Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
SM
Code nac : 39H
12ème chambre section 1
ARRET No
CONTRADICTOIRE
DU 10 AVRIL 2008
R.G. No 06/03390
AFFAIRE :
– Société Américaine IDEXXLABORATORIES INC
– S.A.R.L. IDEXX
C/
S.A.R.L. MANO MEDICAL
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 31 Mars 2006 par le Tribunal de Commerce de VERSAILLES
No chambre : 3
No RG : 2004
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
SCP JULLIEN, LECHARNY, ROL ET FERTIER
SCP DEBRAY-CHEMIN
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE DIX AVRIL DEUX MILLE HUIT,
La cour d’appel de VERSAILLES, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
– Société Américaine IDEXX LABORATORIES INC
ayant son siège One idexx Drive Westbrook ETATS UNIS D’AMERIQUE, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Concluant par la SCP JULLIEN, LECHARNY, ROL ET FERTIER, avoués – No du dossier 20060615
Plaidant par Me Christophe PECH DE LA CLAUSE, avocat au barreau de PARIS
– S.A.R.L. IDEXX
ayant son siège Rue Rosa Luxembourg B.P. 632 95614 CERGY PONTOISE CEDEX, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Concluant par la SCP JULLIEN, LECHARNY, ROL ET FERTIER, avoués – No du dossier 20060615
Plaidant par Me Christophe PECH DE LA CLAUSE, avocat au barreau de PARIS
APPELANTES
****************
S.A.R.L. MANO MEDICAL
ayant son siège Rue du Noirot – Zone Artisanale des Alleux 22100 TADEN, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Concluant par la SCP DEBRAY-CHEMIN, avoués – No du dossier 06000462
Plaidant par Me Alain DESMAZIERES DE SECHELLES, avocat au barreau de PARIS, et Me Michel DURAND, avocat au barreau de DINAN
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
L’affaire a été débattue à l’audience publique du 19 Février 2008, Madame Sylvie MANDEL, président, ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Sylvie MANDEL, président,
Madame Marie-José VALANTIN, conseiller,
Madame Dominique LONNE, conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Sabine MAREVILLE
La société IDEXX LABORATORIES INC, sise aux USA, fabrique et vend des matériels et des consommables destinés à l’analyse biochimique dans le domaine de la santé animale. Elle est présente en France à travers sa filiale, la SARL IDEXX.
Estimant que la SARL MANO MEDICAL commettait, à leur encontre, des actes de concurrence déloyale, les sociétés IDEXX ont fait établir des constats par huissiers de justice, et ont assigné en référé la société MANO MEDICAL.
Par ordonnance du 7 janvier 2004, le juge des référés a fait interdiction à MANO MEDICAL de reproduire, d’offrir ou de vendre le logiciel VETTEST et ce, sous astreinte provisoire de 1.000 euros par jour, suite à toute l’infraction constatée, commençant à courir 15 jours après la signification de l’ordonnance ; fait injonction à MANO MEDICAL de fournir à IDEXX la liste exhaustive des clients auxquels elle avait fourni le logiciel VETTEST et ce, sous astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard, commençant à courir 15 jours après la signification de l’ordonnance ; fait injonction à MANO MEDICAL de restituer à IDEXX tous les logiciels fournis à ses clients et ce, sous astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard, commençant à courir un mois après la signification de l’ordonnance.
MANO MEDICAL ayant fait appel de cette ordonnance, par arrêt du 16 juin 2004, la Cour d’Appel de Versailles a confirmé les mesures ordonnées et a de plus, fait injonction à MANO MEDICAL de supprimer de sa publicité toute référence à l’identité des produits fabriqués pour la médecine humaine et le marché vétérinaire et ce, sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé un délai d’un mois à compter de la signification de l’arrêt.
Par exploit en date du 8 décembre 2004, les sociétés IDEXX LABORATORIES INC et SARL IDEXX ont assigné au fond la société MANO MEDICAL devant le tribunal de commerce de Versailles aux fins de voir constater les agissements fautifs de la société MANO MEDICAL comme constitutifs de contrefaçon, de publicité mensongère, de tromperie et de concurrence déloyale. En conséquence, elles sollicitaient des mesures d’interdiction sous astreinte ainsi que la condamnation de la société MANO MEDICAL à payer à la société de droit américain IDEXX LABORATORIES INC une indemnité de 50.000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la contrefaçon du logiciel VetTest, et ce avec intérêts au taux légal à compter de l’assignation en référé délivrée le 18 novembre 2003, la condamnation de la société MANO MEDICAL à payer à la société de droit français IDEXX SARL une indemnité de 166.000 euros à titre de réparation de l’atteinte portée à la valeur patrimoniale qui s’attache à sa réputation professionnelle et à son image de marque, avec intérêts au taux légal à compter de l’assignation en référé délivré le 18 novembre 2003 ainsi qu’une indemnité provisionnelle de 150.000 euros à valoir sur la réparation du préjudice matériel par elle subi du fait des agissements fautifs commis sur le territoire français à valoir sur son préjudice à déterminer par expertise, mesure par ailleurs requise. Les sociétés IDEXX sollicitaient également des mesures de publication du jugement à intervenir.
La SARL MANO MEDICAL a conclu au rejet des prétentions des sociétés IDEXX, et reconventionnellement a demandé au tribunal de juger que la campagne de dénigrement orchestrée par les sociétés IDEXX LABORATORIES INC et SARL IDEXX à son encontre était constitutive d’une faute engageant leur responsabilité sur le fondement de l’article 1382 du code civil, et en conséquence, de les condamner solidairement à lui payer à la somme de 300.000 euros en réparation de son préjudice, outre une indemnité sur le fondement de l’article 700 du CPC et d’ordonner la publication du jugement.
Par ailleurs, les 11 et 14 octobre 2005, la société MANO MEDICAL, après y avoir été autorisée par ordonnance, a fait assigner au fond et à bref délai, les sociétés IDEXX LABORATORIES INC, la SARL IDEXX, la société IDEXX EUROPE BV, la société ORTHO CLINICAL DIAGNOSTICS, devant le tribunal de commerce de Versailles, sollicitant la jonction de cette instance à celle introduite à son encontre le 8 décembre 2004 et demandant notamment au tribunal de dire que les contrats conclus entre les sociétés ORTHO CLINICAL DIAGNOSTICS, IDEXX LABORATORIES et IDEXX EUROPE ainsi que l’accord de modification conclu entre les mêmes parties le 12 novembre 2002 violent l’article 81 paragraphe CE et sont en conséquence nuls et ne bénéficient pas de l’exemption par catégorie prévue par le règlement no2790/1999, de dire que les comportements des sociétés ORTHO CLINICAL DIAGNOSTICS et/ou IDEXX LABORATORIES et/ou IDEXX SARL consituent et ont constitué autant de violations des articles 81 CE et 82 CE, de débouter ces sociétés de leurs demandes au titre de la contrefaçon de logiciels, de la concurrence déloyale et publicité mensongère, de dire n’y avoir lieu au maintien des mesures ordonnées en référé, de faire droit à des demandes de dommages et intérêts (20.000 euros pour procédures abusives et 400.000 euros pour le préjudice subi par la mise en oeuvre d’une entente et d’un abus de position dominante) et à une demande de publication du jugement à intervenir, le cas échéant, de demander un avis au Conseil de la concurrence ou de saisir la Commission Européenne d’une demande de renseignements et, en tout état de cause, lui transmettre le ou les jugements à intervenir.
Le 25 janvier 2006, le tribunal de commerce de Versailles a rendu deux jugements disant n’y avoir lieu à prononcer la jonction de ces deux instances.
La SARL MANO MEDICAL a déposé ultérieurement des conclusions complémentaires de demande de jonction.
Par jugement en date du 31 mars 2006 auquel il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens antérieurs des parties, le tribunal de Commerce de Versailles a :
– donné acte à la SARL MANO MEDICAL de ce qu’elle avait indiqué l’adresse de son nouveau siège social tant au tribunal qu’aux sociétés IDEXX LABORATORIES INC et SARL IDEXX,
– dit n’y avoir lieu d’écarter des débats les conclusions de la SARL MANO MEDICAL transmises le 14 février 2006,
– dit recevable la demande itérative de jonction formulée par la SARL MANO MEDICAL et l’en a déboutée,
– dit que la SARL MANO MEDICAL s’est livrée à des actes de contrefaçon,
– condamné la SARL MANO MEDICAL à payer à la société IDEXX LABORATORIES INC la somme de 10.000 euros de dommages et intérêts,
– fait interdiction à la SARL MANO MEDICAL d’offrir ou de vendre le logiciel VETTEST et ce, sous astreinte de 2.000 euros par infraction constatée à compter de la signification du jugement,
– fait « interdiction » (en fait injonction) à la SARL MANO MEDICAL de supprimer de sa publicité toute référence à l’identité des produits fabriqués pour la médecine humaine et le marché vétérinaire et ce, sous astreinte de 500 euros passé un délai d’un mois par infraction constatée, à compter de la signification du jugement,
– débouté les sociétés IDEXX LABORATORIES INC et SARL IDEXX de leur demande de voir interdire à la SARL MANO MEDICAL la vente des réactifs QCR DRYTEST,
– débouté les sociétés IDEXX LABORATORIES INC et MANO MEDICAL de leurs demandes de dommages et intérêts,
– dit n’y avoir lieu à ordonner une expertise judiciaire,
– dit n’y avoir lieu d’ordonner la publication du jugement,
– débouté la SARL MANO MEDICAL de ses demandes reconventionnelles,
– débouté toutes les parties du surplus de leurs demandes,
– condamné la SARL MANO MEDICAL à payer à chacune des sociétés IDEXX LABORATORIES INC et IDEXX SARL la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du CPC,
– ordonné l’exécution provisoire du jugement,
– condamné la SARL MANO MEDICAL aux dépens.
Le tribunal, après avoir écarté la demande de jonction formée par MANO MEDICAL, a considéré que la société MANO MEDICAL s’était livrée à des actes de contrefaçon du logiciel de pilotage de l’appareil VETTEST. Par ailleurs, le tribunal a estimé que les plaquettes destinées à des analyses en médecine vétérinaire ayant des caractéristiques différentes de celles utilisées en médecine humaine, que les réactifs vendus par MANO MEDICAL étant différents et ayant une destination différente de ceux de IDEXX, la mention selon laquelle il s’agirait des mêmes produits est constitutive de publicité trompeuse. En conséquence, le tribunal a fait injonction à MANO MEDICAL de supprimer de sa publicité toute référence à l’identité des produits fabriqués pour la médecine humaine et le marché vétérinaire mais néanmoins n’a pas interdit à MANO MEDICAL de vendre les réactifs QCR Dry Test. Estimant que les préjudices invoqués n’étaient étayés par aucune pièce, le tribunal a débouté les sociétés IDEXX de leurs demandes en paiement de dommages et intérêts et rejeté également la demande d’expertise.
Le tribunal a par ailleurs écarté la demande reconventionnelle en retenant que les arguments avancés par MANO MEDICAL ne permettaient pas d’établir un abus de position dominante, du dénigrement ou un harcèlement juridique.
Sur l’action introduite par la société MANO MEDICAL, les sociétés IDEXX LABORATORIES, IDEXX SARL, IDEXX EUROPE et ORTHO CLINICAL DIAGNOSTICS ayant soulevé une exception d’incompétence au profit du tribunal de commerce de Paris, le tribunal de commerce de Versailles par jugement en date du 22 septembre 2006 a fait droit à cette exception et cette affaire est à ce jour pendante devant le tribunal de commerce de Paris.
Les sociétés IDEXX LABORATORIES INC et IDEXX ont interjeté appel du jugement du 31 mars 2006.
En premier lieu, elles ont demandé à la Cour, par une requête en rectification d’erreur matérielle du 16 mai 2006, de remplacer le mot « interdiction » par « injonction » dans ses motifs : « le tribunal fera injonction à MANO MEDICAL de supprimer de sa publicité toute référence à l’identité des produits fabriqués pour la médecine humaine et le marché vétérinaire ».
La société MANO MEDICAL ayant saisi le conseiller de la mise en état d’un incident aux fins d’exception d’incompétence au profit de la cour d’appel de Paris, le conseiller de la mise en état par ordonnance d’incident du 6 février 2007, a dit la société MANO MEDICAL irrecevable en son exception.
Sur déféré de la société MANO MEDICAL, la cour par arrêt du 24 mai 2007 a :
– dit la société MANO MEDICAL recevable en sa requête aux fins de déféré,
– infirmé l’ordonnance du 6 février 2007,
– dit la société MANO MEDICAL recevable mais mal fondée en son exception d’incompétence.
Dans le dernier état de leurs écritures (conclusions du 21 novembre 2007), les sociétés IDEXX LABORATORIES INC et IDEXX demandent à la Cour, à titre principal, de déclarer irrecevable la demande de sursis à statuer formée par la société MANO MEDICAL en ce qu’elle est présentée après des exceptions dont avait été déjà saisi notamment le conseiller de la mise en état et une défense au fond et qu’en tout état de cause tardivement dans un but dilatoire tout en précisant que le règlement du litige pendant devant le tribunal de commerce de Paris n’aura aucune influence sur la présente affaire.
Au fond, elles demandent à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé que la société MANO MEDICAL a commis des actes de contrefaçon de logiciel et de publicité mensongère et fait injonction à cette dernière, sous peine d’astreinte, d’offrir ou de vendre le logiciel VETTEST et de supprimer de sa publicité toute référence à l’identité des réactifs fabriqués pour la médecine humaine et le marché vétérinaire.
Pour le surplus, elles en poursuivent la réformation et demandent à la cour de dire et juger que MANO MEDICAL a commis des actes constitutifs de tromperie et de concurrence déloyale au préjudice des sociétés IDEXX LABORATORIES INC et IDEXX SARL, d’interdire à la société MANO MEDICAL, sous astreinte de 5.000 euros par infraction constatée, d’offrir à la vente, de vendre et de mettre en vente les réactifs QCR DRYTEST et de diffuser toute publicité relative à ces réactifs auprès des vétérinaires propriétaires ou utilisateurs de l’analyseur VETTEST 8008, d’ordonner à la société MANO MEDICAL de retirer du marché les plaquettes de réactifs qu’elle a commercialisées sous la dénomination QCR DRYTEST, dans un délai de un mois à compter de la signification de la décision à intervenir, sous astreinte de 2.000 euros par infraction constatée et/ou par jour de retard.
Subsidiairement, elles demandent qu’il soit fait injonction à la société MANO MEDICAL de supprimer de sa publicité toute mention tendant à faire penser que les réactifs QCR DRYTEST sont conçus pour une utilisation dans l’analyseur VETTEST 8008 en matière d’analyse de biochimie animale et notamment la mention « tests de biochimie pour appareil VETTEST 8008 » sous astreinte de 3.000 euros par infraction constatée, lui faire injonction d’insérer dans toute publicité et toute documentation commerciale, en caractère de dimension égale au texte publicitaire lui-même, un avertissement, sous astreinte de 3.000 euros par infraction constatée, de condamner la société MANO MEDICAL à payer à la société de droit américain IDEXX LABORATORIES INC une indemnité de 50.000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la contrefaçon de logiciels et ce avec intérêts au taux légal à compter de l’assignation en référé délivrée le 18 novembre 2003, de condamner la société MANO MEDICAL à payer à la société de droit français SARL IDEXX une indemnité de 166.000 euros à titre de réparation de l’atteinte portée à la valeur patrimoniale qui s’attache à sa réputation professionnelle et à son image de marque, avec intérêts au taux légal à compter de l’assignation en référé délivrée le 18 novembre 2003, de condamner la société MANO MEDICAL à payer à la société de droit français SARL IDEXX une provision de 150.000 euros à valoir sur la réparation du préjudice matériel subi du fait des agissements fautifs commis sur le territoire français, de désigner un expert aux fins d’évaluation de son préjudice.
Elles réclament par ailleurs que soit ordonnée la publication du dispositif de l’arrêt à intervenir aux frais de MANO MEDICAL, et elles demandent la condamnation de MANO MEDICAL à leur payer à chacune une indemnité de 40.000 euros par application de l’article 700 du CPC et les dépens.
Les sociétés IDEXX LABORATORIES INC et IDEXX SARL font valoir :
– que la demande de sursis à statuer formée par MANO MEDICAL pour la première fois le 11 septembre 2007 est irrecevable en ce que cette dernière a, préalablement à la demande de sursis à statuer, soulevé des exceptions et présenté une défense au fond. Elle ajoute que la cause qui serait susceptible de justifier la demande de sursis à statuer est apparue dès que le tribunal de commerce de Versailles a refusé de joindre l’action introduite par MANO MEDICAL à celle d’ores et déjà pendante devant lui, soit depuis le 25 janvier 2007 (en fait 2006),
– qu’en tout état de cause, cette demande est mal fondée, dans la mesure ou il n’existe aucun lien entre la présente affaire et celle pendante devant le tribunal de commerce de Paris, et qu’il n’existe donc aucun risque de contrariété entre les deux décisions à intervenir (absence d’identité des parties et d’identité d’objet et de cause) ; que de toute façon, il a déjà été jugé à de nombreuses reprises, tant par les premiers juges que par la Cour, que les deux affaires étaient distinctes et que celle soumise à la Cour ne concernait en rien le droit communautaire de la concurrence, et que les deux actions ne méritaient pas d’être jugées ensemble par un seul et même juge,
– que MANO MEDICAL s’est livrée à des actes de contrefaçon de logiciel en exploitant le logiciel attaché à l’analyseur VETTEST 8008 qu’IDEXX commercialise, et en fournissant des copies de ce logiciel aux vétérinaires à partir d’une copie obtenue auprès de QCR qui est elle-même une contrefaçon ; que MANO MEDICAL n’a jamais été titulaire d’une licence d’utilisation du logiciel,
– que MANO MEDICAL s’est également rendue coupable de publicité trompeuse en diffusant des documents publicitaires dans lesquels elle affirme que les tests qu’elle commercialise sous la dénomination QCR DRYTEST sont les mêmes que ceux fabriqués pour le marché vétérinaire par JOHNSON & JOHNSON alors que les plaquettes QCR DRYTEST ne sont pas identiques aux plaquette VETTEST principalement en ce que les plaquettes QCR DRY TEST sont destinées à la médecine humaine alors que les réactifs fournis par IDEXX sont conçus pour être utilisés dans l’analyseur VET TEST 8008 dans le domaine de la médecine animale ; que ce mensonge est d’autant plus grave qu’il constitue une tromperie sur la nature, l’espèce, l’origine, les qualités substantielles, la composition et la teneur en principe utile des réactifs QCR DRYTEST proposés à la vente ; qu’en outre, des études (étude réalisée par J & J le 6 mai 2004) ont démontré les nombreuses différences entre les deux produits, et surtout, l’étude réalisée par l’Ecole Vétérinaire de Toulouse et le rapport du docteur B… ont démontré que l’utilisation des plaquettes QCT DRYTEST dans l’analyseur VETTEST 8008 conduit à des résultats imprécis et inexacts susceptibles d’engendrer de graves erreurs de diagnostic ; que cette absence de fiabilité et d’efficacité de l’usage des plaquettes QCR DRYTEST avec l’analyseur VETTEST 8008 (alors qu’elles devraient être utilisées dans un appareil de médecine humaine appelé VITROS) a été confirmée par d’éminents spécialistes,
– que MANO MEDICAL a commis par ailleurs des actes de concurrence déloyale distincts en détournant de la clientèle des sociétés IDEXX par des moyens illicites, en entretenant une confusion dans l’esprit du public quant à l’origine des produits du fait des publicités et affiches commerciales laissant entendre aux vétérinaires que les réactifs qu’elle vend sont conçus pour un usage sur l’analyseur VETTEST, et par le dénigrement opéré par MANO MEDICAL à l’encontre d’IDEXX,
– que les agissements fautifs de MANO MEDICAL entraînent plusieurs types de préjudice : l’atteinte au droit moral de la société IDEXX LABORATORIES en qualité d’auteur du logiciel VETTEST, un préjudice économique pour la société française IDEXX du fait de la perte des ventes de réactifs VETTEST ainsi qu’un préjudice moral correspondant à l’atteinte portée à son image de marque et à sa réputation professionnelle auprès des vétérinaires sollicités par MANO MEDICAL.
La SARL MANO MEDICAL dans le dernier état de ses écritures
(conclusions du 14 décembre 2007) demande à la Cour à titre principal de lui donner acte de ce qu’elle n’acquiesce pas à l’arrêt du 24 mai 2007, de dire et juger que le Tribunal de commerce de Versailles a manqué aux obligations découlant des articles 10 CE, 81 CE et 82 CE et aux articles 1 et 6 du règlement CE no1/2003 du conseil du 16 décembre 2002, en ne joignant pas la présente espèce avec l’affaire pendante devant le tribunal de commerce de Paris et en ne se mettant pas en mesure d’appliquer correctement les articles 81 CE et 82 CE par une appréciation globale de l’ensemble des faits de l’espèce, et par conséquent, de surseoir à statuer jusqu’à ce que le litige dont le tribunal de commerce de Paris est saisi soit définitivement tranché.
A titre subsidiaire, elle demande de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté les sociétés IDEXX de leur demande de voir interdire à la SARL MANO MEDICAL la vente des réactifs QCR DRYTEST, de leurs demandes de dommages et intérêts, d’expertise judiciaire et de publication. Pour le surplus, formant appel incident, elle demande que les sociétés IDEXX soient déboutées de leur demande de condamnation de MANO MEDICAL au titre de la contrefaçon de logiciel et de paiement de dommages et intérêts de ce chef, ainsi que de leur demande de condamnation de MANO MEDICAL à supprimer de sa publicité toute référence à l’identité des produits fabriqués pour la médecine humaine et le marché vétérinaire, et qu’il soit jugé que la campagne de dénigrement orchestrée par les sociétés IDEXX LABORATORIES INC et SARL IDEXX à son encontre est constitutive d’une faute engageant leur responsabilité sur le fondement de l’article 1382 du code civil. En conséquence, elle réclame la condamnation solidaire des sociétés IDEXX LABORATORIES INC et IDEXX SARL à lui payer la somme de 300.000 euros en réparation de son préjudice, la publication du dispositif de l’arrêt dans le magazine « la semaine vétérinaire » aux frais des sociétés IDEXX sous astreinte de 10.000 euros par numéro de retard. Elle sollicite par ailleurs la condamnation solidaire des appelantes à lui payer la somme de 30.000 euros sur le fondement de l’article 700 du CPC et les dépens.
Elle fait valoir :
– que l’action principale intentée par les sociétés IDEXX étant pendante devant la Cour d’appel de Versailles et l’action reconventionnelle et de mise en cause intentée par MANO MEDICALcontre IDEXX LABORATORIES, IDEXX SARL, IDEXX EUROPE et ORTHO CLINICAL DIAGNOSTICS étant pendante devant le tribunal de commerce de Paris, la Cour d’appel de Versailles doit surseoir à statuer en attendant la décision du tribunal de commerce dès lors que l’action principale est une action qui sert à mettre en oeuvre et à protéger une entente répréhensible au sens des articles 81 et 82 CE ; que de plus, elle soutient que le point de savoir si les accords entre ORTHO CLINICAL DIAGNOSTICS, IDEXX LABORATORIES et IDEXX EUROPE BV et les comportements de ces sociétés ainsi que d’IDEXX SARL sont bien conformes au droit communautaire de la concurrence et si le logiciel en cause est le moyen et la conséquence de l’entente considérée constitue une question préalable à l’action en contrefaçon du logiciel. Enfin, elle expose que le sursis à statuer pour une bonne administration de la justice peut être ordonné en tout état de cause,
– qu’en toute hypothèse la prétendue contrefaçon du logiciel VETTEST n’est pas avérée, IDEXX n’ayant jamais fourni la preuve d’une quelconque protection concernant ledit logiciel et ne pouvant se prévaloir de la présomption de l’article L 113-5 du CPI dans la mesure où les sociétés IDEXX n’exploitent pas ce logiciel qui est concédé gratuitement au propriétaire détenteur de l’analyseur VETTEST ; MANO MEDICAL expose qu’elle a tout au plus envoyé gratuitement à l’instigation de IDEXX SARL à quelques clients une disquette contenant une version périmée du logiciel ; que MANO MEDICAL est propriétaire d’un VETTEST 8008, acquis régulièrement d’occasion auprès de QCR qui lui a remis gracieusement la disquette indispensable à son fonctionnement ; que les vétérinaires auxquels une copie de la disquette a été envoyée sont également propriétaires d’un VETTEST 8008 et que tout propriétaire d’un VETTEST étant en droit d’utiliser cet appareil, cela implique qu’il soit en possession du logiciel ; que si l’utilisateur n’a plus de disquette, il est en droit d’utiliser une copie de sauvegarde selon l’article L 122-6-1 du code de la propriété intellectuelle. Elle ajoute qu’à ce jour l’incident est clos,
– que le document commercial litigieux indiquant que « JOHNSON & JOHNSON fabrique les mêmes tests pour la médecine humaine et pour le marché vétérinaire », est la stricte reprise par traduction de la publicité fournie par QCR et utilisée en Grande Bretagne, laquelle n’a jamais été accusée par IDEXX de publicité trompeuse ; que la publicité précise que le produit décrit dans la publicité est « adapté au marché vétérinaire » ; qu’il n’existe pas de différences de compositions entre les plaquettes à usage humain et à usage vétérinaire, que les sociétés IDEXX affirment de façon inexacte et non prouvée qu’il existerait des différences au niveau des substances actives contenues dans les plaquettes VETTEST et QCR DRYTEST ; qu’il existe une identité entre les réactifs VITROS pour la médecine humaine et les réactifs VETTEST pour la médecine vétérinaire,
– que les accusations de tromperie quant à la nature et aux qualités substantielles des plaquettes commercialisées par MANO MEDICAL ne sont pas fondées ; qu’en effet, l’analyse comparative des résultats obtenus avec les réactifs QCR DRYTEST et VETTEST n’est pas contradictoire, et n’a donc aucun caractère probant, et que rien ne permet de savoir si les résultats obtenus à l’aide des réactifs VETTEST sont plus fiables que ceux obtenus à l’aide des réactifs QCR DRYTEST,
– qu’aucun acte de concurrence déloyale n’a été commis ; que MANO MEDICAL n’a pas cherché à détourner la clientèle du groupe IDEXX en proposant un produit à moindre coût, mais que MANO MEDICAL réalise des économies en utilisant un processus moins coûteux, que le risque de confusion est écarté quand il s’agit d’un public de professionnels, et qu’aucun dénigrement ne peut lui être reproché, le groupe IDEXX n’étant même pas cité dans les publicités,
– que les sociétés IDEXX font une utilisation abusive du droit de protection du logiciel VETTEST, puisque la protection de ce logiciel n’a pour seul objectif que d’assurer le verrouillage du marché de la vente des plaquettes sur lequel le groupe IDEXX ne détient aucun droit exclusif ; que ce comportement cause un préjudice à la société MANO MEDICAL, qui doit donner lieu à réparation.
SUR CE, LA COUR
I. Sur la demande de sursis à statuer :
Considérant qu’en vertu de l’article 74 alinéa 1 du code de procédure civile les exceptions doivent, à peine d’irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non recevoir ;
Considérant qu’en l’espèce la société MANO MEDICAL a formé par conclusions en date du 11 septembre 2007 une demande tendant à ce qu’il soit sursis à statuer dans l’attente de la décision du tribunal de commerce de Pairs dans le litige opposant MANO MEDICAL aux sociétés IDEXX LABORATORIES, IDEXX SARL, IDEXX EUROPE BV et ORTHO CLINICAL DIAGNOSTICS ;
Or considérant qu’à cette date MANO MEDICAL avait déjà soulevé d’autres exceptions (exception d’incompétence et exception de sursis à statuer dans l’attente d’un avis de la cour de cassation par ailleurs sollicité) exceptions soulevées par conclusions du 23 novembre 2006, 27 décembre 2006 et 20 mars 2007 ; que la cause du sursis aujourd’hui invoquée existait dès le 25 janvier 2006, date à laquelle le tribunal de commerce de Versailles a refusé de joindre l’instance introduite par les sociétés IDEXX LABORATORIES INC et IDEXX à l’encontre de la société MANO MEDICAL avec celle introduite par la société MANO MEDICAL à l’encontre des sociétés IDEXX LABORATORIS, IDEXX SARL, IDEXX EUROPE BV et ORTHO CLINICAL DIAGNOSTICS et s’est déclaré incompétent pour connaître de la seconde au profit du tribunal de commerce de Paris ;
Que la demande de sursis à statuer est donc irrecevable ;
Qu’au surplus une bonne administration de la justice ne commande pas de surseoir à statuer puisqu’ainsi que la cour l’a déjà jugé par son arrêt du 24 mai 2007 dans le cadre de la présente procédure la société MANO MEDICAL n’a formé aucune demande tendant à voir sanctionner les sociétés IDEXX LABORATORIES et IDEXX pour des pratiques d’entente ou d’abus de position dominante sur le fondement des articles 81 et 82 du traité CE ; que l’entente contraire au droit de la concurrence que MANO MEDICAL reproche aux société ORTHO CLINICAL DIAGNOSTICS, IDEXX LABORATORIES et IDEXX EUROPE BV d’avoir mis en oeuvre est indépendante des actes de contrefaçon de logiciel, de publicité mensongère, tromperie et concurrence déloyale imputés à MANO MEDICAL ;
II. Sur la contrefaçon de logiciel :
Considérant que la société MANO MEDICAL fait tout d’abord valoir que la société IDEXX ne justifie pas de ses droits sur le logiciel VET TEST 8008 ;
Mais considérant qu’en vertu de l’article L 113-5 du code de la propriété intellectuelle, la personne morale qui divulgue et exploite sous son nom une oeuvre tel qu’un logiciel est présumée, à l’égard des tiers contrefacteurs, être titulaire sur cette oeuvre du droit de propriété incorporelle de l’auteur ;
Considérant qu’en l’espèce la société IDEXX LABORATORIES INC justifie divulguer et exploiter sous son nom le logiciel VET TEST et concéder notamment des licences d’exploitation ; qu’elle doit donc être présumée titulaire des droits de propriété incorporelle sur ce logiciel ;
Qu’il importe peu que le droit d’utiliser ce logiciel soit concédé à tout acheteur d’un appareil VET TEST et que celui-ci reçoive gratuitement les disquettes permettant la mise à jour du logiciel ; que MANO MEDICAL ne peut valablement soutenir que IDEXX LABORATORIES INC n’exploite pas le logiciel au motif qu’elle en concède gratuitement l’usage ; qu’en effet le droit d’usage de ce logiciel étant subordonné à l’achat d’un appareil VET TEST lequel ne peut être utilisé sans le logiciel, il en résulte que IDEXX LABORATORIES en tire nécessairement un profit ; que MANO MEDICAL est donc mal fondée à soutenir que IDEXX LABORATORIES INC n’exploite pas le logiciel en cause ;
Considérant que sur la matérialité de la contrefaçon MANO MEDICAL fait valoir qu’elle n’est pas caractérisée puisqu’elle a acquis régulièrement en Grande Bretagne, un VET TEST 8008 d’occasion et que son vendeur QCR lui a remis la disquette indispensable à son fonctionnement ;
Mais considérant qu’il résulte des éléments du dossier que MANO MEDICAL a adressé une copie de cette disquette à 11 de ses clients ce qu’au demeurant elle ne conteste pas ; que par ailleurs plusieurs médecins vétérinaires ont attesté que MANO MEDICAL leur avait proposé une disquette pour leur permettre d’utiliser leur appareil VETTEST avec les réactifs DRYTEST qu’elle leur fournissait ; qu’enfin les procès-verbaux de constat des 18 et 21 août 2008 et le constat dressé par Monsieur C… de l’APP établissent que MANO MEDICAL a fourni aux docteurs BESSON et AUPTEL une disquette informatique version 6.7 A reproduisant les fichiers composant le logiciel VET TEST version 6.7A d’IDEXX ;
Considérant que le fait d’avoir acheté un appareil VET TEST n’autorisait pas la société MANO MEDICAL à réaliser des copies de la disquette comportant les fichiers composant le logiciel VET TEST et à les adresser à des tiers dès lors qu’elle ne bénéficiait d’aucun contrat de licence dudit logiciel ; que de plu