournement opéré (1.620.000 F), le jugement étant infirmé sur ce point ;

Sur la créance de la BPVF :

Attendu qu’après avoir rectifié les errements dans les décomptes d’intérêts trimestriels, calculés à plusieurs reprises à des taux proches de 16 % au lieu du taux convenu « Euribor 3 mois + 1,50 point », la BPVF, compte tenu du montant du crédit, d’un remboursement de 59.167,35 F le 14 mars 2001 et des intérêts réels, justifie de sa créance à hauteur de 404.506,70 euros ; que le jugement n’est donc pas critiquable en ce qu’il a condamné les époux X… à payer cette somme à la banque ;

Qu’en outre, un accord est intervenu entre les parties, figurant à l’article 2 de la convention de crédit, pour maintenir, après la clôture du compte, les intérêts au taux conventionnel ;

Attendu, en définitive, qu’il convient d’ordonner la compensation des créances réciproques et que les époux X… seront en conséquence condamnés solidairement à payer à la BPVF la somme de 404.506,70 – 246.967,41 = 157.539,29 euros, avec intérêts au taux Euribor 3 mois + 1,50 à compter du 15 septembre 2005 ; que le fait, de la part de BPVF, de contester les demandes des époux X…, ne constitue pas une faute susceptible de faire obstacle à la capitalisation des intérêts prévue par l’article 1154 du Code civil dont les seules conditions sont que la demande en ait été judiciairement formée et qu’il s’agisse d’intérêts dus au moins pour une année entière ; que la capitalisation des intérêts sera, dès lors, ordonnée à compter du 31 mars 2008, date des dernières conclusions signifiées par la banque ;

Attendu que chaque partie succombant partiellement en ses prétentions supportera ses propres frais et dépens de première instance et d’appel, sans indemnité de procédure ;

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ;

Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a retenu le principe de la dette des époux X… au titre de l’ouverture de crédit en compte courant et les a condamnés solidairement à payer à la Banque Populaire Val de France la somme de 91,61 euros avec intérêts au taux légal à compter du 15 septembre 2005 ;

L’infirmant pour le surplus ;

Et statuant à nouveau ;

Condamne la Banque Populaire Val de France à verser aux époux X… la somme de 246.967,41 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l’affectation des fonds prêtés ;

Ordonne la compensation des créances réciproques relatives à l’ouverture de crédit en compte courant ;

Condamne, en conséquence, solidairement les époux X… à payer à la Banque Populaire Val de France la somme de 157.539,29 euros, avec intérêts au taux Euribor 3 mois + 1,50 à compter du 15 septembre 2005 et capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1154 du Code civil à compter du 31 mars 2008 ;

Laisse à chaque partie la charge de ses propres frais et dépens de première instance et d’appel ;

Rejette toute demande tendant à l’allocation de sommes par application de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Et le présent arrêt a été signé par Monsieur REMERY, Président, et Madame FERNANDEZ, Greffier présent lors du prononcé.


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