Cour d’appel de Paris RG n° 21/06222 16 mai 2024

·

·

image_pdfEnregistrer (conclusions, plaidoirie)

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Cour d’appel de Paris
RG n° 21/06222
16 mai 2024
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 10

ARRET DU 16 MAI 2024

(n° , 1 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/06222 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEA6U

Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Juin 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOBIGNY – RG n° 19/04039

APPELANT

Monsieur [U] [C]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Avi BITTON, avocat au barreau de PARIS, toque : P339

INTIMEE

S.A. ALSTOM TRANSPORT SA Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Jean D’ALEMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0305

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 Février 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Carine SONNOIS, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Carine SONNOIS, Présidente de la chambre

Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre

Madame Véronique BOST, Conseillère de la chambre

Greffier : lors des débats : Mme Sonia BERKANE

ARRET :

– contradictoire

– mis à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, prorogé jusqu’à ce jour.

– signé par Madame Mme Carine SONNOIS, Présidente et par Sonia BERKANE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

M. [U] [C] a été engagé le 2 février 2009 par la société Alstom Transport, par contrat à durée indéterminée, en qualité de Safety assurance manager, avec reprise d’ancienneté au 2 septembre 2006.

La convention collective applicable au contrat de travail était celle des ingénieurs et cadres de la métallurgie.

Le 5 avril 2012, M. [C] a signé un avenant à son contrat de travail qui prévoyait une mise à disposition au profit de l’entreprise Alstom Transport Algérie, basée à Oran à compter du 1er mai 2012.

Le 25 juillet 2013, M. [C] a été mordu par un chien à la jambe gauche lors d’une visite professionnelle. La société Alstom Transport Algérie a établi une déclaration d’accident du travail le même jour.

M. [C] a été placé en arrêt de travail du 18 avril 2014 au 30 juin 2014.

M. [C] a réintégré la société Alstom Transport le 1er avril 2015.

M. [C] a été nommé au poste de Project Safety Assurance Manager à compter du 1er décembre 2015.

M. [C] a été placé en arrêt de travail du 2 octobre 2017 au 23 juin 2018 puis du 29 juin 2018 au 18 juillet 2018 et du 3 septembre au 16 septembre 2018.

Par lettre du 4 juin 2018, M. [C] a sollicité une rupture conventionnelle de son contrat de travail.

Par lettre recommandée du 27 septembre 2018, M. [C] a pris acte de la rupture de son contrat de travail.

Le 27 septembre 2019, M. [C] a saisi le conseil de prud’hommes de Bobigny. Il demandait de juger que la prise d’acte avait produit les effets d’un licenciement nul, ou sans cause réelle et sérieuse, et sollicitait des indemnités subséquentes ainsi que des dommages-intérêts pour non-déclaration de l’accident du travail, harcèlement moral et subsidiairement exécution déloyale du contrat de travail, discrimination en raison de l’état de santé, violation de l’obligation de sécurité, violation des dispositions légales sur le forfait-jours et travail dissimulé. Il demandait également le nullité de la convention de forfait-jours, un rappel de salaire et le remboursement de frais de mission et avances.

Par jugement rendu le 4 juin 2021, notifié aux parties 15 juin 2021, le conseil de prud’hommes de Bobigny, dans sa formation paritaire, a :

– débouté M. [C] de l’ensemble de ses demandes

– débouté la société Alstom Transport de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile

– condamné M. [C] aux dépens.

Le 8 juillet 2021, M. [C] a interjeté appel de la décision du conseil de prud’hommes de Bobigny.

Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées le 10 novembre 2023, M. [C], appelant, demande à la cour de :

– juger irrecevables les conclusions et pièces communiquées le 1er mars 2022 au soutien des intérêts de la société Alstom Transport 

– infirmer en sa totalité la décision déférée, en ce qu’elle l’a débouté de l’ensemble de ses demandes, de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et en ce qu’elle l’a condamné aux dépens.

Et statuant à nouveau,

– juger que se prise d’acte est justifiée et doit produire les effets d’un licenciement nul sinon sans cause réelle et sérieuse 

En conséquence :

A titre principal :

– condamner la société Alstom Transport à lui verser la somme de 104 900 euros nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul 

A titre subsidiaire :

– condamner la société Alstom Transport à lui verser la somme de 76 926,36 euros nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse 

En tout état de cause :

– condamner la société Alstom Transport à lui verser les sommes suivantes :

* 29 707,58 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement 

* 29 979,93 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 2 097,99 euros nets au titre des congés payés afférents 

* 30 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour non-déclaration de l’accident du travail 

* 10 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral, et subsidiairement pour exécution déloyale de son contrat de travail 

* 10 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour discrimination en raison de l’état de santé 

* 10 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour violation de l’obligation de sécurité 

– prononcer la nullité de la convention de sa convention de forfait-jours 

– condamner la société Alstom Transport à lui verser les sommes suivantes :

* 5 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour violation des dispositions légales sur le forfait-jours et sur le temps de travail 

* 20 000 euros à titre de rappel de salaire (heures supplémentaire) et 2 000 euros au titre des congés payés afférents 

* 41 959,83 euros nets à titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé 

* 5 602,33 euros nets à titre de remboursement de frais de missions et avances 

– condamner la société Alstom Transport à lui délivrer un certificat de travail et une attestation Pôle emploi rectifiés, indiquant que son ancienneté remonte au 2 septembre 2016 

– condamner la société Alstom Transport à lui verser la somme de 4 260 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile 

– condamner la société Astom Transport à lui verser les intérêts au taux légal sur ces sommes, à compter de l’acte introductif d’instance et ordonner la capitalisation des intérêts dus pour une année entière 

– condamner la société Alstom Transport aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 1er mars 2022, la société Alstom Transport, intimée, demande à la cour de :

– juger que la prise d’acte de rupture du contrat de travail de M. [C] ne repose pas sur des manquements graves de l’employeur et doit donc être qualifiée de démission

– constater l’absence de harcèlement moral, de discrimination liée à l’âge et plus généralement de manquements à l’obligation de préserver la santé de M. [C] 

– constater que la convention individuelle de forfait en jours conclue par M. [C] est parfaitement valable et que sa demande de rappel d’heures supplémentaires est donc injustifiée 

– confirmer, en conséquence, le jugement déféré et débouter M. [C] de l’ensemble de ses demandes

– le condamner, à titre reconventionnel, au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Conclusions auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé des faits de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 10 janvier 2024.

L’audience de plaidoirie a été fixée au 5 février 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

1 – Sur l’irrecevabilité des conclusions et pièces de la société Alstom Transport

M. [C] soutient que les conclusions et pièces de l’intimé sont irrecevables puisqu’elles ont été communiquées cinq mois après la communication de ses conclusions d’appelant.

Aux termes de l’article 914 du code de procédure civile, « les parties soumettent au conseiller de la mise en état, qui est seul compétent depuis sa désignation et jusqu’à la clôture de l’instruction, leurs conclusions, spécialement adressées à ce magistrat, tendant à :

– prononcer la caducité de l’appel

– déclarer l’appel irrecevable et trancher à cette occasion toute question ayant trait à la recevabilité de l’appel ; les moyens tendant à l’irrecevabilité de l’appel doivent être invoqués simultanément à peine d’irrecevabilité de ceux qui ne l’auraient pas été

– déclarer les conclusions irrecevables en application des articles 909 et 910

– déclarer les actes de procédure irrecevables en application de l’article 930-1.

Les parties ne sont plus recevables à invoquer devant la cour d’appel la caducité ou l’irrecevabilité après la clôture de l’instruction, à moins que leur cause ne survienne ou ne soit révélée postérieurement. »

En l’espèce, M. [C] n’ayant pas saisi le conseiller de la mise en état d’une demande d’irrecevabilité des conclusions et pièces de l’intimé, il n’est plus recevable à l’invoquer devant la cour.

2 – Sur le remboursement de frais

M. [C] soutient qu’il a été contraint d’avancer des frais lors d’une mission à Dubaï en juin et juillet 2017, mais également pour alimenter la caisse du site du Tramway Oran, pour réserver une villa, pour payer un chauffeur et un traducteur, pour exercer son mandat de représentant syndical et pour acheter du matériel pour le site du Tramway Oran. Il réclame donc la somme de 5 602,33 euros qui ne lui a pas été remboursée par son employeur.

La société répond que le salarié n’apporte aucun élément permettant de vérifier le bien-fondé de sa demande.

A l’appui de sa demande, le salarié verse aux débats :

– une note de frais datée du 19 juin 2017 d’un montant de 1 529,27 euros, accompagnée de diverses factures (pièce 45 a)

– deux déclarations, datées d’octobre et novembre 2013, de remise de fonds par M. [C] à Mme [E] pour alimenter la caisse du site, et une attestation de remise, en mars 2014, d’une somme de 100 000 dinars correspondant à des arrhes, par M. [O] [X] pour la réservation d’une villa (pièces 45 b)

– une note de frais datée du 13 juillet 2016 d’un montant de 125,70 euros, accompagnée de diverses factures (pièce 45 c)

– deux documents au nom de M. [C] relatifs à l’achat d’un four à micro-ondes le 9 avril 2014 et un bon de livraison le 7 avril 2014 au nom d’Alstom d’un matériel non décrit (pièce 45c).

La cour relève que :

– le montant de 1 529,27 euros porté sur la note de frais du 19 juin 2017 inclut les sommes que le salarié réclame en sus, à l’exception de la facture SFR d’un montant de 157,20 euros ; cette note de frais porte la mention « Total payé par la société : 1 529,27 euros » (pièce 45 a) ; la facture SFR correspond à l’abonnement téléphonique de M. [C] du 25 juin au 24 juillet 2017 qui est une dépense personnelle (44,99 euros), et aux consommations téléphoniques du 25 mai au 24 juin 2017 (112,21 euros) qui, faute de facture détaillée, ne peuvent être rattachées de façon certaine au séjour à Dubaï,

– aucun document bancaire n’atteste de la provenance des fonds remis à Mme [E], l’attestation de versement d’arrhes précise que la réservation est faite au bénéfice de la société Alstom et la somme a été remise au propriétaire par un tiers,

– le montant de 125,70 euros porté sur la note de frais du 13 juillet 2016 inclut les sommes que le salarié réclame en sus, au titre de l’exercice de son mandat de représentant syndical ; cette note de frais porte la mention « Total payé par la société : 125,70 euros » (pièce 45 c) ;

– rien ne permet de retenir que l’achat du micro-ondes est une dépense professionnelle et le bon de livraison d’un objet non identifié ne peut justifier un remboursement de frais.

Compte-tenu de l’ensemble de ces éléments, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté M. [C] de sa demande à ce titre.

3 – Sur la demande de dommages-intérêts pour non-déclaration de l’accident du travail

M. [C] soutient que la société Alstom Transport, à laquelle il était toujours rattaché du point de vue de la législation de la sécurité sociale, n’a pas envoyé la déclaration d’accident du travail survenu le 25 juillet 2013, et qu’elle est donc responsable des conséquences de cette omission dont il dit n’avoir eu connaissance que le 30 septembre 2017, sa grande vulnérabilité à la suite de l’accident l’ayant empêché d’effectuer les démarches nécessaires.

Il allègue qu’en raison de cette absence de déclaration, il a contracté des pathologies, n’a pas pu bénéficier du régime de prise en charge au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles, et a fréquemment été placé en arrêt de travail, ce qui a eu des répercussions sur sa vie privée. Enfin, il soutient que son action, qui a un fondement délictuel, n’est pas prescrite.

La société rétorque que le salarié avait connaissance dès le 25 juillet 2013 de l’absence de prise en charge par la Caisse des Français de l’Étranger au titre de la législation sur les accidents du travail, et qu’il disposait d’un délai de 5 ans pour engager la responsabilité délictuelle de son employeur, soit jusqu’au 27 juillet 2018. M. [C] n’ayant saisi le conseil de prud’hommes que le 27 septembre 2019, elle en déduit que la demande est prescrite.

Aux termes de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par 5 ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

M. [C] verse aux débats une lettre du 30 septembre 2017 (pièce 11) dans laquelle il demande à son employeur de régulariser l’absence de transmission de la déclaration d’accident du travail. Il établit ainsi, sans être contredit, que ce n’est, au plus tôt, que le 30 septembre 2017 qu’il a été informé de cette absence de transmission. Le point de départ de la prescription quinquennale est donc fixé à cette date.

Il s’ensuit que la prescription n’était pas acquise lorsque M. [C] a saisi le conseil de prud’hommes.

Il est avéré qu’une déclaration d’accident du travail a été établie le jour-même de l’accident, à savoir le 25 juillet 2013, par la société Alstom Transport Algérie.

Alors qu’il incombe à l’employeur de rapporter la preuve qu’il a transmis cette déclaration à l’organisme social dans les délais prescrits, le salarié verse aux débats une lettre de la société Alstom Transport du 29 juin 2018, lui indiquant que la société Alstom Transport Algérie était seule habilitée à déclarer l’accident du travail puisqu’il travaillait pour le compte de celle-ci.

Or, la cour relève que l’avenant au contrat de travail relatif au transfert de M. [C] au sein du groupe Alstom (pièce 4 appelant) ne comprend aucune clause modifiant le régime de protection sociale et stipule que le salaire continuera à être versé par Alstom Transport Saint Ouen. Il appartenait donc à cette dernière de déclarer l’accident du travail, ce qu’elle n’a pas fait.

Toutefois, faute de pièces démontrant tant le préjudice financier allégué, alors qu’aucun arrêt de travail n’a été prescrit, que le lien de causalité entre l’accident initial, à savoir une morsure au niveau de la jambe gauche qui a donné lieu à une injection antirabique (pièce 7 appelant), et les pathologies survenues postérieurement (embolie pulmonaire, polyalgies des quatre membres), le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté M. [C] de sa demande.

4 – Sur le harcèlement moral et subsidiairement l’exécution déloyale du contrat de travail

Aux termes de l’article L1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L’article L.1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral et il incombe alors à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

M. [C] fait valoir que, malgré son implication et ses compétences, ses évaluations se sont nettement dégradées dès son retour en France, alors qu’il continuait de recevoir des retours positifs sur la qualité de son travail, et qu’un plan d’amélioration avait été mis en place.

Il produit son évaluation pour l’année 2008, deux attestations de salariés travaillant à Oran, ses deux évaluations pour la période d’avril 2014 à avril 2016 ainsi que le plan de performance mis en place. Il soutient également que la société n’a pas rempli son obligation de formation et d’adaptation, et qu’il a été contraint de se former par lui-même.

A son retour de son détachement, il affirme qu’il n’a pas été réaffecté sur son ancien poste, et s’est retrouvé sans travail ni outils de travail durant plus de 6 mois. Au bout de 6 mois, il lui a été demandé de reprendre son poste de Safety manager. Il ajoute avoir fait l’objet de dénigrement et de remarques désobligeantes.

Il explique avoir préféré s’ouvrir au médecin du travail de son mal-être plutôt qu’à la cellule « stress et santé » de l’entreprise, par peur des représailles et prétend que ces agissements ont eu pour effet une dégradation de son état de santé, avec plusieurs arrêts de travail en 2014, 2017 et 2018.

La société répond qu’à son retour, M. [C], qui occupait un poste de Safety Assurance manager en Algérie, a intégré un poste de Project RAM & Safety Assurance manager, dont les missions étaient du même niveau que celles précédemment occupées.

Elle souligne que les allégations du salarié quant à l’absence de mise à disposition d’outils de travail à son retour en France ne reposent sur aucune pièce ni demande formulée en ce sens par celui-ci.

S’agissant des évaluations, l’employeur affirme que M. [C] a été noté sur 4 grands items d’objectifs et relève que l’appréciation positive de M. [D] dont se prévaut le salarié, a été reprise pour reconnaître son efficacité sur certains dossiers, même s’il est également noté que tous les objectifs n’ont pas été atteints, ce qui a justifié la mise en ‘uvre d’un plan d’aide au retour à la performance.

La société soutient qu’elle a toujours respecté les préconisations du médecin du travail et aménagé le poste du salarié. Elle pointe que ce dernier n’a pas saisi la cellule de veille « Stress et santé » dont la mission est pourtant de prendre en charge les cas individuels portés à sa connaissance afin de faire cesser les situations de souffrance préjudiciables à la santé des salariés.

La cour retient que :

– les deux attestations décrivent le comportement du salarié lorsqu’il était en poste à Oran sans aborder la qualité de son travail,

– la comparaison entre les évaluations concernant la période avril 2014-avril 2016, et l’évaluation succincte de 2008 n’est pas probante dans la mesure où huit années les séparent,

– les deux évaluations détaillées, pour la période avril 2014-avril 2016, font état à la fois des qualités du salarié, des progrès accomplis et des points à améliorer, et un plan d’amélioration de la performance a été mis en place dans la continuité de ces observations, le salarié admettant d’ailleurs la nécessité de suivre des formations dans plusieurs domaines,

– le fait que M. [C] ait réintégré le même poste à son retour de détachement ne peut s’analyser comme une rétrogradation, d’autant qu’il a ensuite été nommé au poste de Project Safety Assurance Manager,

– les conditions de travail dégradées, tout comme le dénigrement ou les remarques désobligeantes, ne ressortent que des écrits du salarié, ce qui interdit de leur accorder une véritable crédibilité en vertu du principe selon lequel nul ne peut se constituer de preuve à lui-même.

En l’état de ces éléments pris dans leur ensemble, la cour ne constate pas la réalité de faits pouvant laisser présumer un harcèlement moral subi par l’appelant. Par ailleurs, l’exécution déloyale du contrat de travail n’est pas plus établie.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande à ce titre.

5 – Sur la discrimination en raison de l’état de santé

Selon l’article L. 1132-1 du code du travail, dans sa rédaction en vigueur à la date de la saisine du conseil de prud’hommes, aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m’urs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

En application de l’article L. 1134-1, lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance de ces dispositions, il appartient au salarié qui se prétend lésé par une mesure discriminatoire de présenter au juge des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte au vu desquels il incombe à l’employeur de prouver que les mesures prises sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

M. [C] soutient qu’à la suite d’un accident du travail survenu le 3 septembre 2018, il a subi différents agissements délétères de la part de la société Alstom Transport, à savoir une absence de missions, la non-fourniture d’outil de travail professionnel, la baisse de ses notations ou encore des remarques désobligeantes de la part de sa hiérarchie.

La société répond que rien ne justifie l’octroi de dommages-intérêts pour discrimination en raison de l’état de santé.

La cour relève que les pièces versées à l’appui sont des écrits qui n’émanent que du salarié, ce qui interdit de leur accorder une véritable crédibilité en vertu du principe selon lequel nul ne peut se constituer de preuve à lui-même. L’un de ces écrits est de surcroît antérieur à l’accident du travail (pièce 26), tout comme les évaluations établies en 2015 ou 2016 (pièces 19 et 20).

Par suite, la cour ne constate pas la réalité de faits pouvant laisser présumer une discrimination en raison de l’état de santé. L’existence d’une discrimination sera ainsi écartée.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande à ce titre.

6 – Sur le manquement à l’obligation de sécurité

Aux termes des articles L.4121-1 et suivants du code du travail, l’employeur est tenu à l’égard de chaque salarié d’une obligation de sécurité qui lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer sa sécurité et protéger sa santé. Il doit en assurer l’effectivité.

M. [C] soutient qu’il a subi des agissements fautifs de la part de son employeur qui avait pourtant conscience de son état de santé fragilisé. Il dit l’avoir alerté à de multiples reprises concernant ses évaluations anormalement basses, ou son profond mal-être au travers d’un questionnaire sur les risques psycho-sociaux. Cette situation s’est prolongée jusqu’à la rupture du contrat de travail.

La société répond que rien ne justifie l’octroi de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité.

La cour retient que le salarié n’a, dans ses observations formulées à l’occasion de ses évaluations, exprimé aucun mal-être. Quant au questionnaire qui porte sur le risque psycho-social (pièce 52 appelant), rien ne permet de définir le cadre dans lequel il a été rempli ni d’affirmer que l’employeur en aurait été destinataire.

Faute de démontrer qu’il aurait alerté son employeur sur sa situation et que celui-ci aurait manqué à son obligation de sécurité, et par confirmation du jugement entrepris, le salarié sera débouté de sa demande à ce titre.

7 – Sur le forfait en jours

Selon l’article L.3121-43 du code du travail, dans sa version applicable au litige, peuvent conclure une convention de forfait en jours sur l’année, dans la limite de la durée annuelle de travail fixée par l’accord collectif prévu à l’article L.3121-9 :

1° les cadres qui disposent d’une autonomie dans l’organisation du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auquel ils sont intégrés ;

2 ° les salariés dont la durée de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps pour l’exercice des responsabilités qui leur confiées.

Aux termes de l’article L.3121-46 du même code, un entretien individuel est organisé par l’employeur avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours sur l’année.

M. [C] soutient que sa charge de travail, son organisation de travail et l’articulation entre sa vie personnelle et sa vie professionnelle n’ont pas fait l’objet d’un contrôle par l’employeur et que, par conséquent, la convention de forfait en jours est nulle.

La société rétorque que la convention de forfait-jours est valable puisque prise en application de l’accord de branche du 28 juillet 1998 de la métallurgie. Elle affirme qu’elle avait bien mis en place un contrôle du nombre de jours travaillés par le biais des bulletins de paie, qu’un suivi régulier de l’organisation et de la charge de travail était assuré par le supérieur hiérarchique et que ces questions étaient abordées lors d’un entretien annuel.

La cour retient que le contrat de travail de M. [C] comporte une convention de forfait annuel en jours, avec 218 jours de travail. Il ne ressort d’aucune pièce, et notamment pas des deux évaluations établies en 2015 et 2016, que le salarié aurait bénéficié d’un entretien annuel tel que prévu ci-dessus.

Dès lors qu’il n’est pas établi par l’employeur, que dans le cadre de l’exécution de la convention de forfait en jours, le salarié a été soumis à un entretien annuel portant sur sa charge de travail, l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle et familiale, la convention de forfait en jours n’est pas opposable à M. [C] qui est en droit de solliciter le règlement de ses heures supplémentaires selon les règles du droit commun.

8 – Sur les heures supplémentaires et les dommages-intérêts pour non-respect de la convention de forfait-jours

La durée légale du travail effectif prévue à l’article L.3121-1 du code du travail constitue le seuil de déclenchement des heures supplémentaires payées à un taux majoré.

Toute heure accomplie au-delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent.

Selon l’article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.

M. [C] affirme qu’il a accompli un total de 625 heures supplémentaires entre 2015 et septembre 2018, à raison de 5 heures supplémentaires pendant 105 jours en 2015, 1 heure supplémentaire pendant 20 jours en 2016, 1 heure supplémentaire pendant 10 jours en 2017 et 1 heure supplémentaire pendant 70 jours en 2018 (pièce 42). Il prétend que le système informatique de la société Alstom Transport permettant le comptage d’heure empêchait la déclaration de plus de 7h40 par jour et qu’il lui était donc impossible de déclarer ses heures supplémentaires. Il sollicite la somme de 20 000 euros au titre des heures supplémentaires, outre 2 000 euros au titre des congés payé afférents.

Il présente ainsi des éléments suffisamment précis pour que l’employeur soit en mesure d’y répondre.

La société rétorque que le salarié ne rapporte la preuve des heures supplémentaires qu’il aurait effectuées par aucune pièce tangible, et que la demande semble avoir été faite de façon forfaitaire.

La cour retient que le salarié présente un tableau de ses horaires de travail tandis que l’employeur n’a produit devant les premiers juges aucune pièce permettant d’établir de manière objective et fiable le nombre d’heures de travail effectuées par M. [C] ; que ce faisant, la société ne remplit pas la charge de la preuve qui lui incombe alors que le salarié a, de son côté, étayé sa demande en apportant à la cour des éléments précis.

En l’état des éléments d’appréciation dont la cour dispose, il sera accordé à M. [C] un rappel d’heures supplémentaires qui sera arbitré à 2 032 euros, outre l’indemnité de congés payés de 203,20 euros.

Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.

Le salarié sollicite également des dommages-intérêts au titre du non-respect de la convention de forfait-jours mais ne justifie d’aucun préjudice distinct de celui lié au non-paiement des heures supplémentaires pour lequel un rappel de salaires lui a été alloué.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté M. [C] de sa demande à ce titre.

9 – Sur le travail dissimulé

En application de l’article L. 8221-5 du code du travail est réputé travail dissimulé, par dissimulation d’emploi salarié, le fait pour tout employeur de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité de déclaration préalable à l’embauche, de se soustraire à la délivrance de bulletins de paie ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli.

Des articles L. 8221-3, L. 8221-5 et L. 8223-1 du code du travail, il résulte que le salarié, en cas de rupture de la relation de travail, a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

M. [C] soutient qu’il a accompli un grand nombre d’heures supplémentaires qui ne lui ont pas été payées et qui n’ont pas été mentionnées sur ses bulletins de paie. Il affirme que le fait que le logiciel ne permette pas de déclarer au-delà d’un certain nombre d’heure démontre le caractère intentionnel de l’employeur quant au travail dissimulé.

La société souligne que le salarié n’avait jamais formé la moindre réclamation avant de saisir le conseil de prud’hommes et affirme que la dissimulation d’emploi n’est pas caractérisée.

La seule existence d’heures supplémentaires non payées et d’une convention de forfait-jours illicite est insuffisante à établir l’intention de l’employeur de dissimuler l’activité de M. [C].

En l’absence d’intention démontrée de l’employeur de dissimulation, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il n’a pas fait droit à la demande de M. [C] à ce titre.

10 – Sur la prise d’acte de la rupture du contrat de travail

Lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à

son employeur, cette rupture produit les effets, soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués le justifient, soit, dans le cas contraire, d’une démission.

Pour que la prise d’acte produise les effets d’un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, les faits invoqués par le salarié doivent non seulement être établis mais constituer des manquements suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail. La charge de la preuve des faits qu’il allègue à l’encontre de l’employeur à l’appui de sa prise d’acte pèse sur le salarié.

Il est rappelé que le courrier par lequel le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail ne fixe pas les limites du litige, la juridiction devant examiner les manquements invoqués par le salarié même s’ils ne sont pas mentionnés dans ledit courrier.

La lettre de prise d’acte est motivée par la non-déclaration d’accident du travail du 25 juillet 2013, la discrimination en raison de son état de santé suite à cet accident du travail, le retard excessif dans le remboursement des frais de mission et avances ainsi que le non-paiement des heures supplémentaires. 

M. [C] soutient que la société Alstom Transport a commis de nombreux manquements d’une particulière gravité qui justifiaient sa prise d’acte et vise, outre les éléments figurant dans sa lettre, les faits de harcèlement moral ou d’exécution déloyale du contrat de travail, le manquement à l’obligation de sécurité, le non-respect de la convention de forfait-jours et le non-paiement des heures supplémentaires.

Il dit avoir subi un important préjudice moral, notamment en raison du fait qu’il a épuisé ses droits au chômage, n’a pas retrouvé d’emploi et doit assumer des charges importantes.

Il demande donc que la prise d’acte produise les effets d’un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse.

La société répond que les griefs reprochés par le salarié sont anciens et non démontrés et que rien ne justifie que la prise d’acte soit requalifié en licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse.

La cour a précédemment débouté le salarié de ses demandes au titre de la non-déclaration d’accident du travail du 25 juillet 2013, de la discrimination en raison de l’état de santé, du remboursement des frais de mission et avances, du harcèlement moral ou de l’exécution déloyale du contrat de travail, et du manquement à l’obligation de sécurité.

S’il a été retenu que des heures supplémentaires avaient été effectuées pendant 3 ans, il convient de souligner que le salarié n’avait jamais formé de réclamation auprès de son employeur, et que le montant alloué à ce titre sur la totalité de la période représente moins d’un tiers du salaire mensuel.

Ces éléments ne caractérisent aucun manquement grave de l’employeur de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.

En conséquence, la prise d’acte produit les effets d’une démission et les demandes indemnitaires formées par M. [C] relatives à la rupture du contrat de travail seront rejetées.

Le jugement entrepris sera confirmé de ces chefs.

11 – Sur les autres demandes

La cour ordonne à la société Alstom Transport de délivrer à M. [C] dans les deux mois suivant la notification de la présente décision, un certificat de travail rectifié mentionnant une ancienneté au 2 septembre 2006, au lieu du 2 février 2009, l’attestation Pôle emploi ne comportant quant à elle aucune inexactitude.

La cour rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation, et que la capitalisation est de droit conformément à l’article 1343-2 du code civil.

La société Alstom Transport sera condamnée à verser à M. [C] la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et supportera les dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

CONFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a débouté M. [U] [C] de sa demande au titre des heures supplémentaires et de sa demande de nullité de la convention de forfait en jours,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DIT que la demande de M. [C] d’irrecevabilité des conclusions et pièces de l’intimé n’est pas recevable,

DIT la convention de forfait en jours inopposable à M. [C],

CONDAMNE la société Alstom Transport à payer à M. [U] [C] les sommes suivantes :

-2 032 euros au titre des heures supplémentaires

-203,20 euros au titre des congés payés afférents,

ORDONNE à la société Alstom Transport de délivrer à M. [U] [C] dans les deux mois suivant la notification de la présente décision, un certificat de travail rectifié mentionnant une ancienneté au 2 septembre 2006,

RAPPELLE que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation, et que la capitalisation est de droit conformément à l’article 1343-2 du code civil,

CONDAMNE la société Alstom Transport à payer à M. [U] [C] la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Alstom Transport aux dépens d’appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE