Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE REIMS CHAMBRE CIVILE 2ème SECTIONRG RNB ARRET N° 6 AFFAIRE N : : O1/01894 AFFAIRE X… C/ Y… C/ une décision rendue par le Tribunal d’Instance EPERNAY le 07 Septembre 2001. ARRET DU 05 SEPTEMBRE 2002 APPELANT: Monsieur Jean-François X… 21 avenue Paul Chandon 51200 EPERNAY COMPARANT, concluant par la SCP DELVINCOURT – JACQUEMET avoué à la Cour, et ayant pour conseil la SCP ALRIQ, BURGOT, CHAUVET, avocat au barreau de PARIS, INTIME Monsieur Jean-Luc Y… 2 rue des Coquelicots 51190 AVIZE COMPARANT,concluant
par
la
SCP
THOMA-LE RUNIGO-DELAVEAU-GAUDEAUX, avoué à la Cour, et ayant pour conseil Me Olivier CARTERET, avocat au barreau de CHALONS EN CHAMPAGNE. COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DELIBERE PRÉSIDENT DE CHAMBRE :Madame MARZI Odile Z…: Madame NEMOZ-BENILAN Roselyne Z…: Madame BOY Any-Claude GREFFIER D’AUDIENCE Madame Michèle A…, Greffier lors des débats et du prononcé. DÉBATS: A l’audience publique du 07 Juin 2002, où l’affaire a été mise en délibéré au 05 Septembre 2002, Prononcé par Madame Odile MARZI, Président de Chambre, à l’audience publique du 05 Septembre 2002 et qui a signé la minute avec le Greffier, 1 FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES De janvier 1995 à janvier 2000, Monsieur Jean-François X… a exercé des fonctions d’anesthésiste à la clinique Saint-Vincent à EPERNAY dont Jean-Luc Y… était le directeur salarié. Le ler septembre 2000, Monsieur X… a adressé au maire d’Epernay et à d’autres personnalités régionales un courrier que Monsieur Y… a jugé diffamatoire. Ce dernier l’a donc assigné, par acte d’huissier du 27 novembre 2000, devant le Tribunal d’Instance d’EPERNAY sur le fondement des dispositions de la loi du
29 juillet 1881, aux fins d’obtenir sa condamnation à lui payer une indemnité de 100.000 F à titre de dommages et intérêts, outre une somme de 1.000 F au titre des frais irrépétibles. Il a sollicité la publication du jugement à intervenir. Cette assignation a été dénoncée au Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de CHALONS EN CHAMPAGNE par acte du 15 novembre 2000. Par jugement du 7 septembre 2000, le tribunal -a déclaré irrecevables les moyens et pièces tendant à prouver le bien-fondé des propos argués de diffamation, constaté que Monsieur X… s’est rendu coupable de diffamation publique à l’encontre de Monsieur Y… et l’a condamné, en conséquence, à lui verser une indemnité de 20.000 F. Il a dit n’y avoir lieu à publication du jugement. Appelant de cette décision Monsieur X…, dans ses dernières conclusions déposées au greffe de la Cour le 28 mai 2002, après avoir exposé sa version des faits, prétend, à titre liminaire, que la demande de Monsieur Y… est irrecevable faute pour lui d’avoir agi pénalement. Il explique que Monsieur Y… a fait valoir, dans ses écritures, que la diffamation dont il aurait fait l’objet touche sa fonction de Juge du Tribunal de Commerce et ajoute que c’est d’ailleurs pour ce motif que le tribunal est entré en voie de condamnation, alors que les dispositions combinées des articles 31 et 46 de la loi du 29 juillet 1881 précisent qu’en cas de diffamation commise à l’encontre d’une personne à raison de ses fonctions de juge, l’action civile ne peut être poursuivie séparément de l’action publique. Il ajoute que l’assignation est nulle car elle n’a ni reproduit ni visé l’article 55 de la loi du 28 juillet 1881, alors qu’il s’agit là d’une fôrmahté substantielle. Sur le fond, il prétend que la diffamation n’est pas constituée, dès lors que la lettre incriminée n’a pas eu de diffusion publique et n’impute pas à Monsieur Y… un fait précis portant atteinte à son honneur et à sa 2 considération. Il prétend, en outre,
rapporter la preuve des faits exposés dans son courrier et ajoute avoir agi en toute bonne foi, en tant qu’actionnaire de la clinique et citoyen soucieux du bien commun, et que s’il a manqué de prudence dans ses propos, sa seule intention était de dénoncer les anomalies constatées dans la gestion de la clinique et d’en informer les autorités de sorte qu’il a poursuivi un but légitime. A titre subsidiaire, il soutient que le Monsieur Y… ne rapporte la preuve d’aucun préjudice particulier si bien que sa demande de dommages et intérêts, exorbitante, doit être ramenée à un euro symbolique. Il sollicite l’allocation d’une somme de 2.286,74 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Monsieur Y… en réponse à ces conclusions, et après avoir relevé que Monsieur X… a attendu le 28 mai 2001, soit trois jours avant la clôture des débats prononcée le 31 mai, pour développer dans ses dernières écritures un nouveau moyen d’irrecevabilité, prétend que cette « fin de non recevoir » soulevée tardivement par l’appelant à des seules fins dilatoires doit être écartée. Il considère en effet qu’il a été diffamé non pas parce qu’il était juge consulaire et aurait abusé de son autorité, mais dans le seul cadre de son activité de directeur d’une clinique privée. Il ajoute qu’un juge consulaire n’entre pas dans la catégorie des personnes visées à l’article 31 de la loi du 29 juillet 1881. Après avoir rappelé le contexte du litige, il prétend que le premier juge a fait une exacte application des textes en rejetant l’argumentation en défense de Monsieur X… qui s’appuyait exclusivement sur des éléments concernant l’exception de vérité, laquelle n’a pas été établie dans les formes prescrites par l’article 55 de la loi de 1881, et notamment dans le délai de 10 jours prévu par ce texte, applicable au procès civil. Il ajoute que cette loi déroge à la loi générale et que dans ces conditions, en dépit du
principe d’oralité, il convient de se référer strictement aux règles qu’elle prévoit. Sur les faits diffamatoires, il fait valoir que Monsieur X… a sciemment fait en sorte que son courrier n’ait pas de caractère confidentiel et que pour lever toute ambigu’té à cet égard, il a souhaité qu’il soit adressé au Préfet de région, lequel devait donner son avis sur le maintien du Tribunal de Commerce de sorte que, à juste titre, le tribunal a retenu l’évidente publicité caractérisant l’envoi de cette lettre. Il rappelle que la mauvaise foi est présumée en matière de diffamation et prétend que le contenu du courrier révèle l’intention de nuire de Monsieur X… et le caractère diffamatoire de ses propos, lorsqu’il insinue qu’il 3 est malhonnête et brandit ses fonctions de juge consulaire pour s’assurer l’impunité. Il ajoute que les allusions à un juge véreux et à un directeur peu scrupuleux n’hésitant pas à s’approprier la fortune d’autrui font référence à un fait précis et déterminé. II sollicite en conséquence la confirmation de la décision en ce qu’elle a retenu que la diffamation était caractérisée mais conclut à l’infirmation sur le montant des dommages et intérêts qui lui ont été accordés, faisant valoir qu’ils ne peuvent suffire à indemniser le grave préjudice moral qu’il a subi en raison du doute qui s’est nécessairement introduit dans l’esprit des destinataires de la lettre. Il allègue avoir déjà été diffamé une première fois par Monsieur X… lequel a, en outre, récidivé postérieurement au jugement en mettant en cause la malhonnêteté de la gestion de la clinique et citant son nom à plusieurs reprises. II demande, en conséquence, à la Cour de condamner Monsieur X… à lui payer 15.245 euros à titre de dommages et intérêts ainsi qu’une somme de 6.098 euros par application des dispositions de l’article 700 du Nouveau Code de procédure Civile. SUR CE
– Attendu que trois passages du courrier adressé le 1 er septembre
2000 au maire d’EPERNAY ainsi qu’à diverses personnalités sont plus spécialement invoqués par Monsieur B… à l’appui de son action en diffamation; Que Monsieur X… écrit, en premier lieu : « afin de renforcer votre démarche contre la fermeture du Tribunal de Commerce d’EPERNAY, rapportée par EPERNAY MAGAZINE, et comme vous n’ignorez pas que les projets de réforme actuels résultent tant de l’analyse des activités que des dysfonctionnements qui ont pu être constatés dans certaines juridictions, il semble indispensable de faire la lumière sur les pratiques et méthodes de Monsieur J.L Y… qui a cumulé, de janvier 1996 à mai 1998, la fonction de juge au Tribunal de Commerce de notre ville avec celles de Directeur de la clinique et Secrétaire des Conseils d’administration des Assemblées Générales de la SA Clinique Saint-Vincent »; Que Monsieur Y… rappelle ensuite que dans ledit courrier, Monsieur X… fait état de diverses anomalies de gestion, qu’il cite un passage dans lequel le rédacteur stigmatise notamment le non dépôt des rapports de gestion, des incohérences déclaratives, des dissimulations de découverts dans un bilan « succinct et édulcoré » ; Que le troisième passage est la conclusion du courrier ainsi reproduite : « ma conclusion, en confrontant les informations détenues depuis novembre 1999 sur la réalité de la situation financière de la SA Clinique Saint-Vincent en 1996 et les éléments fournis à cette époque par Monsieur J.L Y…, e — 4 alors Juge au Tribunal de Commerce, tient en une question: un administré citoyen banal doit-il considérer par principe qu’un juge au Tribunal de Commerce est si foncièrement incompétent qu’il ne peut être respectueux de la légalité au point d’en apparaître malhonnête ä La réponse à cette question ne semble pas sans intérêt dans votre démarche pour le Tribunal de Commerce dont le Président m’avait, il est vrai, conseillé en décembre 1999 d’alerter Monsieur le Procureur de la République » ; Attendu que selon les dispositions combinées des
articles 31 et 46 de la loi du 29 juillet 1881, l’action civile ne peut être poursuivie séparément de l’action publique lorsque la diffamation est commise envers un citoyen chargé d’un service ou d’un mandat public, temporaire ou permanent, à raison des ses fonctions ou de sa qualité ; Qu’entre dans cette catégorie un juge consulaire au Tribunal de Commerce, citoyen élu afin d’exercer des fonctions judiciaires et investi, à ce titre, d’une mission de service public ; Qu’il est manifeste que le courrier incriminé, et notamment le premier et le dernier passage cité ci-dessus, met en cause -Monsieur Y… non seulement en sa qualité de directeur de clinique mais également de Juge consulaire; que ses « pratiques » et méthodes » y sont dénoncées en ce qu’il cumule les fonctions du juge au Tribunal de Commerce et de directeur de clinique et que les adjectifs « incompétent » et « malhonnête » se rapportent au juge du Tribunal de Commerce ; Que Monsieur X… indique d’ailleurs d’emblée à son correspondant que l’objet de son courrier est d’apporter une explication aux dysfonctionnements des tribunaux de commerce, insinuant que l’une d’entre elles serait précisément le cumul d’activités de Monsieur Y… ; Que les imputations contenues dans ce courrier sont dès lors indivisibles et relèvent dans leur ensemble des dispositions des articles 31 et 46 de la loi du 29 juillet 1881 ; Attendu que l’interdiction d’exercer l’action civile indépendamment de l’action publique qui résulte de ces textes est une disposition d’ordre public qui impose au juge, saisi d’une action en diffamation envers un citoyen chargé d’un service publique en raison de ses qualités ou de ses fonctions, de la déclarer irrecevable ; Que la Cour ne peut donc que faire droit au moyen soulevé par l’appelant; Que le jugement sera infirmé et l’action en diffamation exercée par Monsieur Y… devant la juridiction civile déclarée irrecevable; 5 Attendu que l’équité ne commande pas qu’il soit fait application des
dispositions de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile; PAR CES MOTIFS La Cour, statuant publiquement et contradictoirement ; Reçoit Monsieur X… en son appel et le dit bien fondé ; Vu l’article 46 de la loi du 29 juillet 1881 ; Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Déclare l’action de Monsieur Y… irrecevable; Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne Monsieur Y… aux dépens, ceux d’appel pouvant être recouvrés directement par la SCP DELVINCOURT JACQUEMET ; avoués conformément aux dispositions de l’article 699 du Nouveau Code de procédure Civile. LE GRÉFFIER, LE PRESIDENT,