Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
1ère Chambre – Section H
ARRÊT DU 22 FÉVRIER 2005
(no , 13 pages) Numéro d’inscription au répertoire général :
2004/14592 Décision déférée à la Cour : no04-D-39 rendue le 03 août 2004 par le Conseil de la concurrence DEMANDERESSES AUX RECOURS : – la société TECHNIQUE D’ABATTAGE DE LAVAL « STAL » agissant poursuites et diligences de son président directeur général ayant sont siège :
202 rue du Bas des Bois 53000 LAVAL représentée par Maître Frédéric LALLEMENT de la SCP BOLLING-DURANT-LALLEMENT, avoués associés au barreau de PARIS assistée de : – Maître David TAYAR, avocat au barreau de PARIS 69, boulevard Haussman 75008 PARIS – Maître Pascal BELMIN, avocats au barreau de PARIS 2-4, rue Paul Cézanne 75008 PARIS – la société MAYENNE VIANDE agissant poursuites et diligences de son Président Directeur Général ayant son siège social : 162 rue du Bas des Bois – BP 1007 – 53010 LAVAL CEDEX représentée par Maître François TEYTAUD, avoué près la Cour assistée de Maître Sabine ABBOU, avocat au barreau de PARIS 42, avenue Montaigne 75008 PARIS – la société LES FERMIERS DE L’ERVE agissant poursuites et diligences de son gérant ayant son siège : MAIRIE – 53270 BLANDOUET représentée par Maître François TEYTAUD, avoué près la Cour assistée de Maître Sabine ABBOU, avocat au barreau de PARIS 42, avenue Montaigne 75008 PARIS – la société PRIVILEG agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux Ayant son siège : 2002 rue du Bas des Bois – BP. 0213 – 53002 LAVAL CEDEX représentée par Maître Jean-Loup PEYTAVI de la SCP NARRAT-PEYTAVI, avoués associés près la Cour assistée de
Maître Mireille ABENSOUR-GIBERT, avocat au barreau de PARIS 9, place no04-D-39 du 3 août 2004, adopté la dispositions suivantes : – article 1er : il n’est pas établi que la CAL et les sociétés Erve Finance, ABG Mochel et Alsace Viande ont enfreint les dispositions de l’article L 420-1 du Code de commerce. – article 2 : il est établi que la STAL et les sociétés Mayenne Viande, Les Fermiers de l’Erve et Privileg ont enfreint les dispositions de l’article L 420-1 du Code de commerce. – article 3 : sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :
. à la STAL une sanction de 42 000 euros,
. à la société Privileg, une sanction de 416 500 euros,
. à la société Mayenne Viande, une sanction de 542 500 euros,
. à la société Les Fermiers de l’Erve, une sanction de 15 000 euros. – article 4 : dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, la STAL et les société Mayenne Viande, Les Fermiers de l’Erve et Privileg feront publier la présente décision à partir du titre « En ce qui concerne la qualification des pratiques relevées », soit les paragraphes 144 à 171, et le dispositif
de celle-ci, à frais communs et à proportion des sanctions pécuniaires, dans une édition de « Ouest France » diffusée dans le département de la Mayenne. Cette publication sera précédée de la mention « Décision no 04-D-39 du 3 août 2004 du Conseil de la concurrence relative à des pratiques mises en oeuvre par les sociétés STAL, Mayenne Viande, Les Fermiers de l’Erve et Privileg ». – article 5 : le présent dossier est transmis au procureur de la République en application de l’article L 462-6 du livre IV du Code de commerce.
LA COUR :
Vu les recours formés le 1er septembre 2004 par les sociétés Mayenne Viande et Les Fermiers de l’Erve et le 2 septembre 2004 par la STAL et par la société Privileg,
Vu le recours incident formé le 4 octobre 2004 par le Ministre chargé
des ternes 75848 PARIS CEDEX 17
DEMANDEUR AU RECOURS INCIDENT : – M. LE MINISTRE DE X…, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE 59 boulevard Vincent Auriol 75703 PARIS représenté par M. Michel Y…, muni d’un pouvoir spécial DÉFENDERESSE AU RECOURS : – la S.A.R.L. ERNEE VIANDES La Favrie Torce – 35370 ARGENTRE DU PLESSIS représentée par la SCP FISSELIER – CHILOUX – BOULAY, avoués à la Cour assistée de Maître MASSART, avocat au barreau de PARIS PARTIES INTERVENANTES : – le SYNDICAT NATIONAL DU COMMERCE DU PORC – SNCP représenté par son Président délégué M. Paul Z… ayant son siège : 17, place des Vins de France 75012 PARIS représenté par la SCP MENARD-SCELLE-MILLET, avoués à la Cour assisté de Maître Alain DELESTRE, avocat au barreau de PARIS – la FÉDÉRATION NATIONALE DES EXPLOITANTS D’ABATTOIRS PRESTATAIRES DE SERVICES (FNEAP) représentée par son président M. Marcel A… ayant son siège : 91 avenue de la République 75540 PARIS représentée par la SCP MENARD – SCELLE-MILLET, avoués à la Cour assistée de Maître Michèle SALCZER, avocat au barreau de PARIS – la FÉDÉRATION NATIONALE DE L’INDUSTRIE ET DES COMMERCES EN GROS DES VIANDES « FNICGV » agissant en la personne de ses représentants légaux ayant son siège : 17 Place des Vins de France 75012 PARIS représentée par la SCP MENARD – SCELLE-MILLET, avoués à la Cour assistée de Maître Claudie GUET, avocat au barreau
de PARIS – M. Bernard B… 38 rue Constantin Matéi 53810 CHANGE représenté par la SCP JOBIN, avoués à la Cour Maître Sabine GUEROULT, avocat au barreau de PARIS 7, avenue Niel 75017 PARIS
– M. Jean-Pierre C… 11 rue Gaultier de Vaucenay 53000 LAVAL représenté par la SCP JOBIN, avoués à la Cour Maître Sabine GUEROULT, avocat au barreau de PARIS 7, avenue Niel 75017 PARIS – M. Marcel D… 25 rue René Diehl 53000 LAVAL représenté par la SCP JOBIN, avoués à la Cour Maître Sabine GUEROULT, avocat au barreau de PARIS
de l’économie,
Vu l’exposé des moyens déposé le 1er octobre 2004, soutenu par le mémoire en réplique du 13 décembre 2004, par lequel la STAL poursuit, à titre principal, l’annulation de la décision, à titre subsidiaire, sa réformation, et réclame une somme de 3000 euros à la société Ernée Viandes sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Vu le mémoire déposé le 4 octobre 2004, soutenu par le mémoire en réplique du 13 décembre 2004, par lequel la société Privileg poursuit, à titre principal, l’annulation des articles 2 à 5 de la décision, à titre subsidiaire la réformation de son article 3 par réduction du montant de la sanction pécuniaire qui lui a été infligée, à titre infiniment subsidiaire, la réformation de son article 5 décidant la transmission du dossier au procureur de la République, et réclame à la société Ernée Viandes une somme de 3000 euros en application de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Vu le mémoire déposé le 4 octobre 2004, soutenu par le mémoire en réplique du 13 décembre 2004, par lequel les sociétés Mayenne Viande et Les Fermiers de l’Erve demandent à la cour, à titre principal, d’annuler la décision, le Conseil de la concurrence étant incompétent ratione materiae sur le fondement notamment de l’article L 410-1 du Code de commerce, et de dire n’y avoir lieu à application de l’article L 420-1 et suivants du même Code, à titre subsidiaire, de réformer la décision en réduisant le montant des sanctions qui leur ont été infligées et de dire n’y avoir lieu au renvoi des personnes physiques devant le procureur de la République,
Vu l’exposé des moyens assortissant la déclaration de recours
incident ainsi que les observations déposées le 24 novembre 2004 par lesquels le Ministre chargé de l’économie poursuit la confirmation de 7, avenue Niel 75017 PARIS COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 25 janvier 2005, en audience publique, devant la Cour composée de :
– Mme E…, Présidente
– M. SAVATIER, Conseiller
– Mme F…, Conseillère
qui en ont délibéré GREFFIER, lors des débats : M. TRUET-CALLU MINISTÈRE G… : représenté lors des débats par M. WOIRHAYE, avocat général, qui a fait connaître son avis. ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par Mme E…, Présidente
– signé par Mme E…, présidente et par M. TRUET-CALLU, greffier présent lors du prononcé. * * *
L’abattoir public de la ville de Laval, propriété de cette dernière,
est placé sous la tutelle de la Communauté d’Agglomération de Laval (ci-après la CAL).
Depuis le 1er mai 1973, il est exploité, dans le cadre d’un contrat d’affermage, par la Société technique d’abattage de Laval (ci-après la STAL), société anonyme coopérative ayant pour objet « l’abattage d’animaux à l’abattoir public de Laval », dont les membres exercent une activité professionnelle de production et commerce de bétail vif, de commerce en gros, demi-gros et détail en boucherie, en charcuterie et salaisons, ou encore de récupération et transformation de sous-produits.
Aux termes de la convention d’affermage, la STAL est tenue d’assurer les services de l’abattoir aux usagers, soit les propriétaires d’animaux ou leurs mandataires, contre paiement de redevances et droits.
la décision en ce qu’elle condamne la STAL ainsi que les sociétés Privileg, Mayenne Viande et Les Fermiers de l’Erve pour avoir mis en oeuvre des pratiques contraires à l’article L 420-1 du Code de commerce mais demande sa réformation par aggravation des sanctions pécuniaires et propose, pour garantir le respect de la présomption d’innocence de MM. B…, C… et D…, l’exclusion de la mesure de publication des trois paragraphes les concernant,
Vu les conclusions d’intervention volontaire accessoire du Syndicat national du commerce du porc (ci-après le SNCP) au soutien du recours formé par les sociétés Mayenne Viande et Les Fermiers de l’Erve, en date du 10 septembre 2004 et du 18 octobre 2004,
Vu les conclusions d’intervention volontaire accessoire de la Fédération nationale des exploitants d’abattoirs prestataires de service-FNEAP (ci-après la FNEAP) au soutien du recours de la STAL, en date du 15 septembre 2004 et du 1er octobre 2004,
Vu les conclusions d’intervention volontaire accessoire de la Fédération nationale de l’industrie et des commerces en gros des viandes (ci-après la FNICGV) au soutien du recours de la société Privileg en date du 29 septembre 2004, du 18 octobre 2004 et du 13 décembre 2004,
Vu les conclusions d’intervention volontaire de MM. B…, C… et D…, en date du 10 septembre 2004, du 1er octobre 2004, du 18 octobre 2004 et du 13 décembre 2004, par lesquelles ces derniers demandent à la cour, à titre principal, d’annuler la décision, à titre subsidiaire, d’annuler les dispositions de la décision portant une appréciation sur leurs agissements, qui échappent légalement au champ d’investigation du Conseil, d’annuler la mesure de publication, en tout état de cause, de condamner le Trésor public à leur payer à chacun une somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Les principaux usagers de l’abattoir sont : – la société Privileg et la société Mayenne Viande, qui détiennent respectivement 21% et 34% du capital de la STAL, qui ont pour activité la commercialisation de viandes auprès de professionnels et dont les ateliers de découpe sont attenants aux locaux de l’abattoir, – la SARL Les Fermiers de l’Erve, qui détient une part importante du capital de la société Mayenne Viande depuis l’année 2000 et qui commercialise des porcs certifiés, – les sociétés Alsace Viande et ABG Mochel, implantées à Haguenau en Alsace, qui font abattre des porcs achetés auprès de producteurs locaux, – la société Huvial, implantée à Roanne, qui s’est substitué la société Viapal en 1998, spécialisée dans la vente de viandes en gros et l’abattage de truies et de verrats.
Selon un arrêté du ministre de l’agriculture et de la forêt du 30 juillet 1991 « fixant les modalités d’intervention du Fonds national des abattoirs », l’octroi d’une subvention ou d’un agrément d’emprunt en vue de financer des investissements dans un abattoir suppose que le niveau d’activité prévisionnel de l’établissement soit validé par la production d’engagements d’apport par les usagers, dit « tonnage fiscal d’objectif », représentant ensemble au moins 80% du tonnage futur de l’abattoir et garanti par une caution bancaire, les usagers devant, en cas de transfert de leur activité à un tiers, transmettre ces engagements au repreneur.
En mars 1994 et en mars 2000, la ville de Laval a engagé des travaux, qui ont pris fin le 13 juillet 2001, afin de porter à 21 000 tonnes,
puis 28 000 tonnes la capacité d’abattage de son établissement.
A ces occasions, soit en 1994 et 1998, les usagers ont souscrit des conventions d’apport, certains d’entre eux en solidarité, c’est à dire que l’examen annuel de leurs apports effectifs était effectué en cumul avec ceux d’autres usagers, les éventuelles insuffisances des uns pouvant se compenser avec le surplus des autres.
Vu le mémoire déposé le 15 novembre 2004 par lequel la société Ernée Viandes demande le rejet des recours et des interventions et la confirmation de la décision déférée, ainsi que l’allocation d’une somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Vu les observations du Conseil de la concurrence en date du 5 novembre 2004,
Vu les observations écrites du Ministère G…, mises à la disposition des parties à l’audience,
Ou’ à l’audience publique du 25 janvier 2005, en leurs observations orales, les conseils des parties et les représentants du Ministre
chargé de l’économie et du Ministère G…, chaque partie ayant été mise en mesure de répliquer et les requérantes ayant eu la parole en dernier, SUR CE :
– Sur la procédure
Considérant, en premier lieu, que c’est à juste titre que, par conclusions du 17 décembre 2004, la FNICGV demande le rejet des débats des pièces no 11 à 18, produites par la société Ernée Viandes le 13 décembre 2004, soit à l’expiration du délai imparti le 22 novembre 2004 à toutes les parties pour déposer leurs mémoires en réplique, privant ainsi ces dernières de la possibilité d’en prendre connaissance auparavant ;
Considérant, en second lieu, que les dispositions des articles 328 à 330 du nouveau Code de procédure civile, auxquelles il n’est pas dérogé par le décret du no 97-849 du 19 octobre 1987 et qui ne sont pas incompatibles avec la nature propre du contentieux de la concurrence, sont applicables aux procédures suivies devant la Cour sur les recours exercés contre les décisions du Conseil de la
concurrence ;
Que les interventions volontaires accessoires de la FNEAP, du SNCP et L’ensemble de ces engagements représentait en 1998 un total de 22 250 tonnes, soit 79,5% de la nouvelle capacité et les conventions d’apport émanaient de : – la société Privileg : 9150 tonnes (41,12%) – la société Mayenne Viande : 5600 tonnes (25,17%) – la société Huvial : 1750 tonnes (7,87%) – la société Alsace Viande : 1750 tonnes (7,87%) – la société ABG : 1750 tonnes (7,87%) – l’EURL H… : 1250 tonnes (5,62%), en solidarité avec la société Privileg, – la société Les Fermiers de l’Erve : 1000 tonnes (4,50%)
En 1999, l’EURL H…, dont les locaux se trouvaient à Ernée, à une trentaine de kilomètres de Laval, a été mise en liquidation judiciaire.
La société Ernée Viandes, constituée pour la circonstance par deux éleveurs de porcs, a, dans le cadre d’un plan de cession du 21 juillet 1999, prenant effet le 8 juin 1999, acquis son fonds de commerce de découpe et de transformation de viande, en reprenant en
qualité de successeur tous les droits et prérogatives attachés au fonds ainsi que tous les contrats liés à son exploitation.
Bien qu’ayant d’abord, le 3 août 1999, indiqué à la STAL ne pas être intéressée par la reprise du volume d’abattage de la société liquidée, la société Ernée Viandes a informé la CAL, dès le 30 août suivant, qu’elle entendait reprendre le contrat conclu entre l’EURL H… et la ville de Laval.
N’ayant pu obtenir gain de cause malgré ses demandes réitérées, elle a, le 7 février 2002, saisi le Conseil de la concurrence de pratiques qu’elle estimait anticoncurrentielles, mises en oeuvre par la STAL et les sociétés Privileg et Mayenne Viande.
Le Conseil de la concurrence, qui avait notifié des griefs à la CAL, à la STAL, aux sociétés Alsace Viande, ABG Mochel, Privileg, Mayenne Viande, Les Fermiers de l’Erve, ainsi qu’à la société Erve Finances, holding actionnaire principale des deux dernières, a, par décision
de la FNICGV, qui n’étaient pas parties à la procédure suivie devant le Conseil de la concurrence, qui ont la capacité d’ester en justice et qui agissent, conformément à leurs statuts, pour la défense des intérêts professionnels collectifs de leurs adhérents, concernés par la décision déférée, sont recevables ;
Qu’il en est de même de l’intervention volontaire principale de MM. B…, C… et D… qui, se prétendant directement lésés par la décision déférée, articulent des demandes personnelles ;
Considérant, enfin, que, si les sociétés Mayenne Viande et Les Fermiers de l’Erve se plaignent que l’affaire ait été instruite devant le Conseil de la concurrence sans établissement d’un rapport, s’estimant nécessairement lésées du seul fait que l’enquête a été effectuée par les services de la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et que le Conseil n’a, selon elles, procédé à « aucune instruction », elles ne discutent pas la licéité des pièces qui leur ont été opposées et ne précisent pas en quoi elles n’auraient pu librement exercer leurs droits de la défense, se bornant à invoquer le caractère erroné et excessif de la décision rendue, et n’invoquent d’ailleurs aucune violation des articles L 463-1, L 463-2, L 463-3 et
L 464-5 du Code de commerce, applicables à cette procédure ; que leur contestation de ce chef est donc dénuée de fondement ;
– Sur le fond I sur la compétence matérielle du Conseil de la concurrence
Considérant que les sociétés Mayenne Viande et Les Fermiers de l’Erve soutiennent que le Conseil de la concurrence était incompétent pour connaître des faits les concernant car il ne pouvait, sans violer le principe de l’intangibilité des conventions et sans se contredire, retenir, d’un côté, que les conventions d’apport constituaient des contrats administratifs à l’égard de la CAL et, de l’autre, que l’application et l’interprétation qui en avaient été faites par les personnes privées étaient détachables ;
Que la société Privileg, de son côté, fait valoir que l’interprétation des conventions administratives ressort exclusivement aux juridictions administratives ;
Mais considérant qu’échappent à la compétence du Conseil de la concurrence les actes par lesquels les personnes publiques assurent la mission de service public qui leur incombe au moyen de
prérogatives de puissance publique ; que le Conseil a statué à bon droit, et sans se contredire, en retenant, d’un côté, que les conventions d’engagement d’apports passées par la CAL pour répondre aux prescriptions de l’arrêté du 30 juillet 1991 constituent des contrats administratifs conclus pour l’exécution d’une mission de service public dont la validité au regard du droit de la concurrence échappe à sa compétence et, de l’autre, que les agissements des personnes privées, parties à ces contrats, à l’occasion de l’exécution de ceux-ci, ne constituent ni des actes administratifs, ni des actes relevant de l’accomplissement d’une mission de service public de sorte que, dès lors qu’ils sont susceptibles de constituer des pratiques anticoncurrentielles prohibées, ils sont soumis à son contrôle ; II sur les ententes
Considérant qu’aux termes de l’article L 420-1 du Code de commerce, en sa rédaction applicable en la cause, sont prohibées, lorsqu’elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions,
notamment lorsqu’elles tendent à limiter l’accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d’autres entreprises ;
Considérant que le Conseil a retenu que : 1o) les sociétés Mayenne Viande, Les Fermiers de l’Erve, Privileg se sont entendues pour :
interpréter les conventions d’engagements de tonnage souscrites avec la CAL de telle sorte que les engagements détenus par d’autres usagers défaillants leur soient transférés puis, en collusion avec la STAL, se répartir entre elles les tonnages libres et ceux correspondant à des engagements passés avec d’autres usagers et refuser à la société Ernée Viandes l’accès aux services de l’abattoir public de Laval,
. maintenir les tarifs de la STAL à un niveau artificiellement bas au regard des conditions d’exploitation devenues déficitaires à partir de 1996, ce comportement ayant eu pour objet ou pour effet de provoquer à leur avantage une distorsion de concurrence injustifiée, 2o) la STAL a participé à une collusion ou une action concertée avec ses principaux usagers actionnaires qui a eu pour objet ou pour effet de :
. répartir entre ces usagers les tonnages libres et ceux correspondant à des engagements passés dans le cadre des conventions précitées par d’autres usagers,
. refuser à la société Ernée Viandes l’accès aux services de l’abattoir public de Laval dont elle est le fermier ;
Qu’il a estimé que ces agissements avaient empêché la société Ernée Viandes d’avoir accès aux services de l’abattoir public de Laval, la contraignant à recourir à d’autres prestataires à des conditions économiques moins favorables, et avaient engendré une distorsion de concurrence en faveur des principaux usagers historiques de l’abattoir, qui sont aussi ses concurrents directs sur le marché aval de la commercialisation des viandes et sous-produits d’animaux de boucherie au stade de gros et de demi-gros, ces entreprises exerçant la même activité de découpe et préparation de viandes après abattage des animaux, en vue de la vente aux professionnels, bouchers, charcutiers et traiteurs, entreprises agro-alimentaires et de la
grande distribution alimentaire ;
Qu’il a précisé que ce marché est régional, puisqu’il dépend de la possibilité préalable de faire abattre des animaux dans la zone de chalandise sur laquelle interviennent les producteurs, que les abattoirs achètent 90% des porcs vivants dans un rayon de 120 kilomètres autour de leurs installations et que, sur l’aire de chalandise comprise dans un tel périmètre autour de la ville de Laval, les société Mayenne Viande, Les Fermiers de l’Erve et Privileg sont les principales concurrentes de la société Ernée Viandes ;
. sur le marché pertinent
Considérant, tout d’abord, qu’en l’état des énonciations précitées, d’où il ressort que le marché affecté est celui de la viande de porc, c’est en vain que la société Privileg reproche au Conseil de ne pas l’avoir précisé ;
Considérant, ensuite, que cette analyse du Conseil, fondée sur des constatations objectives tirées de l’activité même des entreprises en cause, n’est pas utilement contestée par la société Privileg, laquelle invoque un marché global de la vente de viande de porc fraîche destinée à la consommation humaine, qui est inadapté à la présente espèce en ce qu’il ignore les étapes intermédiaires de cette
commercialisation où, précisément, ces entreprises interviennent ;
Que c’est à tort également que les sociétés Mayenne Viande et Les Fermiers de l’Erve soutiennent, d’une part, qu’elles ne sont pas en concurrence avec la société Ernée Viandes, en prétendant que leur seul point commun avec cette dernière est leur qualité d’usager de l’abattoir, d’autre part, que le marché qui doit être retenu, dans la mesure où « il n’existe pas de concurrence possible entre les usagers d’un abattoir public » et où « la concurrence s’exerce entre les différents abattoirs », est celui de l’abattage des animaux, alors que, ainsi que l’a constaté le Conseil, ces entreprises exercent des
activités similaires donc concurrentes ;
Qu’enfin, si ces sociétés et la STAL, reprochant au Conseil d’avoir déduit la dimension régionale de ce marché du seul fait qu’il est étroitement lié au marché amont de l’abattage des porcs vivants, lui-même régional, soutiennent que ce marché est de dimension nationale, elles ne versent aux débats aucun élément concret, en particulier tiré de leur activité effective, au soutien de cette thèse ; qu’au demeurant, la dimension du marché affecté par les pratiques est sans incidence sur la qualification des ententes en cause ;
Que ces contestations ne peuvent donc être accueillies ;
. sur les pratiques A – sur le refus d’accès aux services de l’abattoir de la ville de Laval
Considérant que le Conseil a, par des constatations qui ne sont pas utilement contestées par les requérantes et par des appréciations pertinentes que la cour adopte (points 26 à 65 et 98 à 128), rappelé la succession de refus essuyée par la société Ernée Viandes -qui, à neuf reprises au moins, d’août 1999 à octobre 2001, a expressément demandé à accéder aux services de l’abattoir municipal- et fait ressortir le caractère discriminatoire, dilatoire ou fallacieux des motifs invoqués pour justifier ces refus (saturation de la capacité de l’abattoir, réalisation de travaux, respect de règles sanitaires, nécessité de demandes écrites et d’un accord unanime du conseil d’administration, interprétation grossièrement erronée des conventions d’apport, exigence de caution bancaire), cependant que les usagers actionnaires de la STAL s’étaient, dès le mois de juin
2000, réparti les tonnages disponibles, sans que soit exigé ni cautionnement, ni avenant aux conventions d’apport originelles, et alors que l’abattoir, pendant la période considérée et en particulier après le 13 juillet 2001, date de fin des travaux, demeurait sous-utilisé ;
Qu’en particulier, c’est à tort que les sociétés Mayenne Viande et Les Fermiers de l’Erve prétendent que, contrairement à ce qu’à retenu le Conseil, elles ont disposé sans discontinuité des cautions bancaires requises puisque ce n’est que le 8 janvier 2002 qu’elles ont obtenu une caution bancaire correspondant à un tonnage validé par une réunion de bureau du 24 juin 2000 (point 111 de la décision) ;
Que, de même, une caution en relation avec un tonnage supplémentaire de 1250 tonnes n’avait pas été requise de la société Privileg, qui s’était attribué le « tonnage H… », alors qu’elle était exigée de la société Ernée Viandes (point 109) ;
Que la société Privileg ne peut être suivie lorsqu’elle prétend que l’engagement d’abattage souscrit par M. H… personnellement ne faisait pas
partie du patrimoine transmis par l’EURL H… et n’avait donc pu être transmis par cette dernière à la société Ernée Viandes, alors que toutes les parties, CAL et STAL comprises, comme elle-même, ont toujours admis le contraire et que, de toute façon, elle ne précise pas à quelle date M. H… a adopté le régime de l’EURL pour exercer son activité professionnelle de découpe et transformation de viande et n’allègue pas que ce dernier aurait conservé une activité distincte en dehors de cette structure juridique dont il était l’unique associé ;
Qu’il en est de même de la FNICGV qui prétend que la STAL, étant soumise aux règles applicables aux coopératives de commerçants détaillants (articles L 124-1 et suivants du Code de commerce), ne pouvait admettre un tiers non associé à bénéficier de ses services, alors que ce motif de refus n’a pas été invoqué auparavant, plusieurs entreprises non associées ayant d’ailleurs souscrit des conventions d’apport, et qu’au surplus, elle ne verse aux débats aucun document établissant ce statut particulier de la STAL ;
Qu’en admettant même que la note manuscrite établie par M. Foulon, président du conseil d’administration de la STAL, au cours de la réunion du 20 avril 2001, visant « le positionnement de la société Ernée Viandes au niveau de la production » ait comporté le commentaire « pas de cohérence amont-aval » et non, comme l’a retenu le Conseil, « pas de concurrence amont-aval », il reste que ce témoin essentiel, entendu en séance par le Conseil, non seulement ne l’a nullement soutenu, mais surtout, a expliqué que la demande de la société Ernée Viandes apparaissait « anormale » car elle émanait d’un éleveur et non d’un grossiste-transformateur et conduisait à un « choc frontal entre des activités totalement différentes » et que l’ »on ne pouvait laisser faire n’importe quoi », corroborant ainsi l’analyse du Conseil selon laquelle les entreprises de découpe et commercialisation de viande associées dans la STAL et usagers de l’abattoir municipal craignaient la concurrence nouvelle d’éleveurs qui se lançaient dans l’activité de découpe en intégrant directement la filière aval de la commercialisation, supprimant ainsi l’échelon intermédiaire où elles-mêmes intervenaient et générant des économies de coût qui
auraient pu se répercuter sur la clientèle ;
Que la concertation en vue d’empêcher la société Ernée Viandes d’accéder au marché étant ainsi démontrée, il importe peu que ne soit pas mesurée avec précision la distorsion de concurrence qui en est résultée en défaveur de cette dernière ;
Qu’au demeurant, à cet égard, c’est à tort que les requérantes soutiennent que les tarifs de la STAL étaient plus élevés que ceux de l’abattoir Abera, qui était d’ailleurs le seul établissement susceptible de se substituer à cette dernière, comme étant le plus proche des locaux de la société Ernée Viandes ; qu’en effet, pour comparer les tarifs des deux établissements, le Conseil de la concurrence a tenu compte des différences de prestations invoquées
par les parties (point 133) et, même en admettant qu’il ait déduit à tort des tarifs de la STAL les taxes d’usage, nationale et locale, qui, selon la FNEAP, ne pèsent que sur les abattoirs publics, il reste que, même en réintégrant ces taxes – selon les taux et la méthode proposés par la société Privileg (1,1050 F/kg et 0,0500 F/kg)- au prix retenu par le Conseil, le prix d’abattage du porc à la STAL ressort à 53,95 F/kg contre 62,48 F/kg chez Abera, soit un avantage de 13,65 % au profit des usagers de l’abattoir de Laval ; 13,65 % au profit des usagers de l’abattoir de Laval ;
Qu’enfin, eu égard à la qualification d’entente dont s’agit, sont inopérantes les considérations des sociétés requérantes relatives à la notion d’abus de position dominante, en ce que qu’elles contestent le caractère de structure essentielle de l’abattoir de la ville de Laval, que le Conseil n’a d’ailleurs nullement visé ; B – sur les tarifs
Considérant que le Conseil a retenu à juste titre que les sociétés Mayenne Viande, Les Fermiers de l’Erve et Privileg s’étaient entendues pour maintenir les tarifs de la STAL à un niveau artificiellement bas au regard des conditions d’exploitation déficitaires de l’abattoir, s’octroyant ainsi un avantage concurrentiel injustifié ;
Qu’il a en effet relevé qu’en dépit d’une dégradation nette et continue du résultat d’exploitation de la STAL (- 296 kF en 1996, – 185 kF en 1997, – 168 kF en 1998, – 334 kF en 1999 et – 1111 kF en
2000) et bien que les résultats négatifs enregistrés au 1er trimestre 2000 aient été exposés au conseil d’administration de la société, lors de sa réunion du 24 mai 2000, les associés avaient alors rejeté la proposition de revalorisation des tarifs que leur proposait M. Foulon, le président ;
Qu’ils ont persisté dans cette attitude à l’occasion des réunions de bureau suivantes, le 24 août 2000 et le 9 novembre 2000, bien qu’ait été évoquée à chaque fois la situation négative de l’entreprise et le statut anormal de la boyauderie -dont les services n’étaient pas facturés aux usagers et coûtaient alors à l’entreprise 120 à 140 kF par mois- et ce, malgré les mises en garde véhémentes de M. Foulon qui s’opposait à une telle position, « contraire à l’éthique d’un administrateur responsable de la gestion d’une société » et leur rappelait que « la STAL n’a pas le droit de fournir de la main d’oeuvre gratuite à ses usagers » ;
Qu’au cours de la réunion de bureau du 24 août 2000, alors que le président avait insisté sur l’urgence à mettre en oeuvre des mesures de redressement en leur communiquant les éléments comptables relatifs
à la boyauderie, ils ont refusé à l’unanimité d’y apporter les correctifs nécessaires, invitant au contraire M. Foulon à alerter la communauté de communes afin qu’une aide financière soit consentie, non seulement à la STAL mais aussi aux usagers ;
Que tel a été le cas en définitive pour partie puisque, par décision du 18 janvier 2001, le conseil communautaire de la CAL a exonéré la STAL du reversement de la taxe foncière pour l’année 2000, d’un montant de 98 602 F, et lui a accordé une subvention exceptionnelle de 230 000 F, ainsi qu’elle le lui avait demandé pour compenser le préjudice subi pendant les travau