Cour d’appel de Paris, 7 avril 2022, 20/038117

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Cour d’appel de Paris, 7 avril 2022, 20/038117

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 7

ARRÊT DU 7 AVRIL 2022

(no 5, 88 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 20/03811 – No Portalis 35L7-V-B7E-CBRJV

Décision déférée à la Cour : Décision no 19-D-26 de l’Autorité de la concurrence en date du 19 décembre 2019

REQUÉRANTES :

ALPHABET INC

Société immatriculée au Delaware (États-Unis d’Amérique)

Prise en la personne de son Chief executive Officer (CEO)

Dont le siège social est au [Adresse 2] (États-Unis d’Amérique)

GOOGLE LLC

Société immatriculée au Delaware (États Unis d’Amérique)

Prise en la personne de son Chief executive Officer (CEO)

Dont le siège social est au [Adresse 2] (États Unis d’Amérique)

GOOGLE IRELAND LIMITED

Société de droit irlandais

Prise en la personne de ses Directors

Dont le siège social est au Google Building Gordon House, [Adresse 5] (Irlande)

GOOGLE FRANCE S.A.R.L.

Prise en la personne de son gérant

immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 443 061 841

Dont le siège social est au [Adresse 12]

Élisant toutes domicile au cabinet de la SCP RÉGNIER-BÉQUET-MOISAN

[Adresse 7]

[Adresse 10]

Représentées par Me Benjamin MOISAN de la SCP RÉGNIER-BÉQUET-MOISAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L 0050

Assistées de Me Delphine MICHOT, Me Frédéric de BURE et Me Anita MAGRANER OLIVER plaidant pour le cabinet SCP CLEARY – GOTTHEB – SLEEN – HAMILTON, avocats au barreau de PARIS, toque : J 21

PARTIES INTERVENANTES VOLONTAIRES :

AMADEUS S.A.R.L.

Prise en la personne de son gérant

Immatriculée au RCS de Toulouse sous le numéro 518 421 466

Dont le siège social est au [Adresse 3]

Élisant domicile au cabinet de la SCP Jeanne BAECHLIN

[Adresse 6]

[Adresse 9]

Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L 0034

Assistée de Me Pascal WILHELM de la SELAS WILHELM & ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, toque K 24

GIBMEDIA S.A.S.

Prise en la personne de son représentant légal

Immatriculée au RCS de Toulouse sous le numéro 480 793 058

Dont le siège social est au [Adresse 4]

Représentée et assistée de Me Hervé LEHMAN de la SCP LEHMAN & ASSOCIÉS, avocat au Barreau de PARIS, toque : P 286

EN PRÉSENCE DE :

L’AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Prise en la personne de sa présidente

[Adresse 1]

[Adresse 8]

Représentée par M. [H] [O], dûment mandaté

LE MINISTRE CHARGÉ DE L’ÉCONOMIE

TÉLÉDOC 252 – D.G.C.C.R.F.

[Adresse 13]

[Adresse 11]

Représenté par M. [V] [B], dûment mandaté

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 15 avril 2021, en audience publique, devant la Cour composée de :

– Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre, présidente,

– Mme Brigitte BRUN-LALLEMAND, présidente de chambre,

– Mme Frédérique SCHMIDT, présidente de chambre,

qui en ont délibéré.

GREFFIER, lors des débats : Mme Véronique COUVET

MINISTÈRE PUBLIC : auquel l’affaire a été communiquée et représenté lors des débats par M. François VAISSETTE qui a fait connaître son avis

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre, et par Mme Véronique COUVET, greffière à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

* * * * * * * *

Vu la décision de l’Autorité de la concurrence no 19-D-26 du 19 décembre 2019 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la publicité en ligne liée aux recherches ;

Vu la déclaration de recours déposée par les sociétés Alphabet Inc., Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France au greffe le 3 mars 2020 ;

Vu l’exposé des moyens déposé par Alphabet Inc., Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France au greffe le 10 juillet 2020 ;

Vu la déclaration d’intervention volontaire de la société Gibmedia déposée au greffe le 20 juillet 2020 ;

Vu les observations écrites no 1 et no 2 déposées au greffe par la société Gibmédia respectivement le 24 septembre 2020 et le 19 octobre 2020 ;

Vu la déclaration d’intervention volontaire déposée au greffe par la société Amadeus le 26 octobre 2020 et le mémoire no 1 déposée au greffe par la société Amadeus le 17 novembre 2020 ;

Vu l’arrêt no 20/03811 du 7 janvier 2021 de cette Cour qui a déclaré la société Amadeus recevable en son intervention volontaire accessoire ;

Vu les observations déposées au greffe le 12 janvier 2021 par l’Autorité de la concurrence ;

Vu les observations du ministre chargé de l’économie déposées au greffe le 12 janvier 2021 ;

Vu le mémoire no 2 déposé au greffe par la société Amadeus le 26 février 2021 ;

Vu les conclusions en réplique déposées au greffe par les sociétés Alphabet Inc., Google Llc, Google Ireland Ltd et Google France le 30 mars 2021 ;

Vu l’avis du ministère public du 12 avril 2021 transmis le même jour aux sociétés Alphabet Inc., Google LLC, Google Ireland Ltd Google France, Gibmedia et Amadeus, à l’Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l’économie ;

Après avoir entendu à l’audience publique du 15 avril 2021 les conseils des sociétés Alphabet Inc., Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France, qui ont été mis en mesure de répliquer, les représentants de l’Autorité de la concurrence, les représentants des sociétés Gibmedia et Amadeus, ainsi que le représentant du ministre chargé de l’économie et le ministère public.

SOMMAIRE

FAITS ET PROCÉDURE6

Le moteur de recherche en ligne Google et l’offre de publicité associée6

Les règles Google Ads7

La finalité des règles Google Ads et leur classification7

Présentation des versions successives de certaines Règles8

Les moyens mis en oeuvre par Google pour faire appliquer les Règles10

Les saisines et les décisions auxquelles les Règles Google Ads ont donné lieu11

La saisine de la société Gibmedia (procédure no 15/0019F).11

La notification du grief12

La saisine de la société Amadeus (procédure no 18/0047F)13

La décision de mesures conservatoires no 19-MC-01 de l’Autorité (procédure no 18/0047F)13

La décision attaquée (procédure no 15/0019F)14

La décision no 20-D-14 de l’Autorité (procédure no 18/0047F)15

Le recours formé contre la décision attaquée15

MOTIVATION17

I. SUR LA LÉGALITÉ EXTERNE DE LA DÉCISION ATTAQUÉE17

A. SUR LA MODIFICATION ALLÉGUÉE, EN VIOLATION DES DROITS DE LA DÉFENSE, DE LA QUALIFICATION ET DU CHAMP DU GRIEF NOTIFIÉ17

B. SUR LE DÉFAUT DE MOTIVATION ALLÉGUÉ21

II. SUR LA QUALIFICATION DE LA PRATIQUE23

A. SUR L’ABUS DE POSITION DOMINANTE PAR L’IMPOSITION DE CONDITIONS DE TRANSACTION INÉQUITABLES24

1. Sur l’exigence alléguée d’un avantage nécessaire à la caractérisation d’un abus de position dominante24

2. Sur le lien existant entre la position dominante et l’abus reproché28

3. Sur le caractère objectivement inéquitable de la définition et de l’application des Règles30

B. SUR LES EFFETS ANTICONCURRENTIELS44

III. SUR LA DURÉE DE LA PRATIQUE ET SON IMPUTABILITÉ54

A. SUR LA DURÉE DE LA PRATIQUE54

B. SUR L’IMPUTABILITÉ DE LA PRATIQUE À GOOGLE FRANCE55

IV. SUR LES SANCTIONS PÉCUNIAIRES57

A. SUR LE CARACTÈRE INÉDIT ALLÉGUÉ DE L’INFRACTION57

B. SUR LE RECOURS À LA MÉTHODE FORFAITAIRE59

C. SUR LE MONTANT DE LA SANCTION65

1. Sur la méthode de calcul de la sanction forfaitaire65

2. Sur le caractère proportionné de la sanction pécuniaire67

V. SUR LES INJONCTIONS71

A.SUR LA PORTÉE DES INJONCTIONS74

B. SUR LA CLARTÉ ET LA PRÉCISION DES INJONCTIONS

79

C. SUR LA PROPORTIONNALITÉ DE L’INGÉRENCE DE L’AUTORITÉ DANS LA LIBERTÉ CONTRACTUELLE ET COMMERCIALE DE GOOGLE82

D. SUR LA NÉCESSITÉ ET LA PROPORTIONNALITÉ DE L’INJONCTION DE PUBLICATION86

VI. SUR LES FRAIS IRRÉPETIBLES ET LES DÉPENS87

*

* *

FAITS ET PROCÉDURE

1.La Cour est saisie du recours formé par les sociétés Alphabet Inc., Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France (ci-après « Google ») contre la décision de l’Autorité de la concurrence no 19-D-26 rendue le 19 décembre 2019 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la publicité en ligne liée aux recherches (ci-après « la décision attaquée »).

2.Par cette décision, l’Autorité de la concurrence (ci-après « l’Autorité ») a sanctionné Google pour abus de position dominante, en retenant qu’elle avait défini et appliqué les règles de la plateforme publicitaire Google Ads de manière non transparente, non objective et discriminatoire, en violation des articles 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après « TFUE ») et L.420-2 du code de commerce.

Le moteur de recherche en ligne Google et l’offre de publicité associée

3.La Cour renvoie aux paragraphes 6 à 44 de la décision attaquée pour la présentation détaillée de l’entreprise Google, du moteur de recherches Google Search et des activités de Google, en l’absence de contestations sur ces points.

4.Il est seulement rappelé que Google, créée en 1998, est une entreprise spécialisée dans les produits et les services liés à l’utilisation d’Internet. Elle est principalement connue pour son moteur de recherche qui permet aux internautes de trouver et de consulter, avec le navigateur qu’ils utilisent et au moyen de liens hypertextes, les sites internet répondant à leurs besoins. Ces services sont fournis aux utilisateurs sans contrepartie financière mais permettent à Google d’accéder à leurs données personnelles.

5.Le moteur de recherche en ligne Google Search, accessible sur les terminaux fixes ou mobiles via le site internet gratuit en ligne www.google.com ou ses déclinaisons locales (en France www.google.fr), permet d’obtenir des résultats de recherche présentés sur des pages qui s’affichent sur les écrans des internautes.

6.Dans le cas du référencement généraliste dit « naturel », les résultats procèdent de la mise en oeuvre des algorithmes de recommandation élaborés par Google, qui identifient les sites internet les plus pertinents en réponse à la recherche. Ces résultats sont sélectionnés par le moteur de recherche selon des critères généraux (tels que la fréquence de consultation des sites ou celle d’autres sites dans lesquels ils apparaissent en lien) sans que les sites auxquels il renvoie rémunèrent Google pour apparaître.

7.Le programme de publicité en ligne Google Ads (anciennement AdWords) est un service de vente d’espaces publicitaires qui offre aux annonceurs la possibilité d’afficher des publicités sur le site du moteur de recherches Google Search ou sur des sites de ses partenaires en fonction des termes de recherche utilisés par les internautes.

8.Il appartient aux annonceurs utilisant Google Ads de créer et paramétrer leurs annonces et d’y associer des mots-clés. Ceux-ci déterminent le montant maximal qu’ils sont prêts à payer chaque fois qu’un internaute clique sur l’une de leurs annonces (rémunération dénommée « coût par clic »). Lorsqu’un internaute entre une requête de recherche, Google identifie les annonces correspondantes et un système d’enchères détermine celles qui seront diffusées. Les « liens commerciaux » sélectionnés s’affichent, avec la mention « Annonce », sur la page de résultats, soit en tête de liste, soit en marge à droite de l’écran.

9.Les annonces Google Ads présentent la caractéristique de permettre aux annonceurs d’orienter les utilisateurs de Google Search vers leur site, y compris lorsque ce dernier dispose d’une faible notoriété et ne se situe pas dans les premiers résultats de recherche issus du référencement dit naturel. En effet, lorsqu’un site internet entre sur le marché, il doit générer une masse critique d’utilisateurs et le recours à la publicité joue un rôle essentiel. C’est une fois le site établi, à condition qu’il ait acquis une certaine réputation, qu’une partie de son trafic est générée par les autres modes d’accès.

10.Ainsi, lorsque les utilisateurs du moteur de recherche formulent une requête en utilisant un mot clé ou une série de mots clés, ils se voient simultanément proposer deux types de résultats : des liens vers des sites classés par pertinence, d’une part, et d’autres inclus dans des bannières publicitaires, dont la présence est liée à un paiement à Google, d’autre part.

11.L’activité du moteur de recherche en ligne et celle de la fourniture d’espaces publicitaires en ligne liée aux recherches se caractérisent par une forte interdépendance, la réussite de la première conditionnant l’attractivité de la seconde. La qualité du service offert par le moteur de recherche aux utilisateurs dépend en effet à la fois de la pertinence des résultats par référencement et de la pertinence et de la valeur des annonces payantes affichées. Plus il y a d’utilisateurs, plus le service d’annonces est attrayant. Plus il y a d’annonceurs pertinents, plus le service du moteur de recherche est attrayant pour les utilisateurs. Plus il y a d’annonceurs dans un secteur d’activité, plus les autres entreprises actives sur ce secteur peuvent avoir intérêt à recourir à des annonces, afin notamment de préserver un rang acceptable dans les recherches.

Les règles Google Ads

12.Google subordonne l’utilisation de sa plateforme publicitaire au respect par tous les annonceurs des règles dites Google Ads (ou « règlements » dans certains documents en français). Ces Règles précisent les conditions dans lesquelles un annonceur peut diffuser de la publicité dans le réseau Google. Elles figurent à l’article 3 des conditions générales de publicité, lesquelles constituent les conditions générales du contrat d’accès à la plateforme. Ainsi, pour ouvrir un compte Google Ads, chaque annonceur doit expressément s’engager à respecter lesdites Règles.

La finalité des règles Google Ads et leur classification

13.Les règles Google Ads (ci-après « les Règles »), disponibles en ligne, régissent les interactions entre internautes et annonceurs. Elles sont présentées par Google comme ayant vocation à protéger les internautes d’une exposition à des sites susceptibles de porter atteinte à leurs intérêts, à protéger l’investissement publicitaire des annonceurs de bonne foi et, plus largement, à préserver la qualité et l’attractivité des services proposés par Google. Elles ont une incidence sur le succès du moteur de recherche de Google auprès des internautes et celui de son service Google Ads auprès des annonceurs.

14.Les Règles sont toujours classées dans l’une des quatre grandes rubriques, lesquelles comprennent des sous-rubriques incluant généralement des « exemples » :

– La première rubrique intitulée « contenus interdits : contenus dont la promotion est interdite sur le réseau Google » comprend quatre sous-rubriques intitulées :

?« articles de contrefaçon »,

?« produits ou services dangereux » (par exemple, explosifs, armes à feu, tabac),

?« produits ou services favorisant un comportement malhonnête » (par exemple, création de faux documents, services de piratage, brouilleurs de radars)

?« contenus offensants ou inappropriés » (par exemple, contenus incitant à la haine, à la violence, au harcèlement, exploitation d’espèces en voie d’extinction).

– La deuxième rubrique intitulée « pratiques interdites dans le cadre de la diffusion de publicités sur le réseau Google » comprend trois sous-rubriques intitulées :

?« utilisation abusive du réseau publicitaire » (par exemple, les « annonces, sites ou applications malveillants », les contenus à faible valeur informative, les techniques de dissimulation dites cloaking),

?« collecte et utilisation irresponsables de données »

?« fausse déclaration concernant une personne, un produit ou un service » (voir paragraphe 19 du présent arrêt).

– La troisième rubrique intitulée « contenu à diffusion contrôlée : contenus dont vous pouvez faire la publicité sous certaines conditions », en raison du caractère « sensible d’un point de vue légal ou culturel » de certains produits ou services.

15.Cette rubrique comprenait en septembre 2014 sept sous-rubriques (concernant l’alcool, les jeux de hasard, les contenus à caractère sexuel, les contenus protégés par le droit d’auteur, les contenus relatifs à la politique). Six sous-rubriques supplémentaires ont été ajoutées, dont l’une dénommée « autres activités soumises à restriction » (voir paragraphe 20 du présent arrêt.

– La quatrième rubrique est intitulée « exigences rédactionnelles et techniques : normes de qualité à appliquer à vos annonces et à votre site web », laquelle comporte également des sous-rubriques qu’il n’est pas nécessaire de préciser pour la compréhension du litige.

Présentation des versions successives de certaines Règles

16.Les Règles varient dans le temps. Elles font l’objet de changements dans leur définition, leur importance et leur insertion dans l’arborescence.

17.C’est plus particulièrement le cas des Règles qui concernent :

– l’interdiction de vendre des services disponibles gratuitement ailleurs sur internet (Règle désignée selon les périodes sous la formulation « promotions indignes de confiance » ou « vente d’articles gratuits ») ; 

– les obligations d’information sur les conditions de facturation que doivent respecter les sites internet proposant des services payants au consommateur (Règles visées selon les périodes sous les termes « pratiques de facturation douteuse », « omissions d’informations pertinentes (?) liées à la facturation », « facturation de frais pour des produits ou services normalement gratuits », « informations manquantes (?) liées à la facturation »).

18.La Règle sur les « promotions indignes de confiance », qui vient d’être évoquée, n’existait pas avant septembre 2014. Selon Google, cette exigence était néanmoins couverte par un ensemble de Règles comprenant notamment :

– la « vente d’articles gratuits » (soit la « promotion de la vente d’articles ou de services qui sont disponibles gratuitement par ailleurs » et la « vente de formulaires ou de services gouvernementaux qui sont disponibles gratuitement ou à moindre coût sur un site officiel ») ;

– les « pratiques de facturation douteuse » (soit les « modèles de facturation ou de tarification qui ne sont pas transparents pour l’internaute ») ;

– et les « pratiques de dissimulation (cloaking) ».

19.Suite à la refonte des Règles en 2014, la troisième Règle (relative à la « fausse déclaration concernant une personne, un produit ou un service », désignée également sous le formulation « déclarations trompeuses vous concernant ou concernant un produit ou service ») de la deuxième rubrique (les « pratiques interdites ») a été reformulée selon les termes suivants :

– Les utilisateurs ne doivent en aucun cas douter de la véracité et de la bonne foi des annonces que nous diffusons. Nous devons par conséquent faire preuve de franchise et d’honnêteté et leur fournir les informations dont ils ont besoin pour pouvoir prendre des décisions éclairées. Ainsi :

– nous n’autorisons pas les promotions qui incitent les utilisateurs à effectuer un achat ou un téléchargement, ou à s’engager de toute manière sans fournir au préalable toutes les informations pertinentes ni obtenir le consentement explicite de l’utilisateur.

– nous autorisions uniquement les promotions qui décrivent votre entreprise, vos produits et vos services de manière exacte, réaliste et honnête.

Exemples d’éléments non autorisés :

Voici quelques exemples de pratiques que nous considérons comme des « déclarations trompeuses » :

Omission d’informations pertinentes :

Ne pas mettre clairement en évidence le modèle de paiement et l’ensemble des frais à la charge de l’utilisateur.

Exemples : les prix, les frais de port et d’autres informations liées à la facturation, les taux d’intérêt, les pénalités en cas de retard de paiement ou les coûts récurrents liés à un abonnement, ou encore l’utilisation de numéros de téléphone surtaxés dans les extensions d’appel.

– Promotions non disponibles (?)

– Promotions trompeuses ou irréalistes (?)

– Promotions indignes de confiance :

Cacher ou déformer des informations à propos d’une entreprise, d’un produit ou d’un service.

Exemples : inciter les utilisateurs à donner de l’argent ou à fournir des informations sous un prétexte équivoque ou mensonger, mentir sur son identité, fournir un faux nom d’entreprise ou des coordonnées factices, facturer des frais pour des produits ou services normalement gratuits, ou encore créer un site de type hameçonnage pour récupérer les informations des utilisateurs » (pièce no 3 Google, soulignement ajouté par la Cour).

20.À compter de mars 2018, la prohibition de la « vente d’articles gratuits » a été extraite de la liste des exemples de « comportements non fiables » (renommés « pratiques commerciales inacceptables ») figurant sous la Règle « déclarations trompeuses ». Elle a été insérée dans une nouvelle Règle intitulée « autres activités soumises à restriction » créée dans la troisième rubrique (« contenu à diffusion contrôlée ») et rédigée ainsi :

« Afin d’éviter que les utilisateurs soient victimes d’abus, nous limitons la diffusions d’annonces associées à certains type d’activité, même si les entreprises semblent respecter les autres règles. (?)

Voici quelques exemples de pratiques à éviter dans vos annonces :

– Sollicitation de fonds (?)

– Logiciels de bureau gratuits (?)

– Services de proximité (?)

– Avis aux consommateurs (?)

– Vente d’articles gratuits :

Les pratiques suivantes ne sont pas autorisées : facturer des produits ou services alors que l’offre principale est disponible gratuitement, ou à prix réduit, auprès d’une source gouvernementale ou publique.

Exemples (liste non exhaustive) : Services de demandes de passeports, permis de conduire ou assurances médicales, documents d’état civil (actes de mariage, de naissance etc.), immatriculations de sociétés, résultats d’examens, calculateurs d’impôts.

Remarque : vous pouvez regrouper une offre gratuite avec un produit ou un service que vous fournissez. Par exemple, un prestataire de service de télévision peut associer du contenu accessible au public à du contenu payant, ou une agence de voyage peut regrouper un service de demande de visa avec un forfait-vacances. Toutefois, le produit ou le service gratuits ne peuvent former le contenu de l’offre principale.

– Revente de billets (?) » (pièce no 15 Google, soulignement ajouté par la Cour).

21.Ultérieurement, en mars 2019, les Règles portant sur la « vente d’articles gratuits », les « informations manquantes » (nouvelle dénomination de l’ « omission d’informations pertinentes ») et le « contournement des systèmes » ont été précisées, notamment en intégrant des exemples.

Les moyens mis en oeuvre par Google pour faire appliquer les Règles

22.Les annonceurs sont informés des modifications apportées aux conditions générales de publicité ? lesquelles renvoient aux règles Google Ads ? par l’intermédiaire de leur compte. Ils doivent les accepter pour continuer d’avoir accès à la plateforme publicitaire Google Ads. Ils sont par ailleurs informés des modifications apportées aux Règles par le biais de l’onglet « journal des modifications » qui est disponible sur le centre d’aide du site Google Ads. Ce dernier énumère de façon chronologique les modifications successives (« récentes et à venir »).

23.Au vu du volume d’annonces publiées sur la plateforme Google Ads (des millions chaque jour), Google a développé des outils de contrôle algorithmiques qui examinent, pour tous les annonceurs, le texte des annonces et les pages de destination auxquelles elles renvoient. Ces outils sont parfois complétés par des contrôles manuels, en particulier dans le cas de comportements que Google considère comme complexes et nécessitant un examen plus approfondi.

24.Google a mis en place des équipes spécialisées ? les équipes Trust & Safety anciennement dénommées Policy ? qui sont en charge de la définition des Règles, du contrôle des annonces et du respect des Règles par l’ensemble des annonceurs. Ces équipes comprennent environ mille personnes au niveau mondial. Elles sont distinctes des équipes commerciales et des équipes d’assistance (les équipes support). Certains annonceurs ont aussi un gestionnaire de compte qu’ils peuvent contacter directement. Les annonceurs n’ont pas accès aux équipes spécialisées en charge de contrôler la conformité des sites avec les Règles. Ils ne peuvent dialoguer qu’avec les services d’assistance de Google.

25.Les sanctions du non-respect des Règles sont le refus de diffusion d’une annonce, la « désactivation du domaine » (dénommée plus communément « suspension de site ») ou la « suspension de compte » qui entraîne la suspension de la diffusion des annonces de la totalité des sites associés à ce compte, même si certains d’entre eux sont en conformité avec les Règles.

Les saisines et les décisions auxquelles les Règles Google Ads ont donné lieu

La saisine de la société Gibmedia (procédure no 15/0019F)

26.Entre janvier 2011 et janvier 2015, Google a, à six reprises, temporairement suspendu un site, plusieurs sites ou le compte de la société Gibmedia (ci-après « Gibmedia »). Il s’agit d’une entreprise toulousaine éditrice de plusieurs sites à destination du grand public qui fournissent de l’information sans publicité, notamment des annuaires téléphoniques (pages-annuaires.net et annuaires-inverse.net), des prévisions météorologiques (info-meteo.fr) et des informations juridiques et financières sur les entreprises (info-societe.com), et dont les services sont rémunérés.

27.Ont été visées, selon les cas, des pratiques de « facturation douteuse », la violation des Règles sur la « qualité du site et de la page de destination », sur la « sécurité des utilisateurs » et sur la « vente des articles gratuits », ce dernier cas de violation reprochée visant aussi, en août 2014, un autre site de Gibmedia (impot-calcul.fr).

28.Le 7 janvier 2015, Google a suspendu les annonces vers les sites pages-annuaires.net, annuaires-inverse.net, info-meteo.fr et info-societe.com en raison de « promotions indignes de confiance » (cotes 75 à 79). Le lendemain, Gibmedia a été informée de la suspension, définitive cette fois, de ses comptes Google Ads.

29.Le courriel l’informant de son manquement contractuel comprenait l’explication suivante :

« Non-respect de nos règles : Promotions indignes de confiance

À propos de ce cas de non-respect :

Lorsque nous suspendons un annonceur pour le motif de promotions indignes de confiance, cela signifie généralement que l’activité même de l’annonceur pose fondamentalement problème, en faisant peser une menace immédiate sur la sécurité de nos utilisateurs, que ce soit en ligne ou hors connexion. Voici quelques exemples de comportements indignes de confiance : inciter les utilisateurs à donner de l’argent ou à fournir des informations sous un prétexte équivoque ou mensonger, mentir sur son identité, fournir un faux nom d’entreprise ou des coordonnées factices, facturer des frais aux utilisateurs pour des produits ou services qui sont normalement gratuits, ou encore créer un site de « hameçonnage » pour récupérer les informations des utilisateurs.

Nous prenons très au sérieux les promotions indignes de confiance et les considérons comme une sévère infraction à nos règles. Notez que pour déterminer votre fiabilité en tant qu’annonceur ou responsable de site, nous pouvons examiner des informations provenant de plusieurs sources, y compris votre annonce, votre site Web, vos comptes et des sources tierces. Lorsque nous identifions des annonceurs ou des responsables de sites dont le comportement est indigne de confiance, nous les suspendons immédiatement et ne leur permettons plus d’utiliser nos programmes publicitaires. 

Consultez la règle à l’adresse : (…) » (cotes 81-82).

30.Le 6 mars 2015, Gibmedia a saisi l’Autorité de pratiques mises en oeuvre par Google sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches (dossier no 15/0019F).

31.Dans sa saisine, elle reproche à Google d’avoir suspendu ses comptes Google Ads de manière brutale et dans des conditions qui n’ont pas été objectives, transparentes et non discriminatoires. Elle conteste la définition et les conditions d’application par Google des Règles relatives à la publicité, dont celles portant sur la suspension des comptes.

32.Elle y désigne (cotes 20 à 22) des concurrents qui proposent également des services payants et bénéficient pourtant toujours du programme Google Ads (pour les services d’annuaire : « cquicenumero.com », « quipage.fr/annuaire-inverse », « numero-de-portable.com », « annuaire-inverse.net » ; pour les informations financières sur les entreprises : « bilansgratuits.fr », « infogreffe.fr », « societe.com »).

33.Gibmedia a également formulé une demande de mesures conservatoires, laquelle a été rejetée par la décision no 15-D-13 du 9 septembre 2015.

34.La Cour renvoie aux paragraphes 55 à 92 de la décision attaquée, non contestés, pour la présentation des modèles économiques des sites concernés par la saisine, opérant dans les secteurs des services d’informations juridiques et économiques sur les entreprises, d’annuaires et renseignements téléphoniques et d’informations météorologiques.

La notification du grief

35.Le 30 octobre 2018, il a été notifié à la société Google Inc. (devenue Google LLC), en sa qualité d’auteur et de société mère, aux sociétés Google Ireland Ltd et Google France, en leur qualité d’auteurs, et à la société Alphabet Inc., en sa qualité de société mère, un unique grief. Il leur est reproché d’avoir :

« abusé de leur position dominante sur le marché français de la publicité sur internet liée aux recherches en ne mettant pas en oeuvre les règles AdWords dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires.

D’une part, Google Inc. (Google LLC) a établi des règles AdWords en matière de publicité qui ne sont pas définies de manière objective, transparente et non discriminatoire.

D’autre part, Google Inc. (Google LLC), Google Ireland Ltd et Google France ont appliqué ces règles dans des conditions qui ne sont pas objectives, transparentes et non discriminatoires.

Ces pratiques sont susceptibles d’avoir des effets notamment sur :

– le marché français des services payants d’informations météorologiques fournis par voie électronique ;

– le marché français des services payants d’information juridique et économique sur les entreprises fournis par voie électronique ;

– le marché français des services payants d’annuaires téléphoniques fournis par voie électronique ;

– le marché français de la commercialisation d’espaces publicitaires sur internet.

Ces pratiques, qui contreviennent aux dispositions de l’article 420-2 du code de commerce et de l’article 102 du TFUE, sont mises en oeuvre depuis l’année 2012 et sont toujours en oeuvre aujourd’hui ».

La saisine de la société Amadeus (procédure no 18/0047F)

36.Au cours de l’instruction de la saisine de Gibmedia, la société Amadeus (ci-après « Amadeus »), qui exploite principalement, depuis novembre 2015, un service de renseignements téléphoniques (sous le numéro à tarification majorée 118 001), a saisi l’Autorité de pratiques mises en oeuvre par Google sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches, ce qui a donné lieu à l’ouverture d’un dossier distinct (no 18/0047F).

37.Éditrice de plusieurs sites dont www.118001.fr, elle s’est plainte de la suspension, le 10 janvier 2018, de son compte le plus actif pour « déclarations trompeuses », puis, entre le 15 et le 29 janvier 2018, de l’ensemble de ses comptes, pour ce motif ou parce qu’ils présenteraient « des cas graves ou récurrents de non-respect de nos règles en matière de publicité ». Elle a fait valoir que cette mesure de suspension était incompréhensible dès lors qu’elle était accompagnée presque quotidiennement par les équipes commerciales de Google, lesquelles validaient sa rédaction des annonces et lui fournissaient des listes de mots-clés.

38.En réaction, Amadeus a créé de nombreux comptes Google Ads, qui à leur tour, ont été suspendus, motif pris d’un « contournement des systèmes ».

39.Courant mars 2018, ses comptes ont été réactivés, mais la plupart des annonces proposées ont été refusées au motif intitulé « Vente d’articles gratuits ».

40.Elle a justifié, par la production de captures d’écran et de constats d’huissier, que des concurrents directs diffusaient des annonces identiques à celles qu’elle essayait de publier (caractéristiques communes tant s’agissant des textes d’annonces, des mots-clés que des pages de destination auxquelles l’internaute a accès après avoir cliqué sur le lien).

La décision de mesures conservatoires no 19-MC-01 de l’Autorité (procédure no 18


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