Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS 1è chambre, section H ARRET DU 12 FEVRIER 2004 (N , pages) Numéro d’inscription au répertoire général : 2004/00827 Décision déférée à la Cour : décision no03-MC-04 rendue le 22 décembre 2003 par le Conseil de la concurrence DEMANDERESSES AU RECOURS : S.A.R.L. SOCIETE AUXILIAIRE POUR L’EXPLOITATION DES MARCHANDISES Transports De Presse (SAEM) prise en la personne de ses représentants légaux, ayant son siège 5 place des Marseillais 94227 CHARENTON LE PONT CEDEX représentée par la SCP NABOUDET-HATET, avoué à la Cour assistée de Maître F.CHOISEL DE MONTI, Toque P50, Avocat au Barreau de PARIS. S.A.R.L. SOCIETE NOUVELLES MESSAGERIES DE LA PRESSE Parisienne (NMPP) prise en la personne de ses représentants légaux , ayant son siège 52 rue Jacques Hillairet 75012 PARIS représentée par la SCP TEYTAUD, avoué à la Cour assistée de Me Joùlle SALZMANN, avocat au barreau de PARIS, Toque T03. DEFENDERESSE : S.A. SOCIETE MESSAGERIES LYONNAISES DE PRESSES prise en la personne de M.J.C COCHI, président du conseil d’admnistration, ayant son siège 55 boulevard de la Noirée 38070 SAINT QUENTIN FALLAVIER représentée par la SCP HARDOUIN-HERSCOVICI, avoué à la Cour, assistées de Me THIL-THAYARA, avocat au barreau de PARIS, Toque 0372, et de Me Romain FERLA, avocat au barreau de PARIS, Toque G0404, cabinet SALANS. EN PRESENCE DU : MINISTRE CHARGE DE L’ECONOMIE, D.G.C.C.R.F. – bureau B1, 59 Bd Vincent Auriol, 75013 PARIS CEDEX 13 représenté par Monsieur ROSEAU X…, muni d’un pouvoir spécial. COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 22 Janvier 2004, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame RIFFAULT-SILK, présidente
Madame Y…, présidente
Madame MOUILLARD, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Madame DALMAS Z… public :
représenté lors des débats par Monsieur A…, substitut général, qui a fait connaître son avis. ARRET :
– contradictoire
– prononcé hors la présence du public le 12 février 2004 .
– signé par Madame RIFFAULT-SILK, président et par Madame DALMAS, greffier présent lors du prononcé. [*
Après avoir, à l’audience publique du 22 janvier 2004, entendu les conseils des parties, les observations du ministre chargé de l’économie, des finances et du budget, et celles du ministère public ;
Vu les mémoires, pièces et documents déposés au greffe à l’appui des recours ;
La sarl Messageries Lyonnaises de Presse (MLP) a saisi le Conseil de la concurrence, par lettre du 8 août 2003, de pratiques mises en .uvre sur le marché de la distribution de la presse au numéro par la sarl Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne (NMPP) qui détiendrait avec la sarl Société Auxiliaire pour l’Exploitation des Marchandises Transports Presse (SAEM-TP), une position dominante conjointe sur ce marché, reprochant essentiellement à la première de lui refuser un accès direct au logiciel Presse 2000 qui assure la gestion des flux d’informations entre l’entreprise de messagerie, les dépositaires de presse et des diffuseurs, reprochant également aux NMPP certaines pratiques à l’export et aux deux sociétés leurs conditions tarifaires, et a sollicité le prononcé de mesures conservatoires à l’encontre de la société NMPP.
Par décision no 03-MC-04 du 22 décembre 2003, le Conseil de la concurrence (le Conseil), *]a enjoint à la société NMPP, à titre
conservatoire et dans l’attente d’une décision sur le fond, – d’accorder aux MLP dans un délai de quatre mois un accès direct au tronc commun du logiciel Presse 2000, dans des conditions économiques équitables, en mettant en place -pour chaque dépôt qui le souhaiterait et selon des modalités qui devront faire l’objet d’un accord entre les parties concernées- un transfert automatique de fichiers entre le système informatique des MLP, TID ou équivalent, et Presse 2000, étant ajouté que dans un délai de quatre mois au plus tard à compter de la notification de la présente décision, il sera rendu compte au Conseil par les parties des dispositions prises par la société NMPP pour se conformer à cette injonction, – de suspendre la pratique consistant à subordonner la prestation de ses services de distribution sur les marchés export à la condition que l’éditeur ou le groupement d’éditeurs (messagerie ou autre) concerné s’engage à lui confier l’intégralité de ses titres pour l’exportation, -de suspendre le système des remises de fidélité pratiquées à l’égard des éditeurs sur les tarifs de ses services de distribution sur les marchés export, – de ne pas reconduire le système de bonification exceptionnelle figurant dans ses barèmes, *d’office, a enjoint à la société SAEM-TP, à titre conservatoire et dans l’attente d’une décision au fond, – de ne pas reconduire le système de bonification exceptionnelle figurant dans son barème, – de suspendre l’application de la remise de fidélité figurant dans son barème.
La société NMPP et la société SAEM-TP ont formé un recours par voie d’assignations, aux fins d’annulation de cette décision pour non-respect des garanties données à la défense ainsi que des conditions d’application de l’article L. 464-1 du Code de commerce, et demandent subsidiairement sa réformation.
La société NMPP déclare au soutien de sa demande d’annulation que – la procédure qui s’est déroulée devant le Conseil de la concurrence
n’a pas respecté les principes généraux relatifs aux droits de la défense, spécialement le principe d’impartialité et d’égalité de traitement entre les parties, la plaignante ayant eu la possibilité de déposer des observations et des pièces jusqu’au 29 octobre 2003 soit 21 jours après l’expiration du délai qui lui avait été fixé par le rapporteur général, sans que les parties mises en cause aient pu y répondre, – les règles relatives au principe du contradictoire et de l’égalité des armes ont également été bafouées, d’abord du fait de l’acceptation par le Conseil des observations et des pièces tardivement déposées par les MLP, ensuite en raison de la volte-face opérée par le commissaire du gouvernement lors de la séance, sans que les parties mises en cause aient été en mesure de préparer leur défense face à un tel revirement. Elle soutient que les conditions d’application de l’article L. 464-1 du Code de commerce ne sont pas réunies en l’espèce et demande subsidiairement la réformation de cette décision, – le Conseil ayant qualifié à tort le logiciel Presse 2000 de facilité essentielle sans prendre en compte l’existence de solutions alternatives et sans égard pour le caractère exceptionnel que doit conserver toute atteinte au droit de propriété, le caractère abusif des pratiques tarifaires qui lui sont reprochées et leur effet sur l’accès de concurrents éventuels sur le marché n’étant nullement démontrés, pas plus que les griefs relatifs à des pratiques à l’exportation qui concernent un projet de contrat en cours de négociation et ne peuvent dès lors constituer une pratique anticoncurrentielle, qu’enfin les conditions tarifaires qu’elle pratique, qui lui sont imposées par les coopératives détenant la majorité de son capital conformément à la loi du 2 avril 1947 dite loi Bichet, ne peuvent davantage lui être imputées, – les mesures conservatoires adoptées par le Conseil ne sont pas davantage justifiées, la preuve n’étant rapportée ni du lien de causalité exigé
par le texte entre l’atteinte alléguée et les pratiques dénoncées, ni de ce que cette atteinte portée aux intérêts des MLP ou à ceux du secteur intéressé, est non seulement grave, mais aussi immédiate.
La société SAEM-TP invoque également – des atteintes substantielles aux droits de la défense, soit le non-respect du principe d’égalité de traitement entre les parties alors qu’elle-même n’a été attraite en la cause, par le Conseil de la concurrence, que le 10 octobre 2003 et n’a disposé que d’un délai de cinq jours ouvrables pour organiser sa défense, alors que le dossier ne lui avait été transmis que plus de deux mois après son dépôt, – la violation du principe du contradictoire, dès lors que le Conseil a accepté les observations et les pièces déposées tardivement par la société MLP sans laisser aux entreprises mises en cause un délai suffisant pour y répondre, dès lors aussi que le commissaire du gouvernement a radicalement modifié sa position lors de la séance sans laisser aux entreprises visées la possibilité de répondre.
Sur le fond, elle fait grief à la décision attaquée d’avoir mal apprécié la situation qui lui était soumise, et conteste tout à la fois appartenir avec les NMPP à une même unité économique et détenir conjointement avec elle une position dominante sur ce marché. Elle ajoute que les mesures prises par le Conseil sont impossibles à exécuter en ce qui la concerne, puisqu’elle est seulement chargée de mettre en .uvre les barèmes décidés par les trois coopératives représentant 51 % de son capital, conformément aux termes de la loi et à ceux des contrats de groupage et de distribution qui les lient, et conclut subsidiairement à la réformation de la décision du Conseil.
Par conclusions en réponse, déposées le 21 janvier 2004, la société Messageries Lyonnaises de Presse demande à la Cour de constater – qu’il n’a pas été porté atteinte aux garanties données à la défense,
ni aux principes d’impartialité, d’égalité des armes et de respect du contradictoire, – que les conditions d’application de l’article L. 464-1 du Code de commerce sont réunies, dès lors qu’il ne peut être exclu que les pratiques reprochées aux deux sociétés soient prohibées par l’article L. 420-2 du Code de commerce et pour partie à l’article 82 du traité CE, et que ces pratiques qui sont de nature à accroître les difficultés rencontrées par l’entreprise, voire à en constituer la cause première, causent une atteinte grave et immédiate non seulement à elle-même, mais aussi au secteur intéressé.
Elle sollicite le rejet de toutes les demandes des requérantes et leur condamnation à lui payer 50.000 euros au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu’aux dépens d’appel à régler à Maître Hardouin, avoué, conformément aux dispositions de l’article 699 du nouveau Code de procédure civile .
Le ministre chargé de l’économie et le ministère public ont été entendus en leurs observations orales tendant au rejet des recours.
Les requérantes ont eu la parole en dernier.
SUR CE,
I û Sur les moyens de procédure
1. Sur la violation du principe d’impartialité
Considérant qu’il résulte des pièces versées aux débats que – le 8 août 2003, les MLP ont saisi le Conseil de la concurrence d’une plainte dirigée contre la société NMPP dénonçant les pratiques anticoncurrentielles reprochées à cette dernière, et ont présenté une demande de mesures conservatoires, – par courrier du 22 septembre 2003, le rapporteur général du Conseil a imparti à la société MLP un délai expirant le 8 octobre 2003 pour compléter sa saisine, la date de la séance étant fixée au 12 novembre 2003, – par courrier du même jour, les NMPP ont été convoquées à cette séance, un délai expirant le 15 octobre 2003 leur étant imparti pour présenter leurs
observations, – les MLP ayant déposé de nouvelles observations, elles-mêmes ont sollicité un délai supplémentaire de 5 jours, – le 10 octobre 2003, la société SAEM-TP a été mise en cause par le Conseil, qui lui a imparti un délai expirant le 20 octobre 2003 pour faire valoir ses observations, – par lettre du même jour, le rapporteur général a accordé à l’ensemble des parties une prolongation de délai jusqu’au 20 octobre 2003 pour consulter et déposer des observations, – une nouvelle prolongation de délai sollicitée le 16 octobre 2003 par la société SAEM-TP lui ayant été refusée, la SAEM-TP a déposé ses observations le 20 octobre 2003, – le 29 octobre 2003, les MLP ont déposé dix nouvelles pièces accompagnées d’observations écrites sur chacune d’elles ;
Considérant que les requérantes contestent le fait que la société MLP ait été autorisée à déposer ces dernières écritures et ces pièces, alors qu’elles-mêmes se sont vu refuser une nouvelle prolongation de délais ; qu’elles dénoncent les conditions arbitraires dans lesquelles ces délais ont été fixés, et soutiennent que les règles d’égalité de traitement entre les parties qui doivent prévaloir lors de toute procédure conduisant à une sanction éventuelle n’ont pas été respectées, le Conseil ayant méconnu le principe d’impartialité et le droit à un procès équitable inscrits à l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CESDH), ces manquements justifiant l’annulation de la décision déférée ;
Considérant que les principes inscrits à l’article 6 de la CESDH, qui sont applicables à la procédure prévue par l’article L. 464-1 du Code de commerce, doivent s’apprécier au regard de l’urgence qui la caractérise ; que si le rapporteur général peut fixer des délais pour la production des mémoires et des observations qu’ils provoquent en application des dispositions de l’article L. 464-1 du Code de
commerce et de l’article 34 du décret du 30 avril 2002, le dépôt d’écritures et de pièces après l’expiration du temps imparti ne saurait à lui seul justifier leur rejet de la procédure, dès lors que les parties ont disposé d’un temps suffisant pour y répondre ; qu’en l’espèce les délais initialement fixés par le rapporteur général ont été prolongés pour toutes les parties jusqu’au 20 octobre 2003, la société SAEM-TP qui précise dans ses écritures avoir reçu le 13 octobre 2003 le dossier que lui adressait le rapporteur général, ayant disposé d’un délai raisonnable pour y répondre, ce qu’elle a fait en déposant ses observations le 20 octobre 2003 ; que les requérantes ont pu librement examiner les pièces et les observations déposées en dernier lieu par les MLP le 29 octobre 2003, préparer leur défense au vu de l’intégralité du dossier pendant douze jours et présenter des observations orales lors du débat fixé au 12 novembre 2003 auquel la société SAEM-TP a choisi de ne pas se présenter ; que l’atteinte au principe d’impartialité et à l’égalité de traitement invoquée par les requérantes n’est pas établie ;
2. Sur la violation du principe du contradictoire et du principe de l’égalité des armes
Considérant que les requérantes font valoir que ce manque de cohérence dans l’utilisation des délais par le rapporteur général a créé un grave déséquilibre dans la procédure en faveur des MLP et également porté atteinte au principe du contradictoire, et soutiennent ne pas avoir été en mesure d’organiser leur défense ; qu’elles critiquent en outre la volte-face du commissaire du gouvernement, qui après avoir présenté le 16 octobre 2003 des observations écrites concluant au rejet de la demande de mesures conservatoires formée par les MLP a soutenu oralement la position inverse lors de la séance tenue par le Conseil le 12 novembre 2003 ;
Mais considérant que les atteintes invoquées par les requérantes ne sont pas établies ; que les NMPP et la SAEM-TP ont pu librement consulter les pièces et les mémoires pendant douze jours avant la date fixée par la séance tenue par le Conseil, et ainsi disposé d’un délai suffisant pour préparer leur défense ; que l’affaire a été débattue contradictoirement au cours de cette séance, les NMPP ayant eu la parole en dernier ;
Que le grief tiré d’un revirement du commissaire du gouvernement dans l’opinion qu’il a verbalement exprimée lors de la séance est sans portée, dès lors qu’il est loisible au représentant du ministre de l’économie investi d’un rôle consultatif dans la procédure suivie devant le Conseil de la concurrence, sans pouvoir émettre de griefs ni assister au délibéré de cette autorité administrative, d’exprimer librement son avis au cours du débat contradictoire tenu devant le Conseil sans être lié par ses précédentes écritures, toutesxprimer librement son avis au cours du débat contradictoire tenu devant le Conseil sans être lié par ses précédentes écritures, toutes les parties ayant été en mesure de faire valoir leurs observations orales ; Qu’il y a lieu de rejeter les moyens de nullité soulevés par les requérantes, tirés d’une violation des principes inscrits à la CESDH lors du déroulement de la procédure suivie devant le Conseil ;
II û Sur le fond
Considérant qu’en cas d’atteinte grave et immédiate à l’économie générale, à celle du secteur intéressé, à l’intérêt des consommateurs ou à l’entreprise plaignante, le Conseil de la concurrence peut, sur le fondement de l’article L. 464-1 du Code de commerce, décider de mesures conservatoires dans la limite de ce qui est justifié par l’urgence, sans avoir à constater préalablement des pratiques manifestement illicites, dès lors que les faits dénoncés, et visés
par l’instruction dans la procédure au fond, sont suffisamment caractérisés pour être tenus comme la cause directe et certaine de l’atteinte relevée ;
1. Sur les faits dénoncés par la société Messageries Lyonnaises de Presse
Considérant que ces faits portent, en premier lieu, sur le refus opposé aux MLP, par les NMPP, de leur fournir un accès direct au logiciel Presse 2000 qu’elles ont créé pour gérer leurs relations avec les dépositaires centraux qui constituent le deuxième niveau de cette distribution, le tronc commun de ce logiciel étant également utilisé par les dépositaires pour échanger leurs informations avec les diffuseurs eux-mêmes chargés de la vente au public ; que les MLP font valoir que ce logiciel informatique constitue une facilité essentielle dont l’accès conditionne l’exercice de l’activité de distribution de la presse, et que le refus d’accès direct qui leur est opposé par la société NMPP alors que la société SAEM-TP en bénéficie, constitue une discrimination et un abus de la position dominante qu’elle détient sur ce marché, susceptible d’entrer dans les prévisions de l’article L. 420-2 du Code de commerce ;
Considérant que les NMPP font valoir que le Conseil a admis à tort que ce logiciel pouvait être qualifié de facilité essentielle, alors que les conditions qu’il a lui-même définies à cet égard ne sont pas réunies en l’espèce ; qu’elles soutiennent que les MLP ne sont nullement écartées de ce système de gestion des flux d’information puisqu’elles disposent d’un accès manuel à titre gratuit à ce logiciel, l’accès direct qu’elles revendiquent n’ayant aucun caractère indispensable ; qu’elles ajoutent que rien ne s’oppose à sa reproduction à un coût modéré ainsi qu’en conviennent les MLP, voire à la création d’un réseau parallèle de dépositaires, la condition tenant à l’absence de solutions alternatives faisant également défaut
; qu’elles reprochent enfin au Conseil d’avoir omis d’analyser ce dernier critère dans son analyse et pris en compte au contraire un critère supplémentaire soit les particularités du contexte concurrentiel sur le marché considéré de la distribution de la presse au numéro, alors que cette considération n’était pas mentionnée dans l’avis qu’il avait précédemment rendu le 22 mai 2002 à la demande de l’Association pour la promotion de la distribution de la presse (APDP), sur le réseau des dépositaires et des diffuseurs de presse et notamment sur la question de savoir si ce réseau ainsi que le logiciel de suivi de la distribution par les dépositaires, peuvent être qualifiés de facilité essentielle ; qu’elles font enfin valoir que la décision du Conseil ne respecte pas le caractère exceptionnel que doit conserver toute atteinte au droit de propriété ;
Considérant que les ressources essentielles désignent des installations ou des équipements indispensables pour assurer la liaison avec des clients et/ou permettre à des concurrents d’exercer leurs activités et qu’il serait impossible de reproduire par des moyens raisonnables ; que l’exploitation monopolistique de tels équipements par une entreprise est susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché considéré, lorsqu’elle se trouve être en même temps le concurrent potentiel d’une autre entreprise offrant des services exigeant le recours à cette facilité ;
Considérant qu’il n’est pas contesté que le tronc commun du logiciel informatique Presse 2000 créé et exploité depuis 1990 environ par la société NMPP qui en fait également bénéficier la société SAEM-TP, contient les fonctionnalités essentielles aux activités de distribution de la presse dans le secteur considéré û le marché de la distribution de la presse au numéro -, soit le référencement des diffuseurs, des titres et des parutions, la
préparation de la distribution, la gestion des invendus et des réassortiments et la comptabilisation de ces opérations qui concernent toute la chaîne de la distribution et spécialement les relations des entreprises de messagerie avec les dépositaires et avec les diffuseurs ; Que si les MLP ont elles-mêmes créé un logiciel équivalent en amont intitulé TID pour gérer les flux d’informations qu’elles échangent avec les éditeurs, les conditions matérielles de connexion de ce logiciel au tronc commun du logiciel Presse 2000 pour transmettre ces informations aux dépositaires ainsi qu’aux diffuseurs et pour recevoir les leurs, soit une manipulation physique chez les dépositaires par ressaisie de données sur disquettes évaluée à une heure quotidienne pour passer d’un logiciel à l’autre, ne peut être sérieusement assimilée à l’interopérabilité dont bénéficient la société NMPP et la société SAEM-TP, étant observé que ces deux sociétés dont l’actionnaire de référence est le groupe Hachette sont les seules concurrentes des MLP sur le marché considéré dont elles détiennent à elles deux 85 % des parts ;
Qu’en l’état de l’enquête, les solutions alternatives économiquement raisonnables proposées par les NMPP, soit la création par les MLP d’un logiciel dédié qui serait utilisé par tous les dépositaires ou par une minorité d’entre eux parallèlement au logiciel Presse 2000, ou encore la création d’un réseau de dépositaires propre aux MLP, apparaissent irréalistes, le Conseil ayant à juste titre pris en compte les particularités sur le plan concurrentiel du secteur considéré, relevant en particulier la forte intégration verticale de ses différents niveaux de distribution et le poids des NMPP sur le réseau des dépositaires centraux qui en constituent un maillon essentiel , ce tant en termes capitalistiques que de parts de marché, ces éléments joints aux prises de position du SNDP pouvant s’ils
étaient confirmés par l’enquête établir une dépendance de ce niveau de distribution à l’égard des NMPP ;
Qu’il est constant en effet que ce logiciel constitue le seul système informatique de gestion d’informations utilisé par les dépositaires, qui ont à plusieurs reprises, et plus récemment par un courrier du 7 juillet 2003, proclamé leur attachement à ce système informatique unique par la voix de leur organisation syndicale le SNDP ; que ce dernier a également manifesté par un communiqué du 18 septembre 2003, son hostilité à l’égard de l’implantation chez les dépositaires de liaisons télématiques à haut débit de type ADSL avec le logiciel TID des MLP en remplacement des liaisons télématiques existantes pour assurer la diffusion auprès des dépositaires des seules informations de « réglage » (soit la définition par les éditeurs des quantités distribuées à chaque diffuseur), et ce alors que les NMPP disposaient déjà de cet équipement, l’implantation au bénéfice des MLP de liaisons équivalentes, à laquelle les dépositaires concernés avaient pourtant donné leur accord, ayant été suspendue pendant plusieurs mois à la suite de ce communiqué ; que la mise en oeuvre d’un second réseau de dépositaires liés aux MLP, également suggérée par la requérante, apparaît tout aussi irréaliste, ne serait-ce qu’en raison du renchérissement des coûts pour l’entreprise de messagerie qu’impliquerait une telle duplication des réseaux de distribution, sur un marché dont les MLP ne détiennent que 15 % des parts ;
Considérant dès lors que le Conseil a justement estimé que le tronc commun du logiciel Presse 2000 constituait pour la distribution de la presse au numéro une infrastructure essentielle dont la reproduction à des conditions économiques raisonnables n’était pas envisageable ; que le grief formé par la requérante d’une atteinte injustifiée au droit de propriété qu’elle détient sur le logiciel Presse 2000 ne
peut être accueilli, dès lors que le détenteur d’une facilité essentielle est précisément tenu d’offrir à ces concurrents un accès à l’infrastructure qu’il détient ou qu’il contrôle à des conditions équitables et non discriminatoires, que la demande des MLP ne porte pas sur un accès à ce logiciel dont elles disposent déjà mais sur les modalités de cet accès, et que le refus des NMPP de leur consentir cet accès direct pourrait, sous réserve de l’instruction en cours, constituer une pratique prohibée par l’article L. 420-2 du Code de commerce ayant un objet ou un effet anticoncurrentiel ;
Considérant que les griefs de la société MLP concernent, en second lieu, les pratiques de la société NMPP sur le marché de l’exportation de la presse nationale, où la requérante détient une position largement dominante avec 90 % des parts de ce marché ce qu’elle ne conteste pas dans ses écritures ; que les MLP dénoncent à cet égard les articles 13 et 7 du projet de contrat proposé par les NMPP, qui subordonnent à un engagement d’exclusivité pour trois ans les conditions préférentielles de tarif à l’export offertes par les NMPP tant à l’entreprise de messagerie qu’aux éditeurs liés avec elle ;
Considérant qu’il est justement observé par le Conseil que ces clauses d’exclusivité ainsi que les avantages qui en dépendent, qui sont proposés par une entreprise en position dominante, pourraient constituer des pratiques prohibées par l’article L. 420-2 du Code de commerce ainsi que par l’article 82 du traité CE dès lors qu’ils tendent à restreindre encore davantage la concurrence et l’accès sur ce marché de nouveaux intervenants ou à limiter le développement de solutions alternatives, le fait que le contrat proposé aux MLP n’ait pas été signé n’étant pas de nature à exonérer les NMPP ainsi que le constate le Conseil ;
Considérant que les MLP dénoncent, en troisième lieu, les conditions tarifaires pratiquées par l’ensemble NMPP-TP , entité en position
dominante, qui concernent les bonifications exceptionnelles mises en .uvre par les deux sociétés, et la prime de fidélité consentie par la seule SAEM-TP ;
Considérant que les sociétés NMPP et SAEM-TP contestent former une même unité économique, observent que le capital de l’une et de l’autre est détenu majoritairement respectivement par cinq et trois coopératives de presse, et soutiennent que ces dernières décident en toute indépendance de la fixation de leurs barèmes conformément aux dispositions de la loi du 2 avril 1947 dite loi Bichet, elles-mêmes étant tenues d’appliquer ces barèmes conformément aux termes des contrats de groupage qu’elles ont conclus avec chacune de ces coopératives, sans disposer d’aucun pouvoir de décision en cette matière ; que la société NMPP ajoute que la bonification exceptionnelle en cause, qui s’inscrivait dans le cadre d’un plan quadriennal de modernisation, a pris fin en tout état de cause fin 2003 ;
Considérant toutefois qu’il résulte des constatations du Conseil que l’actionnaire principal des deux sociétés est le groupe Hachette, qui détient directement ou indirectement 49 % du capital de chacune d’elles ; que la société SAEM-TP qui exerce également une activité de messagerie et n’a pas de logistique propre de distribution, bénéficie de celle des NMPP ; que leurs barèmes sont établis à des conditions et en des termes strictement identiques, à la seule exception de la prime de fidélité du barème SAEM-TP ; qu’enfin leur stratégie commerciale est étroitement liée, des documents de prospection commerciale de mai 1999 montrant que les équipes des deux sociétés sont présentées comme une seule et même unité NMPP-TP , un courrier récent d’octobre 2003 adressé à l’éditeur Mégastar faisant apparaître que des clients prospectés par la société NMPP sont orientés par elle vers la société SAEM-TP avec l’argument commercial
d’un versement anticipé de la bonification exceptionnelle de 1,1 % NMPP-TP et du 0,8 % supplémentaire TP ; que ces éléments sont de nature à exclure l’autonomie invoquée respectivement par la société SAEM-TP et par les NMPP, le Conseil ayant justement retenu qu’il convenait dès lors de prendre en compte la position conjointe des deux sociétés pour évaluer l’effet sur la concurrence de ces pratiques, et conclu qu’il ne pouvait être exclu que les deux sociétés qui détiennent conjointement 85 % des parts de ce marché, se trouvent en position dominante ;
Considérant que selon l’article 6 des contrats de groupage conclus entre les coopératives et les entreprises de messagerie en l’espèce les NMPP et la SAEM-TP, les barèmes appliqués aux éditeurs « sont préparés par le conseil de gérance de l’entreprise de messagerie, soumis ensuite aux gérants ou administrateurs de chaque coopérative « pour permettre l’exécution de l’article 12 de la loi du 2 avril 1947 » ; que l’article 12 de cette loi relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques, prévoit en effet que le barème des tarifs de messagerie est soumis à l’approbation de l’assemblée générale de la coopérative ; que le caractère formel de cette approbation apparaît à la lecture du compte-rendu versé aux débats de la réunion tenue le 7 octobre 2003 par le conseil d’administration de la Coopérative de la presse périodique actionnaire des NMPP, réunion à laquelle est représentée cette dernière, l’entreprise de messagerie jouant un rôle déterminant dans l’élaboration de ces barèmes qu’elle est également chargée d’appliquer à sa clientèle ; qu’il est encore confirmé par l’identité des barèmes pratiqués par les deux entreprises de messagerie, établis quelle que soit la coopérative concernée à des conditions et en des termes strictement identiques à la seule exception de la prime de fidélité du barème SAEM-TP qui ne
concerne que les éditeurs liés à cette dernière ; que les requérantes ne sauraient dans ces conditions prétendre être dépourvues de tout pouvoir à cet égard ;
Qu’ainsi, il apparaît que les systèmes de bonification exceptionnelle progressive proposés aux éditeurs par les requérantes dans le cadre d’un « plan de modernisation 2000-2002 » en contrepartie d’engagements de fidélité d’une durée de trois ans et dont le maintien paraît avoir été décidé en 2003, de même que les remises de fidélité parallèlement consenties par la SAEM-TP à ses clients sans limitation de durée, pourraient constituer des pratiques de fidélisation prohibées par les dispositions de l’article L.420-2 du Code de commerce, suffisamment caractérisées au regard des dispositions de l’article L. 464-1 du même Code ;
Qu’en définitive, il ne peut être exclu, sous réserve de l’instruction au fond, que les NMPP et la société SAEM-TP aient mis en .uvre des pratiques prohibées par les dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité CE ;
2. Sur le bien-fondé des mesures conservatoires décidées par le Conseil
Considérant que les sociétés NMPP et SAEM-TP font valoir que les conditions d’application de l’article L. 464-1 ne sont pas remplies, les MLP ne justifiant ni d’un lien de causalité direct entre la situation de l’entreprise et les pratiques qu’elles dénoncent, ni de ce que cette atteinte aurait un caractère grave et immédiat ;
Qu’elles observent tout d’abord que le logiciel Presse 2000 a été mis en place chez les dépositaires en 1990, et que le chiffre d’affaires des MLP a néanmoins connu une progression de 65% de 1991 à 1994 « qui s’est maintenue par la suite », les difficultés financières alléguées par les MLP résultant en réalité de leur choix de proposer des tarifs
agressifs pour attirer de nouveaux clients, et de la baisse corrélative de leurs produits d’exploitation ; que les requérantes invoquent encore la baisse générale d’activité constatée dans tout le secteur, phénomène conjoncturel qui a également affecté leur propre activité ; qu’elles soutiennent enfin qu’il n’est pas justifié du caractère grave et immédiat de ces atteintes ; que la société SAEM-TP ajoute qu’il lui est impossible d’exécuter l’injonction du Conseil, dès lors que la fixation des barèmes résulte de la décision de tiers ;
Mais considérant que le Conseil observe avec pertinence que les difficultés de la société MLP sont attestées par la