Cour d’appel de Paris, du 12 mars 2002

·

·

Cour d’appel de Paris, du 12 mars 2002

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS 1ère chambre, section H ARRET DU 12 MARS 2002

(N , pages) Numéro d’inscription au répertoire général : 2001/11703 Pas de jonction Décision dont recours : Saisine sur déclaration de renvoi après cassation, d’un arrêt de la Cour d’Appel de Paris 1ère Chambre du 13 avril 1999, prononcé sur recours contre la décision N°98-D-61 du 6 octobre 1998 du Conseil de la Concurrence. Nature de la décision : CONTRADICTOIRE Décision : RÉFORMATION DEMANDERESSE A LA SAISINE : S.A. ROUTIERE DE L’EST PARISIEN (REP), ayant son siège Z.I. – 5, rue Robert Rochon 95193 GOUSSAINVILLE, prise en la personne de son Président du Conseil d’Administration Représentée par la SCP FISSELIER-CHILOUX-BOULAY, avoué, 23, rue du Louvre 75001 PARIS Assistée de Maître M.AZENCOT, avocat, 36, avenue Matignon 75008 PARIS Toque A 197 EN PRESENCE : du Ministre de l’Economie, des Finances et du Budget, Représenté aux débats par Madame X…, munie d’un pouvoir spécial. COMPOSITION DE LA COUR : Lors des débats et du délibéré, Madame RENARD-PAYEN, Président Madame RIFFAULT, Président Monsieur SAVATIER, Conseiller Monsieur JARDEL, Conseiller Monsieur MAUNAND, Conseiller GREFFIER : Lors des débats et du prononcé de l’arrêt : Madame Y… MINISTERE Z… : Monsieur A…, Substitut Général DEBATS : A l’audience publique du 5 Février 2002 ARRET : Prononcé publiquement le DOUZE MARS DEUX MILLE DEUX, par Madame RENARD-PAYEN, Président, qui a signé la minute avec Madame Y…, Greffier

Le 16 janvier 1995, le ministre de l’économie et des finances a saisi

le Conseil de la concurrence de la situation de la concurrence sur le marché de la collecte et du traitement des ordures ménagères en Ile-de-France.

Par décision n° 98-D-61 du 6 octobre 1998, relative à la situation de la concurrence dans le secteur du traitement des ordures ménagères en Ile-de-France, le Conseil de la concurrence a, notamment, retenu qu’il existait un marché de la mise en décharge contrôlée de classe II des ordures ménagères en Ile-de-France et que la société ROUTIÈRE de L’EST PARISIEN ( REP) disposait d’une position dominante sur ce marché. Il a estimé qu’en consentant des tarifs préférentiels aux entreprises du groupe auquel elle appartenait, la Société REP avait commis une pratique discriminatoire constitutive d’un abus de position dominante et lui a infligé une sanction pécuniaire de 5 000 000 francs pour avoir enfreint les dispositions de l’article 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986.

Sur pourvoi de la Société REP, l’arrêt du 13 avril 1999, rendu par la Cour d’appel de Paris, qui avait rejeté les recours formés contre cette décision, a été cassé, dans toutes ses dispositions, par arrêt de la Cour de cassation du 22 mai 2001, au motif que la cour d’appel n’avait pas donné de base légale à sa décision faute d’avoir recherché « si le choix des demandeurs à l’élimination des déchets est ou non effectivement déterminé par tel ou tel mode de traitement des ordures ménagères par des considérations tenant à leurs spécificités techniques, ce pourquoi chacun de ces procédés ne serait pas substituable aux autres ».

LA COUR :

Vu la déclaration de saisine de la Société REP, sur renvoi de la Cour de cassation ;

Vu le mémoire et les conclusions en réplique déposés les 26 octobre 2001 et 14 janvier 2002 par la Société REP qui demande : – à titre

principal : . l’annulation de la décision aux motifs que le marché pertinent au sens de l’article L. 420-2 du Code de commerce n’est pas celui des décharges contrôlées de classe II en Ile-de-France, mais celui du traitement des déchets ménagers quelle que soit la technique utilisée, que la Société REP ne détient aucune position dominante au sens du texte précité, ni sur le marché de la mise en décharge contrôlée de classe II des déchets, ni sur le marché du traitement des ordures ménagères, que les tarifs préférentiels consentis par la Société REP aux entreprises du groupe auquel elle appartient ne sauraient caractériser un abus de position dominante au sens du texte précité, . le remboursement immédiat des sommes versées au titre de la sanction pécuniaire, assorti des intérêts au taux légal à compter du paiement par la Société REP et la capitalisation des dits intérêts à compter du paiement ; – à titre subsidiaire : . la nomination d’un expert avec mission de déterminer si le marché des décharges contrôlé de classe II en Ile-de-France constitue ou non un marché pertinent au sens du texte précité ; – à titre très subsidiaire : . la réformation de la décision au motif que la sanction prononcée est disproportionnée compte tenu de la gravité des faits et du dommage porté à l’économie des marchés du traitement et de la collecte des ordures ménagères ; – la condamnation du ministre chargé de l’économie au paiement d’une somme de 50 000 francs au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu les observations écrites déposées le 27 décembre 2001 par le ministre chargé de l’économie concluant à la confirmation de la décision ;

Vu les observations écrites déposées le 21 décembre 2001 par le Conseil de la concurrence ;

Vu les observations écrites et orales du ministère public selon lesquelles la définition du marché de référence retenu par le Conseil

est justifiée, de sorte que, dans sa décision, il a légalement qualifié le comportement de la Société REP et que les moyens présentés par cette dernière sont insuffisants pour pouvoir en justifier l’annulation ;

Sur ce :

Considérant que le marché se définit comme le lieu ou se rencontrent l’offre et la demande pour un bien ou un service spécifique, et que, pour être retenu comme pertinent, ce marché implique qu’existe une concurrence effective entre les produits ou service qui en font partie, ce qui suppose un degré suffisant d’interchangeabilité en vue du même usage entre les produits ou service faisant partie du même marché ;

Considérant, en l’espèce, que pour retenir l’existence d’un marché des décharges contrôlées de classe II en Ile-de-France, le Conseil de la concurrence a relevé que « la mise en décharge fait appel à des techniques différentes de celles des autres modes de traitement des déchets ménagers comme le recyclage, le compostage ou l’incinération qui impliquent une transformation physique ou chimique des déchets ; que les usines de recyclage, de compostage et d’incinération ne disposaient pas à l’époque des faits de capacité de traitement disponible pour augmenter leur production ; qu’en outre, la mise en décharge contrôlée est le seul mode de traitement qui permet l’élimination des déchets ultimes générés par les autres procédés tels que les mâchefers et les résidus de fumées, ainsi que l’élimination des déchets encombrants, qu’en revanche, ce mode de traitement ne répond manifestement pas aux objectifs de valorisation des déchets par réemploi ou recyclage définis par la loi » ; qu’il s’est fondé aussi, pour statuer comme il a fait, sur l’importance des écarts de prix entre les techniques d’élimination des déchets ;

Considérant, cependant, que comme le reconnaît le ministre dans ses

observations, l’incinération et la mise en décharge contrôlée permettent de satisfaire un même besoin, indépendamment de leurs mérites respectifs en termes de valorisation ;

Considérant, en effet, que, comme l’avait relevé le Conseil, la responsabilité de l’élimination des déchets des ménages incombe aux communes ou aux groupements constitués par elles aux termes de la loi n° 75-633 du 15 janvier 1975 ; que ces collectivités sont donc les demandeurs sur le marché du traitement des ordures ménagères ; qu’elles recourent tant à l’incinération qu’à la mise en décharge contrôlée ; qu’ainsi, selon les chiffres cités dans la décision attaquée, pour l’Ile-de-France, les quantités traitées en 1993 ont été respectivement de 2 504 302 tonnes par incinération et de 1 372 387 tonnes par mise en décharge ; que le plus important des opérateurs en la matière, le Syndicat intercommunal de traitement des ordures ménagères de l’agglomération parisienne (SYCTOM), qui intervient pour environ 47 % du total des déchets traités en Ile-de-France, s’il a, en 1993, incinéré 1 675 640 tonnes, a aussi recours à la mise en décharge contrôlée pour 373 392 tonnes en 1993 (477 640 tonnes en 1992) ;

Considérant que la loi du 13 juillet 1992 relative à l’élimination des déchets ainsi qu’aux installations classées pour la protection de l’environnement, qui a modifié le texte précédent afin, notamment, de promouvoir la valorisation des déchets par recyclage, compostage ou incinération, n’a pas, en 1992 et 1993, époque des faits reprochés à la REP, entraîné de modification du comportement de ces collectivités, même si le législateur, sans imposer immédiatement l’une ou l’autre des techniques de traitement, a fixé des objectifs à terme tendant à limiter le recours à la mise en décharge ; qu’aucun élément précis permettant d’affirmer que cette loi a incité les collectivités à différencier leur demande selon le mode de traitement

n’est d’ailleurs invoqué ;

Qu’au contraire, la REP produit des appels d’offres qui, s’ils sont largement postérieurs à la période examinée, permettent, néanmoins, de constater que les communes ne distinguent pas les modes d’élimination et s’adressent aux opérateurs quelles que soient les techniques que ceux-ci sont susceptibles de mettre en oeuvre ; qu’aucun élément n’autorise à penser qu’il en allait différemment pour la période antérieure, seule concernée ;

Considérant que le fait que le coût de la mise en décharge serait très inférieur à celui des autres modes de traitement – ce qui n’est pas démontré pour l’Ile-de-France, l’étude dont fait état la décision attaquée, réalisée pour la France entière, ne recouvrant pas les réalités d’une région aussi urbanisée que la zone géographique retenue par le Conseil de la concurrence – ne permet pas de subdiviser le marché du traitement des ordures ménagères selon les techniques employées, les demandeurs étant à même d’arbitrer entre les offres selon leurs intérêts et les contraintes qui sont les leurs, notamment celles liées aux conditions de la collecte et au transport ;

Considérant qu’aucune spécificité du traitement par mise en décharge ne peut être découvert dans le fait que celles-ci appartiennent à 88 % à des sociétés privées, tandis que toutes les usines d’incinération appartiennent à des collectivité publiques, à l’exception d’une seule ; qu’en effet, il est constant que le plus souvent l’exploitation des dites usines est concédée à des entreprises privées, de sorte que le ministre n’est pas fondé à soutenir dans ses observations qu’il n’existait pas d’offre privée de service de traitement par incinération ;

Considérant, enfin, que le fait que les opérateurs offrant un traitement des ordures ménagères par incinération n’étaient pas en

mesure, à l’époque, d’augmenter leur production, faute de capacité de leurs usines, dans l’attente de l’ouverture à Vitry d’un nouveau centre de traitement, ne justifie pas leur exclusion d’un marché qui, comme il a été dit, n’est pas délimité par la nature du mode de traitement offert ;

Considérant qu’il s’ensuit que les différents modes de traitement sont suffisamment substituables entre eux pour qu’il y ait lieu de retenir que le marché concerné est celui du traitement des ordures ménagères sans distinction entre les techniques de traitement ;

Considérant qu’il apparaît que la société REP n’est pas en position dominante sur ce marché ; qu’en effet, dans les trois décharges qui lui appartiennent sur les 18 existantes, elle a traité, en 1993, seulement 746 539 tonnes d’ordures ménagères, à comparer aux 4 058 224 tonnes traitées dans l’Ile-de-France, tout mode de traitement confondu ;

Qu’elle n’encourt donc pas le grief retenu par la décision attaquée qui sera réformée de ce chef ;

Considérant que le Trésor Z… devra restituer en conséquence les sommes perçues au titre de la sanction prononcée avec intérêts au taux légal à compter de la notification du présent arrêt, la capitalisation de ceux-ci dans les conditions de l’article 1154 du Code civil étant dès à présent ordonnée ;

Considérant qu’au regard des circonstances de la cause et de l’équité il n’y a pas lieu de faire droit à la demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS :

Réforme la décision attaquée en ce qu’elle a retenu que la Société REP a enfreint les dispositions de l’article 420-2 du Code du commerce et lui a infligé une sanction,

Dit n’y avoir lieu à sanction,

Dit que les sommes perçues au titre de la sanction prononcée seront remboursées à la Société REP avec intérêts au taux légal à compter de la notification du présent arrêt, la capitalisation de ceux-ci dans les conditions de l’article 1154 du Code civil étant dés à présent ordonnée,

Rejette toute autre demande,

Laisse les dépens à la charge du Trésor Z… LE GREFFIER.

LE PRESIDENT.


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x