Cour d’appel de Rouen, CT0044, du 21 septembre 2006

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Cour d’appel de Rouen, CT0044, du 21 septembre 2006

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

R.G : 04/05076 COUR D’APPEL DE ROUEN DEUXIÈME CHAMBRE ARRÊT DU 21 SEPTEMBRE 2006 DÉCISION DÉFÉRÉE : TRIBUNAL DE COMMERCE DU HAVRE du 03 Décembre 2004 APPELANTS : Société ALBERT X… & FILS 13, rue Jules Vallès 76600 LE HAVRE Me Daniel Y…, agissant en sa qualité de commissaire à l’exécution du plan de la Société ALBERT X… & FILS … 76400 FECAMP Monsieur Albert X… … 59000 LILLE représentés par la SCP HAMEL FAGOO DUROY, avoués à la Cour assistés de Me FREZAL, avocat au barreau de Rouen INTIMÉS : Monsieur Z… X… … 78160 MARLY LE ROI Madame Suzanne A… … 78160 MARLY LE ROI Monsieur Etienne X… … 75016 PARIS Monsieur Bruno X… … 49280 ST CHRISTOPHE DU BOIS Monsieur Pascal B… … 94300 VINCENNES représentés par la SCP DUVAL BART, avoués à la Cour assistés de Me Bruno SAGON, avocat au barreau du Havre COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 786 et 910 du nouveau Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 14 Juin 2006 sans opposition des avocats devant Madame C…, Présidente, rapporteur, en présence de Monsieur LOTTIN, Conseiller. Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de : Madame BIGNON , Présidente Monsieur LOTTIN, Conseiller Madame VINOT, Conseiller GREFFIER LORS DES DÉBATS : Madame SACHTLEBEN , Greffier DÉBATS : A l’audience publique du 14 Juin 2006, où la présidente a été entendue en son rapport oral et l’affaire mise en délibéré au 21 Septembre 2006 ARRÊT : CONTRADICTOIRE Prononcé publiquement le 21 Septembre 2006, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du nouveau Code de procédure civile, signé par Monsieur LOTTIN, Conseiller de la mise en

état, pour la Présidente empêchée, et par Madame DURIEZ, Greffier présent à cette audience. * * *

Exposé du litige :

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, il est renvoyé aux énonciations du jugement entrepris.

Pour la compréhension du litige dont la cour est saisie, il sera toutefois rappelé que la Société d’exploitation de centrales de chauffe (ci-après société Secc), ayant pour activités la reconstruction, l’exploitation et la maintenance du réseau de chauffage de Caucriauville et la maintenance de diverses chaufferies, a été créée en 1965 par M. Georges X… et son capital est principalement détenu par celui-ci et son épouse en secondes noces, Mme D…

En 1997, M. Albert X…, fils issu d’un premier lit de M. Z… X… a été employé en qualité de consultant au sein de la société Secc, dont M. E… était alors le président directeur général .

M. Albert X… est devenu administrateur de la société Secc le 16 décembre 1998.

Par délibération du 4 mars 1999, le conseil d’administration de la société Albert X… & fils (ci-après société APF), entreprise de chauffage mise en sommeil en 1980, notamment composé de MM. F… et Bruno X…, et dont Mme D… était le président directeur général, a décidé d’acquérir les 2 298 actions de la société Secc détenues par les époux E…, moyennant le prix de 1 798 000 F.

Par acte notarié du 5 mars 1999, M. Georges X… a fait donation à son fils, Albert X…, de 95,95 % des actions de la société APF, une stipulation de l’acte interdisant au donataire de les aliéner sans le consentement exprès du donateur, en raison du droit de retour réservé à ce dernier.

Le 23 mars 1999, le conseil d’administration de la société Secc a

nommé M. Albert X… en qualité de président directeur général en remplacement de M. E…, démissionnaire, et a pris acte de la cession des actions des époux E… à la société APF.

Par délibération du 10 mai 1999, le conseil d’administration de la société APF a autorisé son président, M. Albert X…, à souscrire deux emprunts auprès de la Caisse d’épargne et du Crédit mutuel d’un montant respectif de 2 150 000 F, destinés au financement de l’acquisition précédente ainsi qu’à l’acquisition d’une participation complémentaire jusqu’à concurrence de 40% du capital de la société Secc, soit au total 7 998 actions de la société Secc au prix de 4 798 000 F.

A partir du 19 juin 1999, la société APF a acquis auprès de Mme D… 5 000 des actions de la société Secc pour le prix de 3 000 000 F.

Par délibération du 26 juin 1999, le conseil d’administration de la société Secc a donné son agrément au projet de nantissement de 7 168 actions détenues par la société APF au profit de la Caisse d’épargne et du Crédit mutuel en garantie des deux prêts.

La société APF a racheté les actions de la société Industhermie et la société Secc a engagé l’ancien dirigeant de celle-ci à compter du 1er mars 2001.

Le 10 décembre 2002, Mme D… a été nommée en qualité de président du conseil d’administration de la société Secc et M. Albert X… a été désigné en qualité de directeur général.

Le 16 janvier 2003, l’assemblée générale de la société Secc a décidé d’attribuer des dividendes d’un montant de 170 000 ç, au lieu de 182 938 ç les trois années précédentes, attribuant ainsi une somme de 68 068 ç à la société APF (au lieu de 73 248 ç).

Le 13 mars 2003, Mme D… a démissionné de ses fonctions de présidente du conseil d’administration et M. B… a été désigné

pour la remplacer. Le même jour, M. Albert X… a été révoqué de son mandat de directeur général. Le 16 juin 2003, M. Albert X… a été révoqué de ses fonctions d’administrateur.

M. Albert X… a assigné la société Secc pour obtenir sa condamnation à lui payer des dommages-intérêts pour révocation abusive et le jugement rendu le 3 décembre 2004 dans le cadre de cette instance fait l’objet d’un appel enrôlé sous le numéro 5077/04. Exposant qu’il avait été entendu avec les actionnaires majoritaires que la société Secc distribuerait des dividendes d’un montant suffisant pour financer le remboursement des emprunts nécessaires à la prise de participation de la société APF dans le capital de la société Secc, soutenant qu’en limitant les dividendes perçus par la société APF de façon à ce qu’ils soient constamment inférieurs à la charge du remboursement des emprunts et en les réduisant en 2003, les actionnaires majoritaires avaient eu l’intention de priver la société APF de moyens financiers pour la conduire à la cessation des paiements et de ruiner M. Albert X…, ce dernier et la société APF ont assigné, par acte d’huissier en date du 9 juillet 2003, MM. Z…, F… et Bruno X…, M. B… et Mme D… en paiement de dommages-intérêts pour abus de droit de majorité.

Pour être complet, il sera ajouté que, le 10 juillet 2003, la société Secc a assigné la société APF en paiement de factures impayées d’un montant de 44 575,20 ç.

Le 23 juillet 2003, le tribunal de commerce du Havre a prononcé le redressement judiciaire de la société APF sur déclaration de l’état de cessation des paiements de son dirigeant, M. Albert X…

Par ordonnance du 10 février 2004, le juge-commissaire a autorisé la cession des 8 008 actions de la société APF à Mme G…, moyennant le prix de 1 361 300 ç.

Par jugement du 27 février 2004, le tribunal de commerce du Havre a adopté le plan de redressement par voie de continuation de la société APF.

Par jugement rendu le 3 décembre 2004, le tribunal de commerce du Havre a :

– donné acte à M. Y…, commissaire à l’exécution du plan de redressement de la société APF, de son intervention volontaire,

– rejeté l’exception d’incompétence invoquée par les défendeurs et s’est déclaré compétent,

– débouté M. Albert X… et la société APF de leurs demandes,

– dit n’y avoir lieu à dommages-intérêts,

– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire,

– condamné in solidum M. Albert X… et la société APF à payer les dépens,

– dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

M. Albert X…, la société APF et M. Y…, ès-qualités, ont interjeté appel de cette décision.

Pour l’exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions signifiées par les appelants le 28 avril

Pour l’exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions signifiées par les appelants le 28 avril 2006 et par les intimés le 11 mai 2006.

Les appelants, qui invoquent les dispositions des articles 1382 du code civil et L. 225-13 du code de commerce, concluent à l’infirmation du jugement et à la condamnation « conjointe et

solidaire », ou de l’un à défaut de l’autre, des intimés à payer à M. Albert X… la somme de 395 389,59 ç et à la société APF celle de 54 064,35 ç à titre de dommages-intérêts.

Les intimés concluent à la confirmation du jugement.

Sur ce, la cour,

Sur la recevabilité de l’action exercée par la société APF et M. Albert X… :

Attendu que l’action exercée par la société APF et M. Albert X… est notamment fondée sur les dispositions de l’article 1382 du code civil et l’abus qu’auraient commis les associés majoritaires ; que, dès lors, il ne peut être soutenu que cette action serait dépourvue de fondement juridique ; que la fin de non-recevoir invoquée par les intimés sera écartée ;

Sur le fond :

Attendu que, depuis 1999, la société APF détenait 40,04 % du capital de la société Secc, tandis que M. Z… X… en détenait 34,515 % et Mme D… en détenait 24,975 % ; que le reste du capital était détenu par les demi-frères de M. Albert X…, F…, Bruno et Yves X…, ainsi que par M. Albert X…, Mme H… et M. B… ;

Attendu que, pour conclure à leur condamnation à payer des dommages-intérêts à la société APF et à M. Albert X…, les appelants soutiennent qu’actionnaires majoritaires de la société Secc, les intimés ont pris des décisions contraires à l’intérêt social dans l’unique dessein de les favoriser au détriment de la société APF ;

Qu’ils prétendent que la stratégie des actionnaires majoritaires a consisté à mettre délibérément la société APF en état de cessation des paiements et à ruiner M. Albert X… dans le but de racheter à bon compte une participation qu’ils lui avaient auparavant cédée à

travers la société APF ;

Qu’ils font valoir que l’intérêt de la société Secc passe non seulement par des objectifs de développement, de pérennité et de rentabilité de l’entreprise, mais aussi par le respect de l’affectio societatis, une société n’ayant pas vocation à appauvrir certains de ses actionnaires pour assouvir les desseins personnels des actionnaires majoritaires ;

Que les appelants prétendent que les actionnaires majoritaires, qui avaient connaissance du montage financier, licite, mis en place pour le rachat des actions de la société Secc par la société APF, dont les modalités juridiques et financières ont été approuvées par le conseil d’administration de la société Secc, s’étaient engagés à voter des dividendes d’un niveau suffisant pour permettre le remboursement des emprunts contractés par la société holding APF pour financer l’acquisition de ses actions ;

Qu’ils soutiennent qu’il résultait du montage décidé par les actionnaires majoritaires que, tout autant que la société Secc ait été en mesure de distribuer des dividendes et aurait eu les capacités de le faire, ceux-ci s’engageaient à voter des dividendes permettant à la société APF de rembourser les emprunts ;

Qu’ils soulignent que les intimés ne peuvent dénier avoir pris un tel engagement alors qu’ils ont autorisé la société APF à contracter des emprunts dont la charge de remboursement leur était connue ;

Que, faisant valoir que, de l’exercice 1999-2000 à l’exercice 2002-2003, des dividendes d’un montant de 278 814,10 ç ont été versés à la société APF, alors que la charge de remboursement supportée par cette dernière a été de 392 132 ç pendant la même période, les appelants soutiennent qu’ainsi, la société APF a été inexorablement conduite à la cessation des paiements ;

Attendu, ceci étant exposé, que l’abus de majorité suppose que la

décision critiquée a été prise dans l’unique dessein de favoriser le groupe des associés majoritaires et que cette décision est contraire à l’intérêt général de la société ;

Attendu, d’abord, que les appelants ne se bornent pas à critiquer la résolution ayant réduit le montant des dividendes versés au titre de l’exercice 2002/2003, mais soutiennent que les dividendes attribués depuis l’exercice 1999/2000 étaient insuffisants pour permettre à la société APF de supporter la charge du remboursement des emprunts ayant financé l’acquisition des actions de la société Secc ;

Que, toutefois, ils ne démontrent, ni même n’allèguent, que les résolutions d’attribution de dividendes au titre des exercices 1999/2000 à 2001/2002 ont été prises contre la volonté des associés minoritaires et, notamment, de la société APF ;

Que, davantage, ils reconnaissent que M. Albert X… a voté la résolution d’attribution des dividendes de l’exercice 2001/2002, d’un montant de 73 248,70 ç pour la société APF, égal à ceux attribués les années précédentes ;

Qu’il ne peut être sérieusement soutenu que M. Albert X… n’aurait compris qu’en 2003 que les dividendes attribués par la société Secc, dont il était le dirigeant, ne permettaient pas à la société APF de rembourser intégralement les emprunts contractés pour financer sa prise de participation dans le capital de la société Secc et qu’ainsi les actionnaires majoritaires n’auraient pas respecté les engagements qu’ils auraient souscrits ;

Attendu, ensuite, que les appelants ne critiquent pas les dispositions du jugement desquels il résulte que l’affectation d’une partie des bénéfices de la société Secc à des réserves a procédé du souci légitime de pourvoir à des investissements ;

Qu’ils ne démontrent pas que la résolution de l’assemblée générale du 16 janvier 2003, ayant réduit de 12% (5 000 ç), par rapport aux

années précédentes, le montant des dividendes attribués pour l’exercice 2002/2003, a été votée sans aucun égard pour l’intérêt de la société Secc ;

Que la circonstance qu’une telle résolution serait intervenue au détriment des intérêts des associés minoritaires est insuffisante à caractériser une décision contraire à l’intérêt social de la société Secc ;

Qu’en outre, les intimés soulignent, à juste titre, que le, 23 décembre 2003, la société APF a revendu au prix de 1 361 360 ç les actions qu’elle avait achetées pour le prix d’environ 731 450 ç en1999 ; qu’il ne peut qu’être constaté que la politique prudente de la société Secc a ainsi contribué à la progression de la valeur des actions, laquelle a profité à tous les actionnaires ;

Attendu qu’il résulte de ce qui précède que les dispositions du jugement ayant débouté la société APF et M. Albert X… de leurs demandes seront confirmées ;

PAR CES MOTIFS :

Confirme le jugement entrepris ;

Vu l’article 700 du nouveau code de procédure civile,

Condamne M. Albert X… et la société Albert X… & fils (APF) à payer aux intimés la somme de 2 000 ç (deux mille euros) ;

Condamne M. Albert X… et la société Albert X… & fils à payer les dépens, avec droit de recouvrement direct au profit des avoués de la cause, conformément aux dispositions de l’article 699 du nouveau code de procédure civile.


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