Cour d’appel de Paris, 10 novembre 2016, 15/09536

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Cour d’appel de Paris, 10 novembre 2016, 15/09536

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 2- Chambre 2

ARRÊT DU 10 NOVEMBRE 2016

(no 2016-362, 9 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 15/ 09536

Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Mars 2015- tribunal de grande instance de BOBIGNY-RG no 13/ 02125

APPELANT

Monsieur Alain X…

né le 10 Décembre 1963 à PARIS 18ème

Représenté par Me Aurélie COVIAUX de l’ASSOCIATION ARPEJ’, avocat au barreau de PARIS, toque : J103

Assisté de Maître Frédéric BIBAL, avocat au barreau de Paris, toque : J 103

INTIMÉS

ONIAM OFFICE NATIONAL D’INDEMNISATION DES ACCIDENTS MEDICAUX pris en la personne de son représentant légal

Tour Galliéni II-36 Avenue du Général de Gaulle93170 BAGNOLET CEDEX

93170 BAGNOLET CEDEX

Représenté par Me Florence GUERRE de la SELARL PELLERIN-DE MARIA-GUERRE, avocat au barreau de Paris, toque : L0018

Assisté de Maître Clémence LEMETAIS, avocate au barreau de Paris, toque : P261.

Organisme CPAM DES YVELINES

pris en la personne de son représentant légal

92, avenue de Paris78000 VERSAILLES

78000 VERSAILLES

Défaillant avisé le 1er septembre 2016 à personne habilitée.

Organisme CRAMIF-Caisse Régionale d’Assurance Maladie d’Ile de France

pris en la personne de son représentant légal

17/ 19 avenue de Flandre75954 PARIS CEDEX 19

75954 PARIS CEDEX 19

Absent

Défaillant, avisé le 02 septembre 2016 à personne à domicile.

Mutuelle HENNER GMC

prise en la personne de son représentant légal

10, rue Henner75009 PARIS

75009 PARIS

Défaillante, avisée le 11 août 2016 à domicile.

COMPOSITION DE LA COUR :

Mme Isabelle CHESNOT, conseillère ayant préalablement été entendue en son rapport dans les conditions de l’article 785 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 29 septembre 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marie-Hélène POINSEAUX, présidente de chambre

Madame Annick HECQ-CAUQUIL, conseillère

Madame Isabelle CHESNOT, conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mme Josette THIBET

ARRÊT :

– défaut

-par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Mme Marie-Hélène POINSEAUX, présidente et par Mme Malika ARBOUCHE, greffière, présente lors du prononcé.

*********

Le 15 octobre 2006, dans le cadre d’une sortie sportive organisée par son entreprise, Monsieur Alain X…a ressenti des paresthésies des membres inférieurs à prédominance gauche.

Après consultation d’un neurologue et la réalisation d’une IRM médullaire, une volumineuse hernie discale postérieure localisée à gauche en T8- T9 a été révélée.

La hernie causant une compression médullaire, une décision d’exérèse chirurgicale a été retenue. Préalablement, une artériographie a mis en évidence une artère d’Adamkiewicz à gauche.

Le 16 janvier 2007, l’intervention chirurgicale a été pratiquée par le docteur Stéphane Y…à l’Hôpital Foch de Suresnes.

Au réveil, Monsieur X…a présenté une paraplégie complète, flasque, sensitivo-

motrice de niveau D11 supérieur.

Le compte rendu de sortie en neurochirurgie du 31 janvier 2007 décrit la situation ainsi :

« Malheureusement, au réveil, le patient a présenté une paraplégie complète, flasque, sensitivo-motrice …

Le scanner de contrôle a montré la résection de la composante calcifiée de la hernie discale, avec la persistance de la portion plus fibreuse, intra durale, mais sans complication locale, notamment hématique ».

Après un séjour du 31 janvier au 18 juin 2007 dans le service de rééducation de l’hôpital de Garches, M. X…a poursuivi sa rééducation au centre de Granville jusqu’au 30 septembre 2007, date à laquelle il a regagné son domicile, poursuivant un travail de kinésithérapie et placé sous traitement anti-dépresseur.

M. X…a saisi la commission régionale de conciliation et d’indemnisation (ci-après CRCI) de Bagnolet en mars 2008 aux fins d’indemnisation.

En août 2008, une expertise médicale a été confiée par la CRCI au professeur Marc Z…, neurochirurgien. Les conclusions de son rapport déposé le 2 novembre 2008 sont notamment les suivantes :

– le dommage subi par M. X…consiste en une paraplégie sensitivomotrice de niveau D12, due aux micro-contusions exercées sur la moelle épinière par la résection indispensable de la partie calcifiée de la hernie sur une partie fibreuse intradurale, dont l’exérèse a été impossible à réaliser ;

– il a été occasionné par le geste opératoire ;

– il s’agit d’un accident médical ;

– l’état antérieur du patient a participé à la constitution du dommage, compte tenu du degré de la compression médullaire, du volume de la hernie et de son caractère en partie intradural, adhérant à la moelle épinière ;

– l’état du patient peut être considéré comme consolidé à la date de l’expertise, le 21 octobre 2008 ;

– les préjudices subis par M. X…sont les suivants :

– ITT : de l’intervention (16 janvier 2007) jusqu’au 1er avril 2008, diminuée des deux mois habituels d’ITT pour cure de hernie discale non compliquée ; l’invalidité partielle de travail va du 1er avril 2008 à la date de la consolidation, elle est de 50 % ;

– Taux d’Incapacité Permanente (I. P. P) : compte tenu de l’atteinte des abdominaux et de la gêne en position assise, associées au retentissement psychologique, l’IPP peut être évaluée à 75 % ; l’IPP du patient avant l’intervention pouvait être évaluée à 25 % avec peu de chance de récupération même si la chirurgie n’avait pas eu de complication.

– Les troubles dans les conditions d’existence du patient sont particulièrement graves : ils ont été énumérés (retentissement sur la façon de s’occuper de ses enfants, la vie sociale, ses activités, l’impossibilité de gérer sa maison et la vie quotidienne).

– Il n’existe pas de perte d’aptitude du patient à exercer l’activité professionnelle qu’il exerçait auparavant, mais il ne peut l’exercer actuellement qu’à temps partiel et d’autre part, les perspectives de promotion qu’il pouvait avoir sont désormais très problématiques. Il a été nécessaire de procéder à des aménagements pour qu’il puisse recommencer à travailler.

– Souffrances endurées : elles peuvent être chiffrées à 6/ 7.

– Préjudice esthétique : il peut être chiffré à 5/ 7.

– Le préjudice d’agrément est majeur.

– Le préjudice sexuel est complet.

– L’état de Mr X…nécessite l’assistance d’une tierce personne (non spécialisée sept heures par jour, sept jours sur sept), des moyens techniques palliatifs (lit médicalisé, fauteuil roulant, véhicule aménagé), des aménagements domotiques destinés à pallier l’inadaptation du logement (avec changement de domicile car accessibilité non adaptable, installation d’un ascenseur dans le nouveau logement, baignoire aménagée), des frais divers consécutifs à l’état du patient (traitement antidépresseur, traitement anti-spastique, sondes urinaires, doigtiers, coussins anti-escarres.)

Après avoir pris connaissance de ce rapport d’expertise, M. X…a assigné l’office national d’indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), la caisse primaire d’assurance maladie des Yvelines, la caisse régionale d’assurance maladie (CRAM) d’Ile de France et la mutuelle HENNER GMC devant le tribunal de grande instance de Bobigny sur le fondement des articles L. 1142-1 et D. 1142-1 du code de la santé publique, aux fins d’obtenir l’indemnisation de ses préjudices.

Par un jugement du 6 mars 2015, le tribunal de grande instance de Bobigny a :

– Dit que les conditions d’ouverture de l’indemnisation par l’ONIAM au titre de la solidarité nationale prévues par l’article L. 1142-1 II du Code de la santé publique ne sont pas réunies,

– Débouté M. Alain X…de l’ensemble de ses demandes,

– Dit n’y avoir lieu à l’application de l’article 700 du code de procédure civile,

– Dit n’y avoir lieu à l’exécution provisoire du jugement,

– Rejeté le surplus des demandes des parties,

– Condamné M. Alain X…aux dépens de l’instance, dont distraction au profit de Maître Welsch, avocat.

Le tribunal a essentiellement retenu que l’opération chirurgicale était indispensable en raison d’une évolution certaine vers une paraplégie à moyen terme, si ce n’est à court terme, que M. X…était particulièrement exposé à la complication survenue (paraplégie) dont la fréquence a été évaluée entre 15 et 20 % par l’expert, qu’il avait été averti par le chirurgien du risque d’aggravation neurologique post-opératoire et en particulier du risque rare de paraplégie. Il a décidé que les conséquences de la complication survenue ne peuvent être considérées comme anormales au regard de l’état de santé de M. X…comme de son évolution prévisible de sorte que ce dernier ne peut obtenir réparation de ses préjudices au titre de la solidarité nationale.

Par déclaration du 12 mai 2015, M. X…a fait appel de ce jugement.

Au terme de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 7 juillet 2015, M. X…demande à la cour de :

– le dire recevable et bien fondé en son appel,

Y faisant droit,

Vu les articles L. 1142-1 et D. 1142-1 du code de la santé publique,

Vu la consultation de Monsieur Laurent A…,

Vu les pièces versées au débat,

Statuant à nouveau,

– infirmer le jugement du 6 mars 2015 du tribunal de grande instance de Bobigny,

A titre principal

-dire et juger que l’ONIAM est tenu d’indemniser le préjudice qu’il a subi à la suite de l’accident thérapeutique survenu le 16 janvier 2007,

– évaluer les préjudices subis de la manière exposée au moyen d’un tableau récapitulatif,

– condamner L’ONIAM à lui verser la somme de 3 995 648, 59 € sauf réserves, en réparation de ses préjudices,

– dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal avec capitalisation annuelle à compter de la date de l’assignation, soit le 24 janvier 2013,

A titre subsidiaire,

– ordonner une contre-expertise confiée à un neurochirurgien avec la mission telle que décrite pour la cour,

En tout état de cause,

– condamner l’ONIAM à lui verser la somme de 4 000, 00 € au titre de ses frais irrépétibles en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner l’ONIAM aux dépens,

– dire l’arrêt opposable à la CPAM des Yvelines, à la CRAMIF et à la mutuelle HENNER

GMC.

A l’appui de ses prétentions, M. X…rappelle les dispositions de l’article L. 1142-1 II du code de la santé publique et la nécessité pour la victime de prouver trois éléments distincts : un dommage directement imputable à un acte de prévention, de diagnostic ou

de soins, un dommage présentant un degré de gravité particulier, un dommage anormal au regard de l’état de santé du patient comme de son évolution prévisible.

Les deux premiers éléments n’étant pas discutés entre les parties, M. X…s’attache à caractériser la volonté du législateur en affirmant que par la loi du 4 mars 2002, celui-ci a entendu admettre l’indemnisation par la solidarité nationale de toutes les victimes d’aléas thérapeutiques en n’excluant que les seules victimes d’un échec thérapeutique, qu’il n’y a pas à rechercher le caractère exceptionnel du risque réalisé pour l’admettre comme anormal, qu’il n’y a pas à prendre en considération la fréquence du risque de complication lié au geste médical et que la jurisprudence qui en tient compte réintroduit un critère que le législateur a justement voulu abolir.

M. X…soutient l’argumentation suivante :

– il résulte de l’article L. 1142-1 II que doivent être anormales  » les conséquences du dommage « – c’est-à-dire les préjudices-et non le dommage lui-même ; en l’espèce, le dommage est la présence d’un fragment laissé volontairement par le chirurgien, l’exérèse de ce fragment étant impossible et les conséquences, la survenue d’une paraplégie ; ces conséquences ont été brutales, graves et irréversibles, elles doivent être qualifiées d’anormales ;

– alors que s’agissant d’une responsabilité pour faute, la jurisprudence considère que la réparation du préjudice ne saurait être réduite en raison d’un état antérieur, en matière de solidarité nationale, l’état antérieur doit impacter l’indemnisation du préjudice, mais non le principe même de l’indemnisation ; en l’espèce, le patient est passé d’un état de totale autonomie à un état de dépendance totale après intervention, de sorte que l’anormalité du dommage est bien établie ;

– l’évolution prévisible de l’état de santé du patient doit être entendue comme le pronostic d’évolution de la pathologie soignée ; il s’agit de prendre en compte la maladie soignée à partir du moment où elle est prise en charge dans le système de soins selon l’état de la science et les règles de l’art et non la maladie théorique pour apprécier la prévisibilité de son évolution, car jamais une maladie n’est laissée à son libre cours ; en l’espèce, s’il n’avait pas été opéré, il risquait de se trouver dans l’état qui est le sien aujourd’hui, mais l’évolution prévisible de la pathologie incluant l’intervention est dans 80 % des cas, l’absence totale de séquelles graves invalidantes ; sa vulnérabilité a participé au dommage mais elle ne l’a pas plus causé que l’intervention elle-même ; si une cause doit être retenue, c’est bien plus l’intervention (le lien est certain) que l’état prévisible (le lien est éventuel).

M. X…affirme qu’en définitive, le dommage qu’il a subi n’est pas exceptionnel mais le préjudice subi apparaît anormal par la brutalité de son expression et son caractère définitif.

Puis, M. X…s’attache à caractériser les préjudices allégués et à quantifier les indemnisations réclamées poste par poste.

A titre subsidiaire, il sollicite de la cour qu’elle ordonne une contre-expertise confiée à un neurochirugien.

Selon conclusions notifiées par voie électronique le 25 août 2016, l’ONIAM demande à la cour, au visa de l’article L. 1142-1 II du code de la santé publique, de :

A titre principal

-Constater, dire et juger que les préjudices de Monsieur X…n’ont pas eu des

conséquences anormales au regard de son état de santé antérieur comme de l’évolution

prévisible de celui-ci,

– Dire et juger que les conditions d’une indemnisation au titre de la solidarité nationale

telles que précisées à l’article L. 1142-1 II du code de la santé publique ne sont pas

réunies,

– Débouter X…de ses demandes à son encontre,

– Confirmer le jugement rendu le 6 mars 2015 par le tribunal de grande instance de

Bobigny,

A titre subsidiaire

-Constater que, si la cour ne s’estimait pas suffisamment informée, l’ONIAM ne

s’oppose pas à la demande d’expertise contradictoire sollicitée par Monsieur

Teissedre,

En tout état de cause

-Condamner Monsieur X…aux dépens.

Pour l’essentiel, l’ONIAM rappelle que l’article L. 1142-1 II du code de la santé publique exige de démontrer de façon cumulative : que le professionnel de santé n’a pas engagé sa responsabilité, que les préjudices subis sont directement imputables à un acte de prévention, diagnostic ou soin, que ces préjudices ont eu pour lui des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci, qu’ils présentent un caractère de gravité, fixé par décret apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant compte du taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique supérieur de la durée de l’arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire.

Il expose qu’il résulte des débats parlementaires et du rapport présenté au stade du projet que la loi du 4 mars 2002 n’a pas prévu une indemnisation automatique des conséquences des actes médicaux non fautifs même graves et demande que la cour retienne les critère définis par le Conseil d’Etat dans ses arrêts du 12 décembre 2014 et pour la première fois par la Cour de cassation dans un arrêt du 15 juin 2016, à savoir qu’un dommage est anormal au sens de ce texte  » lorsque l’acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l’absence de traitement  » et qu’à défaut, les conséquences de l’acte médical  » ne peuvent être regardées comme anomales sauf si, dans les conditions où l’acte a été accompli, la survenance

du dommage présentait une probabilité faible  » ;  » qu’ainsi elles ne peuvent être

regardées comme anormales au regard de l’état du patient lorsque la gravité de cet

état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est

à l’origine du dommage.  »

L’ONIAM adopte le raisonnement suivant s’agissant de la situation de M. X…:

– les conclusions claires de l’expert Tadie permettent d’affirmer que la complication subie par M. X…, soit la paraplégie complète, est connue, fréquente et redoutée de tous les neurochirurgiens, que le geste du chirurgien a réalisé de façon brutale, totale et complète, la complication qui serait survenue sans intervention dans un délai de quelques mois ou à l’occasion d’un choc, que  » compte tenu de l’évolution clinique et de l’aspect de la hernie à l’imagerie, le risque d’évolution vers une paraplégie brutale était certain dans un délai de quelques semaines à un an.  » et que  » Dans la mesure où un fragment intradural adhérait de façon intime à la moelle épinière, le risque d’aggravation par la chirurgie pouvait être chiffré entre 15 et 20 %  » ;

– l’opération était indispensable vu l’évolution certaine vers une paraplégie à moyen terme, voire à court terme ; les documents médicaux produits par M. X…ne permettent pas de contredire utilement les affirmations de l’expert judiciaire s’agissant de l’évolution de l’état de M. X…en l’absence d’intervention ;

– les conséquences de l’intervention ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles M. X…était exposé par sa pathologie de manière suffisamment probable en l’absence de traitement et la survenance du dommage ne présentait pas une probabilité faible.

L’ONIAM indique qu’à titre subsidiaire, il ne s’oppose pas à la demande d’expertise judiciaire faite par M. X….

La caisse primaire d’assurance maladie des Yvelines, la CRAMIF et la société mutuelle Henner GMC, respectivement citées à personne habilitée le 17 août 2015 et à tiers présents le 20 août 2015 n’ont pas comparu. La décision sera rendue par défaut.

L’ordonnance clôturant l’instruction a été rendue le 9 septembre 2016.

MOTIFS DE LA DECISION :

L’article L. 1142-1 du code de la santé publique dispose que :

« II.- Lorsque la responsabilité d’un professionnel, d’un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d’un producteur de produits n’est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu’ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu’ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique, de la durée de l’arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire.

Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d’un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret ».

Les parties au litige ne discutent ni la survenue d’un accident médical au cours d’une intervention chirurgicale pratiquée le 16 janvier 2007 sur M. X…aux fins d’exérèse d’une hernie discale postérieure localisée à gauche en T8- T9, ni la gravité particulière et conforme aux dispositions de l’article L. 1142-1 précité du dommage en ayant résulté.

Le débat devant la cour porte sur la condition d’anormalité du dommage.

Cette condition doit être regardée comme remplie lorsque l’acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie de manière suffisamment probable en l’absence du traitement qu’il a reçu. Dans le cas contraire, les conséquences de l’acte médical ne peuvent être considérées comme anormales sauf si, dans les conditions où l’acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l’état de santé du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l’origine du dommage.

En l’espèce, il résulte du rapport d’expertise du professeur Marc Z…, neurochirurgien, désigné par la CRCI que M. X…présentait une volumineuse hernie discale qui entraînait progressivement l’apparition de signes neurologiques à type de troubles de la sensibilité, gênant la marche, sans déficit moteur objectif mais avec un syndrome pyramidal, que compte tenu de l’aggravation progressive et du volume très important de la hernie, l’indication opératoire était justifiée, que dans les suites opératoires immédiates, M. X…a présenté une paraplégie complète, que cette complication est connue, fréquente et redoutée de tous les neurochirurgiens, qu’elle est due aux micro-contusions exercées sur la moelle épinière par la résection indispensable de la partie calcifiée de la hernie sur une partie fibreuse intradurale, particulièrement agressive et laissée en place, que ces microtraumatismes sur un fragment discal qui ne pouvait être enlevé constituent un accident médical, que la prise en charge de la complication a été conforme aux règles de l’art.

Sur la condition d’anormalité du dommage, la cour relève dans le rapport d’expertise que :

–  » le geste chirurgical a réalisé de façon brutale, totale et complète, la complication qui serait survenue sans intervention dans un délai de quelques mois ou à l’occasion d’un choc  » ;

–  » compte tenu de l’évolution clinique et de l’aspect de la hernie à l’imagerie, le risque d’évolution vers une paraplégie brutale était certain dans un délai de quelques semaines à un an. Dans la mesure où un fragment intradural adhérait de façon intime à la moelle épinière, le risque d’aggravation par la chirurgie pouvait être chiffré entre 15 et 20 %  » ;

–  » l’état antérieur du patient a participé à la constitution du dommage compte tenu du degré de la compression médullaire, du volume de la hernie et de son caractère en partie intradural, adhérant à la moelle épinière.  »

–  » il s’agit d  » une complication prévisible dans le cadre de la pathologie en cause dont la fréquence peut être évaluée entre 15 % et 20 % dans ce type de chirurgie et sur ce type de hernie  » ;

–  » le risque de paraplégie, si la hernie n’avait pas été traitée, était de 100 % compte tenu de son évolution dans un délai de quelques semaines à un an maximum. La chirurgie a décompensé ce qu’elle avait pour objectif d’éviter.  »

Ces conclusions de l’expert ne sont pas contredites par celles du docteur Bruno B…dans un rapport établi après qu’il ait pris connaissance des pièces médicales et examiné M. X…le 1er novembre 2007 (pièce I-28) puis dans un  » certificat médico-légal  » en date du 1er juin 2009 rédigé en ouverture du rapport d’expertise du professeur Z…, ni par les observations effectuées à la demande de l’appelant par le professeur Philippe C…, neurochirurgien chef de service à l’hôpital Henri Mondor à Créteil le 7 février 2011 (pièce I-32) et par le docteur J. P. D…, neurochirurgien à l’hôpital de la Pitié Salpétrière à Paris le 31 mars 2011 (pièce I-33).

En effet, ces pièces médicales permettent d’affirmer qu’il n’y avait pas d’autre alternative thérapeutique que l’intervention pratiquée par le docteur Stéphane Y…qui au demeurant le mentionne dans son courrier de sortie du service de neurochirurgie (pièce I-24) et que cette intervention devait se faire sans attendre. S’il a été observé quelques cas très rares de régressions spontanées et complètes de hernies discales de taille importante, cette observation permet de moduler l’affirmation selon laquelle, sans traitement, le risque de paraplégie était de 100 % et donc de ne pas exclure de façon certaine et dans un délai déterminé une régression spontanée de la hernie discale de M. X…, mais ne remet pas en cause l’indication opératoire à ce stade de la décompensation, alors que la souffrance médullaire n’était pas encore trop marquée et que n’existaient pas des lésions vasculaires en plus des effets compressifs purs. A l’exception des très rares cas de régression spontanée ayant fait l’objet de parutions scientifiques en 1997 et 1999 sans qu’il en soit produit de plus récentes, les médecins s’accordent pour dire qu’il est très probable que les troubles allaient s’aggraver, la hernie ayant déjà commencé à se décompenser, mais qu’il est impossible de quantifier clairement cette aggravation prévisible tant au niveau de son intensité que de son échéance.

Il résulte de ces pièces que l’affirmation du professeur Z…prédisant une apparition d’une paraplégie à 100 % en l’absence de traitement doit être modérée dans son pourcentage mais que le risque de paraplégie était extrêmement élevé.

L’intervention chirurgicale comportait aussi des risques très importants dont M. X…a été informé, les comptes-rendus de consultations neurologiques en date des 10 et 22 décembre 2007 (pièces I-8 et I-23) relatant que les neurochirurgiens ont informé M. X…des risques encourus du fait de l’intervention chirurgicale, notamment du  » risque rare mais non nul de paraplégie  » (Dr E…) et du  » risque toujours possible d’aggravation neurologique post-opératoire, en particulier de paraplégie, qui était supérieur à la moyenne étant donné d’une part le volume et le caractère calcifié de cette hernie discale mais surtout l’existence de l’artère d’Adamkiewicz au même niveau, ainsi que le risque de brèche et de fuite du LCR étant donné le caractère vraisemblablement trans-dural de cette volumineuse hernie discale dorsale.  » (Dr Y…)

Dans ces conditions, la cour relève que l’absence de traitement chirurgical de la hernie qui avait déjà commencé à décompenser créait un risque extrêmement élevé d’apparition brutale d’une paraplégie, que M. X…n’avait pas d’autre choix thérapeutique que l’intervention chirurgicale telle qu’elle a été appréhendée et réalisée par le docteur Y…, que seule la gravité de l’état de santé de M. X…a conduit à pratiquer cet acte chirurgical comportant des risques très importants.

Le risque thérapeutique d’entraîner une paraplégie, évalué par l’expert, qui n’est pas contredit sur ce point, entre 15 et 20 % des cas, est faible au regard du risque très important lié à une évolution naturelle de la pathologie.

Enfin, seule la gravité de l’état de M. X…a entraîné la nécessité de l’acte chirurgical.

Dès lors, la complication dont a été victime M. X…a aggravé sa pathologie préexistante mais ne peut être considérée comme anormale au regard de son état de santé, de l’évolution prévisible de celui-ci si l’intervention chirurgicale n’avait pas été tentée et du risque d’aggravation, connu dans 15 à 20 % des cas, du fait du geste chirurgical.

M. X…était en réalité exposé, compte tenu de son état antérieur, à une complication qui est survenue.

Sans qu’il soit nécessaire de recourir à une autre mesure d’expertise, les avis médicaux produits aux débats, plus prudents et mesurés, ne contredisant pas celui de l’expert désigné par la CRCI, il y a lieu de juger que le préjudice subi ne relève pas de la réparation au titre de la solidarité nationale dans les conditions prévues par l’article L. 1142-1 II du code de la santé publique.

Le jugement déféré doit être confirmé.

M. X…qui succombe supportera les dépens.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par décision par défaut, mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré ;

y ajoutant,

Condamne M. X…aux entiers dépens de la procédure d’appel.

Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


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