Cour d’appel de Paris, 30 mars 2021, 19/156557

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Cour d’appel de Paris, 30 mars 2021, 19/156557

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Copies exécutoires délivrées aux parties le REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 16

chambre commerciale internationale

ARRET DU 30 MARS 2021

(no 24 /2021, pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : No RG 19/15655 – No Portalis 35L7-V-B7D-CAPOF

Décision déférée à la Cour :Jugement du 19 Juin 2019 -Tribunal de Commerce de Paris – RG no 2008006861

APPELANTE :

La Société CONFORAMA FRANCE SA

Immatriculée au registre de commerce de Meaux sous le numéro 414 819 409

Ayant son siège social : [Adresse 1]

prise en la personne de ses représentants légaux,

Représentée par Me Bruno MARTIN de la SCP COURTOIS LEBEL, avocat au barreau de PARIS, toque : P0044

INTIMEES :

INDUSTRIA CONCIARIA VOLTURNO SRL, société de droit italien représentée par son liquidateur amiable, Monsieur [H] [I], désigné par procès-verbal d’assemblée du 31 octobre 2008.

Immatriculée au registre de commerce de Caserta sous le numéro 016 858 500 610

Ayant son siège social : [Adresse 2])

prise en la personne de ses représentants légaux,

Représentée par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151-ayant pour avocat plaidant Me Christian BOREL, avocat au barreau de PARIS, toque : A 4784

Société HIGH POINT REAL ESTATE LLC

Ayant son siège social : [Adresse 3] (ETATS-UNIS)

prise en la personne de ses représentants légaux,

Représentée par Me Philippe JEAN PIMOR de la SELEURL SELARL JEAN-PIMOR, avocat au barreau de PARIS, toque : P0017 – ayant pour avocat plaidant Me Christophe JEAN, avocat au barreau de PARIS, toque : B0751

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 01 Février 2021, en audience publique, un rapport ayant été présenté à l’audience par Madame Fabienne SCHALLER dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile, devant la Cour composée de :

M. François ANCEL, Président

Mme Fabienne SCHALLER, Conseillère

qui ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour :

M. François ANCEL, Président

Mme Fabienne SCHALLER, Conseillère

Mme Laure ALDEBERT, Conseillère

Greffière, lors des débats : Mme Clémentine GLEMET

MINISTERE PUBLIC : le ministère Public a fait connaître son avis le 29 juin 2020.

ARRET :

– CONTRADICTOIRE

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par François ANCEL, président et par Clémentine GLEMET, greffière à qui la minute a été remise par le magistrat signataire.

I – FAITS ET PROCÉDURE

1. La société Conforama France SA )ci-après « la société Conforama »( est une société de droit français ayant pour activité la vente de biens d’équipement et d’ameublement.

2.De 2004 à 2006, la société Conforama a eu comme fournisseur la société Mab Ltd, société de droit américain, qui exerçait sous le nom commercial Natale Furniture Industries, en liquidation amiable depuis le 21 décembre 2006.

3.La société Industria Conciaria Volturno Srl (ci-après «la société ICV ») est une société de droit italien ayant pour activité le commerce de peaux et de meubles, en liquidation amiable depuis le 31 octobre 2008. Elle se présente comme créancière de la société Mab Ltd d’une somme de 1.465.476,46 € suite à un jugement rendu le 14 mars 2007 par le Tribunal de Commerce de Montpellier.

4.La société High Point Real Estate LLC (ci-après « HRPE ») est une société de droit américain de l’Etat de Caroline du Nord, prêteur à des fins d’investissements immobiliers ou financier, qui se présente comme créancière de la société Mab Ltd d’une somme de 5.930.000 USD en vertu d’un acte de prêt du 24 avril 2006 et d’un jugement du 16 octobre 2007 du tribunal de grande instance de Meaux ordonnant l’exequatur d’une décision de la cour de justice de Randolph en Caroline du Nord condamnant la société Mab Ltd à lui payer cette somme, augmentée des intérêts de 18% à compter du 11 juillet 2006.

5.La société ICV a fait pratiquer une saisie conservatoire le 20 juillet 2006 entre les mains de la société Conforama pour récupérer sa créance contre la société Mab Ltd.

6.La société HPRE a fait pratiquer, le 24 août 2006, une saisie conservatoire entre les mains de la société Conforama pour récupérer sa créance à l’encontre de la société Mab Ltd.

7.Sur interpellation, la société Conforama a, après avoir déclaré être débitrice de la société Mab Ltd d’une somme de 867 881,52 €, indiqué détenir une créance sur la société Mab Ltd de 692 880,79 €, au titre de trois factures des 24 mars )no73943), 20 juin (no74607 ) et 5 juillet 2006 )no74689) venant en compensation de la créance de la société Mab Ltd.

8.La société ICV, contestant la réalité des factures de la société Conforama à l’égard de Mab Ltd., a assigné la société Conforama sur le fondement d’une action oblique par exploit du 9 septembre 2008 devant le tribunal de commerce de Paris pour voir contester lesdites factures. Cette instance faisait suite à une demande en référé-expertise introduite le 27 avril 2007 par la société ICV. Le 26 octobre 2012, le tribunal de commerce de Paris a ordonné la jonction des deux instances et le sursis à statuer dans l’attente de l’issue de la procédure pendante devant la cour d’appel de Montpellier.

9.Par exploit du 20 avril 2009 la société HPRE a assigné la société ICV devant le juge de l’exécution de Meaux aux fins de voir constater la nullité de la procédure de saisie conservatoire de la société ICV du 20 juillet 2006 entre les mains de Conforama. Par arrêt du 15 novembre 2012, la Cour d’appel de Paris, statuant en appel sur cette action a déclaré nulles et ordonné la main levée de la saisie conservatoire pratiquée par la société ICV, ainsi que celle d’un autre créancier, la société de droit italien Eurotrac.

10.Par lettre du 20 décembre 2013, la société HPRE a demandé le rétablissement de la procédure engagée par la société ICV à l’encontre de la société Conforama et a demandé à intervenir volontairement dans cette instance, régularisant des conclusions à cette fin le 5 mai 2014.

11. Par jugement rendu le 30 juin 2015, le tribunal de commerce de Paris statuant uniquement sur la recevabilité et la prescription de l’action de la société HPRE a fait droit à la demande de rétablissement et débouté la société Conforama de sa demande d’irrecevabilité de l’action exercée par HPRE par voie d’intervention. Il a renvoyé l’affaire pour statuer au fond.

12. Par décision en date du 19 juin 2019, le tribunal de commerce a :

Écarté les pièces no 40 et 40 bis produites par la société HPRE ;

Dit la société ICV et la société HPRE recevables en leur action à l’encontre de la société Conforama ;

Fixé le montant net de la coopération commerciale au titre de 2005 opposable à la société ICV et à la société HPRE à la somme de 300.000 € ;

Dit que les factures no74607 de 490.825,07 € et no74889 de 208.835,67 € émises au titre de la coopération commerciale 2006 sont dépourvues de fondement et inopposables à la société ICV et à la société HPRE ;

Fixé à la somme de 852.718,25 la créance de Mab Ltd à l’encontre de la société Conforama, arrêtée à la date du 20 juillet 2006 ;

Condamné la société Conforama à payer à la société ICV et à la société HPRE les sommes de 25.000€ et 10.000 € respectivement au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par acte du 26 juillet 2019, la société Conforama a interjeté appel des jugements des 30 juin 2015 et 19 juin 2019.

II – PRÉTENTIONS DES PARTIES

13. Aux termes de ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 12 janvier 2021, la société Conforama demande à la Cour, au visa des articles 1166 et 1234 du code civil, 31, 32, 122, 123, 146, 329 et 379 du code de procédure civile, 1166 et 2224 du code civil et L. 110-4, L. 441-3, L.441-6, L. 441-7 et L. 442-6 du code de commerce dans leur rédaction applicable en 2005 et 2006, de :

Sur le jugement du 30 juin 2015 :

Infirmer le jugement rendu le 30 juin 2015 par le tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau:

Déclarer la société HPRE irrecevable en son intervention volontaire pour défaut d’intérêt et de qualité à agir en application des dispositions des articles 31, 32 et 122 du Code de Procédure Civile.

Débouter la société HPRE de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions dirigées contre la société Conforama France.

Sur le jugement du 19 juin 2019 :

Infirmer le jugement rendu le 19 juin 2019 par le tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau :

Déclarer irrecevable la société ICV en son action oblique.

Débouter la société ICV en liquidation de toutes ses demandes, fins et prétentions dirigées à l’encontre de la société Conforama France.

Dire et juger que la société ICV a violé le principe selon lequel « nul ne peut se contredire au détriment d’autrui » au préjudice de la société Conforama France, en modifiant intégralement ses prétentions à l’égard de la société HPRE, trompant la société Conforama France sur ses intentions à l’égard de la société HPRE.

Constater que les sociétés ICV et HPRE ont conclu un protocole d’accord occulte dans le seul but de maintenir artificiellement et en violation des règles de procédure civile leurs actions et prétentions devant la cour moyennant un arrangement financier.

Rejeter les demandes incidentes de la société ICV et la société HPRE à l’effet de voir écarter sa pièce no50 des débats.

Declarer les demandes des sociétés ICV et HPRE irrecevables du fait de leur connivence procédurale formalisée par le protocole d’accord occulte produit aux débats.

Déclarer la société Industria Conciaria Volturno Srl et la société High Point Real Estate LLC irrecevables en leur action oblique au lieu et place de la société Mab Ltd société de droit américain, qui n’a plus d’existence légale depuis le 25 janvier 2007.

Débouter la société ICV et la société HPRE de toutes leurs demandes, fins et prétentions dirigées à l’encontre de Conforama.

Déclarer la société Industria Conciaria Volturno Srl et la société High Point Real Estate LLC irrecevables en leurs actions obliques du fait de la forclusion stipulée à l’article 4.2 du contrat cadre de coopération commerciale du 10 janvier 2006 et les débouter de toutes leurs demandes, fins et prétentions à l’encontre de Conforama.

Déclarer la société Industria Conciaria Volturno Srl et la société High Point Real Estate LLC irrecevables et mal fondées en leurs actions obliques en contestation des conventions de coopération commerciale conclues entre la société Mab Ltd et la société Conforama France en 2005 et 2006 et des factures de prestations de services de coopération commerciale, après avoir jugé que les conventions de coopération commerciale ne sont pas soumises au droit français, sont conformes aux usages du commerce international et en tout état de cause, ne sont pas prohibées par les articles L.441-7 et L.442-6 du code de commerce dans leurs rédactions applicables en 2005 et 2006 et conformes aux dispositions de l’article L. 441-3 du code de commerce dans la même rédaction.

Constater que la créance de coopération commerciale de la société Conforama sur la société Mab Ltd, à la date du 20 juillet 2006, était d’un montant de 1.330.728,98 €.

Constater que la créance de la société Mab Ltd sur la société Conforama France, à la date du 20 juillet 2006, était donc d’un montant de 852.718,25€.

Dire et juger que la compensation conventionnelle entre les créances réciproques de Conforama et Mab a éteint les obligations respectives des parties à due concurrence des paiements intervenus.

Dire et juger que l’obligation de paiement de la société Conforama s’est éteinte le 30 juin 2006 suite à l’acceptation d’un paiement par compensation de la société Mab Ltd,.

Déclarer la société Conforama recevable et bien fondée en ses demandes reconventionnelles.

Condamner les sociétés ICV et HPRE à verser chacune à la société Conforama France une somme de 100.000 € à titre de dommages-intérêts compte tenu du caractère manifestement abusif de la présente instance, et conjointement et solidairement à la somme de 40.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile et en tous les dépens.

14.Aux termes de ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 14 décembre 2020, la société ICV demande à la Cour, au visa des articles L.441-3, L.441-6, L.441-7 et L.442-6 du Code de commerce, des articles 1166 et 1382 du code civil, de :

1. Sur la pièce no50 de la société Conforama France

Juger que la société Conforama France a usé de moyens déloyaux en produisant sa pièce no50 devant la Cour d’appel de Paris ;

En conséquence,

Lui faire injonction de retirer cette pièce no50 intitulée « Protocole d’accord transactionnel occulte conclu entre les sociétés ICV et HPRE » de sa communication de pièces devant la Cour d’appel de Paris ;

Lui faire injonction de supprimer de ses conclusions récapitulatives devant la Cour, tout passage relatif à cette pièce no50 ;

Sur le jugement du 30 juin 2015

Débouter la société Conforama de son appel comme infondé ainsi que de l’intégralité de ses demandes ;

Confirmer le jugement en toutes ses dispositions et débouter la société Conforama de ses demandes ;

Sur le jugement du 19 juin 2019

Débouter la société Conforama de son appel et de ses demandes ;

Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 19 juin 2019 en ce qu’il a fixé la dette de la société Conforama à la somme de 852 718,25 € et statuant à nouveau, fixer la dette de la société Conforama à la somme de 867 881,52 € ;

Confirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Paris du 19 juin 2019 statuant sur la créance de la société Mab Ltd dans les comptes de la société Conforama en toutes ses autres dispositions ;

Reconventionnellement, si la Cour infirmait le jugement, ordonner une expertise afin de faire rechercher si des prestations ont été réellement rendues par la société Conforama à la société Mab Ltd, déterminer leur date éventuelle, ainsi que leur valeur, de même que l’uniformité de prix avec celle des autres fournisseurs ;

En tout état de cause

Débouter la société Conforama de toutes ses demandes ;

Condamner la société Conforama à payer à la société ICV la somme de 60 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

15.Aux termes de ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 19 janvier 2021, la société HRPE demande en substance à la Cour, au visa des articles L. 441-3, L. 441-6, L. 441-7 et L. 442-6 du code de commerce et des articles 1166, 1315 et 1382 anciens du code civil, de :

Ecarter des débats le protocole d’accord transactionnel produit par la société Conforama sous la pièce no 50 et toute référence et tout argument relatif à ce document.

Confirmer le jugement du 30 juin 2015 ayant déclaré HPRE recevable en son intervention volontaire.

Confirmer le jugement du 19 juin 2019 en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a estimé justifiée à concurrence de 300.000 € la facture no73943 du 24 mars 2006 de 1.134.714,15€.

Débouter la société Conforama de toutes ses demandes, fins et prétentions.

Dire et juger HPRE recevable en son action.

Dire et juger que le droit français s’applique au présent litige.

Dire et juger que tant les contrats de coopération commerciale conclus en 2005 et les 10 janvier et 20 mars 2006 que les trois factures no 73943 du 24 Mars 2006 de 1.134.714,15 €, no 74607 du 20 Juin 2006 de 490.825,07 € et no 74689 du 5 Juillet 2006 de 208.835,67 € ne sont pas conformes aux dispositions des articles L. 441-3, L. 441-6 et L. 442-6 du code de commerce.

Dire et juger que la société CONFORAMA FRANCE n’apporte aucune justification permettant de vérifier la réalité, la nature et 1a valeur des prestations mentionnées sur les trois factures no73943 du 24 Mars 2006 de 1.134.714,15 €, no74607 du 20 Juin 2006 de 490.825,07 € et no74689 du 5 Juillet 2006 de 208.835,67 €,.

Dire et juger que la société Mab Ltd détenait à l’encontre de la société CONFORAMA FRANCE deux créances respectivement de 300.000 € au 7 Juillet 2006 et de 865.530,85 € au 20 Juillet 2006.

Dire et juger que les facture no73943 du 24 Mars 2006 de 1.134.714,15 €, no74607 du 20 Juin 2006 de 490.825,07 € et no74689 du 5 Juillet 2006 de 208.835,67 € sont dépourvues de contrepartie et qu’elles ne peuvent être opposées à la société Mab Ltd ou à la société HPRE en compensation.

Fixer en conséquence à 1.152.718,25 € sauf à parfaire la créance de la société Mab Ltd à l’encontre de la société CONFORAMA FRANCE au 20 Juillet 2006.

Dire et juger que cette somme est productive d’intérêts au taux légal à compter de l’assignation en référé devant le Tribunal de Commerce de PARIS délivrée à la société CONFORAMA FRANCE le 27 Avril 2007.

Ordonner la capitalisation des intérêts.

Condamner la société CONFORAMA FRANCE à régler à la société HPRE la somme de 60.000 € sur le fondement de l’article 700 Code de Procédure Civile et aux dépens de l’instance.

16.Par avis notifié par voie électronique le 26 juin 2020, le ministère public conclut à la confirmation des deux jugements dont appel.

17.La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, aux décisions déférées et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

18.L’ordonnance de clôture a été prononcée le 26 janvier 2021.

III – MOTIFS DE LA DECISION

– sur les exceptions

Sur le rejet d’une pièce des débats

19. La société ICV demande le rejet des débats de la pièce no50 intitulée « Protocole d’accord transactionnel occulte conclu entre les sociétés ICV et HPRE » en invoquant le respect du principe de loyauté dans la communication des pièces et le droit des personnes morales au secret des correspondances, qui interdit, selon elle, à tout tiers qui n’aurait pas été destinataire desdites correspondances de produire ces dernières au cours d’une instance judiciaire. Elle fait valoir qu’en l’espèce la société Conforama a nécessairement obtenu ce document de manière déloyale, n’étant pas partie à cet accord, qui est confidentiel, et ne disposant pas de l’accord des parties, qui ne le lui ont pas communiqué, pour le diffuser. Elle souligne que le courriel du 29 juin 2017 envoyé à la société Conforama et qui contenait le protocole litigieux n’est pas une lettre officielle entre avocats, de sorte qu’il est couvert par le secret des correspondances entre avocats et que cela n’est pas altéré par le fait que ce courriel provienne de l’assistante du cabinet d’avocat.

20.La société HPRE s’oppose à la production du protocole d’accord versé aux débats par la société Conforama, au motif que cette dernière aurait obtenu ce document de manière déloyale, puisqu’elle n’y est pas partie, qu’elle ne dispose pas de l’accord des parties pour le diffuser et qu’elle n’explique pas les conditions de son obtention.

21.La société Conforama conteste avoir obtenu ce protocole d’accord de manière déloyale, expliquant que c’est la secrétaire du conseil de la société ICV qui l’a transmise fortuitement au conseil de la société Conforama en pièce jointe à un email du 30 juin 2017, qu’elle qualifie de pièce de procédure, qui avait pour objet de le mettre en copie de sa correspondance au tribunal de commerce, avec ses annexes. Elle ajoute que la production de cette pièce n’est pas déloyale au motif que cet accord n’est pas confidentiel mais occulte, ce qui empêche une quelconque atteinte aux droits et obligations des parties signataires à ce document. Elle considère que ce document n’est pas confidentiel car il ne contient aucune clause de confidentialité et qu’il n’est pas couvert par le secret professionnel ou la confidentialité des correspondances entre avocats car les envois par des personnels non-avocats ne sont pas couverts par la confidentialité des correspondances entre avocats, selon l’avis no2015-043 du CNB du 31 décembre 2015.

22.La société Conforama souligne enfin que la production de ce document est légitime, notamment en ce que sa récente découverte permet de contribuer à la manifestation de la vérité à laquelle elle doit apporter son concours en application de l’article 10 du code de procédure civile, en permettant d’établir la connivence procédurale entre les sociétés ICV et HPRE. Elle indique en effet que les sociétés HPRE et ICV ont dissimulé une entente entre elles pour écarter l’application des règles de procédure civile au regard de la prescription et de la recevabilité à agir, cette déloyauté procédurale devant être sanctionnée. Elle affirme que les sociétés ICV et HPRE ont conclu un accord occulte qui a été dissimulé au tribunal et à la Cour, qui acte du défaut d’intérêt à agir de la société ICV et constitue une fraude à la loi. Elle fait valoir que ce comportement est constitutif d’un abus de droit ou à tout le moins d’une connivence procédurale déloyale contraire au procès équitable, qui doit conduire la Cour à juger les demandes des sociétés ICV et HPRE irrecevables.

23.Le Ministère public n’a pas fait connaître ses observations sur ce point qui a été soulevé après la communication de son avis.

Sur ce,

24.Aux termes de l’article 66-5 de la loi no 71-1130 du 31 décembre 1971, en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l’avocat et ses confrères à l’exception pour ces dernières de celles portant la mention « officielle », les notes d’entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel.

25.Aux termes de l’article 3-1 du règlement intérieur national de la profession d’avocat, tous les échanges entre avocats, verbaux ou écrits quel qu’en soit le support (papier, télécopie, voie électronique …), sont par nature confidentiels. Les correspondances entre avocats, quel qu’en soit le support, ne peuvent en aucun cas être produites en justice, ni faire l’objet d’une levée de confidentialité.

26.Il résulte de ces textes dont l’importance a été soulignée par la cour européenne des droits de l’homme pour garantir effectivement le respect du secret professionnel, combinés avec les articles 6 § 1 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, que sauf si elles portent la mention « officielle », les correspondances entre avocats et/ou entre un avocat et son client ne peuvent être produites en justice, sans aucune exception, et ne peuvent être légitimées par l’exercice des droits de la défense, sauf pour la propre défense de l’avocat.

27.Dès lors, quand bien même les correspondances entre avocats seraient échangées par courriel entre la secrétaire d’un avocat et un avocat, portant clairement comme objet le nom des parties et du dossier concerné et précisant la nature des pièces jointes, comme en l’espèce « courrier au tribunal de commerce », « protocole d’accord transactionnel régularisé », ces correspondances sont couvertes par le même secret, dès lors qu’elles ne portent pas la mention « officielle ».

28.En l’espèce, la société Conforama a produit en pièce no50 un document dont il résulte qu’elle l’a obtenu par courriel de son avocat, Maître Martin, qui lui-même l’avait reçu du cabinet de Maître Borel le 30 juin 2017, mentionnant expressément qu’il s’agissait d’une transmission concernant un dossier « Industria Conciara V / Mab Lt + HPRE » et qu’un « protocole d’accord transactionnel » était joint, sans toutefois mentionner le caractère « officielle » de ladite transmission.

29.Or, tant le courriel lui-même que les pièces jointes au courriel, quand bien même il ne serait pas indiqué le caractère confidentiel desdites pièces et serait transmis par le biais de la secrétaire de Maître Borel, sont couverts par le secret professionnel de l’avocat et ne peuvent être produits en justice.

30.Il y a lieu par conséquent de les écarter des débats et de supprimer dans les conclusions des parties toutes les références à ladite pièce.

Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité de la société HPRE pour faire rétablir la procédure suspendue devant le tribunal de commerce

31.La société Conforama fait valoir au visa de l’article 379 du code de procédure civile que la société HPRE n’avait pas qualité pour faire rétablir la procédure pendante devant le tribunal de commerce, étant tiers à l’instance. Elle souligne que dans son jugement du 30 juin 2015, le tribunal de commerce de Paris n’a pas répondu à ce moyen et ajoute qu’une intervention volontaire suppose que la procédure soit en cours et ne peut produire d’effet quant au rétablissement de l’affaire, de sorte que la procédure qui s’est ensuite poursuivie est irrégulière. Elle en conclut que l’intervention volontaire de la société HPRE est irrecevable et que tant le jugement du 30 juin 2015 que le jugement du 19 juin 2019 doivent être infirmés.

32.En réponse, la société HPRE fait valoir que le rétablissement de l’instance suspendue pouvant intervenir à la diligence du juge, rien n’empêchait le tribunal de commerce de rétablir la procédure le 30 juin 2015, quand bien même cela s’est fait sur sa suggestion. Elle ajoute que la jurisprudence rendue en matière de radiation, invoquée par la société Conforama, est inapplicable au sursis à statuer car dans le cas d’une radiation, le juge ne peut avoir l’initiative du rétablissement de l’affaire, contrairement au sursis à statuer.

33.La société ICV acquiesce au jugement du 30 juin 2015 et n’entend pas s’associer à l’appel formé par la société Conforama.

34.Le ministère public n’a pas émis d’avis sur cette question.

Sur ce

35.Aux termes de l’article 379 du code de procédure civile, le sursis à statuer ne dessaisit pas le juge. À l’expiration du sursis, l’instance est poursuivie à l’initiative des parties ou à la diligence du juge, sauf la faculté d’ordonner, s’il y a lieu, un nouveau sursis.

36.En l’espèce, l’instance introduite devant le tribunal de commerce de Paris ayant fait l’objet d’une jonction et d’un sursis à statuer dans l’attente de l’arrêt de la cour d’appel de Montpellier, et ce dernier arrêt ayant été rendu le 17 mai 2011, l’instance pouvait dès lors être poursuivie à l’initiative des parties ou à la diligence du juge.

37.La société HPRE ayant saisi le tribunal de commerce de Paris le 20 décembre 2013 par lettre sollicitant le rétablissement afin de pouvoir former une demande d’intervention volontaire dans l’instance suspendue et joignant ses conclusions, c’est à juste titre, indépendamment de l’absence de qualité de partie de la société HPRE à solliciter un tel rétablissement, que le juge a, de son propre chef, ordonné ce rétablissement.

38.Il y a lieu par conséquent de rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée sur ce fondement.

Sur l’intérêt à agir de la société HPRE

39.La société Conforama soutient que l’action oblique de la société HPRE contre la société Conforama en contestation des factures émises par Conforama à l’égard de la société Mab Ltd est prescrite depuis le 19 juin 2013. Elle indique que l’instance ayant été introduite par la société ICV par assignation du 9 septembre 2008, la loi du 17 juin 2008 instaurant un délai de prescription de 5 ans s’applique, de sorte que l’action oblique de la société HPRE était prescrite depuis le 19 juin 2013, celle-ci n’ayant accompli aucun acte interruptif de prescription dans ce délai et ayant fait parvenir ses conclusions d’intervenant volontaire le 5 mai 2014, soit au-delà du délai de cinq ans.

40.La société Conforama conteste que l’instance engagée par la société ICV en référé le 27 avril 2007, soit avant la loi du 17 juin 2008, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ait interrompu la prescription, le juge des référés s’étant déclaré incompétent le 15 juin 2007, et ayant renvoyé le dossier au fond.

41.Elle soutient que les mesures conservatoires et d’exécution accomplies par la société HPRE en 2006 et 2011 ne sont pas des actes interruptifs de prescription car ils n’ont pas été accomplis dans le cadre de l’action oblique à l’égard de la société Conforama mais dans le cadre de sa propre action en recouvrement des sommes lui étant dues par la société Mab Ltd.

42.Enfin, la société Conforama fait valoir que l’interruption de la prescription de l’action oblique par l’assignation du 9 septembre 2008 de la société ICV ne peut profiter à la société HPRE car l’assignation ne profite qu’à celui qui l’a introduite et que la prescription n’est interrompue que relativement au droit invoqué dans l’assignation. Elle ajoute que le droit d’agir du créancier qui exerce une action oblique s’apprécie en conséquence individuellement et personnellement.

43.La société Conforama rappelle que l’intervenant volontaire doit disposer d’un intérêt propre à agir pour que son intervention soit jugée recevable, surtout s’il est intervenant à titre principal, qu’il ne peut intervenir à l’action s’il n’est pas en mesure d’agir lui-même contre la partie défenderesse. Elle conclut que l’action de la société HPRE étant prescrite, son intervention n’est pas recevable.

44.En réponse, la société HPRE fait valoir que son intervention est accessoire et non principale et qu’elle dispose d’un intérêt légitime à intervenir dans l’instance introduite par la société ICV visant à ce qu’il soit statué sur le montant de la créance de Mab Ltd à l’encontre de la société Conforama France afin de voir déterminer les sommes qui lui reviendraient dans le cadre de son action oblique, dans la mesure où elle détient une créance certaine liquide et exigible à l’encontre de Mab Ltd pour un montant de 5.930.000$ US et donc, un droit propre.

45.Elle souligne que ses conclusions d’intervention volontaire ont été adressées au tribunal de commerce dès le 20 décembre 2013 et que son action n’était pas prescrite à cette date puisqu’elle intervient dans une action engagée par assignations en référé et au fond, respectivement du 27 avril 2007 et du 09 septembre 2008, signifiées par la société ICV à la société Conforama aux fins de fixation de la créance de Mab Ltd, qui ont interrompu la prescription et que la société HPRE, en tant que créancier se joignant à l’action oblique, peut se prévaloir de cette interruption. Elle souligne que le créancier agissant par voie oblique intervient non pas de son propre chef mais du chef de son débiteur et que dès lors il ne saurait y avoir plusieurs délais de prescription. Elle fait ainsi valoir qu’elle bénéfice de cette interruption car les deux actions tendent toutes les deux au même but, celui de reconstituer le patrimoine de la débitrice commune par la fixation de la créance de cette dernière à l’encontre de la société Conforama. Elle souligne que la demande en justice interrompt la prescription jusqu’à l’extinction de l’instance et qu’à la date du 20 décembre 2013, l’instance n’était pas éteinte puisque aucune décision n’avait tranché le fond du litige, de sorte que son intervention volontaire est recevable.

46.La société HPRE ajoute que la loi du 17 juin 2008 ne s’applique pas à la présente procédure au motif que l’action a été introduite par l’assignation en référé du 27 avril 2007, soit avant l’entrée en vigueur de cette loi. La société HPRE considère ainsi que la prescription de son action n’aurait pu être acquise que le 5 juillet 2016.

47.A titre subsidiaire, la société HPRE fait valoir que les demandes formées par elle devant le juge de l’exécution et les actes d’exécution forcée ont interrompu la prescription.

48.Concernant les demandes formées par HPRE devant le juge de l’exécution, elle fait valoir que l’action oblique portée devant le Juge de l’Exécution le 20 avril 2009 visant à se voir attribuer les sommes que la société Conforama devrait à Mab Ltd incorporait implicitement mais nécessairement la demande de voir établir le compte entre Mab Ltd et Conforama, ce qui aurait pour conséquence d’interrompre la prescription sur cette action, même si le juge de l’exécution n’était pas compétent pour entendre cette demande. Elle ajoute que cet acte a interrompu la prescription durant toute la durée de l’instance, et n’a recommencé à courir au plus tôt que le 15 novembre 2012 date de l’arrêt de la cour d’appel de Paris ;

49.Concernant les mesures d’exécution forcée, la société HPRE fait valoir que la sommation interpellative du 30 octobre 2006 ainsi que la notification de l’acte de conversion de la saisie conservatoire en saisie-attribution du


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