Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
1ère Chambre – Section H
ARRÊT DU 28 JANVIER 2005
(no , 9 pages) Numéro d’inscription au répertoire général :
2004/23525 Décision déférée à la Cour : no 04-MC-02 du 09 décembre 2004 par le Conseil de la concurrence DEMANDEUR AU RECOURS : – la société ORANGE CARABE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux ayant son siège social : 41/45, boulevard Romain Rolland 92120 MONTROUGE représentée par la SCP GROPPOTTE BENETREAU, avoués associés à la Cour assistée de Maître Hugues CALVET, avocat au barreau de PARIS 130, rue du Faubourg Saint Honoré 75008 PARIS DÉFENDEURS AU RECOURS : – la société BOUYGUES TELECOM CARAIBE prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège social :
Oasis – Quartier Bois-Rouge 97224 DUCOS représentée par la SCP MONIN, avoué à la Cour assistée de Maître Joseph VOGEL de la SCP VOGEL & VOGEL, avocat au barreau de PARIS 30, avenue d’Iéna 75116 PARIS
– la société FRANCE TELECOM -SA- prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège social : 6, place d’Alleray 75015 PARIS non comparant EN PRÉSENCE DE : – M. LE MINISTRE DE X…, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE 59, boulevard Vincent Auriol 75703 PARIS représenté par M. Michel Y…, muni d’un pouvoir spécial COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 10 Janvier 2005, en audience publique, devant la Cour composée de :
– M. CARRE-PIERRAT, Président
– M. LE DAUPHIN, Conseiller
– Mme Z…, Conseillère
qui en ont délibéré GREFFIER, lors des débats : M. TRUET-CALLU MINISTÈRE A… :
représenté lors des débats par M. B…, Avocat Général, qui a fait connaître son avis. ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par M. CARRE-PIERRAT, président
– signé par M. CARRE-PIERRAT, président et par M. TRUET-CALLU, greffier présent lors du prononcé.
[*
Après avoir, à l’audience publique du 10 janvier 2005, entendu les conseils des parties, les observations de Monsieur le représentant du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et celles du ministère public, les conseil des parties ayant eu la parole en dernier ; *]
La société Orange Cara’be, détenue à 99% par la société Orange Holding, elle-même détenue à 99% par France Télécom, dispose d’une licence d’utilisation de fréquences GSM délivrée par arrêté du 14 juin 1996, modifié par un arrêté du 23 janvier 2002. Cette entreprise a déployé dans les trois départements de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane un réseau de téléphonie mobile et y propose des offres commerciales de services de téléphonie mobile depuis septembre 1996.
La société Bouygues Télécom Cara’be, détenue à 99% par la société Bouygues Télécom, dispose d’une licence d’utilisation de fréquences GSM délivrée par arrêté du 19 juillet 2001. Cette entreprise a déployé une réseau de téléphonie mobile couvant les trois départements des Cara’bes et propose des offres commerciales de services de téléphonie mobile depuis décembre 2000.
Faisant valoir que les sociétés Orange Cara’be et France Télécom mettent en oeuvre diverses pratiques anticoncurrentielles dans le secteur de la téléphonie mobile dans les trois départements français des Cara’bes et soutenant, notamment, que la société Orange Cara’be abuse de sa position dominante sur ce marché en imposant une clause d’exclusivité aux distributeurs de ses produits ainsi qu’au seul réparateur agréé de terminaux dans les Cara’bes, à savoir la société Cétélec Cara’be, en pratiquant pour les tarifs qu’elle propose à ses clients une différenciation excessive et discriminatoire entre les appels on net et les appels off net et en captant la clientèle par des pratiques de fidélisation abusives, la société Bouygues Télécom Cara’be a saisi le Conseil de la concurrence par lettre enregistrée le 9 juillet 2004 et a, accessoirement à sa saisine au fond, demandé sur le fondement de l’article L. 464-1 du Code de commerce, que des mesures conservatoires soient prises à l’encontre des sociétés Orange Cara’be et France Télécom.
Par décision no 04-MC-02 du 9 décembre 2004, le Conseil de la concurrence a dit :
– Article 1er : il est enjoint à Orange Cara’be, à titre conservatoire et dans l’attente d’une décision au fond, de supprimer dans tous les contrats, en cours ou à venir, conclus avec ses distributeurs indépendants les obligations d’exclusivité liant ces derniers, et notamment le quatrième alinéa du premier article du « Contrat d’agent commercial » et les dispositions de l’article 14 du même contrat intitulé « Non concurrence ». Orange Cara’be devra en informer l’ensemble de ses distributeurs indépendants par lettre recommandée avec avis de réception dans un délai maximum de deux mois à compter de la notification de la présente décision. Cette lettre devra comprendre, en annexe, une copie de l’intégralité de la présente décision.
– Article 2 : il est enjoint à Orange Cara’be, à titre conservatoire et dans l’attente d’une décision au fond, de supprimer l’ensemble des obligations d’exclusivité qu’elle impose à Cétélec Cara’be. Orange Cara’be devra informer Cétélec Cara’be de cette mesure par lettre recommandée avec avis de réception dans un délai maximum de deux mois à compter de la notification de la présente décision.
– Article 3 : il est enjoint à Orange Cara’be, à titre conservatoire et dans l’attente d’une décision au fond, de faire en sorte que pour toutes les offres comportant des tarifs différents pour les communications on net, d’une part, et off net, d’autre part, l’écart entre ces tarifs on net et off net ne dépasse pas l’écart entre les coûts qu’Orange Cara’be supporte pour l’acheminement de ces deux types de communications. Orange Cara’be en informera ses clients par mention sur leur prochaine facture et par affichage visible dans les agences France Télécom et les points de vente Orange. Cette mesure devra prendre effet dans un délai maximum de deux mois à compter de la notification de la présente décision.
– Article 4 : il est enjoint à Orange Cara’be, à titre conservatoire et dans l’attente d’une décision au fond, de permettre que ses clients utilisent les points de fidélité qu’ils ont acquis ou dont ils pourraient faire l’acquisition, en tant qu’à valoir venant en déduction du prix de tout achat d’un bien ou d’un service qu’elle propose à sa clientèle, la valeur du point étant celle fixée par Orange Cara’be. Cette dernière en informera ses clients par mention sur leur prochaine facture et par affichage visible dans les agences France Télécom et les points de vente Orange. Cette mesure devra prendre effet dans un délai maximum de deux mois à compter de la notification de la présente décision.
La cour ;
Vu le recours régulièrement formé par la société Orange Cara’be à
l’encontre de la décision susvisée, par voie d’assignation à l’audience du 10 janvier 2005, délivrée à la société Bouygues Télécom Cara’be, à la société France Télécom, au Ministre chargé de l’Economie et au Conseil de la concurrence et aux termes de laquelle la requérante demande à la cour :
– à titre principal, d’annuler la décision déférée,
– à titre subsidiaire, de la réformer,
. s’agissant de la première injonction, en excluant de son champ d’application les 26 boutiques dans lesquelles Orange Cara’be a consenti des investissements significatifs et toute autre boutique dans laquelle elle investirait significativement à l’avenir,
. s’agissant de la deuxième injonction, en prévoyant qu’Orange Cara’be doit recevoir une compensation pour tous les investissements réalisés dans Cétélec Cara’be et non seulement pour la mise à disposition de terminaux,
. s’agissant de la troisième injonction, en lui accordant un délai supplémentaire de mise en oeuvre de deux mois,
. s’agissant de la quatrième injonction,
+ d’une part, en limitant au sein de l’offre alternative « Changez de mobile » qu’Orange Cara’be doit mettre en place, les services que doit proposer Orange Cara’be à ses clients pour leur permettre d’utiliser les points acquis au sein de son programme aujourd’hui appelé « Changez de mobile »à l’achat de minutes de communications par lots, et
+ d’autre part, en accordant un délai supplémentaire de mise en oeuvre de deux mois,
– de condamner la société Bouygues Télécom Cara’be à lui payer la somme de 15.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu le mémoire de la société Bouygues Télécom Cara’be en date du 5
janvier 2005 par lequel cette partie demande à la cour :
– de déclarer irrecevable le recours de la société Orange Cara’be,
– de rejeter sa demande d’annulation et, subsidiairement sa demande de réformation,
– de confirmer la décision no 04-MC-02 du Conseil de la concurrence en l’ensemble de ses dispositions,
– de condamner la société Orange Cara’be à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Ou’ le représentant du ministre chargé de l’Economie en ses observations tendant au rejet du recours et le ministère public en ses conclusions tendant au rejet du recours ;
Sur ce :
Considérant que bien que régulièrement assignée, la société France Télécom n’a pas déposé de conclusions ;
Sur la procédure suivie devant le Conseil de la concurrence :
Considérant que par lettre du 20 septembre 2004, le rapporteur général a, en application des dispositions de l’article 34 du décret no 2002-689 du 30 avril 2002 fixé des délais pour la production d’observations et de pièces justificatives et pour leur consultation par les intéressés ; que conformément au calendrier ainsi fixé, la société Bouygues Télécom Cara’be a déposé le 21 octobre 2004 des observations complémentaires à la saisine qui ont été mises à la disposition de la société Orange Cara’be à compter du 22 octobre 2004 ;
Considérant que par lettre adressée au rapporteur le 24 octobre 2004, la société Orange Cara’be, invoquant l’ampleur et le caractère tardif de ce dépôt, a sollicité un réaménagement de l’ensemble du calendrier de la procédure ; que cette demande s’est heurtée au refus du rapporteur général, exprimé par lettre du 28 octobre 2004 ;
Considérant que la requérante fait grief au Conseil de la concurrence, lequel a refusé d’écarter des débats les observations déposées par Bouygues Télécom Cara’be le 21 octobre 2004, d’avoir violé le principe du contradictoire et méconnu, ce faisant, les dispositions de l’article 6 OE 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Mais considérant que la société Orange Cara’be ne justifie d’aucune atteinte au principe du contradictoire, lequel doit s’apprécier au regard de l’urgence inhérente à la procédure applicable en matière de mesures conservatoires, dès lors qu’elle a disposé d’un temps suffisant pour prendre connaissance et pour répondre utilement, avant la date fixée pour le dépôt de ses propres observations et, à plus forte raison, avant la séance du Conseil du 9 novembre 2004, aux observations par lesquelles la société Bouygues Télécom Cara’be a complété l’argumentation exposée au soutien de sa saisine et précisé, sur des points mineurs, les demandes qui y étaient formulées ;
Qu’il s’ensuit que la demande d’annulation de la décision déférée n’est pas fondée ;
Sur la recevabilité du recours en tant qu’il est dirigé contre le chef de la décision du Conseil de la concurrence déclarant la saisine recevable :
Considérant qu’aux termes de son assignation (p. 15), la requérante fait valoir que « dès lors qu’aucun élément suffisamment probant ne permet de présumer sérieusement l’existence de pratiques anticoncurrentielles imputables à Orange Cara’be, la cour ne pourra qu’annuler la décision attaquée en ce qu’elle a prononcé la recevabilité de la saisine de la société Bouygues Télécom Cara’be » ; Considérant cependant que si le Conseil de la concurrence a, en
accueillant la demande de mesures conservatoires formée par la société Bouygues Télécom Cara’be, nécessairement admis que la saisine était appuyée d’éléments suffisamment probants, le recours n’est pas recevable en tant qu’il vise ce chef de la décision indépendamment de celui relatif aux mesures conservatoires ;
Considérant, en effet, qu’il résulte des dispositions des articles L. 464-7 et L. 464-8 du Code de commerce que le recours en annulation ou en réformation devant la cour d’appel de Paris prévu par ces textes n’est pas ouvert contre les décisions par lesquelles le Conseil de la concurrence estime que les faits invoqués à l’appui de la saisine sont suffisamment probants ;
Sur les mesures conservatoires :
Considérant qu’il résulte des dispositions de l’article L. 464-1 du Code de commerce que le prononcé de mesures conservatoires, lesquelles ne peuvent intervenir que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l’économie générale, à celle du secteur intéressé, à l’intérêt des consommateurs ou à l’entreprise plaignante et doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l’urgence, implique que l’autorité compétente, si elle n’est pas tenue de constater l’existence d’une pratique anticoncurrentielle avec le même degré de certitude que celui requis pour la décision sanctionnant une telle pratique, caractérise une présomption d’infraction raisonnablement forte aux règles de la concurrence ;
Considérant que le Conseil de la concurrence a exactement défini le marché pertinent comme celui de la téléphonie mobile dans les trois départements français de la zone Antilles Guyane ; qu’au demeurant, cette appréciation n’est pas critiquée par la requérante ;
Considérant que la société Bouygues Télécom Cara’be, qui ne le conteste pas davantage, occupe une position dominante sur ce marché ; qu’il suffit de relever ici qu’à la fin du mois de juin 2004, la part de marché d’Orange Cara’be sur le parc de clients actifs de téléphonie mobile était supérieure à 82% ;
Considérant, sur les pratiques ayant motivé le prononcé de mesures conservatoires, que le Conseil de la concurrence a, par des
Considérant, sur les pratiques ayant motivé le prononcé de mesures conservatoires, que le Conseil de la concurrence a, par des motifs complets et pertinents, que la cour fait siens et qui ne sont pas utilement combattus par l’argumentation développée et les pièces produites par la requérante, estimé qu’il peut être raisonnablement présumé que la société Orange Cara’be exploite abusivement sa position dominante sur le marché considéré en imposant une obligation d’exclusivité et, après cessation des relations contractuelles, de non concurrence aux distributeurs diffusant ses services, en imposant des liens d’exclusivité au seul réparateur de terminaux mobiles agréés dans les Cara’bes, en appliquant une tarification préférentielle non justifiée aux appels émis par ses clients à l’intérieur de son propre réseau par rapport à ceux destinés aux clients de Bouygues Télécom Cara’be et, enfin, en mettant en oeuvre certains programmes tendant à la fidélisation de la clientèle ;
Considérant qu’il suffit de relever ici, en premier lieu, que les contrats d’agent commercial liant la requérante aux distributeurs indépendants, lesquels assurent l’essentiel des ventes d’Orange Cara’be puisque celles réalisées dans les agences France Télécom, autres distributeurs exclusifs des services de téléphonie mobile proposés par Orange Cara’be et des téléphone associés à ceux-ci, ne représentent que 18% des ventes à destination du marché résidentiel et 27% de celles aux entreprises, prévoient systématiquement que
l’agent s’oblige à représenter à titre exclusif le service d’Orange Cara’be et s’interdit, en conséquence, d’accepter la représentation d’un service concurrent sans l’accord exprès et préalable d’Orange Cara’be que celle-ci « peut refuser à son entière discrétion » ; qu’il est en outre stipulé, sous la mention « Non concurrence » que l’agent s’engage à ne pas distribuer de quelque manière que ce soit, aux Antilles, de services de radiotéléphonie substituables au service d’Orange Cara’be, sauf accord écrit et préalable de cette dernière, et que cette obligation de non concurrence s’applique pendant la durée du contrat et deux ans après sa cessation ;
Considérant que de telles clauses, faisant obstacle à la distribution multimarque, entravent l’accès au marché de la distribution dès lors que Bouygues Télécom Cara’be doit, pour trouver des distributeurs indépendants qualifiés et disposant d’un emplacement attractif, sur de petits territoires, faire des efforts bien supérieurs à ceux qu’il aurait besoin de fournir dans des conditions de concurrence normale, alors surtout que cet opérateur est arrivé sur le marché quatre ans après Orange Cara’be ; qu’il importe peu, sous l’angle de la licéité de cette pratique, reprochée à une entreprise en position dominante, que la requérante ait, comme elle l’affirme, consenti des investissements significatifs pour l’aménagement de certaines boutiques, en vue de la mise en place de la marque Orange ;
Considérant, en deuxième lieu, que le « contrat de services de maintenance » conclu entre Orange Cara’be et la société Cételec Cara’be, seul réparateur de téléphones mobiles agréé par les constructeurs de ces appareils pour la zone géographique en cause, fait obligation à Cételec Cara’be de ne pas effectuer, de quelque manière que ce soit, directement ou indirectement, sur le territoire, de prestations de maintenance de mobiles au profit d’un concurrent et de ses clients pendant la durée dudit contrat, sauf accord écrit et
préalable d’Orange Cara’be ;
Que l’exclusivité ainsi imposée à Cételec Cara’be au profit d’Orange Cara’be, qui a pour effet d’interdire à Bouygues Télécom Cara’be l’accès aux prestations locales de réparation de téléphones dès lors que cet opérateur n’a pas une activité suffisante pour se doter de son propre centre de réparation en raison de l’importance des coûts fixes liés au la mise en place d’un tel centre, est de nature à augmenter ses coûts et à dégrader l’image du service offert au consommateur par cet opérateur compte tenu des délais nécessaires à la réparation dans un centre métropolitain et, par voie de conséquence, à susciter la migration de clients au profit de l’opérateur dominant et à rendre plus difficile l’acquisition de nouveaux clients ; qu’est inopérante au regard de la qualification que peut recevoir le comportement ainsi imputé à Orange Cara’be l’invocation par cette dernière des investissements consentis pour l’installation et le fonctionnement de Cételec Cara’be ;
Considérant, en troisième lieu, que le Conseil de la concurrence a constaté, au vu de l’avis émis sur sa demande, le 14 octobre 2004, par l’Autorité de régulation des télécommunications, que la société Orange Cara’be met en oeuvre une pratique de surtarification des communications passées par ses clients à destination de ceux de la société Bouygues Télécom Cara’be (appels off net) par rapport aux communications passées par ses clients à destination de son propre réseau (appels on net), s’étendant à une partie substantielle de sa gamme tarifaire puisqu’elle s’applique aux communications émises en dépassement du forfait contractuel et aux offres de cartes prépayées lesquelles sont très largement utilisées dans la zone géographique considérée ; que le Conseil relève, en outre, conformément à l’avis de l’ART, et sans être utilement contredit, que les différences de prix de détail entre les appels on net et les appels off net
n’apparaissent pas justifiées par les écarts de coûts d’acheminement de ces appels, au regard des niveaux de prix des terminaisons d’appel facturées par Orange Cara’be, d’une part, et par Bouygues Télécom Cara’be, d’autre part ;
Considérant que cette pratique de discrimination tarifaire non justifiée par une différence objective de situation, appliquée par un opérateur en position dominante, est de nature à renforcer ce dernier par un effet de réseau ou « effet de club » dans la mesure où les clients sont incités à restreindre le volume des appels destinés à l’opérateur concurrent et, lors du premier achat ou d’un renouvellement, à tenir compte du réseau auquel appartiennent leurs principaux correspondants ; qu’il en est d’autant plus ainsi lorsqu’une telle pratique est observée sur un marché étroit (moins d’un million de clients potentiels), ne comportant que deux acteurs aux positions fortement asymétriques ;
Considérant, en quatrième lieu, que le marché de la téléphonie mobile de la zone Antilles-Guyane, où l’on observe pour les départements de la Martinique et de la Guadeloupe un taux de pénétration supérieur à 70%, est un marché mature, où les primo-accédants sont rares, comme le montre la faible croissance, voire la stagnation du parc total, relevée par l’ART (avis susvisé, p. 6) ; que les deux acteurs ayant seuls déployé des réseaux couvrant l’ensemble de la zone considérée ne peuvent, en conséquence, espérer augmenter leur part de marché qu’en proposant des offres attractives aux clients de leur concurrent ;
Considérant que dans un tel contexte, le dispositif de fidélisation de la clientèle mis en oeuvre par la société Orange Cara’be sous la dénomination « Changez de mobile », en vertu duquel sont attribués aux clients titulaires d’un forfait (pré-payé ou post-payé) des points dont le nombre est indiqué sur la facture mensuelle, en fonction
notamment du montant de celle-ci, mais qui ne peuvent être utilisés par l’abonné que par imputation sur le prix d’un nouveau terminal et sous la condition de souscrire un nouvel abonnement d’une durée de 24 mois, à défaut de quoi le client perd le bénéfice des points accumulés, est de nature à produire un effet de cristallisation des écarts de parts de marché en dissuadant le consommateur de faire jouer la concurrence au seul moment où cela lui est possible, c’est-à-dire au terme de sa période d’engagement ;
Considérant, quant à l’atteinte grave et immédiate à l’économie générale, à celle du secteur intéressé, à l’intérêt des consommateurs ou à l’entreprise plaignante, que les pertes cumulées de la société Bouygues Télécom Cara’be, dont la part de marché était limitée à 17,5% fin juin 2004 après avoir atteint 26% et dont les pertes cumulées étaient proches de 80 millions d’euros fin 2003, sont d’une ampleur telle qu’il existe un risque sérieux de désengagement de Bouygues Télécom, son unique actionnaire, en l’absence de redressement de la situation financière ; que la sortie du marché du seul opérateur de réseau alternatif, qui aurait pour conséquence de soustraire Orange Cara’be à toute pression concurrentielle, ne pourrait qu’entraîner des conséquences négatives pour l’économie du secteur intéressé et l’intérêt des consommateurs ; que le Conseil observe pertinemment que le maintien de Bouygues Télécom Cara’be sur le marché dans les conditions actuelles, impliquant un report des investissements dans les nouvelles technologies nécessaires à l’amélioration du service rendu au consommateur aurait, à terme, des effets proches de ceux de la situation de monopole qu’emporterait le retrait du groupe Bouygues Télécom ;
Considérant que, contrairement à ce que soutient la requérante, les pratiques d’éviction ci-dessus caractérisées, qui tendent à entraver le marché de la distribution au détail et les transferts de clientèle
et à élever les coûts du concurrent, sont, par leur cumul et leur durée, la cause directe et certaine de l’atteinte à l’entreprise plaignante – dont il n’est pas établi qu’elle ait ignoré les spécificités du marché antillo-guyanais, sur lequel elle a fortement investi – et, à travers elle, au secteur concerné et aux intérêts des consommateurs ;
Considérant que, sous réserve de la précision ci-après apportée quant au délai d’exécution des troisième et quatrième injonctions, les mesures conservatoires prises par le Conseil de la concurrence, proportionnées à l’atteinte relevée, sont strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l’urgence ;
Considérant, à cet égard, d’abord, s’agissant des mesures relatives aux obligations d’exclusivité pesant sur les distributeurs d’Orange Cara’be et sur la société Cételec Cara’be, que la situation ci-dessus décrite impose la levée sans condition ni réserve de l’ensemble de ces obligations, cette mesure n’ayant pas, au demeurant, pour conséquence de priver Orange Cara’be du bénéfice commercial lié aux investissements dédiés à la marque Orange ;
Considérant, ensuite, qu’en donnant injonction à l’opérateur dominant de faire en sorte que pour toutes les offres comportant des tarifs différents pour les communications on net, d’une part, off net, d’autre part, l’écart entre ces tarifs ne dépasse pas l’écart entre les coûts qu’Orange Cara’be supporte pour l’acheminement de ces deux types de communication, le Conseil n’a pas pour autant retiré à cette dernière la maîtrise de ses prix de détail ni « interdit la souplesse nécessaire pour une bonne politique commerciale adaptée aux besoins des consommateurs »
Considérant, encore, qu’Orange Cara’be ne rapporte pas la preuve de l’inadaptation alléguée du champ d’application de la quatrième injonction relative à l’utilisation des points acquis dans le cadre
son programme de fidélisation aujourd’hui dénommé « Changez de mobile », étant rappelé que les points acquis par l’abonné ne peuvent être actuellement dépensés que pour l’achat d’un bien, à savoir un téléphone mobile ;
Que la requérante est en revanche fondée en sa demande tendant à ce que les délais maximum de mise en oeuvre des troisième et quatrième injonctions soient portés à quatre mois à compter de la date de notification de la décision déférée, eu égard notamment aux impératifs techniques liés aux modifications à apporter à son système de facturation et aux dispositions de l’article L. 121-84 du Code de la consommation issues de la loi no 2004-669 du 9 juillet 2004 selon lesquelles tout projet de modification des conditions contractuelles de fourniture d’un service de communications électroniques est communiqué par le prestataire au consommateur au moins un mois avant son entrée en vigueur ;
Considérant qu’il y a lieu de rejeter les demandes réciproquement formées en application des dispositions de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Par ces motifs :
Rejette le recours en annulation formé par la société Orange Cara’be ;
Réforme la décision no 04-MC-02 du 9 décembre 2004 du Conseil de la concurrence mais seulement en ce qu’elle a fixé à deux mois à compter de la notification de ladite décision le délai maximum de mise en oeuvre des troisième et quatrième injonctions ;
Et statuant à nouveau de ce chef :
Fixe à quatre mois à compter de la notification de la décision susvisée du Conseil de la concurrence le délai maximum de mise en oeuvre des troisième et quatrième injonctions par la société Orange
Cara’be ;
Rejette toute autre demande ;
Condamne la société Orange Cara’be aux dépens. LE GREFFIER,
LE PRÉSIDENT,