Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE LYON Troisième Chambre Civile ARRÊT DU 27 Mai 2004
Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce LYON du 22 octobre 2002 – N° rôle : 2000/3864 N° R.G. : 02/06151
Nature du recours : Appel
APPELANTS : Monsieur Gilles X… représenté par la SCP AGUIRAUD-NOUVELLET, avoués à la Cour assisté de Me OHMER, avocat au barreau de LYON S.A. TEXINFINE représentée par la SCP AGUIRAUD-NOUVELLET, avoués à la Cour assistée de Me OHMER, avocat au barreau de LYON
INTIMEES : S.A.R.L. IAB INSTITUT DES ALGUES BENTIQUES représentée par Me JUNILLON WICKY, avoué à la Cour assistée de Me DURADE REPLAT, avocat au barreau de LYON société ZAMBON FRANCE, venant aux droits de S.A. LABORATOIRE LAPHAL représentée par Me JUNILLON WICKY, avoué à la Cour assistée de Me DURADE -REPLAT, avocat au barreau de LYON Instruction clôturée le 01 Mars 2004 Audience publique du 18 Mars 2004 LA TROISIÈME CHAMBRE DE LA COUR D’APPEL DE LYON, DÉBATS en audience publique du 18 mars 2004 tenue par Madame MARTIN, Président, et par Monsieur KERRAUDREN, Conseiller, qui ont tenu l’audience, sans opposition des Avocats dûment avisés, et en ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré, COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
Madame MARTIN, Président,, Monsieur SANTELLI, Conseiller, Monsieur KERRAUDREN, Conseiller, GREFFIER : la Cour était assistée de Mademoiselle Y…, Greffier, lors des débats seulement, ARRÊT : CONTRADICTOIRE prononcé à l’audience publique du 27 mai 2004 par Madame MARTIN, Président, qui a signé la minute avec Madame Z…,
Greffier en Chef. FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La S.A. TEXINFINE exploitant des brevets dans le domaine pharmaceutiques et la S.A. Laboratoires LAPHAL, laboratoire pharmaceutique aux droits de laquelle se trouve aujourd’hui la S.A. ZAMBON FRANCE ont conclu, le 10 novembre 1994, un accord de partenariat visant à l’exploitation d’un brevet portant sur les principes actifs d’une algue Padina Pavonica et ont créé, en 1995, pour ce faire, une filiale, la S.A.R.L. Institut des Algues Benthiques, chargée de traiter la matière première (les algues marines) afin d’en tirer les principes actifs recélant des propriétés médicales. La société IBA (Malte), de droit maltais, filiale de la S.A.R.L. Institut des Algues Benthiques, a été créée pour élever et récolter les algues et les transformer.
Monsieur Gilles X…, Pdg de la S.A. TEXINFINE est devenu le gérant de la S.A.R.L. Institut des Algues Benthiques. Une assemblée générale extraordinaire de la société IBA (Malte) a été tenue le 14 août 2000 à la VALETTE (Malte) au cours de laquelle Monsieur Charles A… a souscrit une augmentation de capital de la société IBA (Malte) et en est devenu associé majoritaire. Monsieur Gilles X… a été révoqué de ses fonctions de gérant de la S.A.R.L. Institut des Algues Benthiques suivant une décision de l’assemblée générale extraordinaire des associés tenue le 30 août 2000 au motif d’une faute de gestion caractérisée : « la perte de majorité dans le capital social de la société IBA (Malte) ».
L’accord de partenariat conclu entre la S.A. TEXINFINE et la S.A. Laboratoires LAPHAL a été résilié, le 10 janvier 2001 et a fait l’objet d’une sentence d’un tribunal arbitral en date du 7 mai 2003. Par jugement mixte sur assignations croisées des protagonistes, rendu le 22 octobre 2002, le Tribunal de Commerce de LYON, a débouté
Monsieur Gilles X… et la S.A. TEXINFINE, pris en sa qualité d’associée de la S.A.R.L. Institut des Algues Benthiques de sa demande en indemnisation dirigée contre la S.A.R.L. Institut des Algues Benthiques et la S.A. Laboratoires LAPHAL pour révocation abusive de Monsieur Gilles X… de ses fonctions, a dit que Monsieur Gilles X… avait commis des fautes de gestion sociale dont il doit réparation envers la S.A.R.L. Institut des Algues Benthiques et avant dire droit au fond sur le montant de la réparation à allouer à celle-ci a ordonné une expertise confiée à Monsieur Michel B…, expert comptable à l’effet de donner son avis sur la quantum du préjudice.
Monsieur Gilles X… et la S.A. TEXINFINE ont régulièrement formé appel de cette décision dans les formes et délai légaux.
Vu l’article 455 alinéa premier du nouveau code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret N° 98-1231 du 28 décembre 1998 ;
Vu les prétentions et les moyens développés par Monsieur Gilles X… et la S.A. TEXINFINE dans leurs conclusions récapitulatives N° 2 en date du 12 février 2004 tendant à faire juger :
– que la délibération de l’assemblée générale qui l’a révoqué de ses fonctions est nulle, dès lors que l’examen de la question de la révocation du gérant de la S.A.R.L. Institut des Algues Benthiques ne figurait pas à l’ordre du jour,
– que la révocation de ses fonctions de gérant de la S.A.R.L. Institut des Algues Benthiques est dénuée de tout motif, aucune obligation de souscrire l’augmentation de capital de la société IBA (Malte) ne pesant sur lui,
– que la S.A. Laboratoires LAPHAL a commis un abus de majorité en poursuivant des intérêts contraire à ceux de la S.A.R.L. Institut des Algues Benthiques et en vue de satisfaire exclusivement les siens ;
– qu’il n’a pas cédé « dans le secret » des parts de la société IBA (Malte) à Monsieur A…, ces cessions ayant été autorisées
expressément par Monsieur C… dirigeant social de la S.A. Laboratoires LAPHAL,
– qu’aucune faute de gestion ne peut lui imputée et que la révocation abusive sera sanctionnée par l’allocation d’une somme de 7.500 euros à titre de dommages et intérêts,
– que l’action en responsabilité de la S.A.R.L. Institut des Algues Benthiques est irrecevable pour avoir été engagée par un gérant irrégulièrement désigné et qu’au demeurant elle est mal fondée en raison de l’absence de faute de gestion caractérisée, la décision de ne pas souscrire l’augmentation du capital social de la société IBA (Malte) étant parfaitement motivée et rationnelle et subsidiairement qu’il n’existe aucun préjudice pour la S.A.R.L. Institut des Algues Benthiques et la S.A. ZAMBON FRANCE résultant de la modification de la répartition du capital social de la société IBA (Malte) ;
Vu les prétentions et les moyens développés par la S.A.R.L. Institut des Algues Benthiques et la S.A. ZAMBON FRANCE, venant aux doits de la S.A. Laboratoires LAPHAL dans leurs conclusions récapitulatives N° 2 en date du 5 février 2004 tendant à faire juger :
– que la sentence arbitrale qui fait peser également sur la S.A. TEXINFINE et la S.A. Laboratoires LAPHAL la responsabilité de l’échec de l’accord de partenariat, n’interfère en rien dans le présent litige,
– que la révocation de Monsieur Gilles X… de ses fonctions de gérant de la S.A.R.L. Institut des Algues Benthiques est régulière et non abusive dès lors que destinataire d’instructions formelles de la part d’associé majoritaire en vue de souscrire à une augmentation de capital, il n’y a pas déféré, sans pouvoir justifier de son abstention gravement fautive,
– que Monsieur Gilles X… a engagé sa responsabilité en commettant des
fautes de gestion avérées conduisant à un « basculement » de la majorité dans le capital social de la société IBA (Malte) et que cette faute lourde de gestion ouvre un droit à réparation au profit de la S.A.R.L. Institut des Algues Benthiques, l’action en réparation ayant été régulièrement engagée par le nouveau gérant de celle-ci ;
MOTIFS ET DÉCISION
Attendu qu’aux termes de l’article L 223-25 du code de commerce le gérant est révocable par décision des associés représentant plus de la majorité des parts sociales et si la révocation est décidée sans juste motif, elle peut donner lieu à des dommages et intérêts ; que selon l’article 38 du décret N° 67-236 du 23 mars 1967 les associés sont convoqués quinze jours au moins avant la réunion de l’assemblée des associés, la convocation par lettre recommandée avec avis de réception contenant l’ordre du jour ; que cependant lorsque l’ordre du jour d’une assemblée générale prévoit l’examen de la gestion du gérant, ledit examen peut conduire régulièrement à sa révocation ; qu’en l’espèce à l’ordre du jour contenu dans la convocation en date du 28 juillet 2000 pour l’assemblée générale extraordinaire de la S.A.R.L. Institut des Algues Benthiques devant être tenue, le 30 août 2000, figurait l’examen du rapport de la gérance ; qu’il s’ensuit que la révocation de Monsieur Gilles X… de ses fonctions de gérant pouvait être décidée par l’assemblée des associés à l’issue de l’examen du rapport de la gestion du gérant ; que la nomination subséquente de Monsieur C… aux fonctions de gérant de la S.A.R.L. Institut des Algues Benthiques lors de la même assemblée générale extraordinaire n’est pas critiquable en la forme et est conforme aux articles L 223-18 et L 223-29 du code de commerce ;
Attendu que le procès-verbal de ladite assemblée mentionne que la révocation de Monsieur Gilles X… a été décidée en considération de divers manquements dont il a été largement et contradictoirement
débattus lors de cette assemblée ; qu’il apparaît premièrement que des cessions de parts sociales (599) de la société IBA (Malte) ont été consenties courant 1997 à 1999 par la S.A.R.L. Institut des Algues Benthiques, dont le gérant était Monsieur Gilles X… au profit de Monsieur Charles A… sans que ce mouvement de titres n’apparaisse dans le bilan de la S.A.R.L. Institut des Algues Benthiques (celui de 1999 indiquant encore une participation de la S.A.R.L. Institut des Algues Benthiques au capital de la société IBA (Malte) à hauteur de 99 %) ; que Monsieur Gilles X… lors de l’assemblée générale extraordinaire du 30 août 2000 a reconnu « qu’une erreur, sans volonté de dissimulation, a été commise dans les documents comptables annuels » ; que Monsieur Gilles X… ne justifie pas par la production d’un simple pouvoir de Monsieur C… associé de la société IBA (Malte) (sa pièce n° 29 en anglais non traduit) que la S.A.R.L. Institut des Algues Benthiques a été informée de cette cession ; que la pièce N° 30 également invoquée ne réalise pas non plus l’information de la S.A.R.L. Institut des Algues Benthiques par les soins de Monsieur Gilles X… ; que ce dernier a manqué à une obligation légale en omettant sciemment de mentionner les cessions de parts sociales intervenues afin de favoriser les intérêts de Monsieur Charles A… qui à l’occasion d’une augmentation de capital social de la société IBA (Malte) en a pris le contrôle ; que secondement, Monsieur Gilles X… était informé par lettre recommandée du 29 juin 2000 de la volonté de la S.A. Laboratoires LAPHAL, associée majoritaire de la S.A.R.L. Institut des Algues Benthiques, d’assurer la pérennité de la société IBA (Malte) et d’y consacrer les moyens financiers « pour accompagner toute opération de re-capitalisation en vue d’assainir les comptes de sa filiale » ; que la volonté de la S.A. Laboratoires LAPHAL « de souscrire à l’augmentation de capital » de la société IBA (Malte) a été ré-affirmée, par courrier en date du 12
août 2000, avant la tenue de l’assemblée générale extraordinaire de la société IBA (Malte) prévue pour le 14 août 2000 ; qu’au surplus les fonds nécessaires pour toute forme de re-capitalisation étaient disponibles (une somme de 400.000 francs ayant d’ores et déjà été virée le 25 juillet 2000 sur le compte de la S.A.R.L. Institut des Algues Benthiques) ; que Monsieur Gilles X… gérant de la S.A.R.L. Institut des Algues Benthiques ne pouvait méconnaître ces instructions formelles exprimées par l’associée majoritaire de la société qu’il dirigeait et qui avait une participation à hauteur de 99 % dans le capital de la société IBA (Malte) ; qu’en passant outre des instructions formelles précises et réitérées, ce qui a pour effet de faire perdre à la S.A.R.L. Institut des Algues Benthiques le contrôle de sa filiale la société IBA (Malte) alors que l’associé majoritaire avait exprimé son intérêt pour conserver ledit contrôle, Monsieur Gilles X… a commis un faute de gestion qui non seulement justifiait sa révocation pour un juste motif mais a également engagé sa responsabilité sur le fondement de l’article L 223-22 du code de commerce ; que Monsieur Gilles X… aurait dû pour le moins différer la tenue de l’assemblée générale de la société IBA (Malte) délibérant sur l’augmentation de capital ; que la tenue de l’assemblée à MALTE et la convocation des associés ont été menées avec une célérité et une discrétion particulières ; qu’il appartenait à Monsieur Gilles X…, en sa qualité de gérant de la S.A.R.L. Institut des Algues Benthiques confronté à un désaccord sérieux avec son actionnaire majoritaire, de provoquer la réunion d’une assemblée générale pour en débattre avant de prendre une décision sociale déterminante ;
Attendu que la S.A.R.L. Institut des Algues Benthiques qui extrayait d’algues marines des principes actifs à des fins de fabrication de produits pharmaceutiques avait intérêt à conserver le contrôle de la société filiale qui était chargée de la collecte de la matière
première ; que les objections techniques soulevées par Monsieur Gilles X…, tenant au manque d’efficience des principes extraits de l’algue marine et qui justifieraient selon lui le désengagement de la S.A.R.L. Institut des Algues Benthiques, devaient faire l’objet d’un débat entre associés dès lors que selon certains d’entre eux ces objections n’étaient pas fondées ;
Attendu que la S.A.R.L. Institut des Algues Benthiques a subi un préjudice résultant pour le moins du fait qu’elle a perdu le contrôle de sa filiale, la société IBA (Malte) qu’elle entendait conserver comme prolongeant sa propre activité et par conséquence au minimum une chance de réaliser des profits commerciaux ; que la détermination précises des éléments constitutifs de ce préjudice et leur étendue exacte ont justement fait l’objet d’une mesure d’instruction de la part des premiers juges ;
Attendu que le jugement mérite entière confirmation pour les motifs ci-dessus exposés et ceux non contraires des premiers juges ;
Attendu qu’il n’y a pas lieu à évocation de l’affaire conformément à l’article 568 du nouveau code de procédure civile, celle-ci n’ayant d’ailleurs pas été demandée par les parties qui ne peuvent être privées du double degré de juridiction ;
Attendu que l’équité commande de faire application de l’article 7OO du nouveau code de procédure civile ; que la partie tenue aux dépens devra payer à l’autre la somme de 2.500 ä au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant par arrêt contradictoire,
Reçoit les appels de Monsieur Gilles X… et la S.A. TEXINFINE comme
réguliers en leur forme,
Au fond, confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions.
Y ajoutant, condamne in solidum Monsieur Gilles X… et la S.A. TEXINFINE à porter et payer à la S.A.R.L. Institut des Algues Benthiques et à la S.A. ZAMBON FRANCE la somme globale de 2.500 euros au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Dit que l’instance se poursuivra devant le Tribunal de Commerce de LYON à l’initiative de la partie la plus diligente.
Condamne in solidum Monsieur Gilles X… et la S.A. TEXINFINE aux entiers dépens de l’instance, dont distraction au profit de la S.C.P. d’Avoués JUNILLON & WICKY sur son affirmation de droit, en application de l’article 699 du nouveau code de procédure civile.
Le Greffier en Chef,
Le Président,
C. Z…
B. MARTIN