Cour d’appel de Rennes RG n° 19/07184 16 mai 2024

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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Cour d’appel de Rennes
RG n° 19/07184
16 mai 2024
7ème Ch Prud’homaleARRÊT N°194/24

N° RG 19/07184 – N° Portalis DBVL-V-B7D-QG3V

M. [SN] [H]

C/

SASU RENESAS DESIGN FRANCE

Copie certifiée conforme délivrée

le : 16/05/2024

à : Me BRAND

Me VERRANDO:

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 16 MAI 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,

Assesseur : Monsieur Bruno GUINET, Conseiller,

GREFFIER :

Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 13 Novembre 2023

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 16 Mai 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

****

APPELANT :

Monsieur [SN] [H]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Elise BRAND de l’AARPI BFL, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de CAEN

INTIMÉE :

SASU RENESAS DESIGN FRANCE prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Marie VERRANDO de la SELARL LEXAVOUE RENNES ANGERS, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Nicolas BOUFFIER, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

MOTIFS DE LA DÉCISIONSur la fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité de la demande de production de production de pièces :

La société Renesas Design France soutient que s’agissant d’une demande nouvelle en cause d’appel, la demande de production de relevés de badgeage formulée pour la première fois devant la cour est irrecevable.

Le décret nº 2016 -660 du 20 mai 2016 qui supprime la règle de l’unicité de l’instance précise en son article 45 que cette suppression n’est applicable qu’aux instances introduites devant les conseils de prud’hommes à compter du 1er août 2016.

Dès lors, pour les instances introduites jusqu’au 31 juillet 2016 s’applique le principe de l’unicité de l’instance dont il résulte que les demandes nouvelles dérivant du même contrat de travail sont recevables et peuvent être introduites à tous les stades de la procédure.

S’agissant en l’espèce d’une procédure initiée devant le conseil de prud’hommes de Rennes antérieurement au 1er août 2016, date d’entrée en vigueur de la réforme, les demandes nouvelles dérivant du même contrat de travail peuvent être présentées pour la première fois devant la cour.

La demande de production de relevés de badgeage et en paiement d’heures supplémentaires doit donc être jugée recevable.

La fin de non-recevoir sera rejetée.

2- Sur l’exécution du contrat de travail

2-1 Sur la validité de la convention de forfait en jours

Il résulte des articles 151 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, L. 3121-45 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, interprété à la lumière de l’article 17 paragraphes 1 et 4 de la Directive 1993-104 CE du Conseil du 23 novembre 1993, des articles 17 paragraphe l , et 19 de la Directive 2003-88 CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne que le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles et que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur.

Ainsi, toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.

L’article 19 III de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 n’a pour objet que de sécuriser les accords collectifs conclus sous l’empire des dispositions régissant antérieurement le recours aux conventions de forfait et les dispositions de l’article L. 3121-46 du code du travail, issues de la même loi, sont applicables aux conventions individuelles de forfait en jours en cours d’exécution lors de son entrée en vigueur.

En vertu de ce dernier texte, dans sa rédaction issue de la loi précitée du 20 août 2008, un entretien annuel individuel est organisé par l’employeur, avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours sur l’année. Il porte sur la charge de travail du salarié, l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que sur la rémunération du salarié.

Il appartient à l’employeur de rapporter la preuve d’un contrôle effectif de la charge de travail du salarié et de l’amplitude du temps de travail.

La convention de forfait prévue au contrat de travail doit préciser les modalités de surveillance de la charge de travail du salarié.

Lorsque le forfait en jours est mis en place en dehors des conditions posées par la loi ou à défaut de garanties suffisantes, il est déclaré nul par le juge, ce qui le rend définitivement inopposable au salarié pour le passé, le présent et l’avenir.

En cas de nullité de la convention de forfait, le salarié peut alors revendiquer l’application des règles de droit commun afférentes au décompte et à la rémunération du temps de travail.

En l’espèce, l’article 5.1. « Temps de travail » figurant au contrat de travail stipule que : ‘Compte tenu de la nature des fonctions du Salarié et de l’autonomie dont il dispose dans l’exercice de son activité professionnelle et notamment du fait que ses fonctions ne le conduisent pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein du service auquel il est affecté et compte tenu de l’autonomie dont il dispose dans l’exécution des tâches qui lui sont confiées, la durée de son temps de travail ne peut être prédéterminée.

De ce fait, en tant que cadre Position IC-III A Coefficient 135, le Salarié entre dans la catégorie des ‘cadres autonomes’ auxquels s’applique un forfait annuel en jours.

Le nombre de jours de travail est fixé conventionnellement à 214 par année civile dont la Journée de Solidarité.

Le salarié devra par ailleurs impérativement respecter un repos quotidien de onze heures consécutives ainsi que le repos hebdomadaire de trente-cinq heures consécutives tout comme l’interdiction de travailler plus de six jours consécutifs.

L’organisation du travail, l’amplitude des journées d’activité et la charge de travail qui en résulte feront l’objet d’un suivi par la direction de l’entreprise de telle sorte, notamment que soient respectées les dispositions relatives au repos quotidien, au nombre de jours de travail maximum par semaine et à la durée minimale du repos hebdomadaire.

Dans ce cadre, lors de l’entretien annuel professionnel du Salarié seront examinées la compatibilité des conditions de son forfait avec sa charge de travail, l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale.’ (pièce individuelle n°8 salarié)

S’agissant de la validité de la convention de forfait, il doit être observé que l’appelant ne conteste pas la forme et/ou le contenu de la convention de forfait en jours de sorte que la validité de ladite convention doit s’apprécier au regard de l’ensemble du dispositif légal et conventionnel applicable. À ce titre, il y a lieu de vérifier si l’accord collectif et/ou l’accord d’entreprise contiennent des mesures concrètes d’application des conventions de forfait en jours de nature à assurer le respect des règles impératives relatives à la durée du travail et aux temps de repos.

En l’espèce, il résulte du contrat de travail du salarié et de ses bulletins de salaire (pièce individuelle n°1 salarié) qu’il était soumis aux conditions générales de la convention collective nationale des cadres de la métallurgie du 13 mars 1972.

La convention collective nationale des ingénieurs et cadre de la métallurgie prévoit aux termes de l’article 14 de l’accord national du 28 juillet 1998 sur l’organisation du travail dans la métallurgie la mise en place d’un forfait défini en jours :

‘14.2. Régime juridique

[…]

Le salarié doit bénéficier d’un temps de repos quotidien d’au moins 11 heures consécutives, sauf dérogation dans les conditions fixées par les dispositions législatives et conventionnelles en vigueur.

Le salarié doit également bénéficier d’un temps de repos hebdomadaire de 24 heures, auquel s’ajoute le repos quotidien de 11 heures, sauf dérogation dans les conditions fixées par les dispositions législatives et conventionnelles en vigueur.

Le forfait en jours s’accompagne d’un contrôle du nombre de jours travaillés. Afin de décompter le nombre de journées ou de demi-journées travaillées, ainsi que celui des journées ou demi-journées de repos prises, l’employeur est tenu d’établir un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées, ainsi que le positionnement et la qualification des jours de repos en repos hebdomadaires, congés payés, congés conventionnels ou jours de repos au titre de la réduction du temps de travail auxquels le salarié n’a pas renoncé dans le cadre de l’avenant à son contrat de travail visé au deuxième alinéa ci-dessus. Ce document peut être tenu par le salarié sous la responsabilité de l’employeur.

Le supérieur hiérarchique du salarié ayant conclu une convention de forfait définie en jours assure le suivi régulier de l’organisation du travail de l’intéressé et de sa charge de travail.

En outre, le salarié ayant conclu une convention de forfait défini en jours bénéficie, chaque année, d’un entretien avec son supérieur hiérarchique au cours duquel seront évoquées l’organisation et la charge de travail de l’intéressé et l’amplitude de ses journées d’activité. Cette amplitude et cette charge de travail devront rester raisonnables et assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail des intéressés. À cet effet, l’employeur affichera dans l’entreprise le début et la fin de la période quotidienne du temps de repos minimal obligatoire visé à l’alinéa 7 ci-dessus. Un accord d’entreprise ou d’établissement peut prévoir d’autres modalités pour assurer le respect de cette obligation.’ (pièce n°122 société).

Les dispositions de la convention collective critiquée prévoient une participation active de l’employeur, qui d’une part est tenu d’établir un document de contrôle du nombre de jours travaillés du salarié, et d’autre part, est tenu d’assurer le contrôle de ce document dans l’hypothèse où il serait établi par le salarié.

De plus, le contrôle du nombre de jours travaillés s’accompagne d’un entretien annuel individuel au cours duquel doivent être abordés la charge de travail du salarié ainsi que l’amplitude de ses journées d’activité.

Ainsi, outre l’établissement d’un document de contrôle du nombre de jours travaillés ainsi qu’un suivi régulier de l’organisation du travail du salarié par la hiérarchie, l’article 14.2. susmentionné prévoit également des temps minimums de repos quotidien et hebdomadaire et impose à l’employeur de veiller à ce que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables afin d’assurer une bonne répartition du travail du salarié bénéficiant d’une convention de forfait en jours.

Il en résulte que de telles stipulations fixent des obligations précises et concrètes à la charge de l’employeur de sorte qu’elles répondent aux exigences relatives au droit à la santé et au repos et assurent la protection de la santé et de la sécurité du salarié soumis au régime du forfait en jours.

S’agissant des modalités de contrôle de la charge de travail, les stipulations de l’accord collectif du 28 juillet 1998 ayant été jugées comme étant de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié soumis au régime du forfait en jours, il y a lieu de vérifier si ces stipulations étaient effectivement respectées par l’employeur.

L’employeur ne peut pas faire reposer sur le salarié le soin de veiller lui-même à sa charge de travail.

Le salarié soutient que le volume de son activité professionnelle et l’adéquation de celle-ci avec sa vie personnelle et familiale n’étaient pas sérieusement contrôlés par l’employeur.

Des comptes-rendus d’entretien de suivi de la charge et du temps de travail sont versés aux débats par l’employeur, sous la forme de questionnaires relatifs à la charge de travail, aux déplacements, à une éventuelle dégradation des conditions de travail du salarié et aux actions concrètes à prendre pour réduire la charge de travail, la question de la nécessité d’organiser un entretien avec le médecin du travail étant également posée.

Force est de constater que, comme l’ont justement relevé les premiers juges, ces comptes-rendus, parfois peu lisibles, qui ne sont pour certains pas signés du supérieur hiérarchique et/ou du salarié, sont produits en nombre insuffisant pour s’assurer de ce qu’ait été réalisé un contrôle au moins annuel de la charge de travail du salarié et de son adéquation avec la vie familiale de l’intéressé.

Il doit encore être observé que si à la question « Ces 6 derniers mois, votre charge de travail a-t-elle été anormalement élevée ‘», la réponse « ponctuellement », ou encore « durablement » a pu être cochée sans que la société Renesas, au-delà de considérations à caractère général sur le caractère « globalement raisonnable » de la charge de travail (ses conclusions page 27), ne s’explique sur les mesures concrètes mises en ‘uvre pour remédier à une surcharge ponctuelle ou durable de la charge de travail.

La société Renesas produit encore quelques bulletins de paie et un tableau intitulé « Décompte des heures travaillées » qui détaille en 11 colonnes : L’année, les semaines, les heures de référence systématiquement notées au quantum de 37h30, les heures pointées, les heures de sujétion ou d’astreinte déjà payées ou compensées, les heures travaillées (moins les heures de sujétion ou d’astreinte déjà payées ou compensées), les heures travaillées en deçà des heures de référence, les heures « prétendument supplémentaires au-delà des heures de référence », les semaines avec des heures travaillées en deçà des heures de référence, les semaines avec des heures travaillées « prétendument supplémentaires » et enfin les notes de l’employeur. (pièce n°145 intimée).

Elle produit également des relevés de badgeage pour la période postérieure au 31 décembre 2012, l’objet d’un tel dispositif mis en place en fin d’année 2012 étant, aux dires de l’employeur tel qu’exprimé dans un courrier adressé au salarié en réponse à sa demande de communication de pièces relatives au temps de travail, « d’assurer le suivi de l’amplitude des journées d’activité des salariés soumis à une convention de forfait annuel en jours (‘) ».

La société Renesas qui se place sur le terrain d’un décompte du temps de travail en heures pour affirmer qu’il « ressort des relevés de badgeage que pour la quasi-totalité des salariés le nombre d’heures de travail était inférieur à 1.607 heures (‘) » produit donc des relevés horodatés à partir du mois de décembre 2012, qui font apparaître des heures travaillées au-delà d’un horaire hebdomadaire de 37h30 par semaine, qu’elle qualifie dans un tableau récapitulatif de « prétendument supplémentaires », ce qui interroge à la fois sur le respect du forfait annuel en jours et sur l’effectivité des mesures censées avoir été prises pour s’assurer que la charge de travail ainsi que l’amplitude des journées soient restées raisonnables et assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail du salarié.

Il n’est ainsi pas établi qu’au-delà des entretiens épars dont il est fait état, il ait été institué dans l’entreprise un suivi effectif et régulier permettant de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable.

En outre, alors que le salarié dénonce un non-respect des repos journaliers ou hebdomadaires et alors que la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l’union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l’employeur, ce dernier se borne, sans produire le moindre élément objectif utile de nature à établir le nombre de jours effectivement travaillés par le salarié, à rappeler les dispositions de l’article L3121-48 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n°2008-789 du 2 août 2008, pour affirmer que les règles relatives à la durée maximale journalière et hebdomadaire de travail ne s’appliquent pas en présence d’un forfait en jours sur l’année, ce qui ne répond pas à la question du non-respect des temps de repos.

Par ailleurs, il doit être observé que les comptes rendus d’entretien versés aux débats ne comprennent pas de rubrique spécifiquement dédiée à l’amplitude des journées d’activité.

Les mentions portées sur les bulletins de paie en termes de jours travaillés et de jours de repos ont un caractère informatif et ne répondent pas à l’exigence d’un contrôle régulier visant à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et que soit assurée une bonne répartition, dans le temps, du travail du salarié.

Enfin, il résulte des dispositions de l’article D. 3171-10 dans sa rédaction issue du décret n°2008-1132 du 4 novembre 2008, que la durée du travail des salariés mentionnés à l’article L. 3121-43 (salariés employés dans le cadre d’une convention de forfait en jours sur l’année) est décomptée chaque année par récapitulation du nombre de journées ou demi-journées travaillées par chaque salarié.

En l’espèce et au-delà des indications figurant sur les bulletins de salaire quant aux jours travaillés ou non, il n’est pas produit par l’employeur de document récapitulatif annuel du nombre de journées ou demi-journées travaillées, alors que le dépassement du forfait de 214 jours de travail par an est expressément invoqué par le salarié.

Au-delà de l’intention manifestée par l’employeur d’assurer, via l’installation d’une badgeuse en fin d’année 2012, un suivi de l’amplitude des journées d’activité des salariés au forfait en jours sur l’année, il n’est pas établi qu’un contrôle suffisant de la charge de travail assorti de mesures effectives et mises en ‘uvre en temps utile en vue de corriger une charge de travail incompatible avec une durée raisonnable, ait été réalisé par la société Renesas.

L’employeur n’ayant pas respecté les dispositions destinées à assurer la protection de la santé et de la sécurité du salarié soumis au régime du forfait en jours, telles que prévues par l’accord national du 28 juillet 1998 sur l’organisation du travail dans la métallurgie, la convention de forfait doit être déclarée inopposable à ce dernier.

Il convient d’infirmer de ce chef le jugement entrepris.

2-2 Sur la demande de production des relevés de badgeage :

Au soutien de sa demande, le salarié fait valoir qu’il n’a pas été en mesure de chiffrer le rappel d’heures supplémentaires qui lui est dû, faute de communication spontanée par la société Renesas des relevés de badgeage ; il ne peut valablement être soutenu que ces documents aient été détruits alors que l’article D. 3171-7 du code du travail prévoit simplement qu’ils doivent être tenus pendant 3 ans à la disposition de l’inspecteur du travail ; il est fondé à obtenir avant dire droit la communication de ces pièces.

En réponse, la société Renesas soutient que le salarié n’a pas formulé auprès de la société Renesas de demande de délivrance de tels relevés avant d’en saisir la cour ; l’employeur n’a en outre pas d’obligation de conserver de tels relevés plus de trois ans en vertu des dispositions de l’article D. 3171-16 du code du travail.

Aux termes de l’article 132 du code de procédure civile, la partie qui fait état d’une pièce s’oblige à la communiquer à toute autre partie à l’instance.

La communication des pièces doit être spontanée.

En l’espèce, sans expressément soutenir qu’elle ne disposerait pas des pièces litigieuses, la société Renesas Design France prétend qu’elle n’est pas tenue de délivrer les relevés de badgeage sollicités par le salarié, alors qu’il est constant que dans le cadre d’autres procédures concernant une même prétention de fond (action en inopposabilité d’une convention de forfait en jours et demande en paiement d’heures supplémentaires), parallèlement soumises à la cour, la société intimée, ainsi qu’elle l’indique elle-même dans ses conclusions, a « adressé à l’ensemble des salariés qui en avaient fait la demande les relevés de badgeage sollicités ».

Il est constant que l’appelant qui forme une demande en paiement de rappel d’heures supplémentaires et congés payés y afférents n’a pas chiffré cette prétention et cette seule circonstance ne permet en aucun cas d’écarter la demande, l’office du juge le conduisant à inviter la partie qui formule la prétention dont s’agit à la chiffrer précisément.

Le fait que le salarié appelant n’ait prétendument pas formulé au préalable de demande de délivrance des relevés de badgeage est indifférent, eu égard au principe applicable à l’espèce d’unicité de l’instance et de recevabilité subséquente des demandes nouvelles en cause d’appel.

De même, importent peu les dispositions de l’article D. 3171-16 du code du travail relatives à la mise à disposition de l’inspection du travail pendant un délai de trois ans des documents permettant de comptabiliser les heures de travail accomplies par chaque salarié, ce texte n’ayant pas vocation à se substituer aux règles probatoires en matière de durée du travail, telles qu’elles sont prévues à l’article L. 3171-4 du même code.

La société Renesas indique dans ses conclusions qu’il « ressort des relevés de badgeage que pour la quasi-totalité des salariés, le nombre d’heures annuelles de travail était inférieur à 1.607 heures, ce qui correspond à un horaire moyen de 35 h par semaine sur l’année (‘) ».

Il appartient à l’employeur qui fait lui-même état de relevés de badgeage de les communiquer au salarié appelant.

Il est dès lors justifié d’ordonner la réouverture des débats sur ce point, sur le chiffrage de la demande du salarié au titre des heures supplémentaires et sur sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du manquement de l’employeur à son obligation de respecter la durée maximale journalière et hebdomadaire de travail ainsi que de respecter le temps de repos quotidien obligatoire.

Il appartiendra à la société Renesas Design France de communiquer avant le 28 juin 2024 les relevés de badgeage du salarié pour la période allant du mois de décembre 2012 jusqu’à la rupture du contrat de travail.

Il appartiendra au salarié, nonobstant un éventuel défaut de communication des relevés de badgeage, de faire signifier avant le 27 septembre 2024 des conclusions contenant un chiffrage de sa demande en paiement d’heures supplémentaires et congés payés afférents.

L’employeur disposera d’un délai de réponse aux conclusions de l’appelant jusqu’au 31 octobre 2024.

Les débats seront réouverts à l’audience du 9 décembre 2024 à 14h.

3- Sur la contestation du licenciement pour motif économique :

En vertu de l’article L. 1233-3 du code du travail, dans sa rédaction en vigueur jusqu’au 1er décembre 2016, applicable au présent litige, “constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques”.

Par ailleurs, l’article L. 1233-4 du même code dans sa rédaction issue de la loi n°2010-499 du 18 mai 2010, applicable à l’espèce, dispose que “Le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré dans l’entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l’entreprise appartient.

Le reclassement du salarié s’effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d’une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l’accord exprès du salarié, le reclassement s’effectue sur un emploi d’une catégorie inférieure.

Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.”.

La tentative de reclassement est donc un préalable nécessaire à tout licenciement économique.

L’obligation de reclassement s’étend sur toute la durée de la procédure de licenciement.

Quand bien même a été élaboré un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), l’employeur est tenu d’effectuer des recherches individualisées de reclassement.

C’est à l’employeur d’établir la preuve de l’impossibilité d’affecter le salarié dans un autre emploi.

Si l’obligation de reclassement n’est qu’une obligation de moyens, encore faut-il que l’employeur démontre avoir mis en ‘uvre tous les moyens à sa disposition pour trouver une solution afin d’éviter le licenciement.

A cet égard, la recherche de reclassement doit être sérieuse et loyale.

Lorsque l’entreprise appartient à un groupe, la recherche des possibilités de reclassement doit s’effectuer dans le groupe et parmi les entreprises où des permutations d’emplois sont envisageables.

Le critère de définition du groupe de reclassement est donc la permutabilité de tout ou partie du personnel.

Lorsque l’employeur n’a pas satisfait à son obligation de reclassement, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

En l’espèce, le salarié soutient successivement que :

– La société RDF n’a entrepris aucune démarche postérieure au 15 novembre 2013, date de la troisième réunion extraordinaire du comité d’entreprise, au cours de laquelle cette instance était informée et consultée sur le projet de licenciements collectifs pour motif économique et sur le projet de plan de sauvegarde de l’emploi (PSE).

– Elle n’a plus effectué de recherches de reclassement interne après le 4 novembre 2013 ;

– Le périmètre de reclassement n’est pas déterminé ;

– La société RDF ne prouve pas qu’elle ait interrogé toutes les entités du groupe

– Les recherches de reclassement ne sont pas sérieuses

– Elles ne sont pas loyales

– Des postes existaient au sein du groupe et n’ont pas été identifiés

– Les offres de reclassement ne sont pas précises.

Il convient en premier lieu d’aborder les questions relatives au périmètre du groupe de reclassement et de l’interrogation de toutes les entités le composant, dès lors qu’il est expressément relevé par le salarié que la société RDF « n’a présenté aucun document permettant d’établir de façon certaine le périmètre au sein duquel les recherches de reclassement auraient été diligentées ».

Si, en vertu des dispositions des ordonnances n°2017-1387 du 22 septembre 2017 et 2017-1718 du 20 décembre 2017, le critère de permutabilité ne s’applique qu’au sein du groupe au sens capitalistique du terme, il en allait différemment sous l’empire de la législation antérieure, applicable en l’espèce, dans le cadre de laquelle le périmètre de reclassement dépendait de la seule existence, entre des entités distinctes, de possibilités de transfert de personnels, quelles que soient la cause ou la forme de leurs liens.

En cas de contestation sur le périmètre du groupe de reclassement, il appartient au juge de former sa conviction au vu de l’ensemble des éléments qui lui sont soumis par les parties.

En l’espèce, la société RDF, répondant à cette question soulevée par le salarié sur le terrain des références jurisprudentielles citées par ce dernier, soutient « qu’aucune des jurisprudences citées par la partie adverse ne retient que le plan de sauvegarde de l’emploi doit préciser le périmètre du groupe dans lequel le reclassement interne s’effectue ».

Il importe toutefois de vérifier que l’employeur dans le cadre de son obligation individuelle de reclassement ait recherché toutes les possibilités de reclassement existant dans le groupe d’ampleur mondiale dont il relève, parmi les entreprises dont l’activité, l’organisation ou le lieu d’exploitation permettent d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel, ce contrôle nécessitant la production par les parties d’éléments objectifs et vérifiables quant au périmètre du groupe de reclassement.

La version finale du Livre I du PSE remise au comité d’entreprise le 15 novembre 2013, indique :

« – Priorité au reclassement interne.

L’objectif prioritaire est que les salariés concernés par le présent projet soient, dans toute la mesure du possible, reclassés en interne dans le groupe.

Dans cet objectif, les mobilités seront encouragées, via notamment des mesures d’aide à la mobilité géographique.

Il importe de préciser sur ce point que la société a d’ores et déjà adressé à chacune des 36 entités du Groupe en France comme à l’étranger un courrier recommandé et un courriel leur demandant de lui communiquer l’ensemble des postes disponibles au sein desquels un reclassement interne pourrait être proposé aux salariés de la société (‘) ».

Les informations données dans ce même livre I du PSE au chapitre des « postes ouverts dans le groupe » révèlent dans une annexe 1-3 l’existence de 18 postes ouverts « dans la zone Amérique du Nord », tous basés au sein de la société Renesas Electronics America Inc., sans que ne soient listées les différentes sociétés basées dans cette zone, de même que les annexes 1-1 et 1-2 qui visent respectivement les postes ouverts « en France et en Europe » et ceux ouverts « dans la zone Asie-Pacifique », se limitent à la mention « Aucun poste ouvert », sans plus d’information sur la liste des sociétés dépendant du groupe situées dans ces deux parties du monde.

Un chapitre « Présentation du groupe et de l’entreprise » figure en pages 8 à 19 de la Note économique sur le projet de cessation d’activité, également datée du 12 novembre 2013.

Un organigramme peu lisible figurant en page 10 présente l’organisation du groupe Renesas Electronics Corporation (REL) non par identification des sociétés le composant, mais par type d’activité selon qu’il s’agisse du secteur « Gestion des ventes et marketing » ou du secteur « Production et technologie ».

Il est ajouté : « Les principaux sites de REL comprennent notamment :

– Des unités de fabrication et de R&D situées en Asie

– Des unités de vente, réparties en Asie, Europe et Amérique

– Des entités Renesas Mobile Corporation ;

– Des unités de design et développement de technologie.

Suit une présentation cartographique des « principaux sites de REL » là-encore classée par secteur d’activité (Fabrication / R&D ‘ Ventes ‘ Business corporation/Autres ‘ Design/Développement/ Technologies d’application), sans que soit indiquée de façon exhaustive la liste des sociétés faisant partie du groupe.

Est ensuite présentée l’organisation de Renesas Mobile Corporation (RMC), filiale à 100% de REL, dont l’activité est ainsi décrite : « RMC et ses filiales sont spécialisées dans le design et l’ingénierie des semi-conducteurs et modems principalement pour la téléphonie mobile. Elles regroupent l’ensemble de la branche d’activité des technologies mobiles de REL », étant ensuite précisé : « En dehors de la branche d’activité mobile, RMC assure également des activités de recherche et développement dans le secteur automobile (‘) »

Une carte du monde présente la « répartition des principaux sites de REL », faisant apparaître 12 sites répartis dans le monde, dont la société RDF, suivie d’un listing des différentes activités exercées par chacune des entités.

Un tableau figurant en page 16 présente les « effectifs de RMC par divisions opérationnelles et par société ».

Il se déduit de ces éléments que la société RDF est une filiale du groupe RMC, créé en 2010 qui est lui-même filiale à 100% du groupe REL, spécialisé dans le design, l’ingénierie et la fabrication de semi-conducteurs, représentant en 2012 un chiffre d’affaires de 785,8 milliards de Yens avec un effectif de 34.000 salariés.

La société RDF verse aux débats (pièces 124 à 129 et 141) des échanges de courriers et courriels intervenus entre le 4 juin 2013 et le 6 novembre 2013, pour certains en langue française, pour d’autres en langue anglaise, certains de ces courriels se voyant adjoindre une traduction libre du document, d’autres encore étant rédigés sous la forme d’idéogrammes, au sujet desquels la société intimée indique avoir interrogé les « 36 entités du Groupe ».

Pour autant, aucun élément objectif ne permet au vu de ces correspondances d’identifier de façon précise le périmètre des recherches de reclassement comme étant cantonné à 36 entités et d’affirmer que l’ensemble des sociétés du groupe Renesas dont l’activité, l’organisation ou le lieu d’exploitation pouvaient permettre d’effectuer une permutation de tout ou partie du personnel, a été interrogé sur les possibilités de reclassement du salarié.

Le salarié relève à ce titre que la pièce 124 de l’employeur, qui est un courriel rédigé en langues anglaise et japonaise, associé à une traduction libre en langue française, comporte une liste de 62 destinataires, étant encore observé que le message, tel que traduit, débute ainsi : « (‘) Comme vous le savez REL/RMC envisage de se séparer de son activité mobile tel que décrit dans le communiqué « Renesas Electronics Starts to Review the Direction of its Mobile Business (‘) ».

Outre que l’identité des destinataires ne permet nullement de vérifier à quelles entités du groupe ils appartiennent et en quoi ces 62 destinataires peuvent être rattachés aux 36 entités revendiquées par l’employeur comme constituant le périmètre de reclassement, le libellé du courriel précité est révélateur des liens existants entre la société RDF et sa société mère RMC, elle-même filiale à 100% du groupe REL.

Or les pièces versées aux débats ne permettent pas de vérifier, alors que ce point est formellement contesté par le salarié, que toutes les sociétés dépendant du groupe REL aient été interrogées.

Il doit encore être relevé que la société RDF soutient dans ses conclusions qu’il « suffit de prendre connaissance – des – courriels pour identifier les entités dont ils émanent, lesquelles sont indiquées sous la signature des expéditeurs ».

Outre qu’il ne peut sérieusement et loyalement être renvoyé à la lecture d’adresses électroniques de type « renesas.com » ou « renesasmobile.com » qui n’informent pas utilement le lecteur sur la détermination du périmètre du groupe qui est en litige, il apparaît que la liste à laquelle renvoie l’employeur en référence aux dites adresses électroniques fait état de 42 réponses, suivie de l’abréviation « etc », de telle sorte qu’il ne peut être établi aucun lien entre l’interrogation sur l’existence de postes de reclassement limitée à 36 sociétés et un nombre de réponses émanant de plus de 42 entités.

Il est également observé que l’identification des entités interrogées par les mentions figurant sous la signature des expéditeurs des courriels produits par l’employeur, n’est pas toujours possible.

Ainsi le mail de M. [FY] [MX] daté du 5 novembre 2013 qui mentionne sous la signature de l’intéressé « HRGD RESG », ou encore celui de M. [IG] [UU] en date du 30 octobre 2013, qui signe « [IG] » et dont la seule adresse mail [Courriel 5] ne permet pas l’identification de l’entité du groupe à laquelle la rattacher.

Il en va encore ainsi du message de M. [LP] [WW] du 30 octobre 2013, répondant à l’adresse mail [Courriel 6], qui signe « RETW [WW] », laissant de nouveau la cour démunie de tout élément objectif sur l’entité du groupe à laquelle rattacher le scripteur.

En outre, en réponse à l’interrogation du salarié sur la consultation des sociétés du groupe basées en Finlande, Grande Bretagne et Danemark, la société RDF affirme que « les sites en Angleterre et au Danemark sont ceux de RME (Renesas Mobile Europe) – qui – « figure bien parmi les 36 sociétés auprès desquelles la société a recherché des postes de reclassement interne ».

Elle ajoute, s’agissant des recherches de reclassement en Angleterre, que « non seulement, elle a réalisé ces recherches auprès de RME, mais également au sein d’une autre société du groupe implantée en Angleterre, à savoir : Renesas Electronics Europe Limited (Bourne End, Grande Bretagne) ».

Pourtant, la répartition des « principaux sites de REL » représentée sous forme cartographique en page 13 de la note économique sur le projet de cessation d’activité en date du 21 juin 2013, mentionne sous la rubrique Renesas Mobile Europe (RME), un site basé au Royaume Uni à Farnborough et non à Bourne End, étant ici observé que le courrier adressé par l’employeur à cette dernière adresse vise « Renesas Electronics Europe Limited » et non « Renesas Mobile Europe » qui sont deux entités distinctes.

De même la carte fait-elle mention d’un site RME basé en Allemagne à Munich, sans que la production d’un courrier recommandé adressé à une société Renesas Electronics Europe basée quant à elle à Düsseldorf, permette de vérifier que l’entité RME située en Allemagne ait été interrogée.

Il est encore produit un courrier adressé à Renesas Mobile Europe à Helsinki en Finlande, mais pas de courrier pour la filiale RME danoise qui apparaît sur la carte comme étant située à Copenhague.

Il n’est donc pas établi que toutes les entités Renesas Mobile Europe, filiales du groupe RMC aient été interrogées, étant encore observé que ne sont visés à la note économique sur le projet de cessation d’activité en date du 21 juin 2013 que les « principaux sites » et qu’aucun élément objectif ne permet là-encore de contrôler le périmètre qui a été pris en considération dans le cadre de l’obligation individuelle de reclassement.

En outre, si la société RDF affirme que « RME (Renesas Mobile Europe) figure bien parmi les 36 sociétés auprès desquelles elle a recherché des postes de reclassement interne », il résulte de la liste figurant en pages 46 et 47 de ses conclusions et des courriers constituant sa pièce n°126 qu’ont été interrogées 35 entités dont une seule répond à la dénomination Renesas Mobile Europe, basée à Helsinki (Finlande).

Or, la carte géographique susvisée mentionne 5 entités RME (2 à Helsinki, 1 à Copenhague, 1 à Farnborough, 1 à Munich), tandis que la légende située sous cette même carte distingue Renesas Electronics Europe qui dépend de Renesas Electronics Groupe, de Renesas Mobile Europe, qui dépend de Renesas Mobile Group, de telle sorte que rien ne démontre, à la lecture de la liste et des courriers auxquels se réfère l’employeur, adressés pour l’Allemagne à « Renesas Electronics Europe » ou encore pour la Grande Bretagne à « Renesas Electronics Europe Limited », que toutes les entités RME aient été interrogées sur les possibilités de reclassement pouvant exister concernant les salariés concernés par le licenciement collectif pour motif économique qui était envisagé.

La société RDF oppose encore le fait que six salariés (Mmes et MM. [TO], [FM], [AR], [HF], [EZ] et [CD]) ont refusé d’être reclassés à l’étranger.

Force est de constater que le questionnaire de mobilité dont se prévaut l’employeur n’est pas plus fiable sur le périmètre du groupe et ne satisfait pas aux prescriptions de l’article L. 1233-4-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n°2010-499 du 18 mai 2010, étant rappelé que dans ce contexte législatif la demande adressée au salarié devait détailler la liste des pays dans lesquels l’entreprise ou le groupe était implanté et où des permutations étaient possibles.

Or, ne figurent pas dans la liste des implantations du groupe à l’étranger visée par l’employeur dans le questionnaire susvisé, certains pays pourtant cités dans le cadre des informations communiquées aux représentants du personnel sur le projet de licenciement, tels la Finlande ou encore le Danemark.

Cet élément ne fait que conforter l’imprécision des informations données au salarié sur l’ensemble des possibilités de reclassement au sein du groupe, aucun élément objectif ne venant établir que des permutations d’emplois n’aient pas été possibles en Finlande ou au Danemark.

Au résultat de l’ensemble de ces éléments et sans qu’il y ait lieu d’entrer plus avant dans le détail de l’argumentation des parties, il doit être jugé qu’à défaut de justifier qu’elle a effectué des recherches loyales et sérieuses de reclassement dans l’ensemble des sociétés du groupe auquel elle appartenait, parmi les entreprises dont l’activité, l’organisation ou le lieu d’exploitation permettaient d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel, la société Renesas Design France a manqué à son obligation individuelle de reclassement, de telle sorte que, par voie d’infirmation du jugement entrepris, le licenciement doit être jugé sans cause réelle et sérieuse.

En vertu des dispositions combinées des articles L. 1235-3 et L. 1235-5 du code du travail, dans leur rédaction applicable au présent litige, en l’absence de cause réelle et sérieuse de licenciement, le salarié qui compte plus de deux ans d’ancienneté dans une entreprise de plus de 11 salariés est fondé à obtenir le paiement d’une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice, le cas échéant, de l’indemnité de licenciement prévue à l’article L. 1234-9.

En considération des circonstances de la rupture, de l’ancienneté du salarié (6 ans), du salaire moyen de référence (5 671,5 euros), de l’âge au moment de la rupture (37 ans) et en tenant compte de l’incidence du congé de reclassement et de la situation de l’intéressé au regard du marché de l’emploi postérieurement à la rupture, il est justifié de condamner la société Renesas Design France à payer à M. [H] la somme de 35000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En application des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail, il est justifié de condamner la société Renesas Design France à rembourser à l’organisme gestionnaire de l’assurance chômage les allocations servies au salarié dans la proportion de 1 mois.

4- Sur la demande de dommages-intérêts pour violation de l’accord sur le reclassement externe

L’article 28 de l’Accord national sur l’emploi dans la métallurgie du 12 juin 1987 impose à l’employeur, qui envisage de prononcer des licenciements pour motif économique, de rechercher les possibilités de reclassement à l’extérieur de l’entreprise, en faisant appel à la commission territoriale de l’emploi.

Plus précisément, ce texte impose à l’entreprise qui envisage un licenciement collectif d’ordre économique, de :

« – rechercher les possibilités de reclassement à l’extérieur de l’entreprise en particulier dans le cadre des industries des métaux, en faisant appel à la commission territoriale de l’emploi ;

– prendre en considération et étudier les suggestions présentées par le comité d’entreprise ou d’établissement et les délégués syndicaux en vue de réduire le nombre de licenciements ;

– informer la commission territoriale de l’emploi conformément aux dispositions de l’article 2 du présent accord ».

Contrairement à ce que soutient le salarié, il est justifié par la société RDF de ce qu’elle a saisi la commission territoriale de l’emploi, ce que rappelle expressément le document d’information du comité d’entreprise du 15 novembre 2013 au chapitre du « support au reclassement externe » : « (‘) la commission territoriale de l’emploi (CPREFP) à qui a été adressée le projet de licenciement lors de la convocation du comité d’entreprise à la première réunion d’information-consultation, sera associée à cette démarche », tandis que sont également produits par l’employeur les courriers adressés à la commission paritaire régionale les 21 juin 2013, 2 juillet 2013 et 5 mars 2014.

Le défaut allégué de répercussions des postes extérieurs disponibles au salarié est contredit par la production d’échanges de courriels entre la DRH de la société RDF et des entreprises externes qui font apparaître la tenue le 6 février 2014 d’un « forum du recrutement des salariés Renesas », organisé avec le concours d’un Cabinet de recrutement spécialisé « Catalys Conseil » en présence des « entreprises qui sont à la recherche de candidats/ingénieurs hautement qualifiés dans les domaines informatiques, électroniques, RF, ASIC pour la téléphonie-system, le « wireless » ou tout autre système embarqué (‘) ».

Il n’est donc justifié d’aucune violation des dispositions de l’accord du 12 juin 1987 précité ni d’aucun préjudice distinct qu’aurait subi le salarié à ce titre.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a rejeté cette demande de dommages-intérêts.

5- Sur les autres demandes et les dépens :

Il sera sursis à statuer sur les autres demandes jusqu’à la réouverture des débats.

Les dépens seront également réservés jusqu’à cette date.

PAR CES MOTIFSLa cour,

Rejette la fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité de la demande de production des relevés de badgeage ;

Infirme partiellement le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Dit que la convention de forfait en jours est inopposable à M. [SN] [H] ;

Dit que le licenciement pour motif économique notifié par la société Renesas Design France à M. [SN] [H] est sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société Renesas Design France à payer à M. [SN] [H] la somme de 35000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société Renesas Design France à rembourser à l’organisme gestionnaire de l’assurance chômage dénommé « Pôle emploi » à la date de l’ordonnance de clôture et « France Travail » depuis le 1er janvier 2024, les allocations servies à M. [SN] [H] dans la proportion de 1 mois ;

Ordonne la réouverture des débats à l’audience du lundi 9 décembre 2024 à 14 heures, sur le chiffrage de la demande du salarié au titre des heures supplémentaires et sur sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du manquement de l’employeur à son obligation de respecter la durée maximale journalière et hebdomadaire de travail ainsi que de respecter le temps de repos quotidien obligatoire ;

Ordonne à la société Renesas Design France de communiquer avant le 28 juin 2024 les relevés de badgeage de M. [SN] [H] pour la période allant du mois de décembre 2012 jusqu’à la rupture du contrat de travail ;

Dit que nonobstant un éventuel défaut de communication des dits relevés dans le délai prescrit, il appartiendra à l’avocat de M. [SN] [H] de faire signifier avant le 27 septembre 2024 des conclusions récapitulatives contenant un chiffrage de la demande en paiement d’heures supplémentaires et congés payés afférents ;

Dit que l’avocat de la SAS Renesas Design France pourra répondre aux conclusions de l’appelant jusqu’au 31 octobre 2024 ;

Sursoit à statuer sur les autres demandes jusqu’à la réouverture des débats ;

Réserve les dépens.

La greffière Le président