Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Grosses délivrées
RÉPUBLIQUE FRANOEAISE
aux parties le :
AU NOM DU PEUPLE FRANOEAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
1ère Chambre – Section H
AUDIENCE SOLENNELLE
ARRÊT DU 31 JANVIER 2006
(no 4 , 10 pages) Numéro d’inscription au répertoire général :
2005/14782 Décision déférée à la Cour : saisine sur déclaration de renvoi après cassation partielle de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation du 12 juillet 2005, d’un arrêt de la Cour d’Appel de PARIS, 1ère chambre section H du 12 février 2004, prononcé sur recours contre la décision no03-MC-04 du conseil de la concurrence en date du 22 décembre 2003 ; DEMANDERESSE AU RECOURS : – la société NOUVELLES MESSAGERIES DE LA PRESSE PARISIENNE (NMPP) prise en la personne de ses représentants légaux dont le siège social est : 52 rue Jacques Hillairet 75012 PARIS représentée par Maître Pascale NABOUDET de la SCP NABOUDET-HATET, avoués associés près la Cour d’Appel assistée de Maître Alain GEORGES du cabinet LATHAM & WATKINS, avocat au barreau de PARIS (toque 09) 53, quai d’Orsay 75007 PARIS DÉFENDERESSE AU RECOURS : – la société MESSAGERIES LYONNAISES DE PRESSES (MLP) prise en la personne de ses représentants légaux dont le siège social : 55 boulevard de la Noirée 38070 SAINT QUENTIN FALLAVIER représentée par Maître Patricia HARDOUIN, avouée près la Cour d’Appel de PARIS assistée de Maître Mélanie THILL-TAYARA de la SCP SALANS & Associés, avocate au barreau de PARIS (toque P 0372) 9, rue Boissy d’Anglas 75008 PARIS EN
PRÉSENCE DE : – M. LE MINISTRE DE X…, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE DGCCRF BAT.5, 59, boulevard Vincent Auriol 75703 PARIS CEDEX 13 représenté par Mme Laurence Y…, muni d’un pouvoir COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 13 décembre 2005, en audience publique, devant la Cour composée de :
– M. Alain CARRE-PIERRAT, Président
– M. Henri LE DAUPHIN, Conseiller
– M. Xavier RAGUIN, Conseiller
– M. Jean-Claude SEPTE, Conseiller
– M. David PEYRON, Conseiller
qui en ont délibéré Greffier, lors des débats : M. Benoît TRUET-CALLU MINISTÈRE Z… : représenté lors des débats par M. A…, Avocat Général, qui a fait connaître son avis. ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par M. Alain CARRE-PIERRAT, Président
– signé par M. Alain CARRE-PIERRAT, président et par M. Gilles DUPONT, greffier présent lors du prononcé. * * *
La loi no 47-535 du 2 avril 1947, relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques, organise le cadre du groupage et de la distribution de la presse autour du principe coopératif. L’éditeur peut assurer directement le groupage et la distribution de ses titres ou se regrouper avec d’autres éditeurs au sein d’une coopérative de distribution, dites messageries de presse. Ces sociétés coopératives peuvent remplir elle-même la fonction de messagerie, en assurant par leurs propres moyens le groupage et la distribution de la presse éditée par leurs adhérents. Elles peuvent aussi confier à des sociétés commerciales l’exécution des opérations de groupage et de distribution des titres de leurs adhérents. Les NOUVELLES MESSAGERIES
DE PRESSE PARISIENNE ( ci-après NMPP ) et les MESSAGERIES LYONNAISES DE PRESSE ( ci-après MLP ) sont deux messageries de presse qui distribuent les titres au niveau national.
La loi précitée, pose trois principes fondamentaux : la liberté de distribution pour l’éditeur, l’impartialité de la distribution et l’égalité économique entre les différents titres.
Les dépositaires distribuent la presse qui leur est confiée par les messageries de presse et par certains éditeurs. Ils bénéficient chacun d’une exclusivité de distribution de la presse sur une zone géographique donnée et jouent un rôle central dans la transmission de l’information entre les éditeurs et les diffuseurs de presse. Cette fonction a été largement informatisée depuis une dizaine d’années. Ceux-ci utilisent pour le suivi de la distribution de presse un logiciel appelé Presse 2000, conçu en 1990 par les NMPP. Certaines fonctionnalités de Presse 2000, dénommées « tronc commun », sont partagées par les NMPP, SAEM et les MLP. Elles permettent aux dépositaires d’exercer les fonctions essentielles de leur mission, réceptionner les produits, les répartir, reprendre les invendus et assurer la comptabilisation de ces opérations.
Les MLP ont développé leur propre système informatique, nommé TID, qui assure la transmission des informations chez le dépositaire. Celles-ci sont ressaisies de façon manuelle par le dépositaire, sur disquette, pour être utilisées par Presse 2000. Inversement, les informations fournies par Presse 2000 en provenance des diffuseurs sont recopiées sur disquette puis sur le poste TID.
Par lettre enregistrée le 8 août 2003, les MLP ont saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en oeuvre par les NMPP, à savoir :
* un refus d’accès direct au réseau Presse 2000,
[* des pratiques tarifaires,
*] un accès restreint aux informations essentielles contrôlées par les NMPP,
[* les conditions d’accès aux marchés d’exportation,
*] les modalités de transfert des informations de réglage depuis les éditeurs MLP vers les dépositaires.
Elles ont par ailleurs sollicité le prononcé de mesures conservatoires.
Par une décision 03-MC-04 du 22 décembre 2003, le Conseil de la concurrence a décidé : « Article 1er : Il est enjoint à la société Nouvelles Messageries de Presse Parisienne (NMPP) à titre conservatoire et dans l’attente d’une décision au fond :
– d’accorder aux MLP dans un délai de quatre mois un accès direct au tronc commun du logiciel Presse 2000, dans des conditions économiques équitables, en mettant en place- pour chaque dépôt qui le souhaiterait et selon des modalités qui devront faire l’objet d’un accord entre les parties concernées- un transfert automatique de fichiers entre le système informatique des MLP, TID ou équivalent, et Presse 2000. Dans un délai de quatre mois au plus tard à compter de la notification de la présente décision, il sera rendu compte au Conseil par les parties des dispositions prises par la société NMPP pour se conformer à cette injonction ;
– de suspendre la pratique consistant à subordonner la prestation de services de distribution sur les marchés export à la condition que l’éditeur ou le groupement d’éditeurs (messagerie ou autre) concerné s’engage à lui confier l’intégralité de ses titres pour l’exportation ;
– de suspendre le système des remises de fidélité pratiquées à l’égard des éditeurs sur les tarifs de ses services de distribution sur les marchés export ;
– de ne pas reconduire le système de bonification exceptionnelle figurant dans ses barèmes ; Article 2 : Il est enjoint à la société Auxiliaire pour l’exploitation de Messageries Transport Presse (SAEM-TP) à titre conservatoire et dans l’attente d’une décision au fond :
– de ne pas reconduire le système de bonification exceptionnelle figurant dans son barème ;
– de suspendre l’application de la remise de fidélité figurant dans son barème. »
Les sociétés NMPP et SAEM-TP ont formé un recours à l’encontre de cette décision devant la Cour d’appel de Paris qui, par arrêt du 12 février 2004, a rejeté les recours formés en ce qu’ils poursuivaient l’annulation de la décision no03-MC-04.
Les NMPP, ayant formé un pourvoi en cassation, la chambre commerciale de la Cour de Cassation a, par arrêt du 12 juillet 2005, retenu qu’en se déterminant par des motifs impropres » à établir que des solutions alternatives économiquement raisonnables, fussent-elles moins avantageuses que celles dont bénéficient les NMPP, ne pourraient être mises en oeuvre par les MLP qui avaient admis devant le Conseil être en mesure matériellement et financièrement de concevoir un logiciel équivalent à Presse 2000 et avoir mis en place un logiciel qui leur permettait d’adapter les quantités livrées au réseau et de communiquer avec ce dernier, et faute par conséquent de constater que le tronc commun du logiciel Presse 2000 serait indispensable à l’exercice de l’activité des MLP, la Cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision » et a « cassé et annulé, mais seulement en ce qu’en rejetant le recours, il a ordonné aux NMPP d’accorder aux MLP un accès direct au tronc commun du logiciel Presse 2000, l’arrêt rendu le 12 février 2004, entre les parties, par la Cour d’appel de Paris ».
LA COUR :
Vu la déclaration de saisine motivée, déposée le 2 août 2005, et le mémoire récapitulatif, en date du 28 novembre 2005, aux termes desquels les Nouvelles Messageries de Presse Parisienne, demandent à la cour de :
[* au visa de l’article 1033 du nouveau Code de procédure civile, juger régulière sa saisine de la cour de renvoi,
*] à titre principal,
constater que les MLP disposent de solutions économiques raisonnables alternatives à l’accès direct au tronc commun du logiciel Presse 2000 et que cet accès n’est donc pas strictement indispensable à l’exercice de son activité,
constater que son refus d’accorder aux MLP l’accès direct au tronc commun de Presse 2000 n’est donc pas susceptible de constituer un abus de position dominante interdit par l’article L 420-2 du Code de commerce ou que, à tout le moins, en l’état de l’instruction, aucun élément ne permet de présumer qu’il pourrait constituer un abus de position dominante,
juger, par voie de conséquence, que la demande de mesure conservatoire présentée par les MLP n’est pas fondée,
annuler purement et simplement la décision no03-MC-04 en ce qu’elle lui ordonne « d’accorder aux MLP dans un délai de quatre mois un accès direct au tronc commun du logiciel Presse 2000, dans des conditions économiques équitables, en mettant en place- pour chaque dépôt qui le souhaiterait et selon des modalités qui devront faire l’objet d’un
accord entre les parties concernées- un transfert automatique de fichiers entre le système informatique des MLP, TID ou équivalent, et Presse 2000. Dans un délai de quatre mois au plus tard à compter de la notification de la présente décision, il sera rendu compte au Conseil par les parties des dispositions prises par la société NMPP pour se conformer à cette injonction »,
usant de ses pouvoirs de pleine juridiction, juger que la demande de mesure conservatoire des MLP visée plus haut n’est pas fondée et la rejeter,
* à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la cour estimerait néanmoins que les conditions visées plus haut sont remplies et qu’il ne saurait donc être exclu que le refus des NMPP d’accorder aux MLP l’accès direct au tronc commun de Presse 2000 constitue un abus de position dominante interdit par l’article L 420-2 du Code de commerce, constater que les MLP ne démontrent aucune atteinte grave et immédiate ni à ses propres intérêts ni au secteur de la distribution de la presse vendue au numéro,
constater que les MLP n’apportent pas non plus la preuve que l’atteinte dont elle se plaint est causée directement par son refus de lui accorder l’accès direct au tronc commun de Presse 2000,
juger en conséquence que la demande de mesure conservatoire des MLP doit être rejetée,
annuler purement et simplement la décision no03-MC-04 en ce qu’elle lui ordonne « d’accorder aux MLP dans un délai de quatre mois un accès direct au tronc commun du logiciel Presse 2000, dans des conditions économiques équitables, en mettant en place- pour chaque dépôt qui le
souhaiterait et selon des modalités qui devront faire l’objet d’un accord entre les parties concernées- un transfert automatique de fichiers entre le système informatique des MLP, TID ou équivalent, et Presse 2000. Dans un délai de quatre mois au plus tard à compter de la notification de la présente décision, il sera rendu compte au Conseil par les parties des dispositions prises par la société NMPP pour se conformer à cette injonction »,
usant de ses pouvoirs de pleine juridiction, de juger que la demande de mesure conservatoire des MLP visée plus haut n’est pas fondée et la rejeter ,
[* à titre encore plus subsidiaire, désigner tout expert économique de son choix avec pour mission de déterminer le montant de la charge d’accès incombant aux MLP à partir de l’étude qu’elle a produite devant le Conseil et les autres éléments qui seront mis à sa disposition par les parties et juger que cette charge d’accès sera appliquée à partir de la réalisation de l’accès direct au tronc commun de Presse 2000,
*] à titre infiniment subsidiaire, rejeter la demande des MLP tendant à ce qu’elle saisisse la cour de justice des Communautés européennes d’une question préjudicielle et dans l’hypothèse où la cour estimerait par impossible que l’application du droit à la présente espèce exige qu’une question préjudicielle soit posée à la cour des Communautés européennes, surseoir à statuer, et, compte tenu de la gravité des conséquences irréversibles de l’octroi de la mesure conservatoire prononcée par le conseil de la concurrence et des doutes sérieux sur ses fondements juridiques attestés à la procédure de question préjudicielle que la cour engagerait, suspendre l’exécution de la mesure conservatoire prononcée par le conseil de la concurrence jusqu’au prononcé de son arrêt définitif,
* condamner les MLP à lui payer la somme de 100.000 euros au titre de l’article 700 de nouveau Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens ;
Vu le mémoire déposé le 7 novembre 2005, par lequel les Messageries Lyonnaises de Presse sollicitent de la cour de :
* in limine litis, constater que la saisine de la cour par les NMPP est contraire aux dispositions de l’article 10 du décret no 87-849 du 19 octobre 1987, car elle a été introduite par simple déclaration et non par assignation et juger que cette saisine est irrecevable,
* à titre principal, constater que :
le Conseil de la concurrence a considéré, à juste titre, qu’il ne peut être exclu, à ce stade de l’instruction, que l’accès direct au tronc commun du logiciel est susceptible de constituer une infrastructure essentielle détenue par une entreprise en position dominante,
le refus d’accès direct qui lui est opposé par les NMPP peut constituer un refus injustifié d’accès à une infrastructure essentielle détenue par une entreprise en position dominante,
un tel comportement est susceptible de constituer une pratique prohibée par les dispositions de l’article L. 420-2 du Code de
un tel comportement est susceptible de constituer une pratique prohibée par les dispositions de l’article L. 420-2 du Code de commerce et de l’article 82 du Traité CE,
le Conseil de la concurrence a considéré, à juste titre, que les pratiques qu’elle a dénoncées sont de nature à accroître ses difficultés, voire même à en constituer la cause première, et que l’ensemble des éléments qu’elle a communiqués montrent que les effets du refus d’accès à Presse 2000, qui perdurent certes depuis plusieurs années, ont été récemment exploités de façon active par les NMPP et sont susceptibles de lui porter une atteinte grave et immédiate,
à la lumière de ces éléments, le Conseil de la concurrence a correctement apprécié l’existence d’une atteinte grave et immédiate à ses intérêts et qu’il a, par conséquence, prononcé à bon droit la mesure conservatoire visée à l’article 1 de la décision attaquée,
juger, en conséquence, les demandes d’annulation formée par les NMPP à l’encontre de cette mesure irrecevables à tout le moins infondées et les rejeter,
* à titre subsidiaire, constater que :
le refus d’accès direct qui lui est opposé par les NMPP peut constituer un refus de contracter injustifié mis en oeuvre par une entreprise en position dominante,
un tel comportement est susceptible de constituer une pratique prohibée par les dispositions de l’article L. 420-2 du Code de commerce et de l’article 82 du Traité CE,
le Conseil de la concurrence a considéré, à juste titre, que les pratiques qu’elle dénonce sont de nature à accroître ses difficultés, voire même à en constituer la cause première , et que l’ensemble des éléments qu’elle a communiqués montrent que les effets du refus
d’accès à Presse 2000, qui perdurent certes depuis plusieurs années, ont été récemment exploités de façon active par les NMPP et sont susceptibles de lui porter une atteinte grave et immédiate,
à la lumière de ces éléments, le Conseil de la concurrence a correctement apprécié l’existence d’une atteinte grave et immédiate à ses intérêts et qu’il a, par conséquence, prononcé à bon droit la mesure conservatoire visée à l’article 1 de la décision attaquée,
juger, en conséquence, les demandes d’annulation formées par les NMPP à l’encontre de cette mesure irrecevables à tout le moins infondées et les rejeter,
* à titre très subsidiaire, saisir la cour de justice des communautés européennes à titre préjudiciel, sur la base de l’article 234 du Traité CE ;
Vu la lettre adressée le 10 octobre 2005 par le président du conseil de la concurrence aux termes de laquelle il indique que, en l’état de la procédure, le conseil estime ne pas devoir présenter d’observations sur l’argumentation développée par les NMPP , la question du caractère d’infrastructure essentielle ou non du tronc commun du logiciel Presse 2000 ne lui paraissant pas pouvoir être tranchée avant l’examen au fond de cette affaire toujours en cours d’instruction,
Vu les observations écrites du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie déposées le 14 octobre 2005, laissant à l’appréciation souveraine de la cour de décider si la décision attaquée doit être annulée, en ce qu’elle retient comme élément de motivation que des solutions alternatives économiquement raisonnables, même moins avantageuses, semblent inaccessibles aux MLP et en ce qu’elle a prononcé sur ce point une injonction aux NMPP ;
Vu les observations écrites du ministère public, mises à la disposition des parties à l’audience, tendant à voir prononcer l’annulation de l’injonction contestée ;
Ou’ à l’audience publique du 13 décembre 200, en leurs observations orales, les conseils des parties, ainsi que le représentant du ministre chargé de l’économie et le Ministère public, chaque partie ayant été mise en demeure de répliquer ;
SUR CE :
sur la régularité de la déclaration de saisine :
Considérant que les MLP contestent la régularité de la saisine de la cour, formalisée par déclaration au greffe et non par assignation conformément aux dispositions de l’article 10 du décret no 87-849 du 19 octobre 1987, relatif aux recours exercés devant la cour d’appel de Paris contre les décisions du Conseil de la concurrence ;
Mais considérant que ce moyen est inopérant dès lors que le texte précité ne pose aucune règle dérogatoire aux dispositions de l’article 1032 du nouveau Code de procédure civile, qui prévoit que la juridiction de renvoi est saisie par déclaration au secrétariat, en l’espèce, de la cour d’appel ;
Qu’il s’ensuit que la déclaration de saisine des NMPP est recevable ; sur le fond :
Considérant que, après avoir retenu que, dans l’hypothèse où les MLP ne pourraient installer leur propre système parallèlement à celui des NMPP, le défaut d’accès direct au tronc commun de Presse 2000 pourrait constituer un handicap concurrentiel de nature à compromettre leur activité, le conseil de la concurrence a, aux termes de la décision critiquée, estimé qu’il n’est pas exclu, à ce
stade de l’instruction, que le refus d’accès direct opposé par les MLP puisse constituer une pratique prohibée par les dispositions de l’article L.420-2 du Code de commerce ;
Considérant, en droit, que pour déterminer si un produit ou un service est indispensable afin de permettre à une entreprise d’exercer son activité sur un marché déterminé, il convient de rechercher s’il existe des produits ou des services constituant des solutions alternatives, même si elles sont moins avantageuses, et, des obstacles techniques, réglementaires ou économiques de nature à rendre impossible, ou du moins déraisonnablement difficile, pour toute entreprise qui entend opérer sur ledit marché, de créer, éventuellement en collaboration avec d’autres opérateurs, des produits ou services alternatifs;
Que, en outre, pour pouvoir admettre l’existence d’obstacles de nature économique, il doit à tout le moins être établi que la création de ces produits ou services n’est pas économiquement rentable pour une production à une échelle comparable à celle de l’entreprise contrôlant le produit ou le service existant ;
Considérant, en l’espèce, que la cour doit donc rechercher si des solutions alternatives économiquement raisonnables, fussent-elles moins avantageuses que celles dont bénéficient les NMPP, ne pourraient être mises en oeuvre par les MLP à défaut d’un accès direct et automatique au tronc commun du logiciel Presse 2000 et de constater qu’un tel accès serait indispensable à l’exercice de son activité ;
Considérant que les MLP soutiennent que le Conseil de la concurrence a justement considéré que le tronc commun du logiciel PRESSE 2000 est susceptible de constituer une infrastructure essentielle dès lors que, d’abord, l’accès à ce tronc commun leur est indispensable pour exercer durablement leur activité sur le marché des messageries de
presse, ensuite, que l’accès manuel actuellement en place ne constitue pas une solution alternative à l’accès automatique, enfin, qu’elles ne sont pas en mesure de développer un logiciel équivalent à PRESSE 2000, compte tenu des obstacles techniques et financiers que le développement d’un tel logiciel et son déploiement impliqueraient ;
Considérant, en premier lieu, que, s’agissant de l’accès manuel actuellement en place, les MLP font valoir que cet accès ne constitue pas une solution alternative économiquement raisonnable dès lors qu’il ne permet qu’une interopérabilité partielle et très dégradée entre le tronc commun du logiciel PRESSE 2000 et ses propres logiciels de sorte que son activité ne peut être exercée dans des conditions concurrentielles lui permettant de se maintenir sur le marché dans la mesure où elle se trouve dans l’impossibilité de présenter une offre commerciale compétitive ;
Mais considérant qu’il est établi, et non contesté, que les MLP ont mis en place un logiciel, dénommé EDGAR, qui leur permet, depuis près de 5 ans, d’adapter les quantités livrées au réseau et de communiquer avec ce dernier ;
Que, certes, si les informations échangées entre les MLP et les dépositaires doivent être ressaisies manuellement par ces derniers pour être utilisées par PRESSE 2000 à destination des diffuseurs et, réciproquement, les informations en provenance de ces derniers doivent de même être recopiées de PRESSE 2000 sur disquette pour être transférées dans le système d’information des MLP, la durée quotidienne de ces manipulations étant estimée à une heure, force est de constater que ces saisies manuelles permettent d’assurer le transfert des données nécessaires au fonctionnement des logiciels des MLP ;
Qu’il s’ensuit que les MLP ne sont pas dans l’impossibilité
d’exercer, faute d’un accès direct au tronc commun du logiciel PRESSE 2000, leurs activités, mais seulement confrontées à certaines contraintes techniques maîtrisables qui ne sauraient dès lors être qualifiées de difficultés déraisonnables, ainsi que le démontre la situation actuelle ;
Considérant, en deuxième lieu, que les MLP soutiennent, après avoir admis devant le Conseil de la concurrence, qu’elles étaient en mesure matériellement et financièrement de concevoir un logiciel équivalent à Presse 20000 (point 52 de la décision), que s’il était » théoriquement » possible de développer un tel logiciel, en réalité les contraintes techniques et financières rendent cette solution inenvisageable ;
Que, sur le plan technique, elles font valoir, qu’elles ne sont pas en mesure de développer un logiciel répondant aux attentes des dépositaires, c’est à dire répondant à une configuration identique à celle du logiciel PRESSE 2000, d’autant qu’ils seraient désormais familiarisés à l’utilisation de ce logiciel qui constituerait pour eux la norme ;
Mais considérant, d’une part, qu’il résulte d’une lettre du président du syndicat national des dépositaires de presse, datée du 8 janvier 2004, que les dépositaires ne sont pas opposés à la mise en place d’un nouvel outil informatique par les MLP, ils y travaillent d’ailleurs au sein d’une commission spéciale ;
Qu’il se déduit de cette prise de position que, contrairement aux prétentions des MLP, la réalisation d’un outil informatique qui leur serait propre ne se heurte donc à aucune opposition de principe des dépositaires ;
Considérant que, sur le plan financier, les MLP prétendent que le coût total de l’investissement estimé à près de 20 ME, est
manifestement déraisonnable eu égard à son chiffre d’affaires et à la faiblesse de ses capitaux propres ;
Mais considérant qu’il convient, d’abord, de souligner que les MLP peuvent concevoir dans un premier temps un logiciel dont les fonctionnalités répondraient à ses besoins réels, qui ne sont pas, du fait de ses activités, de même nature que ceux des NMPP, pour ensuite le faire évoluer si le développement et l’évolution de leurs activités le rendaient nécessaire ;
Qu’enfin, la référence faite par les MLP, au coût allégué au regard de sa taille et de son volume d’activité, n’est pas pertinente dès lors qu’il lui appartient d’établir que la création de son propre logiciel ne serait pas, en application du principe précédemment énoncé, économiquement rentable pour un service à une échelle comparable à celui des NMPP ;
Qu’en effet, force est de constater qu’une telle démonstration n’est pas apportée par les MLP ;
Considérant, en troisième lieu, que les NMPP critiquent le Conseil de la concurrence en ce qu’il a exclu des solutions raisonnables telle que la constitution par les MLP d’un réseau de dépositaires qui lui serait propre en se bornant à accepter, sans la discuter, l’affirmation des MLP selon laquelle un tel réseau ne serait pas rentable à son échelle ;
Considérant que les MLP font effectivement valoir que la création d’un tel réseau doit être exclue en comparant le coût, qu’elles estiment à 60ME, à son propre chiffre d’affaires et à ses propres résultats ;
Or, considérant que, outre le fait que les MLP ne produisent aucune analyse économique ou financière de nature à étayer leurs allégations, elles ne contestent pas se passer des services des dépositaires de Paris et de la proche banlieue pour y assurer seule
la distribution de ses publications ( cf : avis no 02-A-08 du Conseil de la concurrence ) ; qu’ainsi, en assurant par elles-mêmes la distribution de prés de 1900 diffuseurs ou encore des 750 points de vente RELAY sans recourir ni au réseau de dépositaires des NMPP, ni à l’utilisation du logiciel PRESSE 2000, les MLP démontrent que la création d’un réseau de distribution propre ne serait pas, contrairement à ses allégations, irréaliste ;
Considérant, encore, qu’il convient de relever que l’affirmation exprimée par les MLP, selon laquelle faute d’un accès au tronc commun du logiciel PRESSE 2000, leur situation serait irrémédiablement comprise, est démentie par la réalité puisqu’il résulte des éléments comptables qu’elles produisent aux débats que leurs produits d’exploitation qui s’élèvent, au titre de l’année 2004, à 54ME, n’a subi, ces dernières années, aucune dégradation ;
Considérant, enfin, que les MLP ne sont pas fondées à soutenir que le refus d’accès direct au tronc commun de PRESSE 2000 constituerait un refus abusif de contracter;
Qu’en effet, le refus exprimé par les NMPP ne saurait constituer un abus de position dominante, pour les motifs précédemment retenus ;
Considérant qu’il en résulte que l’absence d’accès pour les MLP au tronc commun du logiciel PRESSE 2000 n’apparaît pas susceptible, en l’état des éléments produits aux débats, de constituer une pratique contraire à l’article L. 240-2 du Code de commerce ;
Qu’il s’ensuit que, sans qu’il y ait lieu de saisir la CJCE à titre préjudiciel, la décision du Conseil de la concurrence doit être annulé en ce que, à titre conservatoire, elle a accordé aux MLP un accès direct au tronc commun du logiciel PRESSE 2000 ;
Considérant que l’équité commande de na pas faire application des dispositions de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
Annule la décision 03-MC-04 du 22 décembre 2003 du Conseil de la concurrence en ce qu’elle a accordé aux MLP dans un délai de quatre mois un accès direct au tronc commun du logiciel Presse 2000, dans des conditions économiques équitables, en mettant en place- pour chaque dépôt qui le souhaiterait et selon des modalités qui devront faire l’objet d’un accord entre les parties concernées- un transfert automatique de fichiers entre le système informatique des MLP, TID ou équivalent, et Presse 2000. Dans un délai de quatre mois au plus tard à compter de la notification de la présente décision, il sera rendu compte au Conseil par les parties des dispositions prises par la société NMPP pour se conformer à cette injonction,
Dit n’y avoir lieu à faire application des dispositions de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Met les dépens à la charge de la société les Messageries Lyonnaises de Presse. LE GREFFIER,
LE PRÉSIDENT,