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La divulgation d’un secret professionnel de son employeur par le salarié, l’expose à un licenciement pour faute.
Aux termes de l’article L.1235-1 du code du travail, le juge doit apprécier la régularité de la procédure de licenciement et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur.
En application de l’article L.1232-6 du même code, la lettre de licenciement fixe les limites du litige. La cause du licenciement doit être objective et reposer sur des faits matériellement vérifiables. Les faits doivent être établis et constituer la véritable cause de licenciement. Enfin, les faits invoqués doivent être suffisamment pertinents pour justifier le licenciement.
Il appartient au juge du fond, qui n’est pas lié par la qualification donnée au licenciement, de vérifier la réalité des faits reprochés au salarié et de les qualifier, puis de dire s’ils constituent une cause réelle et sérieuse au sens de l’article L.1232-1 du code du travail, l’employeur devant fournir au juge les éléments lui permettant de constater le caractère réel et sérieux du licenciement.
La faute lourde est caractérisée par l’intention de nuire à l’employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d’un acte préjudiciable à l’entreprise.
Il incombe à l’employeur de rapporter la preuve de la faute lourde et de l’intention de nuire qui la caractérise.
En l’espèce, la société reproche à son salarié d’avoir tenté de fournir des formules lui appartenant à un, voire plusieurs concurrents directs et d’avoir conclu un contrat de confidentialité avec 2 sociétés concurrentes pour partager les profits du développement d’un nouveau toner, en violation de ses obligations contractuelles et alors qu’il savait que ce comportement aurait de lourdes conséquences pour elle, dans la mesure où elle a mis en ‘uvre un savoir-faire et des investissements pour développer et fabriquer des toners de qualité unique sur le marché et où elle risque de disparaître si des concurrents de pays à bas coûts s’approprient ses formules et recettes, sachant que les toners potentiellement concernés représentent 98% de sa production.
En proposant ses services à une société concurrente pour développer une nouvelle recette de toner sur une courte période (3 mois) en faisant référence précisément aux toners développés par son propre employeur, le salarié a de toute évidence tenté d’exploiter le savoir-faire de celui-ci alors qu’il était tenu à un strict secret professionnel par les termes de son contrat de travail. Il importe peu que la société ne soit pas détentrice de brevets, la spécificité des toners qu’elle développe et la concurrence existant dans ce secteur d’activité n’étant pas contestées, et que la fabrication des toners dépende de divers facteurs, dont l’environnement.
AFFAIRE PRUD’HOMALE : COLLÉGIALE
N° RG 20/00316 – N° Portalis DBVX-V-B7E-MZUY
Société XENAX SAS
C/
[E]
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’OYONNAX
du 17 Décembre 2019
RG : 18/00019
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE B
ARRÊT DU 10 FEVRIER 2023
APPELANTE :
Société XENAX SAS
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 1]
représentée par Me Philippe NOUVELLET de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat postulant inscrit au barreau de LYON, et représentée par Me Ludovic GENTY de la SCP FROMONT BRIENS, avocat plaidant inscrit au barreau de LYON
INTIMÉ :
[L] [E]
né le 02 Mai 1962 à [Localité 4] (ITALIE)
[Adresse 3]
[Localité 2]
représenté par Me Jorge MONTEIRO de la SELARL D’AVOCATS JORGE MONTEIRO & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 15 Décembre 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Béatrice REGNIER, Présidente
Catherine CHANEZ, Conseiller
Régis DEVAUX, Conseiller
Assistés pendant les débats de Rima AL TAJAR, Greffier.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 10 Février 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Béatrice REGNIER, Présidente, et par Rima AL TAJAR, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*************
EXPOSE DU LITIGE
La société Xenax est spécialisée dans la fabrication de poudre de toner pour copieurs et imprimantes laser. Elle fait partie du groupe Integral.
Elle applique la convention collective nationale des industries chimiques.
Monsieur [L] [E] a été embauché par la société à compter du 13 avril 2015 sous contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de chimiste de recherche et développement et contrôle de qualité.
Du 20 février au 3 mars 2017, M. [E] a été placé en arrêt de travail.
Par lettre du 14 mars 2017, la société a convoqué M. [E] à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, avec mise à pied conservatoire du 14 mars au 4 avril 2017. L’entretien a eu lieu le 27 mars 2017 et M. [E] y a assisté.
Le 4 avril 2017, la société a notifié à M. [E] son licenciement pour faute lourde, dans les termes suivants :
«’ Vous avez été engagé à compter du 13 avril 2015, au sein de la société XENAX, société du groupe INTEGRAL, en qualité de « Chimiste de Recherche et développement et contrôle de qualité », groupe G, coefficient 350, statut « Cadre ».
A ce titre, vous avez notamment pour missions de :
‘ Contrôler la qualité ;
‘ Effectuer des mesures analytiques ;
‘ Mener des essais de développement de nouveaux toners.
‘ Mener les effets des tests d’impression et leurs évaluations.
Vos missions contractuelles vous donnent donc accès à l’ensemble des formules de toners créées par la société, qu’il s’agisse de celles créées préalablement ou postérieurement à votre embauche.
Or, très récemment vous avez tenté de fournir des formules de la société à un, voire plusieurs concurrents directs en parfaite violation de vos obligations contractuelles et en pleine connaissance des conséquences que vos actes pourraient entraîner pour la société.
En effet, nous avons découvert une série d’agissements très graves auxquels vous vous êtes récemment livré:
‘ Le 13 mars 2017, nous avons appris, par hasard, que vous aviez récemment pris contact avec une société indienne, Indian Toners & Developers Ltd (ITDL), concurrente de notre société, afin de proposer vos services en qualité de consultant.
Alors que je cherchais moi-même certains documents de travail en votre possession pour des raisons d’ordre purement professionnel, j’ai été contraint de voir, posés sur votre bureau, une série de documents témoignant de votre prise de contact avec cette société.
Nous avons en effet découvert un échange de courriels laissé sur votre bureau, qui démontre que vous avez pris l’initiative de contacter cette société concurrente afin de lui offrir vos services pour l’aider à développer de nouveaux toners, notamment des toners compatibles avec les marques BROTHER et KYOCERA, qui ne figuraient pas au catalogue de cette société.
Votre interlocuteur au sein de la société Indian Toners & Developers Ldtf vous a demandé plus de précisions et s’est montré très intéressé par votre proposition, et vous avez continué à échanger avec lui, en lui proposant un rendez-vous téléphonique pour évoquer plus en détails une éventuelle collaboration future.
Les autres documents que nous avons découverts sur votre bureau ont confirmé la gravité des actes que vous avez commis.
En effet, vous avez conclu un contrat de confidentialité avec les sociétés suivantes :
DURASYST, société basée en Allemagne ;
CONTECT ENGINEERING, société basée en Suisse.
Nous avons appris que, par ce contrat, vous vous êtes mis d’accord avec ces deux sociétés concurrentes pour partager les profits du développement d’un nouveau toner.
— Le même jour, nous avons enfin découvert une liste manuscrite qui fait apparaître le nom d’un certain nombre de sociétés concurrentes de XENAX à TAÏWAN et en CHINE.
Au vu de ces éléments, nous ne pouvons que conclure que vous avez :
proposé ouvertement votre aide à une société concurrente, concernant les toners de compatibles avec les marques BROTHER et KYOCERA, sous licence détenue par notre entreprise ;
souhaité rencontrer rapidement cette société concurrente ;
prévu d’exercer une activité rémunérée en parallèle de votre activité salariée au sein de la société XENAX ;
contacté ou a minima avez eu pour intention de contacter d’autres sociétés pour leur proposer les formules et propriétés intellectuelles qui appartiennent à notre société et au groupe INTEGRAL.
De tels agissements constituent des violations manifestent à vos obligations contractuelles.
En effet, comme vous le savez, vous vous êtes engagé à respecter en rejoignant la société, dans le cadre de vos missions, des engagements très clairs.
Plus précisément :
les
— une obligation impérative de secret professionnel sur toutes les informations dont vous avez pu avoir connaissance du fait ou à l’occasion de vos fonctions du seul fait de votre appartenance à notre entreprise.
Cette obligation figure sans ambiguïté à l’article 7 de votre contrat de travail.
— Une obligation d’exclusivité, par laquelle vous vous êtes engagé à ne conseiller et n’intéresser directement ou indirectement aucune autre société ou groupement concurrent de XENAX.
Cette obligation est reprise à l’article 2 de votre contrat de travail.
Or, en proposant à une société concurrente de lui offrir vos services en lui révélant des formules strictement confidentielles appartenant à la société, dont vous avez eu à connaître du fait de vos fonctions, vous avez délibérément et gravement violé ces 2 obligations.
Enfin, votre comportement constitue une violation totale de l’obligation de loyauté inhérente à tout contrat de travail.
Le caractère fautif de ces manquements est aggravé par votre statut de Cadre, en vertu duquel vous bénéficiez d’une autonomie et un devoir d’exemplarité évidente à l’égard des autres collaborateurs de la société.
Enfin, votre comportement est intolérable au vu des conséquences qu’il entraîne pour la société.
En effet, comme vous le savez, la poudre de toner est un produit technologiquement très difficile à produire.
Cette production requiert de nombreux savoir-faire et investissements, lesquels ont été en ‘uvre par la société, pour développer et fabriquer un toner de haute qualité.
Vous ne pouvez ignorer le fait que la quasi-totalité de nos concurrents n’est pas en mesure d’obtenir la qualité de nos toners pour l’utilisation des copieurs et imprimantes laser BROTHER et KYOCERA.
Cet aspect ressort d’ailleurs expressément de vos échanges de mail avec la société indienne que vous avez pris l’initiative de contacter.
C’est notre savoir-faire unique qui nous a permis d’acquérir notre réputation de leader sur le marché de la fabrication de toners compatibles avec les imprimantes KYOCERA et BROTHER.
Telle est la raison pour laquelle votre contrat de travail et celui de tous les autres cadres de la société, signé par vos soins sans la moindre remarque, comporte une clause de secret professionnel et une obligation d’exclusivité visant à protéger notre société et les formules de toners.
Nous produisons, grâce à nos formules et recettes, une poudre de qualité unique sur le marché, raison du succès de notre entreprise.
En conséquence, vos agissements sont inacceptables au vu des conséquences qu’ils emportent pour la société.
Vous êtes conscient que l’appropriation des « formules » ou « recettes » de la société ainsi que leur vente à des concurrents de pays à « bas coûts », comme par exemple l’Inde, induit pour nous un préjudice important et pourrait aller jusqu’à mettre en péril la survie de notre entreprise.
Au total, la vente des formules de notre société, concernant les seuls toners compatibles pour les marques BROTHER et KYOCERA, au bénéfice d’une société concurrente pourrait représenter une perte de plus de 70 % du volume de production de la société XENAX, soit plus d’un million d’euros de pertes par an.
Un tel enjeu est aggravé par le fait que vous avez ouvertement mis en avant vos connaissances concernant d’autres formules de toners compatibles (pour RICOH, KONICA-MINOLTA et CANON), propriété intellectuelle de notre entreprise.
Le pris dans leur ensemble, ce sont donc 98 % de notre production que vous envisagez de transférer à la concurrence.
Votre comportement conduirait donc immanquablement à la faillite de notre société, voire du groupe auquel elle appartient.
Votre intention de nuire à votre employeur nous paraît sans équivoque’ »
Par requête du 20 février 2018, M. [E] a saisi le conseil de prud’hommes d’Oyonnax afin de contester le licenciement. Il a notamment fait valoir que les clauses du contrat de travail ne lui étaient pas opposables en raison de sa méconnaissance de la langue française.
Par jugement du 17 décembre 2019, le conseil de prud’hommes a :
Jugé que le contrat de travail était parfaitement opposable à M. [E] ;
Jugé illicites les preuves versées aux débats par la société ;
Condamné la société à régler à M. [E] les sommes suivantes :
9 600 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
960 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,
2 363,18 euros à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire,
236,32 euros de congés payés sur ce rappel de salaire,
19 200 euros à titre d’indemnité pour cause de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Ordonné à la société, sous astreinte définitive de 100 euros par jour à compter du huitième jour suivant la notification du jugement, la délivrance des certificats de travail, attestation Pôle Emploi et bulletins de salaire rectifiés ;
Condamné la société aux dépens de l’instance ;
Rappelé que les condamnations au paiement des sommes dues au titre du salaire et de ses accessoires étaient de droit exécutoires par provision ;
Rappelé que les condamnations à paiement de créances salariales portaient intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil et que les condamnations à paiement de créances indemnitaires portaient intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement.
Le 14 janvier 2020, la société a interjeté appel de ce jugement.
Dans ses dernières conclusions notifiées, déposées au greffe le 5 octobre 2020, la société demande à la cour de :
Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit opposables à M. [E] les clauses de son contrat de travail ;
Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il :
a jugé illicites les preuves qu’elle a versées aux débats ;
l’a condamnée à régler à M. [E] les sommes suivantes :
9 600 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 960 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés,
2 363,18 euros à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire, outre 236,32 euros de congés payés afférents,
19 200 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
lui a ordonné, sous astreinte définitive de 100 euros par jour à compter du huitième jour suivant la notification du jugement, la délivrance des certificats de travail, attestation Pôle emploi et bulletins de salaire rectifiés,
l’a condamnée aux dépens de l’instance ;
Statuant à nouveau de ces chefs, débouter M. [E] de l’ensemble de ses demandes ;
En tout état de cause, condamner M. [E] à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions notifiées, déposées au greffe le 9 juillet 2020, M. [E] demande pour sa part à la cour de :
Condamner la société à lui régler les sommes suivantes :
9 600 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 960 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;
2 363,18 euros à titre de salaire pour la période de mise à pied disciplinaire entre le 14 mars et le 4 avril 2017, outre 236,32 euros de congés payés afférents ;
40 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant du licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Ordonner à la société, sous astreinte définitive de 100 euros par jour à compter du huitième jour suivant la notification du jugement le certificat de travail, attestation Pôle emploi et bulletins de salaire rectifiés ;
Ordonner le remboursement par la société des indemnités chômages versées par Pôle emploi ;
Condamner la société à lui régler une somme complémentaire de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, au titre de l’instance d’appel.
La clôture est intervenue le 8 novembre 2022.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, la cour rappelle qu’elle n’est pas tenue de statuer sur les demandes de « constatations » ou de « dire » qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions dans la mesure où elles ne sont pas susceptibles d’emporter des conséquences juridiques ou qu’elles constituent en réalité des moyens.
1-Sur l’opposabilité des clauses du contrat de travail au salarié
M. [E] soutient que les clauses du contrat de travail ne lui sont pas opposables, dans la mesure où, malgré sa nationalité italienne, la société ne l’a pas informé de la possibilité de le faire traduire.
En application de l’article L.1221-3 du code du travail, le contrat de travail est rédigé en français et une traduction peut être réalisée, à la demande du salarié, lorsqu’il est de nationalité étrangère.
M. [E] ne justifie pas avoir demandé à la société de traduire le contrat de travail et la prudence manifestée par la société, qui a fait traduire en italien les actes de la procédure de licenciement, ne saurait permettre de retenir qu’elle aurait dû faire de même spontanément pour le contrat de travail. Les clauses de ce contrat lui sont donc parfaitement opposables, ainsi qu’en a jugé le conseil de prud’hommes.
2-Sur le licenciement
Aux termes de l’article L.1235-1 du code du travail, le juge doit apprécier la régularité de la procédure de licenciement et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur.
En application de l’article L.1232-6 du même code, la lettre de licenciement fixe les limites du litige. La cause du licenciement doit être objective et reposer sur des faits matériellement vérifiables. Les faits doivent être établis et constituer la véritable cause de licenciement. Enfin, les faits invoqués doivent être suffisamment pertinents pour justifier le licenciement.
Il appartient au juge du fond, qui n’est pas lié par la qualification donnée au licenciement, de vérifier la réalité des faits reprochés au salarié et de les qualifier, puis de dire s’ils constituent une cause réelle et sérieuse au sens de l’article L.1232-1 du code du travail, l’employeur devant fournir au juge les éléments lui permettant de constater le caractère réel et sérieux du licenciement.
La faute lourde est caractérisée par l’intention de nuire à l’employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d’un acte préjudiciable à l’entreprise.
Il incombe à l’employeur de rapporter la preuve de la faute lourde et de l’intention de nuire qui la caractérise.
En l’espèce, la société reproche à son salarié d’avoir tenté de fournir des formules lui appartenant à un, voire plusieurs concurrents directs et d’avoir conclu un contrat de confidentialité avec 2 sociétés concurrentes pour partager les profits du développement d’un nouveau toner, en violation de ses obligations contractuelles et alors qu’il savait que ce comportement aurait de lourdes conséquences pour elle, dans la mesure où elle a mis en ‘uvre un savoir-faire et des investissements pour développer et fabriquer des toners de qualité unique sur le marché et où elle risque de disparaître si des concurrents de pays à bas coûts s’approprient ses formules et recettes, sachant que les toners potentiellement concernés représentent 98% de sa production.
M. [E] soutient que les moyens de preuve avancés par la société sont illicites et que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
2-1-Sur la licéité des moyens de preuve
M. [E] expose que ses échanges avec la société Indian Toners & Developers Ltd proviennent de son adresse personnelle de messagerie et qu’ils étaient conservés dans sa sacoche. Seule la fouille de cet objet personnel aurait donc pu permettre à la société d’y avoir accès.
Il conclut également à l’absence de force probante des attestations versées aux débats par la société en ce qu’elles émanent de salariés placés sous son autorité.
Sur ce dernier point toutefois, il revient à la cour d’apprécier la force probante des attestations échangées entre les parties et l’existence d’un lien de subordination entre leur signataire et l’employeur ne peut conduire à les écarter systématiquement des débats.
Quant aux courriels échangés entre M. [E] et la société Indian Toners & Developers, la charge de la preuve de leur caractère illicite incombe à M. [E]. Ce dernier ne démontre pas que c’est par une fouille dans ses effets personnels que son employeur les a découverts, alors qu’il affirme lui-même que ces documents se trouvaient dans les locaux professionnels et qu’il reconnaît qu’il était absent de la société lors de leur appréhension.
La production des courriels en justice est donc tout à fait licite. Le conseil de prud’hommes ne pouvait écarter ces pièces au seul motif qu’il n’avait pas la possibilité matérielle de constater la loyauté de leur obtention et le jugement sera infirmé de ce chef.
2-2-Sur les faits
Dans son article 2, le contrat de travail interdit à M. [E] de s’intéresser « directement ou indirectement », de participer ou de conseiller « aucune autre société, groupement ou affaire même non-concurrente ». L’article 4 indique qu’il « s’engage à exercer sa fonction au mieux des intérêts de la société et à y consacrer toute son activité professionnelle. »
L’article 7 intitulé « Secret professionnel » est ainsi rédigé : « Monsieur [L] [E] reconnaît qu’il est tenu, indépendamment d’une obligation de réserve générale, à une obligation impérative de secret professionnel sur tous les faits dont il peut avoir connaissance, du fait ou à l’occasion de ses fonctions ou du seul fait de son appartenance à la société.
Les documents ou rapports qu’il établira ou dont il lui sera donné communication sont la propriété de la société et il ne pourra ni en conserver de copie, ni en donner communication à des tiers, sans l’accord exprès et écrit de la présidence. En fin de relation contractuelle, il restituera sur première demande l’ensemble desdits documents.
Cette obligation de secret professionnel subsiste après la fin du présent contrat. »
Le contenu des échanges entre M. [E] et la société indienne Indian Toners & Developers ne laisse pas de doute sur ses intentions. Le salarié propose en effet à son correspondant ses « services de consultant » pour développer des toners « sur lesquels [il] travaille » et qui « ne figurent pas dans [son] catalogue, comme les Brother et Kyocera » et il cite même les références de 9 toners. Certaines de ces références correspondent précisément à celles figurant dans le catalogue du groupe Integral et l’une est même fabriquée par la société Xenax.
Dans le curriculum vitae transmis par M. [E] à la société indienne, il se présente comme consultant pour un fabricant de toner européen et non comme salarié de la société Xenax, information qu’il souhaitait visiblement dissimuler.
En proposant ses services à une société concurrente pour développer une nouvelle recette de toner sur une courte période (3 mois) en faisant référence précisément aux toners développés par son propre employeur, M. [E] a de toute évidence tenté d’exploiter le savoir-faire de celui-ci alors qu’il était tenu à un strict secret professionnel par les termes de son contrat de travail. Il importe peu que la société ne soit pas détentrice de brevets, la spécificité des toners qu’elle développe et la concurrence existant dans ce secteur d’activité n’étant pas contestées, et que la fabrication des toners dépende de divers facteurs, dont l’environnement.
La circonstance que les relations entre M. [E] et le dirigeant de la société n’étaient pas des meilleures, et que les contacts noués avec la société indienne ont pu avoir pour objectif de lui procurer non une collaboration ponctuelle mais un emploi, n’est pas de nature à modifier l’appréciation des faits par la cour.
De même, M. [E] ne peut prétendre qu’il avait avant même sa prise de fonction une parfaite connaissance de la fabrication des toners et qu’il n’avait donc nullement besoin des formules de la société pour développer des toners pour des entreprises concurrentes. Le simple fait de se prévaloir auprès d’un concurrent de compétences dans le développement et la fabrication de toners fabriqués et commercialisés par son employeur démontrent son intention d’utiliser le savoir-faire et les investissements de celui-ci.
Par ailleurs, l’accord de non divulgation conclu entre M. [E] et les sociétés Contec engineering et Durasyst en septembre-octobre 2016, constitue également une violation flagrante de son contrat de travail en ce qu’il fixe un cadre en vue d’un travail en commun dans le domaine des toners céramiques (développement, production et vente).
M. [E] argue avoir développé un savoir-faire dans ce domaine lorsqu’il travaillait en Italie au sein de la société Baltea Srl. La société Xenax indique cependant sans être contestée que le groupe Integral a racheté la société Baltea et M. [E] lui-même précise que le représentant de la société Durasyst lors de la signature de l’accord, M. [T], est consultant de la société Xenax.
En tout état de cause, même si la société Xenax ne travaillait pas elle-même dans le domaine des toners céramiques, l’article 2 du contrat de travail de M. [E] lui interdisait toute collaboration avec une tierce entreprise même non concurrente et l’article 4 le contraignait à consacrer l’intégralité de son activité professionnelle à son employeur.
M. [E] fait valoir qu’il a simplement donné des conseils à ses partenaires sans jamais avoir perçu aucune somme d’argent. Il reste cependant taisant sur sa motivation et sur la contrepartie éventuellement convenue. La cour relève par ailleurs que l’article 2 du contrat de travail ne vise pas spécifiquement une activité financièrement rétribuée.
Par son attitude, M. [E] a commis des fautes disciplinaires de nature à empêcher la poursuite de la relation de travail. La société échoue cependant à rapporter la preuve que le salarié était animé par l’intention de lui nuire, même si la transmission de son savoir-faire dans la fabrication de toners représentant une part très importante de son catalogue ou de celui de sa société mère à une société concurrente située dans un pays où les coûts de production sont notoirement bas aurait pu la priver d’une part de marché importante. Le licenciement est donc fondé sur des fautes graves mais pas sur des fautes lourdes.
M. [E] doit être débouté de l’ensemble de ses demandes. Le jugement sera réformé en ce sens.
3-Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
M. [E] aura la charge des dépens de première instance et d’appel.
L’équité ne commande pas de faire application de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure en première instance et en appel.
PAR CES MOTIFS
Infirme en toutes ses dispositions le jugement prononcé le 17 décembre 2019 par le conseil de prud’hommes d’Oyonnax, sauf en ce qu’il a déclaré le contrat de travail opposable à Monsieur [L] [E] ;
Statuant à nouveau,
Dit que le licenciement est régulier mais fondé sur des fautes graves ;
Déboute Monsieur [L] [E] de l’ensemble de ses demandes ;
Laisse à Monsieur [L] [E] la charge des dépens de première instance et d’appel ;
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance et la procédure d’appel ;
Le Greffier La Présidente