Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Copies exécutoires délivrées aux parties le REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Cour d’appel de Paris
Pôle 4 – chambre 1
Arrêt du 20 novembre 2020
(no , pages)
Numéro d’inscription au répertoire général :RG 19/22585-Portalis 35L7-V-B7D-CBEOY
Décision déférée à la cour : jugement du 19 novembre 2019 -tribunal de grande instance de Paris – RG 19/08575
APPELANTE
Commune ville de Paris
agissant en la personne de son maire en exercice
[…]
[…]
Représentée par Me Stéphane DESFORGES de la SELARL LE SOURD DESFORGES, avocat au barreau de PARIS, toque : K0131
INTIMÉE
SCI du […]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège […]
[…]
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Ayant pour avocat plaidant, Me Aurore Guérin, avocat au barreau de PARIS, toque : A 906
Composition de la cour :
L’affaire a été débattue le 15 octobre 2020, en audience publique, devant la cour composée de :
M. Claude CRETON, président
Mme Christine BARBEROT, conseillère
Mme Monique CHAULET, conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Mme Christine BARBEROT, conseillère, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : M. Grégoire GROSPELLIER
Arrêt :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Claude CRETON, président et par Grégoire GROSPELLIER, greffier présent lors de la mise à disposition.
*****
Suivant acte authentique reçu le 22 décembre 1925, M… N… et U… K…, épouse N…, ont vendu à L… G… X…, époux en premières noces de O… F…, et à O… Y… W…, épouse en secondes noces de L… G… X… (les époux X…), un terrain avec des constructions, sis […] et […] (actuellement, […]) à […] actuel, actuellement cadastré section […] . Après le décès du dernier survivant des époux X…, soit L… X…, décédé le […], O… W…, épouse X…, étant décédée le […], leurs héritiers ont constitué, suivant acte authentique reçu les 13 et 14 décembre 1957 par M. J… S…, notaire à Rouen, la société civile immobilière du […] , faisant l’apport en nature à cette société de l’immeuble précité. Après obtention de permis de démolir et de construire en vue d’édifier un immeuble de bureaux, côté avenue […], en continuité avec l’immeuble industriel existant, côté rue […], la SCI du […] (la SCI) a achevé la démolition le 22 mars 2019. Par lettre du 26 avril 2019, la ville de Paris a informé la SCI de ce qu’en 1936, une partie de la parcelle constituant le sol de voirie sur le passage […], avait été expropriée pour une surface de 34,8m2 au profit du services des voiries. Par assignation à jour fixe du 18 juillet 2019, la SCI du […] a assigné la ville de Paris en revendication de la propriété de l’intégralité de la parcelle cadastrée section […] et en bornage.
C’est dans ces conditions que, par jugement du 19 novembre 2019, le Tribunal de grande instance de Paris a :
– rejeté l’exception d’incompétence soulevée par la ville de Paris,
– dit que la SCI était intégralement propriétaire de la parcelle cadastrée […],
– ordonné le bornage de la parcelle telle que figurant au cadastre,
– rejeté la demande de dommages-intérêts,
– rejeté la demande de la ville de Paris en vertu de l’article 700 du Code de procédure civile,
– condamné la ville de Paris à payer à la SCI la somme de 3 000 € en vertu de l’article 700 du Code de procédure civile,
– condamné la ville de Paris aux dépens.
Par dernières conclusions, la ville de Paris, appelante, demande à la Cour de :
– vu les articles L. 220-1, L. 220-2 du Code de l’expropriation, 1240 du Code civil, et l’ordonnance d’expropriation du 16 mai 1936, publiée le 3 octobre 1936,
– infirmer le jugement entrepris,
– dire que la parcelle de la SCI, cadastrée section […] , se trouve à 1,70 m environ en arrière de l’alignement de l’avenue […] et ne comprend pas la bande de terrain d’une largeur de 1,70 m située entre l’alignement de l’avenue […] et la propriété de la SCI,
– dire qu’elle, appelante, est propriétaire de la bande de terrain d’une largeur de 1,70 m environ située entre l’alignement de la rue […] et la parcelle propriété de la SCI, cadastrée section […] ,
– rejeter toutes demandes de la SCI,
– condamner la SCI à lui payer la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, dépens en sus.
Par dernières conclusions, la SCI, du […] prie la Cour de :
– vu les articles 1er du Ier protocole additionnel de la convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, 2 et 17 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, L. 132-2 du Code de l’expropriation, 1240 du Code civil, 7 du décret no 55-22 du 4 janvier 1955, 71 du décret no 55-1350 du 14 octobre 1955, 232, 905 et 907 du Code de procédure civile,
– débouter la ville de Paris de l’ensemble de ses demandes,
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a reconnu qu’elle, intimée, était propriétaire de l’intégralité de la parcelle litigieuse,
– l’infirmer en ce qu’il lui a refusé l’allocation de dommages-intérêts,
– en conséquence,
– enjoindre à tel géomètre qu’il lui plaira, à elle intimée, de nommer, de borner la parcelle litigieuse conformément au permis de construire délivré le 1er août 2018, l’autorisant à construire jusqu’à l’alignement, ce sous huitaine à compter de la décision à intervenir,
– condamner la ville de Paris à lui payer la somme de 1 018 805 € a à titre de dommages-intérêts à parfaire, en raison du retard pris dans la réalisation des travaux autorisés par le permis de construire, sous astreinte de 1 000 € par jour de retard à compter du prononcé de l’arrêt à intervenir,
– condamner la ville de Paris à lui payer la somme de 20 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, dépens en sus.
SUR CE, LA COUR
Sur la revendication de propriété formée par la SCI du […]
L’acte authentique des 13 et 14 décembre 1957 aux termes duquel la parcelle litigieuse a été apportée à la SCI, et qui constitue le titre de propriété de cette société, énonce que, « d’après les titres de propriété », le bien a une contenance de 920,40 m2, « en ce compris la moitié du sol du passage […], en face dudit immeuble », reproduisant la mention de l’acte d’acquisition originaire des époux X… du 22 décembre 1925 que l’intimée n’a pas jugé bon de verser aux débats. Ainsi, le titre de la SCI ne tire aucune conséquence de l’ordonnance d’expropriation du 16 mai 1936, publiée au registre de la publicité foncière le 3 octobre 1936 (volume 928, article 2), comme telle opposable aux tiers à compter de cette dernière date, ayant transféré à la ville de Paris, dans le but de « création d’un plateau planté », la propriété de partie du sol du passage de […], soit le no 15 du plan pour 859,40 m2, jusqu’alors propriété indivise des riverains de ce passage.
La SCI, invoquant (conclusions p. 9) l’article 28, 1o, du décret no 55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière, soutient qu’en l’absence de mention de l’ordonnance d’expropriation sur les fiches d’immeuble, cette décision serait inopposable aux tiers et ce d’autant qu’elle-même serait un tiers ayant acquis du même auteur des droits concurrents sur le même immeuble, cet auteur ayant, lui, procédé aux formalités de publicité.
Mais, la SCI n’est pas en droit de se prévaloir de l’effet relatif de l’inscription à raison de l’absence de publication de l’ordonnance d’expropriation du 16 mai 1936 au fichier immobilier instauré par le décret précité du 4 janvier 1955 entré en vigueur le 1er janvier 1956. De surcroît, ce texte serait-il applicable que la SCI, qui tire ses droits des ayants cause universels de L… X…, ne pourrait davantage se prévaloir de l’effet relatif, n’étant pas un tiers au sens du même décret.
Il ressort tant des arrêtés préfectoraux des 20 juillet 1934 et 18 février 1935 que du plan parcellaire qui y est annexé, tous visés par l’ordonnance d’expropriation précitée, que la bande de terrain litigieuse constituant pour partie le sol du passage de […] au droit de l’immeuble du no 9, propriété indivise des riverains du passage, était bien incluse dans les propriétés à exproprier (surfaces totales expropriées passage de […] : 859,40 m2 dont 756 m2 pris par la voie et 103,40 m2 en dehors de l’alignement), de sorte que les doits indivis des époux X…, riverains de ce passage, sur cette bande de terrain ont été éteints par l’ordonnance du 16 mai 1936.
Par lettre du 1er juin 1949, A. A…, administrateur de biens, se plaignant au nom de son « client », L… G… X…, de l’appropriation par la ville de Paris, à la suite de la transformation du passage en avenue, de la moitié du sol du passage […] mentionnée dans son titre du 22 décembre 1925, demandait au préfet de la Seine de lui indiquer si L… X… avait été indemnisé de la valeur du terrain, à quelle date et à quelles conditions, et, dans l’hypothèse où il serait resté propriétaire du terrain, s’il pouvait en disposer pour édifier une construction ou agrandir celle existante. Cette lettre a provoqué une note du 19 juillet 1949 de l’ingénieur général, chef du service technique de topographique et d’urbanisme de la préfecture de la Seine, qui, après avoir rappelé qu’en tant que riverain du passage de […], L… G… X… avait été « dépossédé de ses droits de co-propriété sur le sol de cette voie privée », indique que L… G… X… n’avait pas été indemnisé, mais précise que « l’immeuble X…, qui était riverain autrefois d’un passage insalubre de 5 mètres de largeur, se situe aujourd’hui en bordure d’une avenue promenade de 28 mètres de largeur et bénéficie ainsi d’une plus value considérable, sans avoir supporté aucune emprise parcellaire ni sacrifice quelconque », de sorte que « c’est, au contraire, la Ville de Paris qui serait fondée à poursuivre envers lui l’action en récupération de plus-value prévue par les décrets des 8 août et 30 octobre 1935, et le montant de celle-ci dépasserait sans doute de beaucoup la valeur actuelle de la petite parcelle qu’il devra acquérir ». Par lettre du 30 mars 1950, A A… a fait savoir à la Préfecture de la Seine que son client, L… G… X…, avait renoncé à demander une indemnité à la ville de Paris à la suite de la « reprise » par elle de la parcelle de terrain se trouvant au droit de son immeuble sis […] , cette renonciation étant faite contre renonciation de la ville de Paris à toute plus-value sur le terrain.
Les deux lettres de A. A…, par les précisions qu’elles renferment, prouvent suffisamment que cet administrateur de biens agissait en tant que mandataire de L… G… X…. Ainsi, ce dernier, auteur de la SCI, a renoncé à toute indemnité à la suite de l’expropriation.
Il se déduit de ces éléments que, bien que le cadastre actuel inclue par erreur dans la parcelle […] la bande de terrain expropriée, la SCI n’a pas de droit sur cette parcelle dans cette configuration, ni le cadastre ni le permis de construire n’étant de nature à conférer un droit de propriété.
En conséquence, la SCI doit être déboutée de sa revendication, le jugement entrepris étant infirmé en ce qu’il y a fait droit.
Sur la revendication de propriété formée par la ville de Paris
La ville de Paris, qui fait grief à la SCI de réclamer le bornage du domaine public, revendique la propriété d’une bande de terrain d’une largeur de 1,70 m « environ » située entre l’alignement de l’avenue […] et la propriété de la SCI. Cette bande de terrain, qui est hors alignement selon le courriel du 14 novembre 2019 de Mme E… T…, adjointe au chef du département de la topographie et de la documentation foncière de la direction de l’urbanisme, n’est pas affectée à la voirie, la ville de Paris ayant offert à la SCI d’acquérir à l’amiable, après déclassement, la partie de la parcelle litigieuse qui lui fait défaut.
En l’absence d’arpentage permettant à la Cour de faire droit en l’état à la revendication de la Ville de Paris, il y a lieu d’interroger les parties sur l’appartenance de cette bande de terrain : soit au domaine public, excluant le bornage, soit au domaine privé de la ville de Paris, permettant le bornage, et, pour ce faire, d’ordonner la réouverture des débats.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris, mais seulement en ce qu’il a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par la ville de Paris ;
L’infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau :
Déboute la SCI du […] de sa revendication de propriété de l’intégralité de la parcelle sise […] (anciennement […]), telle qu’elle figure actuellement au cadastre, section […] ;
Dit que cette configuration cadastrale est erronée en ce qu’elle inclut une bande de terrain d’une largeur de 1,70 m située entre l’alignement de l’avenue […] et la propriété de la SCI du […] , bande de terrain expropriée par ordonnance du 16 mai 1936, publiée le 3 octobre 1936 (volume 928, article 2) ;
Avant dire droit :
Ordonne la réouverture des débats à l’audience des plaidoiries du jeudi 28 janvier 2021, 14h, pour permettre aux parties de conclure sur l’appartenance de cette bande de terrain, soit au domaine public, excluant le bornage, soit au domaine privé de la ville de Paris, permettant le bornage ;
Dit n’y avoir lieu à révoquer la clôture ni à renvoyer l’affaire à la mise en état ;
Enjoint aux parties de conclure sur la question qui leur est posée, au plus tard le 14 janvier 2021, et de déposer au greffe de la Cour, sous peine de radiation au plus tard à cette même date, les pièces au soutien de leurs conclusions, ainsi qu’une version papier de ces conclusions ;
Sursoit à statuer sur le surplus des demandes ;
Réserve les dépens.
Le greffier, Le président,