Cour d’appel de Versailles, du 11 avril 2003, 2001-3354

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Cour d’appel de Versailles, du 11 avril 2003, 2001-3354

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

FAITS ET PROCEDURE : 5La société ADRESSE MAILING PROMOTION (AMP), dont le capital était détenu par une société holding, la société MARKINVEST, avait une activité de routeur, c’est-à-dire de préparation, mise sous enveloppe, affranchissement, tri et remise à LA POSTE de mailings pour le compte d’entreprises privées ou d’agences de communication. Ces deux sociétés contrôlaient également, directement ou indirectement, le capital de cinq autres sociétés :

FIRST VPC (vente par correspondance), FIRST ELECTRONIQUE (vente par correspondance), LIST EUROP (commercialisation de fichiers), CHEFS DE FAB (fabrication et commercialisation de documents par sous-traitance), APV (réalisation de prestations de logistique et colisage). Courant 1998, les relations contractuelles entre LA POSTE et la société AMP étaient matérialisées par : un contrat  » MACHINE A AFFRANCHIR « , explicitant les conditions d’utilisation des machines à affranchir. En raison du volume des plis traités par le Groupe AMP, les services de LA POSTE ont créé, au sein des locaux de cette dernière, situés à VULLAINES-SUR-SEINE, un centre de tri, ayant pour mission notamment de contrôler tous les plis qui rentraient dans le centre de tri, de s’assurer de la validité et de la qualité du tri des plis par rapport à leur valeur d’affranchissement, et d’organiser l’acheminement et la distribution du courrier. Confrontée à partir de 1997 à des difficultés de trésorerie, la société AMP a accepté de régulariser avec LA POSTE plusieurs protocoles d’accord ayant pour objet de définir les conditions de règlement des valeurs d’affranchissement des plis qu’elle confiait pour expédition à cette dernière. Au motif que ces modalités n’étaient pas respectées, LA POSTE a pris l’initiative, le 20 janvier 1999, de faire procéder au retrait des machines à

affranchir entreposées dans les locaux de la société AMP ; le même jour, elle a mis la société AMP en demeure de régler sa dette. La société AMP a alors saisi le Président du tribunal de commerce de NANTERRE, lequel, par ordonnance sur requête en date du 25 janvier 1999, a désigné Maître François ACOU en qualité de mandataire ad hoc, avec pour mission de rechercher si cette société se trouvait en état de cessation des paiements, dans l’affirmative depuis quelle date, et de préciser si son environnement économique était favorable à un moratoire lui permettant d’aménager ses engagements financiers. Au vu des conclusions du rapport déposé le 1er février 1999 par Maître ACOU, les dirigeants des sociétés composant le Groupe AMP (à l’exception de la société APV) ont effectué le 03 février 1999 une déclaration de cessation des paiements. Par jugement du 10 février 1999, le tribunal de commerce de NANTERRE a prononcé la liquidation judiciaire de l’ensemble de ces sociétés et a désigné Maître BECHERET en qualité de mandataire liquidateur du Groupe AMP/MARKINVEST. Faisant grief à LA POSTE d’avoir, en tant que partenaire du Groupe AMP, engagé sa responsabilité des chefs d’abus de position dominante et de manquements à ses obligations contractuelles au préjudice des créanciers des sociétés de ce groupe, Maître BECHERET, en sa qualité de liquidateur judiciaire des sociétés AMP, FIRST VPC, FIRST ELECTRONIC, LIST EUROP, CHEFS DE FAB et MARKINVEST, l’a, par acte du 22 octobre 1999, assignée en paiement de la somme de 156.373.343,11 F (23.838.962,48 euros), représentant le préjudice prétendument subi par la collectivité des créanciers de ces sociétés en liquidation judiciaire. Par jugement du 06 février 2001, le tribunal de commerce de NANTERRE a : * débouté LA POSTE de sa demande de sursis à statuer ; * dit que LA POSTE n’avait pas respecté les clauses et conditions des contrats régularisés avec le Groupe AMP/MARKINVEST et qu’elle s’était rendue coupable d’abus de position dominante ; * condamné LA

POSTE à payer au Groupe AMP/MARKINVEST, en réparation du préjudice subi, la somme de 3.700.000 F (564.061,36 euros), avec intérêts légaux à compter du prononcé de la décision de première instance ; * condamné LA POSTE à verser à Maître BECHERET, ès-qualités, la somme de 20.000 F (3.048,98 euros) au titre de l’article 700 du Nouveau code de procédure civile. LA POSTE a interjeté appel de cette décision. Elle soulève la nullité du jugement entrepris, celui-ci ayant été rendu en violation flagrante des droits de la défense et au vu des seules pièces versées aux débats par Maître BECHERET, ès-qualités. Elle fait valoir que la plainte déposée par elle le 28 juin 2000 entre les mains de Monsieur le Doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance de NANTERRE est de nature à avoir une influence sur la décision civile à intervenir, dans la mesure où les enquêtes diligentées à ce jour mettent en évidence que les dirigeants des sociétés du Groupe MARKINVEST sont susceptibles d’être impliqués pour faux et usage (fausse attestation de dépôt postal), détournement des affranchissements au profit de la société MARKINVEST, abus de biens sociaux (importants mouvements de fonds réalisés dans la plus complète opacité, acquisition par la société MARKINVEST des actions de la société AMP détenues par Monsieur Michel X… grâce à la trésorerie de cette dernière) et banqueroute (poursuite d’une activité déficitaire). Elle invoque les dispositions de l’article 4 du code de procédure pénale, lesquelles justifient le prononcé d’un sursis à statuer compte tenu du lien étroit existant entre l’action intentée à l’encontre de LA POSTE et celles visant la responsabilité des dirigeants des sociétés du Groupe AMP/MARKINVEST. Elle souligne que, la cause de l’ouverture des procédures collectives ne pouvant être recherchée que dans les faits actuellement instruits, et non dans ceux imputés à l’appelante et postérieurs de plus d’un an et demi à la date de cessation des

paiements, la Cour ne pourra déterminer une éventuelle responsabilité de LA POSTE sans comprendre dans quelles conditions le Groupe AMP/MARKINVEST a fonctionné au cours des dernières années. Sur le fond, réfutant les griefs de rupture abusive et de soutien abusif, LA POSTE estime qu’en considération des éléments dont elle avait connaissance, sa position a été juste et équilibrée, puisqu’elle a accepté d’accorder des délais de paiement à la société AMP en cas de difficultés ponctuelles et limitées de cette dernière, et qu’elle a refusé de poursuivre les relations contractuelles devant un état de cessation des paiements manifesté par l’émission de chèques sans provision. Elle explique que son attitude s’est constamment inscrite dans le respect des clauses contractuelles souscrites par la société AMP, conformément au contrat technique  » POSTIMPACT  » du 10 mars 1998 et au contrat  » MACHINE A AFFRANCHIR  » du 21 octobre 1998. Elle relève que c’est seulement après avoir constaté la mauvaise foi caractérisée de l’entreprise de routage qu’elle a appliqué les dispositions des articles 6.5 et 8.4 du contrat  » Machine à affranchir  » en mettant sous scellés les machines à affranchir le 20 janvier 1999. Elle soutient que c’est à tort que le tribunal a retenu qu’elle aurait dû respecter un préavis de huit jours dans le cadre du contrat  » Machine à affranchir  » et d’un mois dans le cadre du contrat  » Postimpact « , alors qu’elle s’est contentée de procéder à la mise sous scellés des machines à affranchir par suite, non de la résiliation de la convention  » machine à affranchir « , mais de l’existence avérée d’un incident de paiement non régularisé. Elle réfute le grief de soutien abusif, dans la mesure où les accords d’échelonnement, qui ne portaient que sur quelques jours (LA POSTE ayant toujours veillé à ne pas laisser se créer une dette importante) ont toujours été respectés par AMP jusqu’aux événements des dernières semaines. Elle conteste également qu’il puisse lui être imputé un

abus de position dominante et de dépendance économique, alors qu’elle n’a, ni recherché l’élimination d’un concurrent ou encore le bénéfice d’avantages injustifiés, ni commis une faute dans les modalités de la rupture des relations contractuelles, et alors qu’il ne peut lui être reproché d’avoir refusé de consentir des délais de règlement à une société en état de cessation des paiements. Elle ajoute qu’il n’existe aucun lien de causalité entre les prétendues fautes qu’elle aurait commises et l’insuffisance d’actif du Groupe AMP/MARKINVEST, celle-ci trouvant sa seule origine dans les agissements frauduleux de ses dirigeants. Par voie de conséquence, LA POSTE demande à la Cour d’annuler le jugement entrepris, avant dire droit de surseoir à statuer dans l’attente de l’issue de l’instruction pénale actuellement pendante au tribunal de grande instance de NANTERRE, à titre subsidiaire d’infirmer la décision de première instance et de débouter Maître BECHERET, en sa qualité de liquidateur judiciaire des sociétés du Groupe AMP/MARKINVEST de l’intégralité de ses prétentions. Elle réclame en outre 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile. La SCP BECHERET THIERRY, en sa qualité de mandataire liquidateur des sociétés ADRESSE MAILING PROMOTION (AMP), FIRST VPC, FIRST ELECTRONIC, LISTE EUROP, CHEFS DE FAB, MARKINVEST, conclut à la confirmation du jugement déféré en ce qu’il a écarté la demande de sursis à statuer et retenu la responsabilité de LA POSTE. Elle relève que cette dernière est défaillante dans la preuve de l’influence des éventuels agissements délictueux reprochés aux anciens dirigeants du Groupe AMP sur les fautes civiles qui lui sont reprochées par Maître BECHERET, es qualités. Elle indique être en mesure d’établir que, nonobstant la charge de la preuve qui pèse sur l’appelante, les faits susceptibles d’être imputés aux anciens dirigeants du Groupe AMP sont sans aucun lien avec le non respect par LA POSTE de ses obligations

contractuelles et avec le soutien abusif dont elle s’est rendue coupable au préjudice des sociétés de ce groupe, invoqués à son encontre dans le cadre de la présente instance. Elle précise que la demande de sursis à statuer ne saurait d’autant moins prospérer que LA POSTE avait une parfaite connaissance des faits allégués par elle dans sa plainte avec constitution de partie civile, ce qui ne l’a pas empêchée de poursuivre et de maintenir les concours financiers en faveur du Groupe AMP en le faisant bénéficier de délais de paiement tout au long des années 1997 et 1998 et au début de l’année 1999. Sur le fond, l’intimée stigmatise le comportement de LA POSTE qui a exploité abusivement sa position dominante en se livrant à des pratiques ayant eu pour objectif non dissimulé de faire disparaître un concurrent, le Groupe AMP, du marché du routage, en procédant à la résiliation unilatérale et abusive des conventions  » Machine à affranchir  » et  » Postimpact  » en dehors de tout respect des stipulations contractuelles sur le préavis, en refusant la mise en place d’une procédure de médiation, et en se rendant coupable d’une véritable voie de fait par l’enlèvement des machines à affranchir dans les locaux de son partenaire. Elle relève que LA POSTE a fait une exploitation abusive de l’état de dépendance économique dans lequel se trouvait la société AMP en prenant la décision de réduire les délais de paiements consentis à cette dernière, ces délais étant passés progressivement de 30 jours à 7 jours en quelques années, ce qui a créé un besoin de fonds de roulement supplémentaire pour ce partenaire. Elle soutient que la chronologie des faits illustre suffisamment le soutien abusif dont l’Etablissement Public s’est rendu coupable à l’égard de l’entreprise de routage au préjudice des créanciers de la liquidation judiciaire du Groupe AMP, en accordant de manière réitérée à sa cocontractante des délais pour s’acquitter de sa dette, malgré la connaissance qu’elle avait, lors de

l’attribution à la société AMP du label  » Qualité Routeurs Premiers  » le 13 février 1998, des difficultés financières de cette société et de ses incidents de paiements au moins depuis mai 1997. Elle allègue que LA POSTE a délibérément et gravement méconnu ses obligations contractuelles en ne notifiant aucune mise en demeure à la société AMP, en ne respectant pas le préavis de huit jours qui s’imposait à elle avant de résilier la convention  » machine à affranchir « , et en se rendant coupable d’une véritable voie de fait à l’encontre de sa cocontractante lors du retrait brutal des machines à affranchir dans la matinée du 20 janvier 1999. Elle fait valoir que les agissements fautifs reprochés à l’appelante, son refus de toute procédure de médiation judiciaire, et l’enlèvement par elle de l’outil de travail indispensable à l’activité de routage du Groupe AMP, non seulement sont à l’origine de l’état de cessation des paiements des sociétés de ce groupe, mais ont également conduit au prononcé de leur liquidation judiciaire. Elle en déduit que le quantum de la réparation sollicitée à l’encontre de l’Etablissement Public correspond très exactement au montant du passif déclaré à la liquidation judiciaire des sociétés composant le Groupe AMP. Se portant incidemment appelante de ce chef, la SCP BECHERET et THIERRY demande à la Cour d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a fixé le préjudice subi par la liquidation judiciaire du Groupe AMP/MARKINVEST à la somme de 506.061,37 euros, et statuant à nouveau, de condamner LA POSTE au paiement de la somme de 27.378.984,88 euros. Elle réclame en outre une indemnité de 25.000 euros sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile. L’ordonnance de clôture a été prononcée le 24 avril 2003. MOTIFS DE LA DECISION : SUR LA DEMANDE DE NULLITE DU JUGEMENT :

Considérant que l’examen de la procédure de première instance fait apparaître qu’après avoir le 14 novembre 2000 renvoyé l’affaire à l’audience du 05 décembre 2000 afin que les parties s’expliquent sur

la demande de sursis à statuer, le tribunal de commerce de NANTERRE a, aux termes du jugement déféré, statué également sur les réclamations présentées par Maître BECHERET, ès-qualités, sans que LA POSTE ait été en temps utile invitée à présenter ses observations sur le fond du litige ; considérant qu’il s’ensuit que les premiers juges ont été conduits à retenir des moyens et documents invoqués ou produits par l’une des parties, sans que l’autre ait été à même d’en débattre contradictoirement ; considérant que, dès lors que LA POSTE n’a pas été mise en mesure de faire valoir ses moyens de défense, il convient, en application de l’article 16 du nouveau code de procédure civile, de prononcer la nullité du jugement déféré ; considérant que, par l’effet dévolutif de l’appel, la Cour peut valablement statuer sur l’ensemble des moyens, ayant trait tant au sursis à statuer qu’au fond, soulevés par chacune des parties au soutien de leur argumentation respective. SUR LA DEMANDE DE SURSIS A STATUER :

Considérant qu’en application des articles 4 alinéa 2 du code de procédure pénale et 378 du nouveau code de procédure civile, il n’y a lieu de surseoir à statuer sur une demande présentée devant la juridiction civile que si la décision à intervenir sur l’action publique est de nature à influer sur la décision à rendre par cette juridiction ; considérant qu’en l’occurrence, aux termes de sa plainte avec constitution de partie civile déposée le 28 juin 2000, LA POSTE invoque en premier lieu l’existence de fausses attestations de dépôt postal établies en vue de permettre à la société AMP, confrontée à des difficultés de trésorerie, de percevoir par avance un financement de la part de sa société d’affacturage ; mais considérant que, dans ses conclusions déposées par elle le 28 mars 2000 devant le tribunal de commerce de NANTERRE, LA POSTE a expressément reconnu que, malgré la connaissance qu’elle avait des procédés utilisés courant octobre 1998 par la société AMP afin

d’obtenir des financements auprès de sa société d’affacturage, elle avait accepté de poursuivre ses relations contractuelles avec l’entreprise de routage ; considérant qu’il est donc établi que l’existence de ces prétendues infractions, parfaitement connue de l’appelante, n’a pas constitué un obstacle au maintien de la collaboration entre les parties au moins jusqu’au début de l’année 1999 ; or considérant que c’est précisément le comportement de l’Etablissement Public lors de la poursuite de ce partenariat qui est à l’origine de la présente action en responsabilité civile engagée par Maître BECHERET, ès-qualités, des chefs d’abus de position dominante, non respect des obligations contractuelles et soutien abusif ; considérant qu’il n’existe donc pas de lien entre les agissements de faux et usage de faux susceptibles d’être imputés aux anciens dirigeants du Groupe AMP/MARKINVEST et les manquements reprochés à LA POSTE dans le cadre de la procédure diligentée devant le tribunal de commerce de NANTERRE à l’initiative du liquidateur judiciaire des sociétés de ce groupe ; considérant que la plainte de LA POSTE devant le Doyen des Juges d’Instruction du tribunal de grande instance de NANTERRE vise également des faits d’abus de confiance, au motif qu’au cours des mois de décembre 1998 et janvier 1999, AMP a continué d’affranchir les plis de ses clients, et donc de percevoir les affranchissements correspondants, sans pour autant les reverser dans leur totalité à l’Etablissement Public ; considérant que, toutefois, par arrêt du 17 octobre 2002, la Cour d’appel de ce siège (13ème Chambre), confirmant l’ordonnance rendue le 11 octobre 2001 par le Juge Commissaire ayant admis la créance de LA POSTE au passif de la liquidation judiciaire de la société AMP uniquement pour la somme de 742.548,97 euros et l’ayant rejetée pour le surplus, a relevé que LA POSTE ne rapportait pas la preuve du bien fondé de sa réclamation afférente aux dépôts des mois de décembre 1998 et janvier

1999 ; considérant qu’en toute hypothèse, les faits dont s’agit, tels que visés dans la plainte, à les supposer constitutifs de l’infraction d’abus de confiance, n’ont pu avoir une quelconque influence sur les conditions de mise en ouvre de la responsabilité civile de LA POSTE, telle qu’elle est recherchée par la SCP BECHERET et THIERRY dans le cadre de la présente procédure ; considérant que la plainte avec constitution de partie civile mentionne en outre les faits de banqueroute susceptibles d’être retenus à l’encontre des anciens dirigeants des sociétés du Groupe AMP/MARKINVEST, compte tenu de la concentration du pouvoir entre les mains de la famille X…, et eu égard à l’importance des mouvements comptables constatés lors des années 1997 et suivantes entre les différentes sociétés de ce groupe ; mais considérant que la situation financière de sa cocontractante ne pouvait être ignorée de LA POSTE, laquelle, en sa qualité de membre de droit de la commission compétente à cet effet, a été mise en mesure de vérifier, lors de l’attribution le 13 février 1998 du label  » Qualité Routeurs Premiers  » à la société AMP, que celle-ci satisfaisait à des critères relatifs à sa structure financière, au fonds de roulement, à l’état de sa trésorerie, et à la régularité de ses règlements à LA POSTE  » tant au niveau de leurs montants qu’au niveau des délais respectés  » ; considérant qu’il s’ensuit que c’est en parfaite connaissance de cause que l’établissement public a accepté de poursuivre ses relations contractuelles avec la société AMP, nonobstant les difficultés de trésorerie auxquelles celle-ci s’est trouvée confrontée au moins à partir d’août 1997, époque à laquelle le tribunal de commerce de NANTERRE a fait remonter la date de sa cessation des paiements ; considérant que, dès lors qu’en fonction de ce qui précède, l’issue de la plainte avec constitution de partie civile déposée par LA POSTE n’est pas de nature à avoir une quelconque incidence sur le sort

devant être réservé aux prétentions parfaitement distinctes formulées par la SCP BECHERET et THIERRY au soutien de son action en responsabilité civile à l’encontre de l’appelante, il convient de débouter cette dernière de sa demande de sursis à statuer. SUR LE SOUTIEN ABUSIF ET SUR LA VIOLATION DES OBLIGATIONS CONTRACTUELLES :

Considérant que LA POSTE peut voir sa responsabilité engagée à l’égard des créanciers de la liquidation judiciaire des sociétés du Groupe AMP/MARKINVEST, sur le fondement des articles 1382 et suivants du Code Civil, s’il est démontré qu’elle a apporté à l’une ou l’autre de ces sociétés un soutien artificiel créateur d’une apparence trompeuse pour ses créanciers ; considérant qu’en l’occurrence, la chronologie des relations qui se sont poursuivies entre la société AMP et LA POSTE met en évidence que celle-ci connaissait parfaitement les difficultés de trésorerie auxquelles l’entreprise de routage se trouvait régulièrement confrontée depuis mai 1997, époque à laquelle remonte sa première demande de délai de paiement concernant un appel de fonds d’environ 7.475.410 F (1.139.618,91 euros) et un report des affranchissements du mois d’avril 1997 ; considérant qu’à cet égard, aux termes de son rapport d’expertise du 07 décembre 2001, Monsieur Y…, désigné par ordonnance du 09 mai 2001 du Juge Commissaire du tribunal de commerce de NANTERRE, établit la liste des nombreux courriers échangés entre Monsieur Eric X…, dirigeant de la société AMP, et LA POSTE, et faisant état de demandes réitérées de délais de paiement généralement acceptées par cette dernière ; considérant qu’il en résulte que, malgré sa connaissance des difficultés financières de sa cocontractante, et nonobstant ses mises en garde destinées à informer cette dernière qu’aucun nouveau report ne lui serait consenti, LA POSTE a poursuivi son partenariat avec la société AMP jusqu’au début de l’année 1999, époque à laquelle elle a mis subitement fin à ses relations avec l’entreprise de routage ;

considérant que la réalité de cette situation financière pouvait d’autant moins échapper à l’établissement public qu’il est constant que le Groupe AMP a, le 13 février 1998, obtenu le label  » Qualité Routeurs Premiers « , lequel est attribué par une Commission (dont LA POSTE est membre permanent) sur la base de :  » critères relatifs à la structure financière, au fonds de roulement, à l’état de trésorerie, aux résultats analysés sur une période de référence couvrant les années N-1, N-2, N-3 « , et à la condition que le demandeur justifie :

 » qu’il effectue des règlements réguliers à LA POSTE, tant au niveau de leur montant qu’au niveau des délais respectés  » ;considérant qu’il apparaît également que LA POSTE, qui avait été alertée par un courrier de Monsieur Eric X… en date du 23 novembre 1998 sur les procédés frauduleux utilisés par ses services afin d’obtenir un financement de la part de la société d’affacturage, a néanmoins ultérieurement poursuivi ses relations contractuelles avec l’entreprise de routage, et a accepté de lui consentir encore des délais de paiement et de lui soumettre le 15 décembre 1998 un protocole d’accord portant apurement d’une somme égale à 9.892.768 F (1.508.142,76 euros) ; considérant qu’au surplus, tout en confirmant que LA POSTE était au courant des difficultés rencontrées en 1998 par la société AMP, Monsieur Y…, expert judiciaire, précise que le pic de trésorerie, qui avait atteint en juin, juillet 1998 la somme d’environ 14.000.000 F (2.134.286,24 euros), a été financé en partie par l’obtention de délais de règlement sur les affranchissements supérieurs aux délais accordés par l’établissement public ; considérant qu’il est ainsi démontré que, malgré la connaissance qu’elle avait, au moins à partir de juin 1998, de la situation particulièrement obérée de sa cliente, l’appelante n’a alors pris aucune initiative en vue de mettre un terme aux relations contractuelles selon les modalités prévues par les conventions qui la

liaient à l’entreprise de routage ; considérant que la preuve est donc suffisamment rapportée du soutien abusif dont la société AMP a bénéficié de la part de LA POSTE, dont la situation de position dominante sur le marché du routage n’est pas démontrée, et qui a eu pour effet d’entretenir une apparence trompeuse de solvabilité au préjudice des créanciers de la liquidation judiciaire des sociétés du Groupe AMP/MARKINVEST ; considérant que, de surcroît, il s’infère de l’article 8.2 du contrat  » POSTIMPACT  » liant LA POSTE à la société AMP que le non respect par l’une des parties de ses obligations autorisait l’autre à résilier ce contrat de plein droit, la résiliation devant prendre effet :  » à l’issue d’un préavis d’un mois notifié par lettre recommandée avec accusé de réception  » ; considérant qu’il résulte en outre des articles 13.1 et 13.2 des conditions générales du contrat  » MACHINE A AFFRANCHIR  » que ce contrat était résiliable par LA POSTE, en cas de non respect par le client de l’une au moins de ses obligations, et notamment en cas de défaut de règlement des affranchissements dans les conditions prévues à l’article 8, la résiliation prenant effet :  » huit jours ouvrables après l’envoi d’une mise en demeure, effectuée par lettre recommandée avec avis de réception, restée infructueuse  » ; or considérant qu’il apparaît que LA POSTE n’a pas notifié la moindre mise en demeure ni respecté les délais de préavis susvisés, et qu’elle a procédé le 20 janvier 1999 de sa propre initiative à l’enlèvement des machines à affranchir, alors que l’article 8.4 du contrat  » MACHINE A AFFRANCHIR  » l’autorisait seulement à apposer les scellés en cas d’incident de paiement ; considérant que cette inobservation des obligations contractuelles caractérise un comportement fautif de la part de la POSTE, laquelle, après avoir apporté en connaissance de cause un soutien illicite à une entreprise de routage qui se trouvait manifestement en état de cessation des paiements, a brusquement et

irrégulièrement rompu les conventions qui la liaient à sa cocontractante. Sur le lien de causalité et sur le préjudice :

Considérant qu’au soutien de sa demande de dommages-intérêts, la SCP BECHERET et THIERRY expose que la volonté de LA POSTE de refuser toute procédure de médiation, et sa décision de retirer l’outil de travail indispensable à l’activité de routage du Groupe AMP, ont conduit inéluctablement le tribunal de commerce de NANTERRE a prononcer, par jugement du 10 février 1999, la liquidation judiciaire des sociétés de ce groupe ; considérant qu’elle précise que, dès lors que l’ensemble des créanciers de la liquidation judiciaire est directement victime des agissements de LA POSTE, l’indemnisation devant être mise à la charge de cette dernière correspond très précisément au montant du passif déclaré à la liquidation judiciaire des sociétés du Groupe AMP, soit à hauteur d’un montantsements de LA POSTE, l’indemnisation devant être mise à la charge de cette dernière correspond très précisément au montant du passif déclaré à la liquidation judiciaire des sociétés du Groupe AMP, soit à hauteur d’un montant égal à 27.378.984,88 euros ; mais considérant qu’un tel raisonnement aboutit à rendre LA POSTE seule et entièrement responsable de la situation dans laquelle s’est trouvé le Groupe AMP/MARKINVEST et qui a conduit à sa cessation des paiements et au prononcé de la liquidation judiciaire, alors même qu’il résulte du rapport d’expertise de Monsieur Y… que la première cause des difficultés de ce groupe réside dans le manque de fonds propres en vue de financer une activité faiblement rémunératrice ; considérant qu’au demeurant, les indications tirées de ce rapport d’expertise autorisent d’autant moins à faire supporter par l’appelante l’intégralité des conséquences de cette liquidation judiciaire, qu’il est admis par l’expert judiciaire que la société AMP connaissait de fortes difficultés déjà en juin 1997 et que son état de cessation de

paiement était caractérisé en juin 1998 ; considérant que, par voie de conséquence, avant dire droit sur la détermination du lien de causalité entre les manquements imputés à LA POSTE et le préjudice invoqué par l’intimée ès-qualités, il convient d’ordonner une mesure d’expertise, aux frais avancés de cette dernière, destinée à renseigner la Cour sur l’incidence de ce comportement fautif sur l’insuffisance d’actifs des sociétés du Groupe AMP/MARKINVEST ; considérant que cette expertise doit être confiée à Monsieur Y…, lequel, ayant été précédemment désigné par le juge commissaire du tribunal de commerce de NANTERRE, a déjà analysé l’origine des difficultés du Groupe AMP et a donné son avis sur les circonstances ayant conduit à l’état de cessation des paiements de ce groupe ; considérant qu’il sera statué sur les réclamations principales et accessoires des parties après réouverture des débats postérieurement au dépôt du rapport d’expertise judiciaire. PAR CES MOTIFS La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, ANNULE le jugement entrepris, et statuant à nouveau : REJETTE la demande de sursis à statuer ; DIT que LA POSTE a commis une faute en soutenant abusivement les activités de la société AMP alors manifestement en état de cessation de paiement, puis en rompant dans des conditions brutales et irrégulières ses relations contractuelles avec cette société ; Avant dire droit sur la détermination du lien de causalité entre cette faute et le préjudice invoqué et sur l’appréciation de l’étendue de ce préjudice ; ORDONNE une expertise judiciaire ; DESIGNE Monsieur Thierry Y…, expert financier près la Cour d’Appel de PARIS, 1, Square d’Urfé 75016 PARIS, (Tel. : 01 42 88 78 75, Fax. : 01 42 88 69 67), avec pour mission de : * fournir tous éléments permettant de déterminer quelle a été l’incidence de la poursuite puis de la cessation des relations contractuelles entre LA POSTE et la société AMP sur les difficultés

financières du Groupe AMP/MARKINVEST ayant conduit à son état de cessation des paiements puis au prononcé de la liquidation judiciaire des sociétés composant ce groupe ; analyser si la poursuite de ce partenariat a généré tous autres préjudices pour les créanciers de la liquidation judiciaire des sociétés du groupe, et dans cette hypothèse, en préciser la nature et l’importance ; FIXE à 4.000 euros la provision, à valoir sur la rémunération due à l’expert, que la SCP BECHERET et THIERRY sera tenue de consigner au Greffe de la Cour d’Appel de VERSAILLES au plus tard avant le 30 novembre 2003 ; DIT qu’à défaut de consignation dans le délai imparti, la mesure d’expertise sera caduque, sauf prorogation du délai ou relevé de forclusion conformément aux dispositions de l’article 271 du nouveau code de procédure civile ; DIT que l’expert judiciaire devra déposer rapport de ses opérations dans un délai de trois mois à compter de l’avis de versement de la consignation ; DIT qu’en cas d’empêchement de l’expert, celui-ci sera remplacé sur simple requête ; DESIGNE le Conseiller de la mise en état pour suivre les opérations d’expertise ; DIT qu’il sera statué sur les autres réclamations principales et accessoires des parties après réouverture des débats postérieurement au dépôt du rapport d’expertise judiciaire ; RESERVE les dépens. ARRET REDIGE PAR MONSIEUR FEDOU, CONSEILLER PRONONCE PAR MADAME LAPORTE, PRESIDENT ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET LE GREFFIER

LE PRESIDENT M. THERESE Z…

FRANOEOISE LAPORTE


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