Cour d’appel de Paris, CT0175, du 29 mars 2005

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Cour d’appel de Paris, CT0175, du 29 mars 2005

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

République française

Au nom du Peuple français

COUR D’APPEL DE PARIS

1ère Chambre – Section H

ARRÊT DU 29 MARS 2005

(no , 11pages) Numéro d’inscription au répertoire général :

2004/19930 Décision déférée à la Cour : no 04-D-44 rendue le 15 septembre 2004 par le Conseil de la concurrence DEMANDERESSES AUX RECOURS : – S.A.R.L. FILMDIS prise en la personne de son gérant Jean Max Philippe X… ayant son siège social :

106 bis, rue Victor Severe 97200 FORT DE FRANCE représentée par la SCP DUBOSCQ PELLERIN, avoués associés près la Cour assistée de Maître Renée GALENE, avocat au barreau des HAUTS DE SEINE 57 bis, rue Charles Laffitte 92200 NEUILLY SUR SEINE – S.A.R.L. CINESOGAR prise en la personne de son gérant Jean Max Philippe X… ayant son siège social : CINEMA REX – Rue Rene Wachter 97110 POINTE A PITRE représentée par la SCP DUBOSCQ PELLERIN, avoués associés près la Cour assistée de Maître Renée GALENE, avocat au barreau des HAUTS DE SEINE 57 bis, rue Charles Laffitte 92200 NEUILLY SUR SEINE DÉFENDEUR AU RECOURS : – M. Rosan Y… « CINE THEATRE » Z… de Fontarabie – N 333 A – 97170 PETIT BOURG assisté de Maître Jean-Michel BRAUNSCHWEIG, avocat au barreau de PARIS, toque R 142 13, avenue de l’Opéra 75001 PARIS

EN PRÉSENCE DE : M. LE MINISTRE DE A…, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE 59 boulevard Vincent Auriol 75703 PARIS représenté par M. Michel

B…, muni d’un pouvoir spécial

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 15 Février 2005, en audience publique, prix imposés, et de s’être fondé, pour déclarer le second grief établi, sur des documents qui n’étaient pas annexés au rapport ;

Que M. Y… invoque l’irrecevabilité de ces moyens, faute d’avoir été soulevés devant le Conseil de la concurrence, en se fondant notamment sur l’article 112 du nouveau Code de procédure civile ;

Considérant cependant que le texte précité, qui règle la nullité pour vice de forme des actes de procédure civile, n’est pas

Considérant cependant que le texte précité, qui règle la nullité pour vice de forme des actes de procédure civile, n’est pas applicable à la procédure suivie devant le Conseil de la concurrence ; qu’aucun texte ne limite le droit des parties sanctionnées de soulever des moyens d’annulation devant la cour, étant observé au demeurant qu’en l’espèce, les griefs invoqués par les sociétés Filmdis et Cinésogar procèdent de la décision attaquée ; que ces griefs sont donc

recevables ;

Considérant qu’aux termes des dispositions combinées des articles L 463-1 et L 463-2 du Code de commerce, la notification des griefs marque l’ouverture de la procédure contradictoire ; que les entreprises concernées ont, dès ce moment, la faculté de consulter le dossier, de demander, en application des articles 6-3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et L 463-7 du Code de commerce, l’audition de témoins à décharge au rapporteur et au Conseil, lesquels demeurent cependant maîtres de la conduite des investigations, de présenter leurs observations sur ces griefs puis sur le rapport établi en réponse, lequel est accompagné des documents sur lesquels se fonde le rapporteur et peut être consulté dans les quinze jours précédant la séance par les parties, ainsi que de s’exprimer oralement devant le Conseil ; que, ces garanties fondamentales de la procédure devant être impérativement respectées, la notification des griefs doit

devant la Cour composée de :

– M. CARRE-PIERRAT, Président

– M. LE DAUPHIN, Conseiller

– Mme C…, Conseillère

qui en ont délibéré Greffier, lors des débats : M. Benoît TRUET-CALLU MINISTERE D… : représenté lors des débats par M. E…, Avocat Général, qui a fait connaître son avis. ARRET :

– contradictoire

– prononcé publiquement par M. CARRE-PIERRAT, Président

– signé par M. CARRE-PIERRAT, président et par M. DUPONT, greffier présent lors du prononcé. * * *

Dans les trois départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane, où la réglementation édictée par le Centre national de la cinématographie n’est pas applicable, la distribution des films est assurée par la société Filmdis qui achète les droits de diffusion cinématographique payante en salle auprès des producteurs métropolitains ou étrangers.

Cette SARL est détenue, à raison de 97,5% de son capital social, par la société Holding Mediagestion et a pour gérant M. Jean-Max

X… F… assure elle-même l’activité de distribution en Martinique, où elle a son siège, mais est relayée, en Guadeloupe par la société Cinésogar et en Guyanne par une autre société, ces sociétés étant filiales, comme elle-même, de la société Mediagestion et dirigées par M. Jean-Max X…

La société Mediagestion détient également des participations dans plusieurs sociétés exploitant des salles de cinéma aux Antilles.

Par lettre enregistrée le 9 mars 2000, M. Rosan Y…, qui exploite un établissement sous l’enseigne « Ciné-Théâtre » au Lamentin, en Guadeloupe, a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en oeuvre par les sociétés dirigées par M. X…, qu’il

informer précisément les entreprises poursuivies des pratiques reprochées et le Conseil ne saurait -sauf notification de griefs complémentaires à laquelle il lui est loisible de procéder- sanctionner une pratique qui n’a pas été visée dans la notification des griefs, peu important à cet égard qu’elle ait été dénoncée dans le rapport et que les parties s’en soit expliquées devant lui ;

Considérant qu’en l’espèce, il ne résulte pas de la notification des griefs qu’aient été reprochées aux sociétés Filmdis et Cinésogar la pratique d’imposition du prix des places retenue par la décision attaquée, le grief notifié visant l’imposition de prix discriminatoires pour la location des films, et pas davantage celle relative à la clause imposant des réparateurs agréés qui, si elle est évoquée dans la notification au titre des faits constatés (p. 19), n’est pas retenue en tant que pratique anticoncurrentielle ;

Qu’il suit de là que le Conseil de la concurrence a méconnu le principe de la contradiction et que sa décision doit être annulée en ses articles 1, 2, 3, en ce qu’ils visent indistinctement ces deux pratiques ;

III sur le fond

Considérant qu’abstraction faite des deux griefs non notifiés, le Conseil a retenu que les sociétés Filmdis et Cinésogar ont enfreint les dispositions de l’article L 420-2, alinéa 1er, du Code de commerce dès lors qu’étant en position dominante dans le domaine de

la distribution de films et de l’exploitation des salles de cinéma dans les départements de la Martinique et de la Guadeloupe, elles ont inséré dans leurs contrats des clauses imposant aux exploitants de salles indépendants de s’approvisionner en exclusivité auprès d’elles et ont imposé un ordre de passage des films systématiquement défavorable aux exploitants des salles concurrents du groupe X…, des délais de passage excessivement longs et des conditions de estimait anticoncurrentielles.

Par décision no 04-D-44 du 15 septembre 2004, le Conseil de la concurrence a adopté les dispositions suivantes : – article 1er : il est établi que les sociétés Filmdis et Cinésogar ont enfreint les dispositions de l’article L 420-2 du Code de commerce. – article 2 :

sont infligées les sanctions suivantes :

. 45 000 euros à la société Filmdis,

. 5 000 euros à la société Cinésogar. – article 3 : il est enjoint aux sociétés Filmdis et Cinésogar :

. de supprimer la clause mentionnée dans les contrats qui les lient

avec les exploitants de salles de cinéma indépendants leur interdisant formellement de traiter avec un producteur ou un distributeur ou un autre programmateur sans l’accord préalable des sociétés sous-distributrices, sauf dénonciation du contrat et respect d’un préavis de trois mois ;

. de cesser d’imposer un prix des places aux exploitants de salles indépendants ;

. de cesser d’imposer aux exploitants de salles un réparateur agréé par elles, cet entretien pouvant être réalisé par toute entreprise compétente en la matière. – article 4 : il est enjoint aux sociétés Filmdis et Cinésogar de publier leurs catalogues de films disponibles à une fréquence correspondant au rythme de la programmation. – article 5 : il est enjoint aux sociétés Filmdis et Cinésogar, quant à l’ordre et aux délais de passage des films, de respecter les termes de la jurisprudence de la cour d’appel de Paris, en tenant compte des critères liés à la qualité des salles mais sans que cette prise en compte n’ait « pour objet ou pour résultat de défavoriser systématiquement un exploitant par rapport à l’un de ses concurrents

dans sa zone de chalandise ».

LA COUR :

programmation conduisant à une absence totale d’autonomie des salles quant à leur gestion ;

Qu’il a également décidé qu’en raison de la notoriété des films distribués, de l’importance des parts de marché du distributeur dans le chiffre d’affaires des exploitants de salles de cinéma indépendants et de l’impossibilité pour ces derniers d’obtenir d’autres distributeurs des produits équivalents, ces pratiques constituaient un abus de dépendance économique susceptible d’affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence ; . sur la double qualification d’abus de position dominante et de dépendance économique

Considérant que le Conseil a écarté à bon droit le moyen invoqué par les sociétés Filmdis et Cinésogar, tiré de l’impossibilité de retenir simultanément, pour des mêmes faits, la qualification d’abus de position dominante et celle d’abus de dépendance économique, dès lors que ces qualifications supposent des éléments constitutifs distincts

et que la sanction prononcée n’excède pas le maximum légal encouru pour chacune d’entre elles ; que le moyen de la société Filmdis, qui le conteste, n’est pas fondé ;

. sur la société Cinésogar

Considérant que c’est à juste titre que cette dernière reproche au Conseil de n’avoir pas suffisamment caractérisé son autonomie à l’égard de la société Filmdis ni les pratiques qui lui sont imputées personnellement ;

Qu’en effet, le Conseil, pour caractériser l’autonomie de cette société, qui exploite huit salles de cinéma à la Guadeloupe, s’est borné à affirmer qu’en tant que mandataire de la société Filmdis, elle assurait la distribution et la programmation des différentes salles de la Guadeloupe et déterminait de façon autonome l’ordre de

Vu le recours en annulation et en réformation formé par les sociétés Filmdis et Cinésogar le 25 octobre 2004 ;

Vu le mémoire déposé le 24 novembre 2004 par les sociétés Filmdis et Cinésogar à l’appui de leur recours, soutenu par leur mémoire en réplique du 4 février 2005, par lequel ces dernières demandent à la cour : – d’écarter des débats les pièces cotées CA1 et CA15 produites par M. Y… devant la cour en ce qu’elles concernent des faits postérieurs à la décision du Conseil de la concurrence, – de déclarer recevables tous les moyens de procédure et de fond présentés par elles, – à titre principal, de :

. constater la violation du principe du contradictoire inscrit aux articles L 463-1 et L 463-2 du Code de commerce et de celui du respect des droits de la défense et du procès équitable inscrit à l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en ce que le Conseil de la concurrence a retenu deux griefs qui ne figuraient pas dans la notification des griefs, en ce qu’il n’a pas examiné toutes les observations et les demandes formulées par elles dans leurs mémoires du 5 août 2003 et du 29 mars 2004, en ce que deux pièces citées par le rapporteur à l’appui du grief de prix imposés n’ont pas été jointes en annexe au rapport, en ce que le conseil n’a pas procédé à l’individualisation des griefs énoncés respectivement contre les sociétés Filmdis et Cinésogar,

. constater la violation de la règle de droit « non bis in idem » tenant au fait que le Conseil de la concurrence a appliqué cumulativement aux mêmes faits la qualification d’abus de position dominante et celle d’abus de dépendance économique,

. constater la violation de l’article L 463-2 du Code de commerce tenant au fait que le Conseil de la concurrence n’a pas adressé au médiateur du cinéma la notificaiton des griefs et le rapport,

passage des films sans en référer à la société Filmdis ; que cependant, il a relevé simultanément qu’elle était détenue à 95% par la société Mediagestion, société-mère commune avec la société Filmdis ; qu’en outre pour caractériser les pratiques, il a relaté les déclarations des opérateurs entendus au cours de l’enquête qui, tous, se réfèrent à la société Filmdis, soit en elle-même, soit en ce qu’elle est représentée par la société Cinésogar et, après avoir constaté que le médiateur du cinéma avait relevé la position dominante de la société Filmdis (point 85) et que l’ordre de sortie des films était décidé par « M. X… seul, responsable de Filmdis » (point 99), il n’a en définitive imputé qu’à

la société Filmdis les comportements qualifiés de pratiques anticoncurrentielles (points 88 à 92, 106 et 114 notamment) ;

Qu’en l’état de ces motifs, impropres à caractériser l’autonomie de la société Cinesogar et sa participation personnelle aux pratiques imputées, le Conseil n’a pas justifié sa décision de sanctionner cette société ; qu’aucun élément supplémentaire n’étant invoqué devant la cour, il ne peut être considéré comme établi que la société Cinésogar ait enfreint les dispositions de l’article L 420-2 du Code de commerce ; que la décision doit être réformée en tous ses articles de ce chef ; . sur la société Filmdis

– sur les pratiques La clause d’exclusivité

Considérant que le Conseil de la concurrence a retenu que constitue une pratique abusive le fait pour la société Filmdis d’insérer dans son contrat-type une clause, également critiquée par le médiateur du cinéma, qui stipule que l’exploitant « s’interdit formellement de traiter avec un producteur, un distributeur ou un autre programmateur sans l’accord préalable de Filmdis sauf dénonciation du contrat et sous réserve d’un délai de préavis de trois mois », et qu’il « s’engage

à consulter la société Filmdis préalablement à tout contrat envisagé . en conséquence, annuler en toutes ses dispositions la décision déférée et dire que le Trésor D… devra leur restituer les sommes par elles réglées au titre de la sanction pécuniaire prononcée, avec les intérêts de droit à compter de leur paiement, lesdits intérêts devant en outre être capitalisés en application de l’article 1154 du Code civil ; – à titre subsidiaire, de juger que la société Cinésogar n’a pas d’autonomie par rapport à la société Filmdis et prononcer sa mise hors de cause, de juger que les pratiques anticoncurrentielles qui leur sont reprochées ne sont pas établies et, plus subsidiairement, que les faits reprochés bénéficient des dispositions de l’article L 420-4, I-2, du Code de commerce, en conséquence, de réformer la décision et de dire n’y avoir lieu à poursuites à leur encontre et que le Trésor D… devra leur restituer les sommes par elles réglées au titre de la sanction pécuniaire prononcée, avec les intérêts de droit à compter de leur paiement, lesdits intérêts devant en outre être capitalisés en application de l’article 1154 du Code

civil, – plus subsidiairement encore, de constater que les injonctions prononcées sont sans objet et ne sont pas formulées en termes suffisamment clairs, précis et exempts d’incertitude, que les sanctions pécuniaires prononcées ne sont pas proportionnées à la gravité des faits, au dommage à l’économie et à leur situation, en conséquence, de réformer la décision et dire n’y avoir lieu à injonction, ou à sanction, à leur encontre et que le Trésor D… devra leur restituer les sommes par elles réglées au titre de la sanction pécuniaire prononcée, avec les intérêts de droit à compter de leur paiement, lesdits intérêts devant en outre être capitalisés en application de l’article 1154 du Code civil.

Vu les mémoires en réponse et en duplique déposés par M. Y… les 11 janvier 2005 et 9 février 2005, par lesquels celui-ci demande à la cour de déclarer les sociétés requérantes irrecevables et mal fondées

avec un producteur, un distributeur ou un autre programmateur » ;

Considérant que la société Filmdis fait valoir que de nombreux exploitants n’ont pas signé de contrat (4 sur 8 en Guadeloupe), que la clause litigieuse est limitée à trois mois, ce qui correspond au préavis de rupture et au temps nécessaire pour négocier le prix d’un film, qu’elle trouve sa contrepartie dans les services qu’elle rend, à savoir l’assurance pour l’exploitant d’obtenir un film par semaine et la mise à disposition du matériel publicitaire, qu’en fait, elle n’a jamais été appliquée et n’a pas empêché les exploitants de s’approvisionner à d’autres sources, qu’elle n’était assortie d’aucune sanction et qu’en tout état de cause, elle a été supprimée depuis le 1er janvier 2004 ;

Mais considérant que la durée du préavis est sans incidence sur le caractère abusif de cette clause qui, dès lors qu’elle implique la rupture du contrat, a nécessairement pour effet de dissuader les cocontractants de la société Filmdis de s’approvisionner auprès d’autres sources et qui, contrairement à ce qui est prétendu, est dépourvue de justification technique ou commerciale ; que, devant la cour, la société Filmdis ne produit aucun document probant contredisant les constatations du Conseil selon lesquelles tous les

exploitants en Guadeloupe ont signé un contrat avec elle et les rares cas où certains d’entre eux ont eu recours à un approvisionnement alternatif concernaient des films dits « d’arts et essais », que ne propose pas la société Filmdis et qui lui étaient donc indifférents ; qu’enfin, il est indifférent que cette clause ait été supprimée ultérieurement ; L’ordre et les délais de passage des films

Considérant qu’au titre des pratiques abusives, le Conseil de la concurrence a relevé que la société Filmdis a organisé la sortie des films unilatéralement, sans concertation avec les exploitants, dans un ordre de passage désavantageant systématiquement les salles en leur recours, tant en ce qui concerne leurs demandes tendant à voir annuler la décision du Conseil, qu’en ce qui concerne la contestation au fond des griefs, et de confirmer la décision entreprise,

Vu les observations écrites du Conseil de la concurrence en date du 28 janvier 2005,

Vu les observations écrites du Ministre chargé de l’économie, en date du 31 janvier 2005, tendant au rejet du recours,

Vu les observations écrites du Ministère D…, mises à la disposition des parties à l’audience, tendant au rejet du recours,

Ou’ à l’audience publique du 15 février 2005, en leurs observations orales, les conseils des parties et les représentants du Ministre chargé de l’économie et du Ministère D…, chaque partie ayant été mise en mesure de répliquer et le conseil des sociétés requérantes ayant eu la parole en dernier,

SUR CE :

I sur la recevabilité des pièces présentées par M. Y…

Considérant qu’aucun texte n’interdit à la partie saisissante de verser aux débats les documents qu’elle estime nécessaires au soutien de son mémoire, au seul motif qu’ils se réfèrent à des événements survenus après la décision attaquée ; qu’il appartiendra seulement à la cour d’apprécier, le cas échéant, leur pertinence au regard du litige dont elle est saisie ;

II sur la régularité de la procédure suivie devant le Conseil de la concurrence . sur la transmission de la notification des griefs et du rapport au médiateur du cinéma

Considérant que, si, selon l’article 35 du décret no 2002-689 du 30 avril 2002, le Conseil de la concurrence communique au médiateur du indépendantes au profit de celles de son réseau et en leur infligeant des délais excessivement longs ;

Considérant que la société Filmdis conteste les critères de qualité retenus par le Conseil, en faisant valoir que la salle indépendante du Gosier ne dispose pas d’équipements comparables à celles du Rex -qui propose quatre salles et 838 fauteuils contre une salle et 118 fauteuils- et critique l’énonciation selon laquelle la longueur des délais imposés au Ciné-Théâtre, exploité par la partie saisissante, rapprochée de la moyenne arithmétique des délais de passage de l’ensemble des films projetés, était défavorable à cette dernière, aux motifs qu’une telle méthode est simplificatrice et que c’est M. Y… qui « a délibérément choisi d’être approvisionné au forfait et pour un montant qui n’a cessé de baisser »

;

Mais considérant, d’une part, que le nombre de salles et de sièges proposés ne suffit pas à conférer à un établissement cinématographique une supériorité d’équipement ; que, si la société Filmdis produit un tableau selon lequel la salle du Gosier ne disposait pas de gradinage et avait un écran plus petit que les siens, ces faits ne peuvent être tenus pour établis dès lors qu’ils résultent de mentions dont elle indique être l’auteur ;

Que, d’autre part, il n’est pas démontré en quoi la comparaison des délais de passage dans les différentes salles en fonction de leur moyenne arithmétique serait dénuée de pertinence ; que le fait pour un exploitant d’avoir choisi une rémunération au forfait n’est pas de nature à justifier que lui soit imposée une diffusion retardée de huit à neuf semaines en moyenne par rapport à des salles qui ne sont distantes que de dix kilomètres ; La programmation et l’absence de promotion

Considérant, en premier lieu, que la société Filmdis reproche au Conseil d’avoir retenu qu’elle choisissait, seule, des films « grand

cinéma toute saisine relative au secteur entrant dans le champ de sa compétence et si cette autorité a la faculté de déposer des observations qui seront jointes au dossier, ce qui a été le cas en l’espèce, cette disposition n’a pas pour effet de conférer au médiateur du cinéma la qualité de partie à la procédure ; que le grief tiré d’une violation, par le Conseil de la concurrence, de l’article L 463-2 du Code de commerce n’est donc pas fondé ; . sur la violation des droits de la défense et du droit à un procès équitable Considérant que, pour demander l’annulation de la décision de ce chef, les sociétés Filmdis et Cinésogar reprochent au Conseil de la concurrence, d’une part, de ne pas avoir retenu les éléments qui leur étaient favorables, d’autre part, de n’avoir pas répondu à leur demande d’expertise tendant à apprécier la qualité technique des salles ni à leur moyen revendiquant le bénéfice des dispositions de l’article L 420-4, I, 2o du Code de commerce, enfin de n’avoir pas individualisé les griefs reprochés à chacune d’entre elle, en particulier à la société Cinésogar ;

Mais considérant que, la décision étant motivée en fait et en droit,

les vices de la motivation invoqués ne sont pas de nature à justifier son annulation ; qu’il appartiendra seulement à la cour, dans l’exercice de son contrôle de pleine juridiction, d’examiner le bien-fondé des moyens invoqués et, le cas échéant, de réformer la décision ;

Qu’il suit de là que les moyens d’annulation ne sont pas fondés ; . sur la violation du principe de la contradiction

Considérant que les sociétés Filmdis et Cinésogar reprochent au Conseil de la concurrence d’avoir retenu deux griefs qui n’étaient pas visés dans la notification de griefs, soit celui visant la clause de recours à un réparateur agréé, et celui visant une pratique de

public » au mépris de la clause du contrat qui prévoit que « la programmation sera effectuée par l’exploitant en accord avec la société Filmdis », alors que cette préférence est justifiée par le fait que c’est elle qui assume les risques économiques liés à l’achat d’un film et qu’il n’appartient pas au Conseil de veiller à l’exécution d’un contrat ;

Mais considérant que le Conseil n’a pas fait grief à la société Filmdis d’avoir programmé exclusivement des films « grand public » ; qu’il a rappelé qu’alors qu’elle s’était engagée contractuellement à associer les exploitants à la programmation, elle n’en avait rien fait, interdisant aux exploitants de formuler un quelconque souhait quant aux films qui leur étaient attribués, et surtout, qu’elle tardait à leur annoncer ce choix, dont ils n’étaient informés qu’à réception des factures de la semaine précédente, les mettant ainsi dans l’impossibilité d’assurer la promotion commerciale, au profit de leurs salles, des films loués ;

Considérant, en second lieu, que la société Filmdis conteste ne pas avoir réalisé la promotion des films qu’elle s’était contractuellement engagée à effectuer, en faisant valoir qu’elle a effectué la promotion globale des films projetés, la promotion spécifique à chaque salle étant la charge de l’exploitant, et que, de toute façon, l’inexécution d’un contrat ne relève pas de la procédure de sanction des pratiques anticoncurrentielles ;

Mais considérant que la requérante ne dément pas ne pas avoir honoré les engagements de promotion spécifique qu’elle avait contractés au

profit de l’exploitant de la salle du Gosier en contrepartie de 5% des recettes de ce dernier ; que, si cette inexécution contractuelle peut donner lieu à une action en indemnisation devant une juridiction de droit commun, elle n’en constitue pas moins une pratique désavantageant un exploitant concurrent du groupe Filmdis ;

– sur le principe de l’abus de position dominante

Considérant que la société Filmdis conteste l’abus retenu en se prévalant des spécificités du secteur d’activité concerné qui, selon elle, l’autorise à privilégier les salles de son groupe dès lors qu’elles attirent un plus grand nombre de spectateurs que celles des exploitants indépendants et sont plus à même d’assurer la promotion d’un film et de lui assurer la meilleure rentabilité économique ;

Mais considérant que c’est à bon droit que le Conseil a retenu à cet égard que, si la nature particulière de l’activité cinématographique, qui relève à la fois de l’art, de l’industrie et du commerce, et la spécificité de ses produits peuvent justifier que les distributeurs déterminent un plan de sortie sélectif, apte à assurer la diffusion la plus large et la plus efficace de l’oeuvre en cause, cette liberté

ne doit pas avoir pour objet ou pour effet de défavoriser systématiquement un exploitant par rapport à l’un de ses concurrents dans sa zone de chalandise ;

– sur le principe de l’abus de dépendance économique

Considérant que la société Filmdis reproche à la décision de ne pas avoir apprécié la situation de dépendance de chaque entreprise, prise individuellement, et de ne pas avoir recherché si leur éventuelle dépendance ne résultait pas d’un choix délibéré de politique commerciale et non d’une nécessité technique, faisant valoir à cet égard qu’elle était seule sur le marché de la distribution avant que les exploitants indépendants ne s’installent, choisissant en connaissance de cause de contracter avec elle dans ces conditions ; qu’elle conteste enfin l’absence de solution alternative, en discutant les constatations du Conseil à cet égard et en lui reprochant de ne pas avoir recherché s’il n’en existait pas au Etats-Unis ou au Canada ;

Mais considérant que l’état de dépendance économique se définit comme

la situation d’une entreprise qui ne dispose pas de la possibilité de substituer à son ou ses fournisseurs un ou plusieurs autres fournisseurs répondant à sa demande d’approvisionnement dans des conditions techniques et économiques comparables ; que la société Filmdis ne conteste pas qu’elle bénéficie d’un monopole de fait sur le marché de la distribution dans les Antilles françaises ni que les contrats qui la lient aux producteurs de films lui accordent les « droits exclusifs d’exploitation dans les territoires concédés » ; qu’elle ne discute pas utilement la constatation selon laquelle les démarches des exploitants vers d’autres fournisseurs sont infructueuses, qui résulte clairement du témoignage de directeur de « l’Office national de l’action culturelle et sportive » de la commune du Moule, en Martinique (point 37) et de la réponse reçue de l’UIP (United International Pictures) par M. Y… (point 36), même si ce distributeur termine ses explications en ajoutant que, de toute façon, il ne disposait pas du film demandé ; qu’elle ne justifie nullement de l’existence des solutions alternatives qu’elle reproche au Conseil de ne pas avoir recherchées ; qu’enfin, la dépendance

économique est une situation objective dont l’origine est indifférente ;

– sur le caractère anticoncurrentiel des pratiques

Considérant que la société Filmdis conteste avoir eu pour objectif d’éliminer les exploitants indépendants, qui sont ses clients, et soutient que les pratiques reprochées n’ont pas eu d’effet anticoncurrentiel, imputant la fermeture des salles concurrentes à la conjoncture économique ;

Mais considérant qu’il a déjà été dit que les pratiques en cause ont eu pour effet de désavantager systématiquement les exploitants individuels par rapport au groupe X… ; que l’objet, comme l’effet, anticoncurrentiels de ces pratiques est donc avéré ;

– sur l’article L 420-4, I, 2o du Code de commerce

Considérant que c’est à tort que la société Filmdis revendique le bénéfice de l’exemption prévue par ce texte, au motif inopérant qu’elle a largement contribué au maintien et au développement de l’activité culturelle aux Antilles, le complexe de Madiana ouvert par elle en octobre 1998 avec ses dix salles supplémentaires en étant la démonstration ;

Qu’en effet, elle ne saurait soutenir qu’elle est à l’origine d’une offre cinématographique diversifiée aux Antilles alors qu’il résulte des éléments ci-dessus mentionnés qu’elle a privé les opérateurs de tout recours à une offre alternative et qu’elle leur a imposé unilatéralement ses propres conditions d’exploitation, en leur ôtant toute latitude dans le choix des films proposés et leur date de diffusion et en s’octroyant des avantages concurrentiels substantiels sur le marché de l’exploitation des films ;

– sur les injonctions

Considérant que les injonctions relatives aux griefs non notifiés ne seront pas reprises ;

Que, si, comme elle prétend, la société Filmdis a supprimé la clause d’exclusivité qui figurait dans son contrat-type, l’injonction qui lui est faite en ce sens ne lui fait pas grief ;

Que l’injonction relative à la publication des catalogues des films à une fréquence correspondant au rythme de programmation n’est pas

inapplicable, dès lors qu’elle ne vise que les films disponibles et non ceux en cours de négociation ;

Qu’enfin, l’injonction de tenir compte, pour l’ordre et les délais de passage des films, de critères liés à la qualité des salles et de ne pas défavoriser systématiquement un exploitant avec lequel la société Filmdis est en concurrence dans sa zone de chalandise est suffisamment claire et précise ;

– sur la sanction pécuniaire

Considérant qu’en tenant compte des énonciations du Conseil relatives à la gravité des pratiques, à l’importance du dommage à l’économie et à la situation individuelle de la société Filmdis, qui ne sont pas utilement discutées par cette dernière et que la cour adopte, le montant de la sanction infligée à cette entreprise doit être ramené, eu égard à l’abandon de deux griefs, à la somme de 30 000 euros ;

Considérant enfin que le présent arrêt constitue le titre ouvrant droit à restitution des sommes versées au titre de l’exécution de la décision déférée, lesdites sommes assorties des intérêts au taux légal à compter de la notification de l’arrêt, valant mise en demeure

; qu’il n’y a donc pas lieu de statuer sur la demande des sociétés Filmdis et Cinésogar tendant à cette restitution ;

PAR CES MOTIFS

PAR CES MOTIFS Sur le recours de la société Cinésogar :

– réforme la décision déférée,

– dit qu’il n’est pas établi que la société Cinésogar a enfreint les dispositions de l’article L 420-2 du Code de commerce ; Sur le recours de la société Filmdis :

– annule la décision en ses articles 1er, 2 et 3, en ce qu’ils se rapportent au grief de pratique de prix imposés et à celui relatif à la clause de réparateur agréé,

– dit qu’il est établi que la société Filmdis a enfreint les dispositions de l’article L 420-2 du Code de commerce,

– inflige à la société Filmdis une sanction pécuniaire de 30 000 euros,

– enjoint à la société Filmdis : . de supprimer la clause mentionnée dans les contrats qui la lient avec les exploitants de salles de ciném


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