Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
R.G : 01/04371 COUR D’APPEL DE ROUEN DEUXIÈME CHAMBRE ARRÊT DU 12 MAI 2005 DÉCISION DÉFÉRÉE : TRIBUNAL DE COMMERCE DE ROUEN du 26 Octobre 2001 APPELANTE : Me Béatrice X…, agissant en qualité de liquidateur à la liquidation de la S.A. J C Y… 6 rue Dupleix 76600 LE HAVRE représentée par Me Marie-Christine COUPPEY, avoué à la Cour assistée de Me Audrey SARFATI et Me Stéphane SELEGNY, avocats au barreau de Rouen INTIMÉE : CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE-SEINE Chemin de la Bretèque Cité de l’Agriculture – BP 800 76230 BOIS GUILLAUME représentée par la SCP GALLIERE LEJEUNE MARCHAND GRAY, avoués à la Cour assistée de Me Joùl CISTERNE, avocat au barreau de Rouen COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 786 et 910 du nouveau Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 16 Février 2005 sans opposition des avocats devant Madame Z…, Présidente, rapporteur, en présence de Madame VINOT, Conseiller. Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de : Madame Z…, Présidente Monsieur LOTTIN, Conseiller Madame VINOT, Conseiller GREFFIER LORS DES DEBATS : Madame A…, Greffier DÉBATS : A l’audience publique du 16 Février 2005, où l’affaire a été mise en délibéré au 12 Mai 2005 ARRÊT : CONTRADICTOIRE Prononcé publiquement le 12 Mai 2005, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions
prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du nouveau Code de procédure civile, signé par Madame Z…, Présidente et par Madame A…, Greffier présent à cette audience. * * * Exposé du litige :
En 1982, M. Y…, ayant créé en 1963 un fonds de commerce de préparation d’escargots à Rouen, a ouvert un compte dans les livres de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Normandie, aux droits de laquelle se trouve actuellement la Caisse régionale de février 1995, la banque a, par LRAR du 16 février 1995, mis en demeure la société Y… de : – rembourser le prêt à court terme visé dans la lettre du 6 février 1995 ; – couvrir le montant du dépassement de découvert ; – honorer le paiement des agios ; – rembourser les intérêts de retard d’un crédit à court terme ; – prévoir le moyen d’apurer le plafond global de concours finançant son cycle d’exploitation à échéance du 28 février 1995 (ouverture de crédit, crédit d’escompte et Dailly).
Par ordonnance du 20 février 1995, le juge de l’exécution a autorisé la banque à effectuer une saisie conservatoire sur le stock de matières premières et de produits finis non grevés de gages pour garantir le paiement d’une somme de 20.000.000 F et dit que la société Y… pourra prélever sur le stock saisi les marchandises nécessaires à l’exécution de commandes contre remises des commandes ou des titres deté Y… pourra prélever sur le stock saisi les marchandises nécessaires à l’exécution de commandes contre remises des commandes ou des titres de paiement, la mesure de saisie étant alors reportée sur le prix reçu dans la proportion d’un tiers.
La saisie conservatoire a été dénoncée à la société Y… le 1er mars 1995.
Par ordonnance du 9 mars 1995, le président du tribunal de commerce,
saisi par la société Y… le 6 mars, a désigné un mandataire ad’hoc avec pour mission d’engager avec les banquiers de l’entreprise ainsi que tout autre partenaire extérieur les négociations propres à assurer à court terme le financement de la campagne de production pour l’exercice 1995-1996, ainsi qu’à moyen terme la restructuration financière de la société et d’une façon plus générale de prendre toute mesure propre à assurer la continuité de l’entreprise.
Par acte d’huissier du 31 mars 1995, la banque a assigné la société Y… en paiement d’une somme d’environ 41 MF pour l’audience du 12 d’une valeur comptable de 486 000 F avaient été apportées pour 2 125 000 ; qu’ainsi, par exemple, la valeur d’apport retenue pour quatre alimentateurs pour distribution d’escargots congelés (400 000 F), acquis au moyen d’un crédit bail en 1985 et 1988, était supérieure à la valeur d’origine (258.880 F) ;
Que l’expert a justement déduit de ses constatations, d’une part, que le fonds de commerce n’a pas été évalué à la date la plus proche de
celle de l’apport du 29 avril 1991 dès lors qu’il n’avait pas été tenu compte des résultats de l’exercice 1990, et que l’évaluation ne correspondait pas à sa valeur réelle ; que, d’autre part, l’apport réalisé avait augmenté artificiellement les capitaux propres de la société Y… et qu’il était constitué d’un passif supérieur à l’actif ;es de la société Y… et qu’il était constitué d’un passif supérieur à l’actif ;
Sur le soutien abusif de crédit :
Attendu que commet une faute engageant sa responsabilité la banque qui accorde ou maintient ses concours à une entreprise, prolongeant ainsi son activité et une apparence de solvabilité à l’égard des tiers, lorsque, compte tenu de l’importance des crédits consentis et de leur coût excessif au regard des actifs de l’entreprise, du volume de ses activités et de son chiffre d’affaires, cette politique de crédit provoque inéluctablement une croissance continue et insurmontable de ses charges financières, et l’effondrement de l’entreprise en l’absence de toute perspective de développement ou de
redressement ou lorsque la banque sait ou devrait savoir que la situation de l’entreprise est irrémédiablement compromise ;
Attendu que, selon l’arrêté de comptes du 31 octobre 1984, date à laquelle M. Y… a donné son fonds de commerce en location gérance à la société Y…, le résultat de l’entreprise individuelle s’est traduit par une perte de 4.000 F ;
Attendu qu’au cours de la période allant du 1er janvier 1986 au 30 avril 1991, l’examen des bilans de M. Y… et de la société Y… a permis à l’expert de déterminer les éléments suivants sur la situation des entreprises au vu desquels la banque s’est fondée, ou aurait dû se fonder, pour maintenir et augmenter ses concours :
Capitaux propres : 1986 1987 1988 1989/90 1990/91 société Y… -143.376 -171.782 +1.445.847 +1.852.990 +2.578.964 M. Y… -2.140.176 -2.196.319 -1.857.187 -1.852.671 total -3.553.912 -2.368.101 -411.340
+319 +2.578.964
Chiffres d’affaires : 1986 1987 1988 1989/90 1990/91 (15 mois) société Y… 30.037.418 43.825.406 49.917.743 39.810.463 60.055.575 M. Y… 720.000 720.000 1.080.000 720.000
Résultats d’exploitation : 1986 19871986 1987 1988 1989/90 1990/91 (15 mois) société Y… 2.251.982 3.032.182. 4.515.027 2.561.578 5.577.812 M. Y… 755.432 43.917 524.695 380.404 total 2.307.414 3.076.099 5.039.722 2.941.982 5.577.812
Frais financiers : 1986 1987 1988 1989/90 1990/991 (15 mois) société Y… 925.922 1.789.462 1.901.678 2.390.755 5.162.281 M. Y… 528.162 378.070 326.363 333.826 total 1.454.084 2.167.532 228.041 2.724.581 5.162.281
Pourcentages des frais financiers par rapport au chiffre d’affaires et au résultat d’exploitation (M. Y… + société Y…) : % Chiffre d’affaires %
résultats d’exploitation 1986 4,84% 63,01% 1987 4,94% 70,46% 1988 4,46% 44,20% 1989/90 6,84% 92,61% 1990/91 société Y… 8,59% 92,26%
Attendu que l’examen des pièces comptables a permis à l’expert de déterminer que, pour la période allant du 1er avril 1991 à 1995, les moyens financiers suivants ont été mis à la disposition de la société Y…, à l’exclusion des effets escomptés et des crédits Dailly dont l’expert n’a pas pu avoir connaissance :
1 concours apportés par la CRCAM : 1991/92 1992/93 1993/94 1994/95 1995/96 crédits moyen terme 1.542.201 14.038.099 12.768.707 11.102.109 11.102.109 crédits de campagne 23.000.000 7.000.000 7.000.000 17.683.237 17.683.237 découverts 6.867.138 7.088.140 11.531.545 9.347.316 9.352.115 effets escomptés-Dailly 512.465 512.464 total CRCA 31.409.419 28.926.239 31.300.252 38.645.127 38.649.925
2 Autres concours bancaires apportés à la société Y… à compter de 1991 : 1991/92 1992/93 1993/94 1994/95 1995/96 crédits moyen terme 212.618 1.649.279
5.241.513 1.308.442 1.053.564 découverts 610.809 1.376.515 71.678 154.504 1.082 Dailly 701.175 1.639.572 emprunt obligataire 1.699.040 1.699.040 1.699.040
3 Total des concours bancaires : 91/92 92/93 93/94 94/95 95/96 32.232.846 31.952.033 39.013.658 43.446.685 41.403.611
Attendu qu’au cours de cette période, l’examen des bilans de la société Y… a permis à l’expert de déterminer les éléments suivants sur la situation de entreprise et sur lesquels la banque s’est fondée, ou aurait dû se fonder, pour maintenir et augmenter ses concours :cours :
Situation financière de l’entreprise à partir de 1991 : frais financiers chiffres d’affaires ratio résultats d’exploitation ratio fonds propres 91/92 6.765.576 67.398.177 10,03% 8.501.621 79,57% + 2.713.496 92/93 4.814.547 59.911.861 8,03% 6.943.770 69,34% +9.188.303 93/94 5.627.158 55.155.563 10,20% -321.715 négatif 2.218.574 94/95 3.435.145 52.744.156 6,51% 1.881.407 182,58% 730.718 95/96 4.217.266 24.849.046 16,97% -10.777.114 négatif -23.852.902
Attendu qu’il résulte de ces éléments et des pièces produites que la
banque a, en connaissance de cause, consenti des crédits démesurés et ruineux, incompatibles avec toute rentabilité, à une entreprise dont elle savait que la viabilité était douteuse et qu’elle a, de plus difficile pour elle la comparaison des résultats financiers de cet exercice avec le précédent, et l’appréciation des risques encourus ;
Que, dans ces conditions, il est anormal qu’en 1991, la banque ait accepté, sans exiger de situation intermédiaire, ni même un bilan arrêté à la date normale et, en toute hypothèse, remis dans un délai raisonnable, de maintenir et renouveler ses concours à une entreprise, dont elle connaissait les difficultés, lourdement endettée auprès d’elle (18 342 154 F pour l’exercice arrêté au 31 janvier 1990), dont le chiffre d’affaires avait diminué (39 810 463 F au lieu de 49 917 743 F), dont le montant des charges financières avait quasiment absorbé le résultat d’exploitation (92,61%), en constatant l’existence de découverts extravagants de 6 712 397 F le 9 avril 1991 et de 11 500 000 F le 30 juillet 1991 ;
Que c’est avec raison, mais bien tardivement, que la banque observe
qu’en outre, les comptes annuels, arrêtés au 30 avril, lui ont toujours été remis, au plus tôt, au mois d’octobre ;
Qu’ainsi les comptes annuels arrêtés au 30 avril 1991 ont été certifiés par le commissaire aux comptes le 4 octobre 1991 ; que ceux de l’exercice arrêtés au 30 avril 1992 l’ont été le 5 octobre 1992 ; que ceux de l’exercice arrêtés le 30 avril 1993 l’ont été le 19 octobre 1993 ; que ceux de l’exercice arrêté au 30 avril 1994 l’ont été le 15 octobre 1994 ;
Que sans exiger des comptes sociaux certifiés, la banque a décidé d’accorder de nouveaux concours le 30 juillet 1991, accordé le report des échéances des mois de juillet et août 1991 et des découverts d’un montant déraisonnable (1 500 000 F au mois d’août 1991), après avoir constaté le dérapage des frais financiers au mois d’avril précédent ; Que, bien plus, les délais accordés le 30 juillet 1991 par le comité
crédit agricole mutuel de Normandie Seine (ci-après la banque), qui lui a consenti des crédits.
Le 31 octobre 1984, M. Y… a donné son fonds de commerce en location gérance à la société anonyme Jean Claude Y… (ci-après société Y…), créée à cet effet et au capital social de 250 000 F, moyennant le paiement d’une redevance annuelle de 720 000 F.
Il doit être noté que, de 1986 à 1989, la banque a continué de mettre des crédits à la disposition de M. Y…, alors qu’il avait donné son fonds de commerce en location gérance, à concurrence de : 3 225 636 F en 1986, 2 728 695 F en 1987, 2 459 184 F en 1988 et 2 030 101 F en 1989.
Le premier résultat de l’exercice de la société Y… allant du 1er novembre 1984 au 31 décembre 1985, dirigée par M. Y…, a été déficitaire à hauteur de 3 011 377 F et les capitaux propres sont devenus inférieurs à la moitié du capital social.
En 1988, la redevance annuelle de la location gérance a été portée à la somme de 1 080 000 F, afin, selon M. Y…, de redresser la situation de l’entreprise.
De 1986 à 1990, la banque a consenti à la société Y… des crédits d’un montant annuel allant d’au moins 3 543 460 F à 18 342 154 F.
Au mois de septembre 1990, les époux Y… et leur fils ont constitué la SCI de Vatis et le 19 octobre 1990, un contrat de crédit-bail a été conclu avec les sociétés Batiroc et Unicomi pour financer la construction d’un local industriel à Barentin, pour le prix de 7.967.590 F.
Le 29 avril 1991, le fonds de commerce a été apporté à la société Y…, avec effet rétroactif au 1er février 1990. La valeur du fonds de commerce, évaluée à 1 500 000 F, a été diminuée du passif de l’entreprise individuelle de M. Y… arrêté au 31 janvier 1990, de sorte que l’apport a été évalué à la somme de 1 100 000 F. 10 000
juin 1995. L’affaire a été placée sur un « rôle d’attente », et par jugement du 24 septembre 2004, le tribunal a constaté le désistement de la banque.
Le 25 juin 1996, le tribunal de commerce de Rouen a ouvert le redressement judiciaire de la société Y… sur des assignations délivrées par les sociétés Frigoscandia et Pechiney et l’URSSAF de Rouen.
La banque a déclaré une créance d’un montant de 7 585 487,40 ç (49.757.535,66 F).
L’administrateur judiciaire a assigné les consorts Y… et la banque en référé pour obtenir la désignation d’un expert comptable.
Une expertise financière a été ordonnée par le juge des référés du tribunal de commerce le 21 avril 1997, l’expert ayant pour mission de retracer l’historique de la société Y… ainsi que celle des relations ayant existé entre elle et la CRCAM, de déterminer les opérations susceptibles d’avoir un caractère anormal au regard de la loi, de la réglementation ou des usages, détailler les mécanismes et expliquer les conséquences et, d’une manière générale, de donner son avis sur l’évolution de la situation financière et comptable de la société Y… ayant abouti à une situation de
perte et ce jusqu’à la date d’ouverture de la procédure collective.
La liquidation judiciaire de la société Y… a été prononcée le 25 mai 1997.
Soutenant que la banque avait accordé des concours démesurés à une entreprise qui, dès l’origine, se trouvait en état de cessation des paiements et qui n’avait pu poursuivre ses activités que par l’accroissement des concours accordés, M. B…, liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Y…, a assigné la banque en déclaration de responsabilité et paiement d’une somme de 11 885 581,90 ç (77 964 306,24 F).
Que les comptes annuels de la société Y…, pour l’exercice allant du 1er novembre 1984 au 31 décembre 1985, révèlent un chiffre d’affaires de 18.357.027 F, des emprunts et dettes auprès des établissements de crédit d’un montant de 454.878 F et un résultat déficitaire à hauteur de 3.011.377 F, les capitaux propres étant devenus inférieurs à la moitié du capital social ;
Attendu que l’examen des pièces comptables a permis à l’expert de déterminer que, pour la période allant de 1986 à l’exercice 1990, arrêté le 30 avril 1991, les moyens financiers suivants ont été mis à la disposition de la société Y… et de M. Y…, bailleur du fonds de commerce donné en location gérance, étant rappelé que la banque n’a pas révélé le montant exact de ses concours, de sorte que le montant des effets escomptés et crédits Dailly porté sur les liasses fiscales ne sera mentionné qu’à titre indicatif et que le bilan de M. Y… arrêté au 1er janvier 1990 n’a pas été remis à l’expert :
1- Concours consentis par la CRCAM :
1-1 à la société Y… : 1986 1987 1988 1989 1990/91 découverts 843.468 4.698.151 2.077.555 2.239.146 8.022.704 crédits moyen termes 171.247 103.008 994.811 crédits de campagne billets de fond 2.700.000 11.678.000 1.600.000 16.000.000 20.190.633 total 3.543.468 16.376.151 3.848.801 18.342.154 29.208.148 effets escomptés et Dailly révélés par les liasses fiscales
14.015.692 3.341.527 1.652.392 9.027.075
1-2 à l’exploitation personnelle de M. Y… : 1986 1987 1988 1989/90 crédit moyen terme 225.636 198.076 119.184 80.101 crédits de campagne – billets de fond 3.000.000 2.500.000 2.340.000 1.950.000 découverts 30.619 Total 3.225.636 2.728.695 2.459.184 2.030.101
2- Concours apportés par d’autres établissements de crédits à la société Y… : 1986 1987 1988 1989/90 1990/91 crédits moyen terme 81.733 56.915 découverts 12.151 23.215
surcroît, poursuivi une politique d’accroissement de ses concours alors qu’elle savait que la situation de la société Y… était définitivement compromise ;
Attendu qu’en dépit des éléments d’information alarmants dont elle disposait, la banque a consenti des crédits coûteux, inadaptés et de plus en plus importants à une entreprise totalement dépourvue de fonds propres et sans perspective de rentabilité dès lors que, compte tenu de son activité saisonnière, ses besoins en fonds de roulement étaient tels que le poids des frais financiers conduisait
nécessairement à l’absorption des résultats d’exploitation ;
Attendu que, dès le mois de septembre 1985, la banque a été informée de la situation particulièrement difficile de la société Y… ;
Qu’il a été noté dans le procès-verbal d’instruction du dossier pour la réunion du comité des risques du 6 septembre 1985, examinant tant le dossier de l’entreprise individuelle que celui de la société Y…, que le bénéfice du « montage juridique » réalisé pour des raisons fiscales tendant à la transformation de l’entreprise individuelle en société anonyme n’apparaissait pas en raison de la non réalisation des objectifs prévus ; que les difficultés de trésorerie en raison d’annulation de commandes étaient notées ; qu’à cette date, le comité a précisé qu’un plan d’augmentation des fonds propres devait être mis en oeuvre, en rapport avec l’activité exercée, de sorte que les fonds propres représentent 10% du chiffre d’affaires ;
Que, sauf pour l’exercice 1992/1993, cette condition n’a jamais été remplie ; que le premier exercice de la société
Y… s’étant traduit par un résultat déficitaire à hauteur de 3.011.377 F, les capitaux propres sont devenus inférieurs à la moitié du capital social ; que deux exercices plus tard, les capitaux propres étaient encore négatifs ; que la banque n’a pu l’ignorer et qu’elle ne l’a des risques pour le paiement des échéances des emprunts n’ont même pas été respectés ; que, reportées aux mois de septembre et octobre, elles ont été prélevées le 31 décembre 1991 ;
Qu’il résulte du procès verbal de la réunion du comité des risques que la décision prise par la banque, à la fin du premier semestre 1992, de participer à l’augmentation de capital de la société Y… et à sa restructuration financière l’a été dans l’ignorance même des comptes annuels certifiés de l’entreprise afférents à l’exercice précédent et sans l’analyse de la structure financière des trois derniers exercices ;
Que, bien plus, sans même disposer d’un certificat d’urbanisme, le comité a estimé que la vente par la société Y… de ses terrains pour la somme de
1.000.000 F était de nature à revaloriser sa situation nette, alors que ces terrains avaient été évalués à 50.000 F un an auparavant et qu’ils se trouvaient dans une zone où les groupes d’habitations et les lotissements sont interdits ;
Que, le 23 septembre 1992, alors que le découvert de la société Y… était de 15.300.000 F et que les échéances d’emprunts d’avril à septembre n’avaient pas été prélevées, la banque était toujours dans l’ignorance des comptes de l’exercice arrêté au 30 avril 1992 ; Que la banque ne pouvait ignorer que l’opération n’avait de chance raisonnable de succès qu’à la condition de reposer sur une étude sérieuse ;
Que si un « compte-rendu d’entretien » du 2 juin 1992 -faisant suite à une réunion, à laquelle ont notamment participé la banque et les époux Y… au siège social de sa filiale, l’IDIA-, mentionne que la société Y… dégageait alors un bénéfice net « de l’ordre de 1,5 MF après plus de 8% de frais financiers », il ne peut qu’être constaté que ces chiffres ne reposent sur aucune pièce ; que la banque,
actions d’un montant nominal de 100 F ont été émises et le capital social a été fixé à 1 350 000 F.
Au mois de mai 1992, la société Gefi PME a réalisé, pour le compte de la société Y…, une analyse financière faisant notamment apparaître un bon niveau de rentabilité d’exploitation, associé à un risque sur le plan financier tenant à la structure de financement très déséquilibrée.
En 1992, une opération d’augmentation de capital et de restructuration financière de la société Y… a été mise en oeuvre avec la participation de la banque, la filiale de celle-ci, l’Institut de développement des industries agricoles et alimentaires (IDIA) et de la Compagnie normande de participation et de conseils.
Selon une convention du 17 juillet 1992, la société Y… s’est engagée envers l’IDIA à céder un terrain lui appartenant pour la somme de 1 000 000 F (situé en zone NB interdisant les lotissements et les groupes d’habitations et évalué à la somme de 50 000 F au mois d’avril 1991, lors de
l’apport), étant stipulé à l’acte que la cession était indissociable de l’opération de consolidation des crédits bancaires de l’apport de fonds propres. La cession des terrains n’est jamais intervenue.
Afin permettre aux époux Y… de souscrire à l’augmentation de capital, la banque leur a consenti un prêt de trésorerie de 1 122 500 F, jusqu’au 31 mars 1993 avec possibilité de renouvellement de 6 mois à compter du 1er avril 1993, assorti d’une hypothèque de premier rang sur des terrains également situés en zone NB et une maison d’habitation leur appartenant. Selon une note du 3 juillet 1992 établie par un membre de la famille de M. Y… remise à la banque, les terrains devaient faire l’objet d’une opération de lotissement de 6 pavillons individuels et le remboursement du prêt devait s’effectuer par des prélèvements sur des ventes de terrains à bâtir.
Mme X…, désignée aux fonctions de liquidateur à la liquidation judiciaire en remplacement de M. B…, est intervenue à la procédure.
Par jugement rendu le 26 octobre 2001, le tribunal de commerce de Rouen a :
– débouté Mme X…, ès-qualités, de ses demandes,
– condamné Mme X…, ès-qualités, à payer les dépens et à payer à la banque la somme de 10 000 F sur le fondement de l’article 700 du Nouveau Code de procédure civile.
Mme X…, ès-qualités, a interjeté appel de cette décision.
Pour l’exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé aux 103 pages de conclusions signifiées par l’appelante le 2 février 2005 et aux conclusions signifiées par la banque le 10 janvier 2005.
Sur ce, la cour,
Sur les critiques du rapport d’expertise :
Attendu que c’est vainement que l’intimée critique la pertinence du rapport d’expertise ;
Attendu, en premier lieu, qu’il sera rappelé que l’expert n’a pu essentiellement exploiter que les documents comptables de
l’entreprise ; que la comptabilité de M. Y… et de la société Y… présentaient de graves anomalies, notamment caractérisées par l’enregistrement de fausses écritures et des écritures enregistrées à partir de fausses pièces ;
Que c’est à partir des documents trouvés dans la comptabilité de l’entreprise que l’expert a tenté de reconstituer l’ensemble des concours bancaires et notamment ceux du Crédit agricole ;
Qu’ainsi, par exemple, l’expert a constaté qu’un emprunt, d’un montant de 350.000 F, du 20 décembre 1990, porté sur un relevé de la banque, ne figurait pas au passif du bilan à la clôture de pas ignoré ;
Attendu que le 4 juillet 1986, examinant tant le dossier de l’entreprise individuelle que celui de la société Y…, la banque, qui avait connaissance du bilan arrêté le 31 décembre 1985, a pu constater que les objectifs fixés pour 1985 n’avaient pas été atteints et que le résultat net, déficitaire à concurrence de 3,012 MF, entraînait une situation nette
négative de 2,948 MF ;
Que le procès-verbal d’instruction de la réunion du comité des risques mentionne que, « parallèlement, la transformation de l’activité de l’affaire personnelle en loueur de fonds n’a pas produit les effets escomptés : reporter l’imposition fiscale de l’exercice 1985 prévue élevée sur la base d’un CA de 25 MF » et que « la sous activité de la SA, la progression des frais financiers pour le financement des stocks sur toute l’année 1985 ont abouti à un déficit de 626 MF », de sorte que « la situation nette ressort à -1,528 MF » et que « la seule perception du loyer de location-gérance ne peut permettre de résorber cette situation » ;
Que ce procès-verbal souligne « la profonde dégradation des structures financières » de la société Y… et énonce que cette situation appelle des apports en numéraires très rapidement par des réalisations d’actifs personnels ou par une ouverture de capital à un nouveau partenaire ; qu’il énonce encore « qu’il convient d’engager immédiatement et sans attendre les délais légaux, la résorption d’une partie significative du report à nouveau négatif
enregistré par la SA » ; que le comité estimant qu’en raison du déséquilibre de la situation alors constaté, il ne pouvait statuer sur la demande globale de financement de l’exploitation pour l’exercice 1986 ; qu’il a alors décidé de se prononcer au mois de septembre 1986 pour constater le respect des engagements pris quant à la libération du capital social, l’état des réalisations d’actifs personnels par présente à cet entretien, ne pouvait ignorer que les comptes annuels, arrêtés au 30 avril 192, certifiés au mois d’octobre suivant, n’étaient certainement pas disponibles à cette date ; que le bilan de cet exercice révèle d’ailleurs un bénéfice de 133 531 F ; que la seule lecture de la « version » des comptes annuels de l’exercice arrêté au 30 avril 1991 détenue par la banque, révélait que le résultat de 1.629.838 F constituait un résultat fiscal et non le résultat net comptable s’élevant à 946.689 F ;
Qu’interrogée par l’expert, l’IDIA s’est révélée incapable d’indiquer sur quelle base il a été prétendu que la société Y… dégageait les résultats mentionnés
et lui a indiqué que le dossier n’avait pas fait l’objet d’étude formalisée de sa part ;
Que le rapport d’audit effectué par la société Gefi PME, qui souligne le coût élevé des besoins de financement de la société Y…, ne mentionne pas les chiffres avancés lors de cet entretien ; qu’il énonce que le solde disponible après financement interne de la croissance ne permet pas la couverture des charges financières élevées ;
Que, dans ces conditions, sans une analyse financière sérieuse reposant sur une étude des comptes certifiés des exercices précédents et l’étude d’une mise en oeuvre de financements adaptés à l’entreprise, l’opération d’augmentation du capital et de consolidation partielle des crédits d’exploitation était vouée à l’échec ;
Que la restructuration a été sans effet, compte tenu de la gravité des déséquilibres financiers et de la rentabilité insuffisante de l’entreprise ; que, compte tenu des frais financiers trop élevés, la société Y… n’a pas été en mesure de
procéder au remboursement des sommes mises à sa disposition ;
Attendu que la banque soutient avoir financé la campagne 1992-1993 Il apparaît que les terrains, enclavés, étant situés en zone NB, les groupes d’habitation et les lotissements étaient interdits et, en outre, que jamais une demande de construction de lotissement n’a été déposée en mairie.
Au cours du dernier trimestre 1992, le capital social de la société Y… a été porté à la somme de 4 026 000 F et une restructuration des crédits à court et moyen termes est intervenue à hauteur de 13,5 MF. La banque, l’IDIA et la Compagnie normande de participation et de conseils sont devenus actionnaires. La banque a souscrit 3 048 actions des 40 266 actions (7,57%), tandis que l’IDIA en a souscrit 7 621 (18,93%) et la Compagnie normande de participation et de conseils 1 524 (3,78%), les époux Y… restant actionnaires majoritaires avec 28 027 actions (69,60%).
En 1993, la société Y… a confié à la société Gefi PME un audit de trésorerie à l’effet de faire le point
sur le fonctionnement et les éventuels dysfonctionnements de son financement par la banque et notamment quant aux agios perçus de 1989 à 1992. Cet audit a abouti à la signature d’une transaction entre la banque et la société Y… le 29 juillet 1993. Un nouvel audit sera effectué au mois de décembre 1994, portant sur l’année 1993 et le premier trimestre 1994.
Une assemblée générale extraordinaire de la société Y… réunie le 13 août 1993 a décidé la souscription de 5 180 obligations convertibles en actions pour un montant de 1.699.040 F. Les époux Y… ont souscrit 1 524 obligations, tandis que l’IDIA en a souscrit 3 048 et la Compagnie normande de participation et de conseils 608.
Le 28 mars 1994, le Crédit du Nord a exigé le paiement immédiat de la somme de 114 931 F correspondant aux intérêts d’un crédit de trésorerie consenti à la société Y… d’un montant de 3 000 000 F, exigible depuis le mois de décembre 1993, le paiement du principal
l’exercice, et que son échéance du 10 janvier 1991, d’un montant de 8.120 F, prélevée le 31 janvier 1991, figurait sur un relevé bancaire ;
Que, s’agissant des crédits consentis dans le cadre de la loi Dailly, pour la période allant du 5 octobre au 31 décembre 1993, le rapport énonce que « les réalisations de prêts portés sur les relevés CRCA comprennent des crédits de campagne et des remises d’effets à l’escompte sous contrat appelés Dailly. Les mises à disposition ne comportent aucune référence à un numéro de prêt et à un numéro Dailly. Les sommes prélevées portent toutes un numéro de prêt qu’il s’agisse de crédit de campagne ou de Dailly. Il est extrêmement difficile de relier les sommes mises à disposition avec les sommes prélevées. Les crédits accordés dans le cadre de la loi Dailly ne sont pas accompagnés de justification des créances sur les clients » (page 135) ;
Que l’expert précise que la banque n’ayant pas fourni l’évolution de ses encours globaux par catégorie de concours, au jour le jour, il n’a pas été en mesure de les reconstituer (page 115) ; qu’il n’appartenait qu’à la banque de fournir à l’expert les éléments
utiles à l’accomplissement de sa mission lui permettant d’appréhender exactement l’évolution de l’ensemble de ses concours ;
Que, faute d’avoir obtenu les renseignements sollicités, après avoir analysé, exercice par exercice, les comptes annuels de M. Y… et de la société Y…, et dont il a déterminé qu’ils ne présentaient aucun caractère probant, l’expert a pris soin de préciser, dans le chapitre consacré à la présentation des concours bancaires mis à leur disposition, que les chiffres indiqués dans le tableau récapitulatif pour la période allant du 1er janvier 1986 au 31 janvier 1990 ne tenaient pas compte des effets escomptés et des crédits accordés dans le cadre de la loi Dailly ;
apport en fonds propres et la recherche de partenaires ;
Qu’au mois de juillet 1986, parfaitement informée de la situation financière de l’exploitation personnelle de M. Y… et consciente de l’impasse devant laquelle elle se trouvait, la banque a même envisagé, en fonction des résultats effectifs de la SA à la fin de l’exercice, l’augmentation de la redevance de la location-gérance pour la renflouer, et permettre le remboursement des crédits à moyen terme de M. Y…, démontrant ainsi, de surcroît, sa profonde implication dans la vie de l’entreprise ;
Que le procès-verbal conclut « le comité des prêts souligne en conclusion l’extrême vigilance que le suivi de ce dossier appelle » ; Que la cour ne peut que constater que la société Y… n’a bénéficié d’aucun apport de capitaux avant 1992 et qu’aucune recherche de partenaire n’est établie ; qu’en revanche, la banque a accru ses concours, accompagnant sa cliente dans une dérive anormale ;
Attendu, certes, que jusqu’en 1991, seuls les comptes annuels de l’exercice 1987 ont été certifiés avec trois réserves par le commissaire aux comptes ;
Que, pour les comptes annuels de l’exercice 1987, le commissaire aux comptes a relevé qu’une indemnité de 400 000 F à percevoir avait été enregistrée à l’actif sans que la société bénéficie d’information relative au litige concerné ; qu’une indemnité forfaitaire de 500 000
F pour rupture de contrat commercial avait ét