Cour d’appel de Paris, 3 avril 2012, 10/24953

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Cour d’appel de Paris, 3 avril 2012, 10/24953

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 2- Chambre 1

ARRET DU 3 AVRIL 2012

(no 116, 7 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 10/ 24953

Décision déférée à la Cour :

jugement du 1er décembre 2010- Tribunal de Grande Instance de PARIS-RG no 10/ 01078

APPELANT

Monsieur X…

92210 ST CLOUD

représenté par Me Laurence TAZÉ-BERNARD (avocat au barreau de PARIS, toque : L 0068)

assisté de Me Damien AYROLE (avocat au barreau de PARIS, toque : E0786) substituant Me Alain-Pierre NETTER (avocat au barreau de PARIS, toque : A0452)

INTIMEE

SELARL FIDUFRANCE, agissant en la personne de ses représentants légaux.

10 avenue de Messine

75008 PARIS

représentée par la SCP BOMMART FORSTER-FROMANTIN (Me Edmond FROMANTIN) (avocats au barreau de PARIS, toque : J151)

assistée de la SELARL CABINET SCHMITT & ASSOCIES (Me Dominique SCHMITT) (avocats au barreau de PARIS, toque : L0021)

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 21 février 2012, en audience publique, le rapport entendu conformément à l’article 785 du code de procédure civile, devant la Cour composée de :

Monsieur François GRANDPIERRE, Président de chambre

Madame Brigitte HORBETTE, Conseiller

Madame Dominique GUEGUEN, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mme Noëlle KLEIN

ARRET :

– contradictoire

-rendu publiquement par Monsieur François GRANDPIERRE, Président de chambre

-par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Monsieur François GRANDPIERRE, Président et par Madame Noëlle KLEIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

******************

M. Alain X…, désireux de procéder à la cession de ses actions de la société TUROVER à la société COMPAGNIE FINANCIERE DES CARDANS, cette dernière étant intéressée seulement par l’achat des droits nécessaires à l’activité de manufacturage de caoutchouc sous toutes ses formes et moulages en tous genres, à l’exclusion de l’activité protection, ce qui supposait, pour parvenir à la cession, de négocier et de réaliser des mesures préalables de restructuration du groupe TUROVER-FINOVER avec réalisation d’opérations de fusion-absorption et de filialisation, s’est adressé à la société FIDUFRANCE, société d’avocats, conseil habituel de M. X… et de ses sociétés, lequel a conseillé à son client de créer une société holding, AB FINANCE, à laquelle il ferait apport des 29582 actions TUROVER par lui détenues, évaluées à la somme de 10 974 000 frs afin de les céder, quelques jours après, à la COMPAGNIE FINANCIERE DES CARDANS.

C’est ainsi que par acte sous seing privé en date du 8 juillet 1999, la société AB FINANCE et M. Alain X… ont cédé, tant pour leur compte que pour celui d’autres actionnaires dont ils se sont portés fort, 57 404 actions de la société TUROVER, représentant 96, 328 % du capital social, à la société COMPAGNIE FINANCIERE des CARDANS, selon les termes et conditions d’un protocole d’accord général signé le même jour, incluant une garantie de passif, et, du fait des exigences de l’acheteur, ont été également réalisées :

– une fusion absorption de la société TUROVER par sa société mère, la société FINOVER,

– une externalisation de l’activité  » Protection  » par la création d’une nouvelle société, filiale à 100 % de la société FINOVER (ayant alors repris la dénomination TUROVER) dénommée TUROVER PROTECTION.

Il était prévu, in fine, une cession par TUROVER (FINOVER) de ses actions à M. X….

Cette opération d’apport-cession et les montages juridiques mis en place ont été critiqués par l’administration fiscale, qui a procédé à des redressements tant à l’encontre de la société TUROVER qu’à l’encontre de M. Alain X….

C’est dans ces conditions que M. Alain X…, invoquant un double manquement de la Selarl FIDUFRANCE à son obligation de conseil, lui reprochant :

– d’une part de l’avoir incité à recourir à une fusion-absorption pour procéder à la cession de ses titres, opération que l’administration fiscale a qualifiée d’abus de droit, procédant à un redressement fiscal avec majorations et intérêts de retard pour un montant de 129 834 €,

– d’autre part de lui avoir conseillé un montage juridique ayant conduit à un redressement fiscal à l’encontre de la société TUROVER dont le nouvel actionnaire, mettant en oeuvre la garantie de passif prévue au protocole, a réclamé le remboursement et a obtenu la condamnation solidaire de M. X… et d’AB FINANCE par arrêt du 9 avril 2009 de la cour d’appel de Versailles confirmatif d’un jugement du tribunal de grande instance de Nanterre du 26 mai 2006, à concurrence de la somme de 312 490, 82 €, a assigné son avocat devant le tribunal de grande instance de Paris en recherchant sa responsabilité civile professionnelle et a demandé la condamnation de son avocat à lui payer la somme de 442 332, 82 € à titre de dommages et intérêts, ainsi qu’une indemnité de procédure.

La société FIDUFRANCE a contesté les manquements reprochés, a invoqué le caractère nécessaire et rationnel au plan économique de l’opération conseillée, soutenant pour l’essentiel qu’elle n’avait pas pour mission de se substituer à l’expert comptable et au commissaire aux comptes de l’entreprise ni d’auditer les chiffres de ces derniers, qu’elle avait informé par une lettre du 19 septembre 1995 M. X… des problèmes fiscaux liés à la perte des déficits fiscaux résultant de la fusion, que M. X… aurait pu contester, avec des chances de succès, la décision de l’administration fiscale en engageant une procédure qui aurait été suffisamment longue pour bénéficier de l’évolution jurisprudentielle et a fait valoir par ailleurs qu’elle n’était intervenue qu’indirectement dans la cession des titres TUROVER-FINOVER à la société COMPAGNIE FINANCIERE DES CARDANS, orchestrée par la société FINANCIERE GALLIERA.

Par jugement en date du 1er décembre 2010, le tribunal a débouté M. X… de l’ensemble de ses demandes, débouté la société FIDUFRANCE de sa demande de dommages et intérêts et condamné M. X… à payer à la société FIDUFRANCE la somme de 3000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’à payer les dépens.

CELA ETANT EXPOSE, la COUR :

Vu l’appel interjeté le 24 décembre 2010 par M. X…,

Vu les conclusions déposées le 22 avril 2011 par l’appelant qui demande d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a débouté la société Fidufrance de ses demandes, statuant à nouveau, de condamner la société Fidufrance à lui verser la somme de 384 699, 37 € en réparation du préjudice subi, de débouter la société Fidufrance de ses demandes, de condamner la société Fidufrance à lui verser la somme de 10 000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’à payer les entiers dépens,

Vu les conclusions déposées le 5 septembre 2011 par l’intimée qui demande, à titre principal de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, de condamner M. X… à lui payer la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, la somme de 10 000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

ainsi qu’à payer les dépens d’appel.

SUR CE :

Considérant que l’appelant soutient que la société FIDUFRANCE a manqué à son devoir de conseil en ne s’assurant pas de l’efficacité des actes rédigés, puisque elle était son conseil et également le rédacteur du traité de fusion absorption, de la filialisation de l’activité protection de la société TUROVER, de la création de la société AB FINANCE, de l’acte de cession des titres TUROVER à la société COMPAGNIE FINANCIERE DES CARDANS, du protocole d’accord général fixant les droits et obligations de chacun dans le cadre de la cession ; qu’il reproche plus particulièrement à la société FIDUFRANCE de n’avoir pas attiré son attention, lors de la fusion des sociétés FINOVER et TUROVER intervenue en 1998, sur l’impossibilité de reprise par la société absorbante des déficits fiscaux reportables de la société absorbée et de l’avoir laissé garantir l’exactitude des informations comptables et fiscales portées sur les annexes du protocole de cession ;

Considérant que sur son préjudice, l’appelant fait état des deux redressements fiscaux intervenus à la suite d’un contrôle fiscal en 2001 ; qu’au titre de son redressement personnel, il fait état du règlement d’une somme de 129 834 € (représentant les intérêts de retard et les pénalités de mauvaise foi) puisque le montage conseillé a été qualifié d’abus de droit et au titre du redressement de la société TUROVER-FINOVER, le fait que les pertes fiscales reportables sur des profits futurs ont dû être pour partie fiscalement réintégrées, ce qui a entraîné qu’il a été condamné, au titre de la garantie de passif et par l’arrêt de la cour d’appel de Versailles susvisé, à payer la somme de 254 865 € ; qu’il réclame ainsi à la société FIDUFRANCE la somme totale de 384 699, 37 € ;

Considérant que le jugement déféré a rappelé que M. X… s’est vu notifier le 19 juillet 2001 un redressement fiscal personnel, d’un montant total de 3 892 111 frs soit 593 348 €, portant sur trois postes différents, dont deux postes de redressement, l’un relatif aux intérêts perçus en 1998 et 1999 sur ses comptes courants d’associés d’un montant de 529 499 Frs et l’autre à la plus-value réalisée sur l’échange de titres dans le cadre de la fusion-absorption FINOVER/ TUROVER d’un montant de 619 164 Frs qui n’ont pas été contestés par l’appelant dans ses courriers des 6 août et 21 septembre 2001, lequel a en revanche, contesté le troisième poste, à l’origine du présent litige, redressement relatif à l’imposition portant sur la plus-value taxable dans le cadre de l’apport fait par M. X… à la société AB FINANCE de sa participation au capital de la société FINOVER devenue TUROVER le 7 juillet 1999, participation cédée à la société COMPAGNIE FINANCIERE DES CARDANS le 8 juillet 1999, portant sur un montant de 7 799 136 frs ; que par un courrier du 14 décembre 2001 l’administration fiscale a maintenu son redressement ;

Considérant que l’appelant fait valoir que l’administration fiscale a estimé que la création de la société AB FINANCE n’avait pas d’autre but que de permettre à M. X… de se placer dans le champ d’application de l’article 160 du code général des impôts (CGI) prévoyant le report des taxations des plus values et a retenu la qualification d’abus de droit, entraînant une majoration de 80 % des droits exigibles, conformément à l’article 1729 du CGI ;

Considérant que le second redressement est celui de la société TUROVER, à l’origine de l’action en garantie engagée par le nouvel actionnaire à l’encontre de M. X… : qu’il a été notifié le 22 mai 2003 à la société TUROVER par l’administration fiscale, qu’au titre de la garantie de passif, la COMPAGNIE FINANCIERE des CARDANS a réclamé à M. X… et à la société AB FINANCE, par lettre recommandée avec accusé de réception, diverses sommes, dont celles reposant sur :

– la perte du droit au report de déficits antérieurs de la société TUROVER, en raison du changement profond de l’activité du holding FINOVER, renommé TUROVER, suite à la fusion absorption réalisée en 1998 de sa filiale opérationnelle TUROVER,

– la déchéance du régime de sursis d’imposition de la plus value d’apport réalisée en 1998 par la filiale opérationnelle TUROVER dans le cadre de la filialisation de son activité protection suite à la cession par la société TUROVER de sa participation au capital de ladite société TUROVER PROTECTION au profit de la société AB FINANCE et de M. Alain X… ;

Considérant que l’appelant, pour le redressement personnel, conteste l’analyse des premiers juges qui ont considéré que le préjudice invoqué par M. X… du fait du manquement de son avocat à son obligation de conseil n’était pas indiscutablement établi, se fondant essentiellement sur deux arrêts rendus par le Conseil d’Etat le 8 octobre 2010 et sur le courrier daté du 19 septembre 1995, adressé à M. X… plus de trois années avant la réalisation de l’opération critiquée, estimant en conséquence que ce dernier était tout à la fois  » suffisamment informé avant la réalisation de l’opération du risque fiscal que l’apport fusion lui faisait courir  » et qu’il  » aurait pu contester avec des chances de succès, compte tenu de l’évolution de la jurisprudence et de la durée habituelle de ce type de procédure, la décision de l’administration devant les tribunaux  » ;

Considérant que M. X… conteste une telle motivation qui méconnaît selon lui, tant la faute et la portée du document invoqué que la portée de la jurisprudence en matière d’abus de droit ; qu’il rappelle que bien qu’il ait tenu informée la société FIDUFRANCE des différents échanges de correspondances avec l’administration fiscale et qu’il ait sollicité son conseil, il n’a obtenu aucune réponse de sa part ; que malgré une lettre recommandée du 7 février 2002 dans laquelle il demandait une ultime fois à la société FIDUFRANCE s’il devait ou non accepter la proposition transactionnelle formulée par l’administration, demande restée sans réponse et réitérée le 19 février 2002 par télécopie, dans laquelle il informait son avocat d’un rendez-vous fixé le 25 février 2002 avec l’inspecteur principal, il n’a reçu aucun conseil ni assistance ni réponse, ce qui l’a contraint à faire appel en urgence aux services d’un autre avocat, spécialiste du droit fiscal, qui lui a conseillé de transiger pour un montant total de 445 141 € qu’il a réglé le 30 septembre 2002, cette somme incluant un impôt principal de 315 307 €, des intérêts de retard pour 30 742 € et des majorations pour 99 092 € ; qu’il estime avoir été non seulement non conseillé avant, lorsqu’il aurait fallu faire certaines déclarations, mais en outre non assisté après et que sur cet aspect du litige, aucune explication ne lui a été fournie ;

Considérant que l’appelant fait encore valoir que le courrier du 19 septembre 1995, visé à tort par le jugement, ne concerne pas la création d’une société holding destinée à recevoir les titres des sociétés FINOVER et/ ou TUROVER, qu’il n’a donc pas été avisé du risque, que c’est seulement depuis et dans la présente instance que FIDUFRANCE lui donne le conseil de  » résister  » et prétend qu’il aurait eu gain de cause ; or il conteste l’argumentation de l’intimée, car le changement de jurisprudence invoqué n’est qu’une vision parcellaire d’un prétendu changement, ne concerne que le régime ultérieur, pas celui applicable à l’opération litigieuse, et les derniers arrêts du Conseil d’Etat du 8 octobre 2010 confirment que l’administration fiscale est fondée à invoquer l’abus de droit ; qu’en tout état, il n’a pas été informé du risque, alors qu’il aurait dû l’être  » ab initio  » ; qu’en effet, c’est lors de la fusion, alors que son avocat rédigeait les actes, au surplus s’agissant d’une fusion avec effet rétroactif, qu’il fallait s’assurer des documents nécessaires, en particulier de l’agrément pour pouvoir utiliser les déficits reportables ;

Considérant que pour la mise en jeu de la garantie de passif, il conteste également l’analyse des premiers juges qui ont estimé ne pas avoir la preuve de l’intervention de la société FIDUFRANCE ; qu’il soutient que c’est bien la société FIDUFRANCE, son conseil habituel, qui l’a conseillé, que c’est M. E…, avocat associé de ladite société, qui a assisté aux réunions dans les bureaux de l’avocat des acquéreurs, la FINANCIERE GALLIERA, représentée par M. B…, lequel n’est pas avocat contrairement à l’indication erronée du jugement, étant intervenue pour regrouper et représenter l’ensemble des actionnaires éparpillés de la société FINOVER-TUROVER ; qu’il ajoute que d’ailleurs, la société FIDUFRANCE a été destinataire des différentes versions du protocole d’accord portant garantie de passif et d’actif ;

Considérant que l’intimée soutient que les trois fautes qui lui sont reprochées, ainsi résumées :

– avoir conseillé à M. X… de constituer la société holding AB FINANCE et organisé un montage d’apport-cession à ladite société des titres de la société TUROVER,

– lors de la fusion des sociétés FINOVER et TUROVER, intervenue en 1998, ne pas avoir attiré son attention sur l’impossibilité de reprise par la société absorbante des déficits fiscaux reportables de la société absorbée,

– lui avoir laissé garantir, lors de la cession des titres AB FINANCE à la société COMPAGNIE FINANCIERE DES CARDANS l’exactitude des informations portées sur le bilan de la société TUROVER ainsi que sur les annexes du protocole de cession,

sont inexistantes ;

Considérant que l’intimée, sur le second reproche qui lui est fait dans le cadre de la fusion absorption, à propos de laquelle il lui est fait grief de n’avoir pas sollicité l’administration fiscale, ni invité son client à solliciter une demande d’agrément pour le report des déficits de la société absorbée, fait valoir qu’il s’agit d’un moyen nouveau, non soulevé en première instance et doublement irrecevable, au titre de la prescription décennale de l’article 110-4 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 et au titre du défaut d’intérêt à agir de M. X… ; que s’agissant de la prescription, elle rappelle que le traité de fusion a été approuvé par les sociétés concernées le 23 novembre 1998 et a eu un effet rétroactif au 1er janvier de la même année, alors que l’assignation date du 1er décembre 2009, que le moyen est donc prescrit ; que sur le défaut d’intérêt à agir, au sens de l’article 31 du code de procédure civile, elle fait valoir qu’elle n’a pas été le conseil de M. X… personnellement lors des opérations de fusion-absorption FINOVER-TUROVER mais le conseil des deux sociétés, qu’elle a facturé des honoraires à elles seules et non aux actionnaires, comme l’est M. X… ;

Considérant que sur son intervention dans la cession des titres de la société TUROVER-FINOVER à la société COMPAGNIE FINANCIERE DES CARDANS, l’intimée qui explique dans ses écritures les raisons économiques expliquant aisément pourquoi elle n’est intervenue que très indirectement dans la cession, rappelle qu’elle n’a pas rédigé ni participé directement à la rédaction de l’acte de garantie de passif, la cession étant orchestrée sous l’égide de la société FINANCIERE GALLIERA, représentée par M. B…, seul interlocuteur de Me A…, avocat de la société cessionnaire, ce dont attestent les échanges de télécopies entre ces deux professionnels des 26 octobre et 3 novembre 1998 produits en pièces 5 et 6 et que M. X…, non en mesure de négocier dans ce rachat d’entreprise, n’a donc pas voulu faire intervenir son propre avocat et ne produit d’ailleurs aucun document ou facturation d’honoraires qui puisse confirmer ses dires, qu’il est de mauvaise foi pour avoir été informé dès 1995 des aspects fiscaux liés à la restructuration juridique et financière de la société FINOVER et de la société TUROVER et n’aurait de toute manière pas eu la possibilité de ne pas garantir le passif ;

Considérant sur le prétendu abandon de M. X… par la société FIDUFRANCE que l’intimée le conteste, ayant toujours conseillé à son client de résister à son redressement personnel, ce qu’il n’a pas, pour des raisons qui lui étaient propres, voulu faire ; qu’elle observe que l’appelant, qui prétend avoir agi sur les bons conseils du cabinet Francis Lefebvre, qu’il avait d’ailleurs saisi bien avant les courriers restés sans réponse des 7 et 19 février 2002, ce qui ressort de la lettre adressée dès le 15 janvier 2002 à la société cessionnaire, n’est pas en mesure de produire des consultations écrites émanant de ce dernier en attestant ; qu’au contraire, il ressort des publications de ce cabinet qu’il conseille habituellement, lorsque l’apport-cession de titres est justifié par une réalité économique, de résister à l’administration fiscale ; que si le client n’a pu justifier de cette réalité économique, ou n’a pas fait les investissements qu’il annonçait à l’administration, l’avocat ne saurait en être responsable ;

Considérant que la société FIDUFRANCE, dont il est constant qu’elle était le conseil habituel de M. X… et de ses sociétés, l’a assisté plus particulièrement pour la constitution de la holding AB FINANCE le 24 juin 1999, en vue de l’apport de sa participation au capital de la société FINOVER ; qu’il n’est pas sans intérêt de noter que comme l’indique l’intimée, cette opération avait une visée patrimoniale tout à fait rationnelle sur les plans économique, juridique et fiscal ; qu’en effet, M. X… détenait, avec d’autres actionnaires, le contrôle d’une société FINOVER, ayant pour filiale une société TUROVER, dont M. X… détenait également en direct des actions ; que par rapport aux exigences économiques de la société cessionnaire, intéressée par l’achat non pas de la totalité mais d’une partie seulement de l’activité de ces entreprises du groupe TUROVER-FINOVER, le montage sur lequel les conseils ont été donnés par la société FIDUFRANCE ne saurait faire l’objet de critiques en ce qu’il n’était en rien abusif, étant observé que pour des raisons de pérennité économique qui lui étaient personnelles, M. X… a fait un apport en nature des actions TUROVER à la société AB FINANCE, lequel n’a pas été rémunéré en espèces mais en titres émis par la société AB FINANCE ; que sur cette création de la société AB FINANCE, les explications fournies par M. X… lui-même dans ses courriers des 6 août et 27 septembre 2001 à la Direction Générale des Impôts, montrent qu’elle était indispensable pour permettre le financement de l’acquisition des titres de la société TUROVER PROTECTION et le remploi des fonds vers d’autres investissements industriels ; que l’opération était utile au plan économique ; que l’administration fiscale n’a pas contesté la réalité de la restructuration entreprise ni prétendu voir un but exclusivement fiscal à la constitution de la société AB FINANCE ; que ce type de montage ne supprime pas l’impôt de plus value mais le diffère à la revente des titres de la holding et permet de réinvestir la totalité du prix de cession d’une entreprise pourvu que ce soit dans une autre entreprise ;

Considérant par ailleurs que la notion d’abus de droit en matière d’apports-cessions de valeurs mobilières a incontestablement évolué en jurisprudence ; que notamment, à partir des années 2003-2004, le Comité Consultatif pour la répression des abus de droit (CCRAD) s’est attaché à la vérification de la présence d’éléments décisifs permettant de justifier l’existence d’un but économique ou professionnel à l’apport des titres à une holding, puis de la cession simultanée de ces derniers ; que cette tendance a été confirmée dans diverses décisions, dont deux arrêts du Conseil d’Etat, intervenus le 8 octobre 2010, ainsi que les 3 et 11 février 2011, mettant un terme à cette insécurité fiscale relative à l’abus de droit dans les opérations d’apport-cession ; qu’il convient dans ce cas que la société bénéficiaire de l’apport conserve, après la cession des titres apportés, une activité économique ; qu’il fallait effectuer les emplois indiqués par M. X… dans sa lettre du 6 août 2001ce dont il ne justifie pas ; que les explications alors fournies par M. X… lui-même à l’administration fiscale allaient dans ce sens et lui auraient permis de contester valablement le redressement ; que d’ailleurs, lorsque l’administration fiscale a persisté le 14 décembre 2001 dans sa position, elle a proposé à M. X… la saisine du CCRAD, qu’il n’a pas donné suite et a préféré transiger, choix personnel dont il ne saurait rendre son conseil responsable ; que comme souligné pertinemment par l’intimée, il n’a pas été abandonné par la société FIDUFRANCE dans cette procédure, la chronologie des courriers montrant qu’il avait déjà fait le choix d’un autre conseil, quand bien même il continuait à interroger le précédent par des courriers des 7 et 19 février 2002 ; qu’il résulte de ces éléments que c’est donc à bon droit que les premiers juges ont pu estimer que dès lors que l’activité d’investisseur actif invoquée pour AB FINANCE est apparue à l’administration fiscale comme purement éventuelle, M. X… aurait pu contester cette position devant les juridictions compétentes avec des chances de succès ;

Considérant que c’est par ailleurs exactement et par de justes motifs que les premiers juges ont pris en compte, dès lors que M. X… a essentiellement reproché à son avocat de n’avoir pas attiré son attention lors de la fusion des sociétés FINOVER et TUROVER en 1998, sur l’impossibilité de reprise par la société absorbante des déficits fiscaux reportables de la société absorbée, l’existence du courrier du 19 septembre 1995, dont les termes étaient clairs puisqu’il était indiqué  » il convient cependant de noter que la fusion entraîne la perte des déficits fiscaux éventuels de la filiale absorbée, sauf agrément préalable de l’administration fiscale  » ; qu’ainsi l’appelant disposait, avant la réalisation de l’opération, de conseils l’informant du risque fiscal que l’apport fusion lui faisait courir ;

Considérant, sur la recevabilité du moyen de M. X… tenant au fait que lors de la réalisation de l’opération de fusion absorption, il reproche à la société FIDUFRANCE de n’avoir pas sollicité de l’administration fiscale une demande d’agrément pour le report des déficits de la société absorbée, qu’elle est contestée par l’intimée ; que toutefois, outre que le moyen n’est pas nouveau puisque l’avocat s’en est expliqué en première instance et que par ailleurs M. X… justifie de son intérêt à agir, puisqu’il n’est pas sérieusement contesté qu’il a été personnellement conseillé, l’intimée n’est pas fondée à lui opposer un moyen d’irrecevabilité tenant à la prescription dès lors que le point de départ de la prescription ne saurait courir, dans le cas comme en l’espèce d’une action en responsabilité civile professionnelle à l’encontre d’un avocat pour manquement à son devoir de conseil, dont le mandat n’avait manifestement pas pris officiellement fin, s’agissant d’un conseil habituel, que du moment auquel le préjudice a été révélé au client, c’est à dire lors du redressement intervenu seulement en 2001 ;

Considérant toutefois que M. X… n’allègue ni ne justifie que l’agrément dont il fait état aurait pu être demandé et obtenu, ni qu’un tel conseil aurait pu lui être, à l’époque, utilement donné ;

Considérant que l’appelant invoque encore le fait que le régime favorable de report d’imposition, en cas d’apport de titres suivi de leur cession, a été modifié à compter du 1er janvier 2000 ; qu’il ne s’agit pas d’une distinction pertinente en l’espèce, dès lors que la différence entre les deux régimes ne concerne que le report sur option ou le sursis de plein droit, mais que les deux régimes sont identiques dès le moment où le contribuable a opté ;

Considérant d’autre part que la société FIDUFRANCE a contesté être intervenue directement dans la cession ; que l’analyse de la pièce 5, soit une télécopie datée du 3 novembre 1998, adressée à M. X… par M. Pierre-Marie B…, appartenant, quand bien même il n’aurait pas la qualité d’avocat, incontestablement à la FINANCIERE GALLIERA, dans laquelle il lui transmet le protocole dans sa version définitive pour le relire et lui faire part de ses remarques et celle de la pièce 6, soit une télécopie datée du 26 octobre 1998, signée pour ordre pour M. Michael A…, avocat au barreau de Paris, et adressée à M. B…et à M. F…, CFC, leur transmettant la dernière version du protocole d’accord et du contrat de garantie, modifiés à la demande du cessionnaire, confirment le fait que la société FIDUFRANCE n’était pas directement en charge de la rédaction du protocole d’accord et de la négociation des termes de ce dernier avec la société COMPAGNIE FINANCIERE des CARDANS ; que les motifs des premiers juges ne peuvent qu’être confirmés en ce qu’ils ont considéré que l’intimée ne pouvait voir sa responsabilité recherchée au titre des dispositions du protocole et des conséquences de celui-ci ;

Considérant enfin, sur la demande de dommages et intérêts formée par l’intimée pour procédure abusive, que cette dernière n’établit ni le caractère purement malicieux de l’instance engagée par M. X… ni la réalité d’un préjudice dont elle aurait eu à supporter les conséquences pour elle-même ou ses associés et qu’elle sera déboutée en conséquence de ce chef de demande ;

Considérant que dès lors que l’appelant succombe en toutes ses prétentions, il sera condamné aux dépens d’appel et débouté de la demande qu’il a formée au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ; qu’en revanche l’équité commande d’accorder à l’intimée pour ses frais irrépétibles engagés en cause d’appel et sur ce même fondement la somme de 8000 € ;

PAR CES MOTIFS :

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Déboute M. Alain X… de sa demande formée en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. Alain X… à payer à la société FIDUFRANCE la somme de 8000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. Alain X… à payer les dépens d’appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 dudit code.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


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