Cour d’appel de Paris, 24 mars 2022, 20/156317

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Cour d’appel de Paris, 24 mars 2022, 20/156317

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 7

ARRÊT DU 24 MARS 2022

(no 3, 17 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 20/15631 – No Portalis 35L7-V-B7E-CCSJ5

Décision déférée à la Cour : Décision no 20-PAC-04 de l’Autorité de la concurrence de Nouvelle-Calédonie en date du 5 octobre 2020

DEMANDERESSE AU RECOURS :

SOCIÉTÉ D’EXPLOITATION DES CINÉMAS HICKSON – SECH S.A.R.L.

Prise en la personne de son représentant légal en exercice

Inscrite au RCS de Nouméa sous le numéro 72 B 3935

Dont le siège social est au [Adresse 1]

Élisant domicile au cabinet de la SCP Jeanne BAECHLIN

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

Assistée de Me Raphaël ROMI substituant Me Caroline PLAISANT de la SELARL CABINET PLAISANT, avocat au barreau de NOUMÉA, toque : 10

EN PRÉSENCE DE :

L’AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE DE NOUVELLE-CALÉDONIE

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par M. [Y] [Z], dûment mandaté

LE PRÉSIDENT DU GOUVERNEMENT DE LA NOUVELLE- CALÉDONIE

BP M2

[Localité 6]

Non comparant et non représenté

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 13 janvier 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

– Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre, présidente,

– Mme Frédérique SCHMIDT, présidente de chambre,

– Mme Sylvie TRÉARD, conseillère,

qui en ont délibéré.

GREFFIER, lors des débats : Mme Véronique COUVET

MINISTÈRE PUBLIC : auquel l’affaire a été communiquée et représenté lors des débats par Mme Jocelyne AMOUROUX, avocate générale, qui a fait connaître son avis.

ARRÊT :

– réputé contradictoire

– prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre, et par Mme Véronique COUVET, greffière à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

* * * * * * * *

Vu la décision de l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie no 2020-PAC-04 du 5 octobre 2020 relative à des pratiques dans le secteur de la diffusion cinématographique en salles dans le [Localité 6] ;

Vu le recours formé contre cette décision par la Société d’exploitation des cinémas Hickson par déclaration déposée au greffe le 3 novembre 2020 ;

Vu l’exposé des moyens et le mémoire en réplique déposés au greffe par la Société d’exploitation des cinémas Hickson respectivement les 4 décembre 2020 et 19 octobre 2021 ;

Vu les observations de l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie déposées au greffe les 13 avril et 26 novembre 2021 ;

Vu l’avis du ministère public du 7 janvier 2022, communiqué le même jour aux parties ;

Les pièces de la procédure ayant été régulièrement transmises par les soins du greffe au président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ;

Après avoir entendu, à l’audience publique du 13 janvier 2022, le conseil de la Société d’exploitation des cinémas Hickson, le représentant de l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie, ainsi que le ministère public.

*

* *

FAITS ET PROCÉDURE

1.La Cour est saisie d’un recours en annulation et en réformation formé contre la décision de l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie qui, statuant sur la plainte de la Société d’exploitation des cinémas Hickson, l’a déclarée pour partie irrecevable et pour le surplus, l’a rejetée pour défaut d’éléments suffisamment probants.

Le secteur concerné

2.Le secteur concerné est celui de la diffusion cinématographique en salle dans le [Localité 6].

3.Cette agglomération, qui regroupe les communes de [Localité 6], [Localité 5], [Localité 7] et [Localité 8], concentre plus de 67% de la population de la Nouvelle-Calédonie. En 2019, la Nouvelle-Calédonie comptait 270 000 habitants, le [Localité 6] 182 400 habitants.

4.Il est constant que le marché de la diffusion d’oeuvres de cinéma en salle dans le [Localité 6] est marqué par une situation de monopole de fait détenu par la Société d’exploitation des cinémas Hickson (ci-après la « SECH »), laquelle exploite le seul cinéma multiplexe du [Localité 6], dénommé « CinéCity », installé dans le centre-ville de [Localité 6] et comprenant 12 salles et 1415 fauteuils.

Les faits à l’origine de la plainte de la SECH

5.La plainte de la SECH fait suite à la décision prise par les autorités locales de créer un multiplexe de cinéma sur la zone d’aménagement concertée du centre urbain de Koutio (ci-après la ZAC de Koutio).

6.Cette ZAC a été créée par la délibération no13-2000/APS du 26 avril 2000 de la Province Sud, sur demande du conseil municipal de la ville de [Localité 5], création motivée par la forte croissance démographique sur la commune (+ 5 % par an en moyenne).

7.La commune de [Localité 5] a confié l’aménagement de cette ZAC à la Société d’aménagement de la Nouvelle-Calédonie (ci-après la « SECAL »), conformément à une convention de concession régularisée le 3 août 2004, et lui a cédé à titre gratuit, en 2006, les terrains de l’emprise de la ZAC.

8.En janvier 2011, la SECAL a publié « un appel à projet » pour l’aménagement de la ZAC, lequel précise :

« La SECAL, agissant en tant que concessionnaire de la Commune de [Localité 5] pour l’aménagement du projet « Centre Urbain de Koutio », commercialise plusieurs îlots destinés à la construction de logements, de commerces, de bureaux, de services, et d’activités à l’image de la diversité recherchée dans le cadre de la réalisation d’un centre urbain, situé dans un site stratégique du développement de l’agglomération nouméenne. (…) La SECAL et la Commune souhaitent faire appel à une ou plusieurs associations constituées par un promoteur privé et un architecte pour développer un (ou des) projet, en partenariat avec la SECAL et la Commune, qui :

– prenne en compte le programme de l’îlot dans le cadre du projet global ;

– propose une réelle qualité architecturale ;

– assure la compatibilité du développement et de la commercialisation du projet avec le planning de mise à disposition des terrains ;

– aboutisse à l’acquisition du terrain d’assiette et à la réalisation du projet. ».

9.Le document de consultation à retirer auprès de la SECAL précise que sont concernées, parmi les activités de loisirs, des activités de multimédia, cinéma, danse, musique, galerie et salles de jeux, destination prioritaire des lots 254 et 256 (concept « citybox »).

10.Les opérateurs intéressés pouvaient candidater jusqu’au 31 janvier 2011 (annexe 126, cote 1375).

11.Un seul opérateur a, à l’époque, répondu à cet appel sur le lot « citybox » : le groupe Le Centre. Toutefois, la commune de [Localité 5] a cessé les négociations avec ce promoteur fin octobre 2012 et le projet n’a pas été concrétisé.

12.En septembre 2012, la SECAL a été approchée par des investisseurs, MM. [T] et [N], futurs dirigeants de la société KiTii Ré, qui recherchaient des terrains pour implanter un cinéma dans le secteur de la ZAC.

13.La SECAL a accepté d’entrer en négociation et un projet de création d’un multiplexe de cinéma sous la franchise MK2 lui a été soumis par la société Ki Tii Ré (ci-après KTR), créée le 2 avril 2014, ayant pour président M. [T], et pour directeur général, M. [N].

14.Le 28 décembre 2015, la SECAL a signé avec la société KTR un compromis de vente immobilière des lots de la ZAC sur lesquels le multiplexe devait être construit.

15.La société KTR a saisi la direction générale des finances publiques (ci-après la « DGFIP ») d’une demande d’agrément fiscal en vue de bénéficier du dispositif de défiscalisation « outre-mer » prévu à l’article 199 underdecies B du code général des impôts. Cet agrément lui a été délivré le 18 novembre 2018, pour un projet de multiplexe comprenant 14 salles et 1 846 fauteuils, et a été assorti de diverses obligations, dont le respect d’un « engagement de ne programmer que 12 salles en exclusivité et [d’en] consacrer 2 exclusivement à des programmations alternatives de type conférence, lecture, reprise, hors film… ».

16.Cette décision d’agrément a été adoptée après avis du Centre National du Cinéma (ci-après « CNC ») des 6 novembre 2017 et 19 juillet 2018 dans lesquels le CNC a indiqué que la zone d’influence cinématographique du [Localité 6], avec un écran pour 14 960 habitants, était « aujourd’hui sous-équipée au regard d’agglomérations comparables sur le territoire métropolitain » et « qu’il est possible d’établir que le [Localité 6] souffre d’un déficit de l’ordre de 8 à 10 écrans et d’un déficit de fauteuils de 2 500 à 2 000 fauteuils ».

17.Le 7 février 2019, l’acte de vente des lots de la ZAC sur lesquels doit être construit le multiplexe MK2 a été signé entre la SECAL, vendeur, et la société Promociné, acquéreur, qui s’est substituée à la société KTR, étant observé que ces sociétés ont un dirigeant commun en la personne de M. [T].

18.L’acte a été signé en présence de la commune de [Localité 5], laquelle avait préalablement donné son agrément, tant sur le prix que sur l’acquéreur, conformément à l’article 13 du cahier des charges de la convention de concession pour l’aménagement de la ZAC de Koutio la liant à la SECAL.

19.La vente a été consentie au prix de 212 520 000 F CFP.

20.L’acte mentionne que la SECAL a acquis ces lots de la Commune de [Localité 5] à titre gratuit suivant acte reçu le 26 septembre 2017.

21.Il précise que sur les lots vendus, certains sont destinés à la réalisation du multiplexe MK2 et de restaurants par la société Promociné, d’autres sont destinés à la réalisation d’une résidence étudiante et de locaux d’activité tertiaire par la société Promociné pour le compte de la Société Immobilière de Nouvelle-Calédonie (ci-après la « SIC ») qui en sera acquéreur en état de futur achèvement.

22.L’acte indique, à titre purement informatif, la ventilation du prix entre les lots destinés au multiplexe et restaurants (110 684 970 F CFP) et ceux destinés à la résidence étudiante (101 835 030 F CFP)

23.Enfin, est stipulée l’obligation de la SECAL de construire des places de stationnement sur des terrains voisins de ceux objets de la vente.

24.Le multiplexe MK2 a ouvert ses portes au mois de décembre 2021.

Le projet concurrent de la SECH

25.Le 6 janvier 2015, la SECH s’est manifestée auprès de la mairie de [Localité 5] pour lui faire part de son projet de construire un nouveau cinéma sur la ZAC et lui a transmis une offre le 11 août 2015.

26.C’est la SECAL qui, par une lettre du 30 août 2016, a répondu à la SECH, en lui indiquant qu’elle était déjà engagée contractuellement à céder un terrain pour un projet similaire de multiplexe : « Nous souhaitons, avec la Ville de [Localité 5] notre concédant, vous remercier pour l’intérêt nouveau et marqué que vous portez à ce territoire central et en pleine évolution, pour la ville de [Localité 5] et pour l’agglomération du [Localité 6]. Pour autant, et comme cela vous a été indiqué, la Secal est d’ores et déjà engagée contractuellement à céder un terrain pour un projet similaire de Multiplexe sur ce périmètre. Cependant, et si l’affaire actuellement en cours n’allait pas jusqu’à son terme, la Secal et la ville de [Localité 5] ont bien pris acte de votre intérêt pour proposer à la population de la commune et des environs une offre cinématographique et de loisirs alternative ; nous ne manquerions alors pas de revenir éventuellement vers vous ».

27.La SECH a alors décidé de créer, sur un terrain dont elle propriétaire sur la commune de [Localité 7], un nouveau multiplexe, dénommé Cinesud, de 7 salles (852 fauteuils), dont une salle VIP et un écran en drive-in pour un total de 8 écrans et 1 012 places.

28.Pour ce projet, elle a saisi la DGFIP le 6 juin 2017 d’une demande tendant au bénéfice du dispositif de défiscalisation précité. Sa demande a été rejetée par une décision du 19 novembre 2018, aux motifs notamment que le projet « ne permettrait pas de répondre au besoin exprimé par le CNC de 1 500 à 2000 fauteuils supplémentaires, qu’il se situerait dans une zone «éloignée des lieux de vies présents sur l’agglomération, notamment des zones commerciales et d’habitation contrairement au projet concurrent », que la politique tarifaire envisagée par la SECH conduisant à une augmentation des prix ne serait pas conforme à l’objectif poursuivi et que la proposition d’oeuvres similaires à celles déjà projetées au CinéCity n’améliorerait pas le niveau et la nature de l’offre cinématographique actuelle ».

29.C’est dans ce contexte que la SECH a saisi l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie (ci-après « l’ACNC »).

30.Parallèlement à cette saisine, la SECH a déposé, le 5 mars 2019, devant le tribunal administratif de Paris, un recours en annulation de la décision d’agrément notifiée à la société KTR.

31.Elle a également saisi, le 13 janvier 2020, la commune de [Localité 5] d’une demande d’annulation des conventions de concession et de cession de 2004 et 2006 passées avec la SECAL.

32.Le 14 mai 2020, elle a formé, devant le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, un recours en annulation des décisions implicites de rejet de ces demandes. Au soutien de ce recours, elle a fait valoir que les sociétés KTR, Promociné et Cininvest, qui portent le projet multiplexe MK2, avaient bénéficié d’aides directes provenant de la commune de [Localité 5], et d’aides indirectes provenant de la SECAL et de la SIC, à hauteur de 434 000 000 F CFP, soit un montant nettement supérieur au plafond d’aides publiques prévu aux articles L.382-1, R.381-1 et R.381-2 du code des communes de Nouvelle-Calédonie.

La plainte de la SECH

33.Dans sa plainte adressée à l’ACNC, par une lettre du 6 août 2019, complétée les 14, 19, 20 et 25 suivants, la SECH a dénoncé en premier lieu, sur le fondement de l’article Lp.421-1 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie, une entente anticoncurrentielle entre les sociétés KTR, Promociné, SECAL, SIC, Cininvest (société qui porte pour partie le financement du multiplexe MK2), la commune de [Localité 5] et la Province Sud, et qui serait caractérisée par un excès d’aides publiques.

34.Aux termes de cette plainte, et de son mémoire du 20 août 2020 déposé par l’intermédiaire de son conseil en vue de la séance du collège, la SECH a fait valoir que les aides publiques ayant permis le financement du multiplexe MK2 s’élèveraient à la somme totale de 473 000 000 F CFP et auraient été accordées :

– lors de la cession du 7 février 2019 conclue entre Promociné et la SECAL, cession consentie à un vil prix, pour être 10,3% moins cher que le prix des cessions de terrains voisins réalisées par la SECAL 12 ans auparavant ;

– par la mise à disposition à titre gratuit au profit de KTR de places de parking réglementaires, places construites par la SECAL sur une autre parcelle de terrain, voisin de celui devant être occupé par le multiplexe, et que lui a concédé à titre gratuit la commune de [Localité 5], alors que KTR aurait dû les financer elle-même pour un montant évalué par la SECH à 434,5 millions F. CFP ;

– la répartition déséquilibrée du prix de vente du terrain entre la société Promociné pour 52% et la SIC, pour 48% aux regard des droits constructibles cédés, 36,7% pour la première, et 63,3% pour la seconde ;

– la « construction d’une partie des ouvrages associés au multiplexe par la SIC » ;

– la « participation financière de la SIC au projet pour la réalisation d’études ».

35.En second lieu, la SECH a dénoncé des pratiques d’abus de position dominante de la SECAL, prohibées par l’article Lp.421-2 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie , tenant à l’existence de « subventions croisées », à la « cession à vil prix » du terrain vendu à la société Promociné, au refus d’étudier la proposition de la SECH au regard des objectifs du centre urbain, à l’absence de publicité et de mise en concurrence des projets de multiplex et à la mise en oeuvre de diverses mesures permettant de subventionner la KTR, en vue, selon la SECH, de l’éliminer.

36.La SECH a également saisi l’ACNC d’une demande de mesures conservatoires. Cette demande avait été initialement formalisée dans la plainte dénonçant les pratiques d’entente et d’abus de position dominante. Par une lettre du 8 août 2019, la rapporteure générale a invité la SECH à présenter sa demande de mesures conservatoires dans un document distinct de la saisine au fond, conformément aux règles de forme et de fond édictées dans le règlement intérieur de l’ACNC.

37.En réponse à cette invitation, la SECH a régularisé sa demande de mesures conservatoires, en adressant un nouveau mémoire le 14 août 2019.

La procédure suivie devant l’ACNC et la décision attaquée

38.Par une lettre du 6 août 2020, l’Autorité a informé la SECH qu’elle examinera sa plainte et sa demande de mesures conservatoires lors de sa séance du 26 août 2020.

39.Dans cette même lettre, elle lui a précisé que le service d’instruction proposera au collège de déclarer irrecevable la saisine et les demandes de mesures conservatoires en ce qui concerne les pratiques reprochées à la SECAL et à la commune de [Localité 5], et de rejeter, pour défaut d’éléments suffisamment probants, la saisine et la demande de mesures conservatoires en ce qui concerne les pratiques reprochées aux sociétés KTR, Promociné et Sic.

40.Enfin, elle lui a indiqué qu’elle pouvait assister à la séance et y présenter les moyens de nature à soutenir ses demandes, à charge d’en aviser le bureau de la procédure au plus tard le 21 août 2020.

41.Les représentants de la SECH ont été entendus par le collège lors de la séance du 6 août 2020.

42.Par la décision no 2020-PAC-04 du 5 octobre 2020, l’ACNC a suivi la proposition de son service d’instruction et a déclaré la saisine pour partie irrecevable, au motif que certaines des pratiques alléguées n’entraient pas dans le champ de sa compétence, et l’a rejetée pour le surplus, pour défaut d’éléments suffisamment probants, en application de l’article Lp.462-8 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie.

43.Elle a, en conséquence, rejeté la demande de mesures conservatoires.

Le recours entrepris

44.Par son recours, la SECH demande à la Cour :

– d’annuler et de réformer la décision attaquée,

– d’enjoindre à la commune de [Localité 5] de bien vouloir communiquer :

l’intégralité de la convention d’aménagement passée avec la SECAL, dont sa version initiale, ses avenants et tout acte y afférent (dont les conventions d’objectifs éventuelles) ;

l’étude de M. [P] (auteur de l’étude de marché réalisée à la demande de KTR) ;

– de relever l’entente constituée entre la province Sud, la commune de [Localité 5], la SECAL, la SIC, les sociétés Promocine, Cininvest et Ki Tii Re ;

– de relever l’abus de position dominante commis par la SECAL et les sociétés Promocine, Cininvest et Ki Tii Re ;

– de demander la communication de l’intégralité du Traité de concession de la Zone d’aménagement Concerté de la ZAC [Localité 5] sur mer no C 306-07 du 7 décembre 2007, passée entre la ville de [Localité 5] et la SECAL ;

Et, par conséquent :

– d’ordonner la récupération des aides perçues et dont le montant s’élève à 473 794 400 F CFP ;

– de prescrire la réformation des actes suivants :

la convention de concession passée avec la SECAL en date du 24 avril 2004 et ses avenants ;

– ou a tout le moins :

la partie de ce contrat relative au terrain d’assiette du multiplexe ;

la partie de ce contrat relative aux terrains concédés à la SIC et bénéficiant indirectement au promoteur du multiplexe ;

la convention d’objectif, non communiquée, passée entre la commune de Dumbea et les sociétés Promocine, Cininvest et Ki Tii Re ;

Et, en tout état de cause,

– de condamner la commune de Dumbéa, la SECAL, la SIC, les sociétés Promocine, Cininvest et Ki Tii Re à payer la somme de 15 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

45.L’ACNC et le ministère public considèrent que le recours doit être rejeté.

46.Le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, à qui le recours et les mémoires ont été transmis, n’a pas adressé d’observations.

*

* *

MOTIVATION

I. SUR LA RÉGULARITÉ DE LA PROCÉDURE SUIVIE DEVANT L’ACNC

47.La SECH soutient que la procédure suivie devant l’ACNC est irrégulière en ce qu’elle l’a privée de la possibilité de discuter la proposition des services d’instruction d’irrecevabilité, pour incompétence, et de rejet, pour défaut d’éléments suffisamment probants.

48.Elle fait valoir que l’ACNC ne lui a pas imposé de délais pour régulariser sa saisine, en méconnaissance de l’obligation qui lui est faite à l’article 23 du règlement intérieur, qu’elle n’a pas établi de rapport, sans l’en informer, en méconnaissance de l’article Lp.463-3 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie, et qu’elle ne l’a pas prévenue du délai de deux mois dont elle disposait pour présenter ses arguments en application de l’article 48 du règlement intérieur.

49.Elle souligne que ce n’est que le 6 août 2020 qu’elle a été informée de la séance du 21 août suivant, et qu’elle a été ainsi prise de court pour présenter son argumentation et apporter de nouvelles pièces relatives au montant des aides publiques illégales. Elle soutient que ce faisant, l’ACNC a méconnu le principe de la contradiction et porté atteinte à ses droits de la défense.

50.L’ACNC répond, en premier lieu, que le fait pour la rapporteure générale de ne pas avoir imposé de date limite dans son courrier du 8 août 2019, pour permettre à la SECH de régulariser sa demande de mesures conservatoires n’a pas fait grief à la plaignante puisque la SECH a pris l’initiative de régulariser cette demande dès le 14 août 2019 et que cette dernière a également transmis, le 21 août 2019, un document intitulé « Mémoire rectificatif et récapitulatif corrigeant le mémoire déposé le 14 août 2019 ».

51.En deuxième lieu, elle souligne que le délai de trois semaines entre la convocation en séance et la séance elle-même, constituait un délai raisonnable pour permettre à la SECH de préparer sa défense, s’agissant d’un délai équivalent à celui prévu par l’article R.464-6 du code de commerce métropolitain, délai dont, au demeurant, la SECH a pu tirer profit en déposant un mémoire de 34 pages pour contester la position des services de l’instruction et pour élargir le champ de sa saisine à des pratiques mises en oeuvre par la société Cininvest et par la Province Sud.

52.En troisième lieu, elle fait valoir que le code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie ne prévoit pas la transmission d’un rapport écrit du service d’instruction préalable à l’organisation d’une séance relative à l’examen d’une proposition de rejet ou d’irrecevabilité.

53.Le ministère public partage cette analyse et invite la Cour à rejeter le moyen.

***

Sur ce, la Cour,

54.Il convient, en premier lieu, de relever, que la SECH a régularisé sa demande de mesure conservatoire par une lettre du 14 août 2019, sur invitation de la rapporteure générale du 8 août.

55.Il résulte en outre des éléments du dossier que la SECH a complété sa demande de mesures conservatoires en adressant à l’ACNC le 21 août 2019, un document intitulé « Mémoire rectificatif et récapitulatif corrigeant le mémoire déposé le 14 août 2019 », qui rappelle l’objet et le fondement de sa saisine au fond, et développe l’existence d’une atteinte grave et immédiate à ses intérêts, à ceux des citoyens, contribuables et consommateurs et les mesures conservatoires sollicitées.

56.Enfin, la décision attaquée s’est prononcée sur cette saisine et sur la demande de mesures conservatoires, telles que présentées puis complétées au cours du mois d’août 2019.

57.Il s’en déduit que le fait que la rapporteure générale n’ait pas fixé de délai à la SECH pour régulariser sa demande de mesures conservatoires n’a causé aucun grief à cette dernière.

58.En deuxième lieu, l’article Lp.463 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie prévoit : « Le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie peut, lors de la notification des griefs aux parties intéressées, décider que l’affaire sera examinée par l’autorité sans établissement préalable d’un rapport. Cette décision est notifiée aux parties. ».

59.Cette disposition n’est applicable que lorsque des griefs ont été notifiés et non lorsque les services d’instruction font une proposition d’irrecevabilité de la saisine pour incompétence ou de rejet pour absence d’éléments suffisamment probants.

60.De la même manière, les dispositions de l’article Lp.463-2 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie, auxquelles renvoie l’article 48 du règlement intérieur de l’ACNC, qui ouvrent aux parties, notamment, la faculté de déposer des observations dans un certain délai, ne s’appliquent que dans l’hypothèse où des griefs ont été notifiés.

61.C’est donc en vain que la SECH invoque la méconnaissance de ces dispositions qui ne sont pas applicables à l’espèce.

62.En troisième et dernier lieu, ainsi que le souligne à juste titre l’ACNC dans ses observations devant la Cour, la SECH a été avisée des propositions des services d’instruction dans la lettre du 6 août 2020 l’informant de la date à laquelle le collège de l'[4] allait examiner sa saisine et sa demande de mesures conservatoires et lui précisant dans quelles conditions elle pouvait intervenir ou assister à cette séance.

63.Or, force est de constater que la SECH a su tirer profit du délai de trois semaines entre cette lettre et la date de la séance pour adresser à l’ACNC un nouveau mémoire de 34 pages qui conteste la position des services de l’instruction et élargit le champ de la saisine à des pratiques mises en oeuvre par la société Cininvest et la Province Sud.

64.Elle a donc pu utilement répondre aux services de l’instruction et présenter ses arguments devant le collège.

65.Le moyen, pris d’une violation du principe de la contradiction, est écarté.

II. SUR LA RECEVABILITÉ DE LA SAISINE

66.Dans la décision attaquée, l’ACNC a considéré que les pratiques reprochées au titre d’une entente à la Province Sud, à la commune de [Localité 5] et à la SECAL ne relevaient pas de sa compétence, s’agissant d’actes et décisions qui relèvent par nature de l’exercice de prérogatives de puissance publique.

67.L’ACNC a relevé, au surplus, que la convention de concession de 2004 comme le contrat de cession gracieuse du foncier de 2006, conclus entre la commune de [Localité 5] et la SECAL, ne sauraient caractériser une entente anticoncurrentielle destinée à promouvoir un nouveau multiplexe au détriment de la SECH dès lors que ces conventions ont été conclues bien avant l’appel à projet d’aménagement de la ZAC de Koutio en 2011 et la proposition des porteurs du projet de multiplex MK2.

68.La SECH fait valoir que l’ACNC était compétente pour connaître de l’ensemble des pratiques dénoncées.

69.Elle invoque les critères jurisprudentiels de répartition de compétence entre le juge administratif et l’Autorité de la concurrence dégagés par le Tribunal des conflits, ainsi que l’application de ces critères faite par le Conseil de la concurrence dans son avis no 08-A-13 du 10 juillet 2008 relatif à une saisine du syndicat professionnel UniCiné portant sur l’intervention des collectivités locales dans le domaine des salles de cinéma.

70.Elle soutient que si, à la lumière de ces critères de répartition, le juge administratif est compétent pour apprécier la légalité des décisions de collectivités locales ayant conduit à créer ou subventionner un cinéma, seule l’Autorité de la concurrence était en l’espèce compétente en raison, d’une part, du caractère indirect des aides litigieuses pour avoir été accordées via un organisme relais, la SECAL, société d’économie mixte, et, d’autre part, « du contrôle moindre de l’absence de législation sur l’encadrement des délégations de service public en Nouvelle-Calédonie ».

71.Elle souligne, sur le premier point, que lorsque la commune de [Localité 5] a refusé sa proposition en lui indiquant que la SECAL était déjà engagée auprès d’un autre prestataire, la ville de [Localité 5] n’avait pris aucune décision susceptible de recours, seule la décision de la SECAL de contracter avec KTR et Promociné, ultérieurement matérialisée par l’acte de cession du 7 février 2019, pouvait être considérée comme l’acte autorisant la création d’un cinéma. Or, un tel contrat, en ce qu’il a été conclu avec une société d’économie mixte, échappait à la compétence du juge administratif.

72.Sur le second point, elle fait valoir que, quand bien même elle aurait saisi le juge administratif dès qu’elle a soupçonné les irrégularités de l’opération, les spécificités du droit applicable en Nouvelle-Calédonie ne lui auraient pas permis de contraindre la ville de [Localité 5] à organiser une procédure de délégation parfaitement impartiale et/ou d’interdire toute atteinte au libre jeu de la concurrence. Elle souligne en effet que le droit communautaire et les dispositions internes de transposition qui réglementent les aides publiques, ainsi que celles qui encadrent l’action des sociétés d’économie mixte ne sont pas applicables en Nouvelle-Calédonie, de sorte que les opérateurs économiques du territoire n’ont pas accès aux recours contre les aides publiques importantes qui ont pour effet de placer un concurrent dans une situation déloyale.

73.Elle considère que l’absence d’outils juridiques permettant aux juridictions administratives de contrôler l’action des sociétés d’économies mixtes a pour effet d’élargir le champ d’action de l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie et qu’en l’état de la législation applicable en Nouvelle-Calédonie, il est impossible de rattacher les actions des sociétés d’économie mixte dans le domaine culturel (à défaut d’un mandat et d’une mission de service public claire et incontestable) à la compétence du Tribunal administratif. L’Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie était, par conséquent, seule compétente pour examiner les éléments exposés dans la requête.

74.En dernier lieu, elle souligne que par sa plainte, elle a demandé à l’ACNC d’examiner les effets de trois subventions indirectes ayant pour origine deux personnes publiques (la commune de [Localité 5] et la Province sud), deux sociétés d’économie mixte et plusieurs sociétés commerciales de droit commun, au profit du multiplexe MK2 qui, proposant des films grand public, va opérer sur un marché concurrentiel, dont la zone de chalandise ? le [Localité 6] ? se superpose à celle du cinéma HICKSON. Elle considère que seule l’Autorité avait la compétence pour apprécier de manière globale ces opérations.

75.L’ACNC répond qu’elle est tenue d’exercer ses missions dans le champ de sa compétence légale, laquelle est strictement encadrée par la partie législative du livre IV du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie, et qu’en aucun cas l’inapplicabilité des règles métropolitaines et européennes en matière d’aides publiques ne peut avoir pour conséquence d’élargir mécaniquement le champ de ses compétences pour sanctionner le versement d’éventuelles aides publiques par des collectivités locales calédoniennes.

76.Elle considère avoir parfaitement démontré aux points 103 à 111 de la décision attaquée que les éventuelles irrégularités des contrats administratifs passés par la commune de [Localité 5], les changements de réglementation concernant les droits à construire sur son territoire ou le respect ou non des dispositions du code des communes de la Nouvelle-Calédonie, même à supposer qu’ils soient avérés et qu’ils aient eu un objet ou un effet anticoncurrentiel, ne peuvent relever que de la compétence du juge administratif.

77.Le ministère public considère que les pratiques alléguées par la SECH concernent l’aménagement de la ZAC de Koutio, relèvent par nature de l’exercice de prérogatives de puissance publique et ont nécessairement un caractère administratif de sorte que l’ACNC n’est pas compétente pour en apprécier la légalité.

***

Sur ce, la Cour,

78.Il résulte des critères de répartition de compétence dégagés par le Tribunal des conflits (Tribunal des conflits, 4 mai 2009, pourvoi no 09-03.714) que relève de la compétence exclusive du juge administratif l’appréciation, au regard des règles de la concurrence, de la légalité de décisions qui procèdent de l’exercice de prérogatives de puissance publique.

79.En l’espèce, par sa plainte, la SECH a saisi l’ACNC de pratiques mettant en cause la commune de [Localité 5], la Province Sud, et la SE


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