Indivisibilité du bail à fermage

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Indivisibilité du bail à fermage
Ce point juridique est utile ?

L’indivisibilité d’un acte oblige celui qui entend le contester ou le discuter à attraire en justice l’ensemble des parties à cet acte. À défaut d’avoir assigner Mme [Y], M. [T] [Z] est jugé irrecevable en sa demande en résiliation du bail. L’indivisibilité s’oppose à tout morcellement de son régime. M. [Z] est débouté de sa demande en requalification du bail du 19 février 2011 en deux baux.


 

Chambre des Baux Ruraux

ARRÊT N° 7

N° RG 21/06812 – N° Portalis DBVL-V-B7F-SFFB

M. [T] [Z]

C/

M. [K] [Z]

Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l’égard de toutes les parties au recours

Copie exécutoire délivrée

le :

à : Me Dervillers

Me Barbier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 02 FEVRIER 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Pascale LE CHAMPION, Présidente,

Assesseur : Madame Virginie PARENT, Présidente,

Assesseur : Madame Virginie HAUET, Conseiller,

GREFFIER :

Madame Isabelle GESLIN OMNES, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 01 Décembre 2022, devant Madame Pascale LE CHAMPION, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

contradictoire, prononcé publiquement le 02 Février 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

****

APPELANT :

Monsieur [T] [Z]

né le 17 août 1957 à [Localité 7], exploitant agricole

[Adresse 4]

[Localité 6]

comparant en personne, assisté de Me Julien DERVILLERS de la SELARL PROXIMA, avocat au barreau de RENNES

INTIME :

Monsieur [K] [Z]

né le 19 février 1984 à [Localité 7], de nationalité française, exploitant agricole

[Adresse 2]

[Localité 1]

représenté par Me Franck BARBIER de la SELARL FRANCK BARBIER AVOCAT, avocat au barreau de RENNES

M. [T] [Z] est propriétaire des parcelles situées à [Localité 6] : B 85, 418, 422, 433, 434 et 1046, et C 2, 3, 6, 7, 8, 10, 11, 14, 15, 16, 20, 25, 26, 56, 57, 58, 60, 89, 90, 92, 117, 822 et 823.

M. [T] [Z] est également propriétaire indivis avec son ancienne épouse Mme [I] [Y] des parcelles situées à [Localité 6] : section B n°s 88, section C n°s 9, 27, 28, 29, 134, 789, 790, 792 et 794.

M. [K] [Z], fils de M. [T] [Z] a invoqué un contrat de bail rural daté du 19 février 2011.

M. [K] [Z] a saisi le juge des référés du tribunal paritaire des baux ruraux de Vannes aux fins de voir ordonner l’expulsion de M. [T] [Z] des parcelles dont ce dernier est propriétaire.

Par ordonnance du 22 novembre 2013, le juge des référés du tribunal paritaire des baux ruraux de Vannes a :

— condamné M. [T] [Z] à libérer, sous peine d’expulsion avec le concours de la force publique, les parcelles louées à M. [K] [Z] sises à [Localité 6] section B n°s 88, 422, 433 et 434, section C n° 2, 3, 8, 9, 14, 15, 16, 27, 28, 29, 56, 57, 58, 134, 789, 790, 792 et 794 dans le délai de 30 jours de la signification de l’ordonnance à peine d’astreinte de 30 euros par jour de retard,

— condamné M. [T] [Z] à payer à M. [K] [Z] la somme provisionnelle de 20 000 euros, à valoir sur la réparation de son préjudice matérielle,

— condamné M. [T] [Z] à payer la somme de 1 500 euros et celle de 579,61 euros à M. [K] [Z] en application de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamné le défendeur aux dépens.

M. [T] [Z] a interjeté appel.

Par ordonnance du 30 juin 2015, le premier président de la cour d’appel de Rennes a ordonné la radiation de l’affaire.

Par jugement du 22 septembre 2017, le tribunal paritaire des baux ruraux de Vannes a :

— jugé irrecevable l’action en nullité exercée par M. [T] [Z] relativement aux parcelles suivantes : [Localité 6], section B n°s 88, section C n°s 9, 27, 28, 29, 134, 789, 790, 792 et 794,

— jugé recevable l’action de M. [T] [Z] pour les autres parcelles,

— débouté M. [T] [Z] de sa demande d’annulation du contrat de bail du 19 février 2011,

— condamné M. [T] [Z] à payer à M. [K] [Z] et Mme [I] [Y] les sommes de :

—  1 000 euros à titre de dommages et intérêts,

—  2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

— dit n’y avoir lieu à exécution provisoire,

— condamné M. [T] [Z] aux dépens.

Par jugement du 17 novembre 2017, le juge aux affaires familiales a :

— ordonné l’ouverture des opérations de partage des intérêts patrimoniaux des époux divorcés [I] [Y] et [T] [Z],

— dit que les fermages réglés par M. [K] [Z] et versés sur le compte professionnel ouvert au nom de Mme [I] [Y] doivent être intégrés dans l’actif de l’indivision.

Par requête en date du 22 mai 2020, M. [T] [Z] a fait citer M. [K] [Z], aux fins de résiliation de bail.

Suivant jugement du 24 septembre 2021, le tribunal paritaire des baux ruraux de Vannes a :

— jugé M. [T] [Z] irrecevable à agir en résiliation du bail consenti à son fils M. [K] [Z],

— débouté M. [T] [Z] de sa demande de requalification du bail consenti à son fils M. [K] [Z],

— condamné M. [T] [Z] à payer la somme de 3 000 euros à M. [K] [Z] en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamné M. [T] [Z] aux dépens.

Suivant déclaration du 28 octobre 2021, M. [T] [Z] a interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 30 novembre 2022, M. [T] [Z] demande à la cour de :

— infirmer le jugement rendu le 24 septembre 2021 par le tribunal paritaire des baux ruraux de Vannes,

Et, statuant de nouveau :

— juger recevables et bien fondées ses demandes,

A titre principal :

— prononcer la résiliation du bail rural du 19 février 2011,

— condamner M. [K] [Z] à lui verser la somme de 51 557, 98 euros au titre des fermages impayés,

A titre subsidiaire :

— juger que M. [K] [Z] est titulaire de deux baux ruraux, l’un conclu avec M. et Mme [Y], portant sur les parcelles détenues par la communauté, l’autre conclu avec M. [T] [Z] seulement, s’agissant des parcelles qu’il détient en propre,

— juger que ces baux ont commencé à courir le 8 février 2011,

— juger que le montant du fermage applicable s’agissant de ces deux baux sera celui prévu par le bail du 11 février 2011 et qu’ils seront, pour le reste, gouvernés par les dispositions du contrat type de bail rural applicable dans le département du Morbihan,

— prononcer la résiliation du bail rural conclu avec lui en ce qu’il porte sur les 24 ha 59 a 60 ca de terres agricoles qu’il détient en propre,

En toute hypothèse :

— condamner M. [K] [Z] à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner M. [K] [Z] au paiement des dépens.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 30 novembre 2022, M. [K] [Z] demande à la cour de :

— débouter M. [T] [Z] de son appel et l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

— confirmer le jugement déféré, au besoin par motifs substitués,

Additant au jugement déféré,

— condamner M. [T] [Z] à lui verser une somme de 4 000 euros au titre ses frais irrépétibles d’appel en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner M. [T] [Z] aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément aux articles 946, 455 et 749 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées et soutenues oralement à l’audience.

Après l’audience, le conseil de M. [T] [Z] a transmis un courrier daté du 8 décembre 2022.

Le conseil de M. [K] [Z] demande que cette note soit écartée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

* En préliminaire, il convient de rappeler qu’en application de l’article 445 du code de procédure civile, après la clôture des débats, les parties ne peuvent déposer aucune note à l’appui de leurs observations, si ce n’est en vue de répondre aux arguments développés par le ministère public, ou à la demande du président dans les cas prévus aux articles 442 et 444 du code de procédure civile.

Le conseil de M. [T] [Z] n’a pas été autorisé à notifier des observations écrites après l’audience. Il ne sera pas tenu compte de ce courrier daté du 8 décembre 2022.

* Au soutien de son appel, M. [T] [Z] explique qu’il n’a pas signé le bail du 19 février 2011 au profit de son fils et que sa signature a été imitée. Il indique qu’il a repris possession des terres.

Après les décisions du 22 novembre 2013 et du 22 septembre 2017, M. [T] [Z] écrit qu’il est acquis que M. [K] [Z] est titulaire d’un bail rural sur les parcelles lui appartenant.

Il indique que :

— le fermage n’est pas correctement réglé par M. [K] [Z],

— M. [K] [Z] a détruit de nombreux talus, arraché des bornes et abattu des chênes sans autorisation du propriétaire-bailleur.

Il conteste la prescription alléguée par M. [K] [Z] en indiquant qu’avant que ne soit tranchée la validité du bail par le jugement du 22 septembre 2017, il ne pouvait agir en réclamation des fermages dus et accessoirement en résiliation du bail. Il indique également que le délai de prescription a été interrompu une première fois dès l’introduction en justice sur son expulsion alors qu’il avait reconventionnellement sollicité la nullité du bail, et une deuxième fois le 20 juin 2016 date à laquelle il a assigné M. [K] [Z].

Il explique qu’au moment de la conclusion du bail, étaient applicables les dispositions des articles 1217 à 1225 sur l’indivisibilité des obligations. Il argue de ce que la dette ou la créance se partage en autant de fractions qu’il y a de débiteurs ou de créanciers. Il considère qu’à la lecture du bail, les obligations sont parfaitement divisibles et ce d’autant plus que le bail porte sur des parcelles en indivision avec Mme [Y] et d’autres parcelles dont il est le seul propriétaire. Il demande un paiement au prorata en fonction de la superficie de ses terres dont il est seul propriétaire, soit 24 ha 59 a et 60 ca.

Il considère que sa demande en résiliation de bail est légitime puisqu’il n’a pas perçu directement les fermages qui portent sur ses terres.

Dans l’hypothèse où est retenue l’indivisibilité des obligations nées du bail litigieux, M. [T] [Z] argue de ce qu’il est propriétaire de 36 ha 71 a 14 ca sur les 48 ha 84 a 29 ca objets du bail soit plus des 2 tiers des biens indivis. Il entend invoquer les dispositions de l’article 815-3 du code civil.

À titre subsidiaire, M. [T] [Z] affirme que deux baux ont été conclus, l’un avec lui et Mme [Y] sur les parcelles appartenant à la communauté et l’autre avec lui sur ses terres lui appartenant en propre.

En réponse, M. [K] [Z] expose qu’à la suite de la mésentente entre ses parents, ceux-ci lui ont proposé de reprendre l’exploitation de leur ferme et lui ont consenti un bail à ferme, le 19 février 2011, sur un ensemble de parcelles d’une surface totale de 48 ha 84 ca 29 a.

Il précise que les intérêts patrimoniaux de ses parents n’ont pas encore été liquidés, de sorte que ceux-ci se trouvent en indivision post-communautaire.

Il estime que le bail présente à son égard un caractère indivisible.

Pour lui, M. [T] [Z] ne peut valablement agir seul en résiliation.

Il discute l’application de l’article 815-3 du code civil et explique que le régime d’une obligation indivisible est distinct du régime de l’indivision.

M. [K] [Z] déclare que l’indivisibilité s’oppose au fractionnement de la dette ou de la créance.

Il invoque la prescription des demandes de M. [T] [Z] au titre des fermages pour les années 2011, 2012, 2013 et 2014.

Il soutient qu’aucun défaut de paiement des fermages ne peut lui être reproché puisqu’il a payé les fermages auprès de Mme [Y] et auprès du notaire chargé de la liquidation du régime matrimonial de ses parents. Il précise que les sommes perçues par l’étude notariale ont fait l’objet d’une saisie-attribution dans le cadre de l’exécution forcée des condamnations à dommages et intérêts de M. [T] [Z].

Il signale que, pour faire taire les réclamations de son père, il a, depuis l’année 2018, procédé à des paiements partiels des fermages à Mme [Y] et à M. [T] [Z].

Il qualifie d’incompréhensibles et injustifiés les comptes présentés dans la mise en demeure de M. [T] [Z].

Il s’oppose à la demande de requalification du bail.

* Sur la recevabilité.

Au visa de l’article 1217 du code civil dans sa rédaction applicable au cas présent, l’obligation est divisible ou indivisible selon qu’elle a pour objet ou une chose qui dans sa livraison, ou un fait qui dans l’exécution, est ou n’est pas susceptible de division, soit matérielle, soit intellectuelle.

L’article 1218 du même code dans sa rédaction applicable au cas présent, l’obligation est indivisible, quoique la chose ou le fait qui en est l’objet soit divisible par sa nature, si le rapport sous lequel elle est considérée dans l’obligation ne la rend pas susceptible d’exécution partielle.

Le bail à ferme du 19 février 2011 a été conclu entre d’une part M. [T] [Z] et Mme [I] [Z] en qualité de propriétaires et M. [K] [Z].

Il est indiqué que M. et Mme [Z], propriétaires, louent par les présentes pour une durée de neuf (durée barrée et remplacée par 3) années entières et consécutives qui commencent à courir le 8 février 2011 pour se terminer à pareille époque de l’année 2014 (date surchargée) à M. [Z] [K], locataire, qui accepte.

Désignation des lieux.

En la commune de [Localité 6] et [Localité 3], la ferme dite ‘[Adresse 5]’ comprenant… voir annexe.

Soit un total de 48 ha 84 ares 29 centiares.

Bâtiment d’exploitation : oui (1)

Maison d’habitation : non

(….)

Le présent bail est consenti et accepté moyennant un fermage annuel payable à terme échu le 1er janvier de chaque année se décomposant comme suit :

Pour les terres d’un montant de 100 euros à l’hectare indexé sur l’indice national des fermages.

Pour les bâtiments d’exploitation d’un montant de 500 euros indexé sur l’indice national des fermages.

Pour la maison d’habitation d’un montant de ….euros, indexé sur l’indice des loyers.

Soit un total de 5 872,72 euros.

L’annexe au bail mentionne 81 références de parcelles de terre sans distinction selon qu’elles sont la propriété de M. [Z] ou du couple [M].

Ainsi de par leur volonté, les parties ont entendu donné à bail l’exploitation des époux [Z] à leur fils, soit une entité unique. Les bailleurs n’ont pas voulu différencier les parcelles appartenant à l’un ou à l’autre des propriétaires. L’économie du pacte auquel propriétaires et fermier ont adhéré concerne donc la totalité des parcelles à exploiter. L’indivisibilité tient à l’objet de la mise à disposition.

Les écritures de M. [T] [Z] sur l’article 815-3 sont inopérants dans le cas présent, puisque obligation indivisible et indivision sont deux notions différentes

L’indivisibilité d’un acte oblige celui qui entend le contester ou le discuter à attraire en justice l’ensemble des parties à cet acte. À défaut d’avoir assigner Mme [Y], M. [T] [Z] est jugé irrecevable en sa demande en résiliation du bail.

L’indivisibilité s’oppose à tout morcellement de son régime. M. [Z] est débouté de sa demande en requalification du bail du 19 février 2011 en deux baux.

Le jugement est confirmé sans qu’il ne soit besoin de statuer sur les autres demandes.

Succombant en son appel, M. [T] [Z] est débouté de sa demande en frais irrépétibles et est condamné à payer à M. [K] [Z] la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens, étant par ailleurs précisé que les dispositions du jugement sur les frais irrépétibles et les dépens sont confirmées.

PAR CES MOTIFS

Ecarte des débats le courrier daté du 8 décembre 2022 transmis par le conseil de M. [T] [Z] ;

Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Déboute M. [T] [Z] de sa demande en frais irrépétibles ;

Condamne M. [T] [Z] à payer à M. [K] [Z] la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [T] [Z] aux dépens.

La greffière La présidente

 

 


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