Cour d’appel de Grenoble RG n° 22/01517 2 mai 2024

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Cour d’appel de Grenoble RG n° 22/01517 2 mai 2024

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Cour d’appel de Grenoble
RG n° 22/01517
2 mai 2024
C 2

N° RG 22/01517

N° Portalis DBVM-V-B7G-LKH6

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

Me Sophie BAUER

la SELARL LF AVOCATS

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 02 MAI 2024

Appel d’une décision (N° RG 19/01010)

rendue par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Grenoble

en date du 17 mars 2022

suivant déclaration d’appel du 13 avril 2022

APPELANTE :

Madame [N] [T]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par Me Sophie BAUER, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMEE :

S.A.S. ORACLE FRANCE, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Guillaume DESMOULIN de la SELARL LF AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président,

M. Jean-Yves POURRET, Conseiller,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,

DÉBATS :

A l’audience publique du 06 mars 2024,

Jean-Yves POURRET, conseiller chargé du rapport et Frédéric BLANC, conseiller faisant fonction de président, ont entendu les parties en leurs conclusions, assistés de Mme Carole COLAS, Greffière, conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, les parties ne s’y étant pas opposées ;

Puis l’affaire a été mise en délibéré au 02 mai 2024, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L’arrêt a été rendu le 02 mai 2024.

EXPOSE DU LITIGE

Mme [N] [T] a été embauchée par la société Sun microsystems le 11 septembre 2000 suivant contrat de travail à durée indéterminée en qualité d’ingénieur de développement logiciel, statut cadre de la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987.

Le 1er juillet 2010, le contrat de travail de Mme [T] a été transféré à la société Oracle France.

Au dernier état de sa relation de travail, Mme [T] percevait une rémunération brute mensuelle de 5 441,58 euros.

La société Oracle France est une des filiales de la société américaine Oracle corporation, cotée en bourse. Elle développe et commercialise des logiciels spécialisés et spécifiques.

La société Oracle France a négocié un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) signé le 13 juillet 2018 et homologué par la DIRECCTE des Hauts de seine le 3 août 2018.

Plusieurs mesures ont été prévues dans le cadre de ce PSE, à savoir des reclassements, des départs volontaires de salariés, et des départs contraints.

Le 28 juin 2018, Mme [T] a candidaté sur un poste disponible de « Virtual Box Principal Software Developer », et n’a reçu de manière individualisée, une proposition de reclassement sur celui-ci que le 24 septembre 2018.

L’annonce a été ensuite supprimée pour être remise en ligne le 1er novembre 2018 en excluant la France des pays pouvant candidater.

Le 2 novembre 2018, la candidature de Mme [T] a été officiellement rejetée à cause de «’formalités (et sans aucun rapport avec [sa] qualification du tout), un changement de «’politique’» dû à la grande réorganisation’».

Entre temps, le 14 septembre 2018, en parallèle, elle a candidaté au dispositif de départ volontaire, faute de reclassement accepté.

Le 28 novembre 2018, la demande de départ volontaire de Mme [T] ayant été acceptée, elle a signé une convention de rupture d’un commun accord de son contrat de travail.

Elle a alors bénéficié d’une dispense de son préavis de trois mois, d’une indemnité de départ volontaire ainsi que d’une indemnité extra-légale.

Le même jour, Mme [T] a adhéré au dispositif d’un congé de reclassement de sept mois durant lequel elle a perçu une allocation représentant 70 % de son salaire.

Le 30 septembre 2019, le contrat de travail de Mme [T] a pris fin.

Le 1er octobre 2019, le service des ressources humaines de la société Oracle France a validé une dernière demande de formation formulée par Mme [T].

Par requête du 27 novembre 2019, Mme [T] a saisi le conseil de prud’hommes de Grenoble aux fins de contester le bien-fondé de son licenciement économique et obtenir la condamnation de la société Oracle France à lui payer les indemnités afférentes à la rupture injustifiée de la relation de travail.

La société Oracle France s’est opposée aux prétentions adverses.

Par jugement du 17 mars 2022, le conseil de prud’hommes de Grenoble a’:

Dit que la société Oracle France n’a pas violé l’obligation de reclassement lui incombant à la suite du licenciement de Mme [T]’;

Condamné la société Oracle France à verser à Mme [T] les sommes suivantes :

– 753,68 euros brut à titre de rappels d’indemnité de congés payés, ladite somme avec intérêts de droit à compter du 29 novembre 2019′;

– 750 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ladite somme avec intérêts de droit à compter du présent jugement’;

Rappelé que les sommes à caractère salariale bénéficient de l’exécution provisoire de droit, nonobstant appel et sans caution, en application de l’article R. 1454-28 du code du travail dans la limite de neuf mois de salaire’;

Limité à ces dispositions l’exécution provisoire du présent jugement’;

Débouté Mme [T] du surplus de ses demandes’;

Débouté la société Oracle France de sa demande reconventionnelle’;

Condamné la société Oracle France aux dépens.

La décision a été notifiée par le greffe par lettres recommandées avec accusés de réception signés le 18 mars 2022 pour Mme [T] et le 22 mars 2022 pour la société Oracle France.

Par déclaration en date du 13 avril 2022, Mme [T] a interjeté appel.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 13 juillet 2022, Mme [T] sollicite de la cour de’:

Déclarer recevable l’appel de Mme [T] formé contre le jugement du conseil de prud’hommes du 17 mars 2022, enregistré sous le numéro RG F 19/01010′;

Infirmer ce jugement en ce qu’il a :

– Dit que la SASU Oracle France n’a pas violé l’obligation de reclassement lui incombant suite au licenciement de Mme [T]’;

– Condamné la SASU Oracle France à verser à Mme [T] uniquement la somme de 753,68’euros brut au titre de rappels d’indemnité de congés payés, ladite somme avec intérêts de droit à compter du 29 novembre 2019, au lieu de la somme de 1’507,36 euros brut sollicitée’;

– Débouté Mme [T] du surplus de ses demandes, à savoir :

Condamner la société Oracle France à verser à Mme [T], avec intérêts de droit au jour de la décision à intervenir, la somme de 80 000 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice subi du fait de la violation de l’obligation de reclassement privant la rupture du contrat de travail intervenue le 28 novembre 2018 de cause réelle et sérieuse’;

Condamner la société Oracle France à payer à Mme [T] avec intérêts de droit au jour de la demande la somme de 1 507,36 euros brut à titre de rappel d’indemnité compensatrice de congés payés’;

Condamner la société Oracle France à remettre à Mme [T] un bulletin de salaire faisant état des condamnations à intervenir’;

En conséquence,

Condamner la société Oracle France à verser à Mme [T], avec intérêts de droit au jour de la décision à intervenir, la somme de 79 817 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice subi du fait de la violation de l’obligation de reclassement privant la rupture du contrat de travail intervenue le 28 novembre 2018 de cause réelle et sérieuse’;

Condamner la société Oracle France à payer à Mme [T] avec intérêts de droit au jour de la demande la somme de 1 507,36 euros brut à titre de rappel d’indemnité compensatrice de congés payés et très subsidiairement, confirmer le jugement attaqué qui a alloué à Mme [T] la somme de 753,68 euros brut au titre du solde des congés payés’;

Condamner la société Oracle France à remettre à Mme [T] un bulletin de salaire faisant état des condamnations à intervenir’;

Condamner la société Oracle France à verser à Mme [T] la somme de 4 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 13 octobre 2022, la société Oracle France sollicite de la cour de’:

Constater que la société Oracle France a dûment respecté son obligation de reclassement’;

En conséquence,

Confirmer le jugement du 17 mars 2022 du conseil de prud’hommes de Grenoble en ce qu’il a débouté Mme [T] de ses demandes liées à la reconnaissance d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse;

Infirmer le jugement rendu le 17 mars 2022 par le conseil de prud’hommes de Grenoble en ce qu’il a condamné la société Oracle France à un rappel d’indemnité de congés payés à hauteur de 753,68 euros brut, ainsi qu’au versement d’un montant de 750 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

En conséquence, débouter Mme [T] de l’ensemble de ses demandes’;

En tout état de cause,

Débouter Mme [T] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamner Mme [T] à verser à la société Oracle France la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamner Mme [T] aux entiers dépens.

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l’article 455 du code de procédure civile de se reporter aux conclusions des parties susvisées.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 21 décembre 2023.

L’affaire, fixée pour être plaidée à l’audience du 6 mars 2024, a été mise en délibéré au 02 mai 2024.

EXPOSE DES MOTIFS

A titre liminaire, en application de l’article 802 du code de procédure civile, la cour déclare d’office irrecevables les conclusions de Mme [T] notifiées électroniquement le 4 janvier 2024, postérieurement à la clôture de la mise en état fixée au 21 décembre 2023, observation faite qu’aucune demande de rabat de cette ordonnance de clôture n’a été formulée et encore moins justifiée conformément aux conditions légales.

I – Sur la demande au titre de la violation de l’obligation de reclassement

Lorsque les départs volontaires prévus dans un plan de sauvegarde de l’emploi s’adressent aux salariés dont le licenciement est envisagé en raison de la réduction d’effectifs, sans engagement de ne pas les licencier si l’objectif n’est pas atteint au moyen de ruptures amiables des contrats de travail des intéressés, l’employeur est tenu, à l’égard de ces salariés, d’exécuter au préalable l’obligation de reclassement prévue dans le plan, en leur proposant des emplois disponibles et adaptés à leur situation personnelle, dans les sociétés du groupe dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation leur permettent la permutation de tout ou partie du personnel. L’employeur ne justifiant pas avoir satisfait à cette obligation, la rupture des contrats de travail pour motif économique produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse dont les salariés pouvaient réclamer réparation (Soc., 19 mai 2016, pourvoi n° 15-12.137).

En l’espèce, premièrement Mme [T] expose que l’employeur s’abstient de produire des justificatifs des recherches de reclassement qu’il a mises en ‘uvre, que notamment il ne produit pas une copie du registre du personnel pour l’ensemble de ses établissements situés en France sur la période de mai 2018 à décembre 2018 alors que sur toute la période, elle n’a été destinataire que d’une seule proposition de poste de développeur disponible en lien avec ses compétences et deux autres concernant des postes sans rapport avec celles-ci.

En ce qui le concerne, l’employeur soutient qu’il a satisfait à ses obligations en mettant à disposition des salariés les postes disponibles sur la page intranet de la société pendant toute la durée de mise en ‘uvre de l’accord et qu’il est même allé au-delà en transmettant différentes communications de postes ouverts à la salariée.

Cependant, il ressort de l’accord sur le contenu du PSE que si les postes ouverts et localisés en France à la date de signature de l’accord, mais également ceux ouverts pendant la procédure, seront disponibles sur la page d’intranet d’Oracle France en complément de la newsletter habituellement adressée à l’ensemble des salariés outre ceux mentionnés sur la plateforme de recrutement Taleo comprenant ceux localisés à l’étranger, «’Oracle France adressera individuellement par email avec accusé de réception ou LRAR aux salariés concernés une sélection des postes disponibles en France susceptibles de correspondre à leurs compétences en fonction des informations recueillies au préalables telles que leur CV’».

Aussi en se limitant à évoquer les obligations légales, l’employeur omet les obligations contenues dans l’accord qu’il a négocié et qui s’imposent à lui.

A cet égard, les deux courriels contenant des offres en date des 19 juin et 24 juillet 2018 ne sont aucunement personnalisés et ne correspondent pas au profil de Mme [T].

S’agissant ensuite du courriel en date du 24 septembre 2018, il indique «’nous avons procédé à une recherche exhaustive et individualisée des solutions de reclassement susceptibles de vous être présentées, conformément aux dispositions légales de l’article L.1233-4 du code du travail. Nous avons identifié un poste de reclassement au sein des entités du groupe Oracle’: le poste est identifié Virtual Box Principal Software Developer n° de l’offre dans Taleo 18000JW2’».

Il en ressort que l’employeur se borne à justifier de l’envoi au titre de son obligation de reclassement telle que prévue dans l’accord d’une seule offre personnalisée à la salariée, étant observée au surplus que cette dernière avait personnellement déjà candidaté à cette offre le 28 juin 2018 soit presque trois mois avant cet envoi individualisé et qu’elle avait déjà eu trois entretiens avec d’abord le responsable seul, puis avec son responsable et enfin avec l’ensemble du service.

Il ne démontre donc pas l’existence d’un accompagnement personnalisé effectif dans la recherche de postes en vue du reclassement de Mme [T].

Deuxièmement, Mme [T] reproche à la société Oracle France d’avoir retiré de manière abusive l’offre de Virtual Box Principal Software Developer qu’elle avait entre-temps acceptée, et sans motif valable, alors pourtant que le responsable de ce recrutement à l’étranger s’était engagé à lui transmettre une offre après les entretiens positifs, et ce faisant, en excluant les salariés français lorsque la même offre a été de nouveau publiée en novembre 2018.

Or, l’employeur en reprenant les différentes étapes de la procédure de recrutement telles qu’elles résultent des échanges de courriels et conformément aux dispositions de l’accord, se borne à soutenir que les différents intervenants situés à l’étranger n’ont in fine pas tous donné leur accord pour que soit adressée une offre ferme à la salariée, si bien que si en définitive le projet n’a pu être concrétisé, ce n’est pas du fait de l’entité Oracle France qui a bien collaboré.

Cependant, il ressort de l’analyse des différents courriels, notamment de ceux du responsable situé en Allemagne, M. [W] [O], que la salariée a passé avec succès les différents entretiens, qu’il a dû inviter les services RH français à plusieurs reprises à l’aider plus activement à envisager le transfert de Mme [T] sur le plan administratif comme il l’évoque dans son courriel du 21 septembre 2018, avant d’indiquer à cette dernière, le 11 octobre 2018, «’j’ai reçu une très mauvaise nouvelle d'[F] [son supérieur] lors d’une réunion avec lui. Il va rejeter l’offre. C’est d’autant plus triste que c’est juste à cause de formalités (et sans aucun rapport avec votre qualification du tout), un changement de «’politique’» dû à la grande réorganisation. J’ai essayé d’argumenter sans aucun effet. Je m’attends à ce que cette politique reste en vigueur pendant un certain temps.’».

Surtout, la société Oracle France ne justifie d’aucune démarche active auprès des responsables de ce recrutement au sein des autres entités du groupe pour soutenir la salariée qui a fait montre au contraire d’une grande motivation pour sauvegarder son emploi alors qu’il est établi que le poste a bien été publié de nouveau dès novembre 2018 avec une offre accessible aux salariés du groupe situés dans un très grand nombre de pays, sauf la France.

Sur la discrimination alléguée émanant du groupe à l’égard des salariés français, la salariée n’en tire aucune conséquence dans le dispositif de ses conclusions puisqu’elle ne sollicite ni la réparation d’un préjudice subi à ce titre, ni la nullité du licenciement. Ce moyen est par conséquent seulement analysé sous l’angle de l’obligation de reclassement à la charge de l’employeur.

En définitive, quoique l’employeur n’ait pas retiré une offre ferme au sens de l’accord sur le contenu du plan de sauvegarde dans la mesure où Mme [T] n’avait pas reçu cette offre par LRAR ou remis en main propre après les entretiens individuels, la société Oracle France ne démontre pas avoir recherché de manière effective le reclassement de la salariée dans ce seul poste qu’elle lui a proposé.

Troisièmement, Mme [T] fait valoir que l’inertie du service des ressources humaines est d’autant plus fautive qu’elle était âgée de 60 ans, qu’elle a été reconnue travailleur handicapé par décision de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées de l’Isère en date du 20 janvier 2016 valable jusqu’au 31 janvier 2021 et que le plan stipulait expressément que «’la direction des ressources humaines porterait une attention particulière et renforcée aux personnes ayant une employabilité faible ou en situation de handicap, si nécessaire avec l’aide du Cabinet et la Commission de suivi pour favoriser le reclassement interne’».

Pour démontrer qu’il a bien accompagné sa salariée individuellement, l’employeur se contente de renvoyer à des courriels qu’il a échangés avec le responsable allemand du recrutement.

Or, la cour observe que l’analyse des échanges montre au contraire que c’est la salariée qui a seule effectué les démarches pour obtenir ce reclassement et que le service RH s’est limité à répondre a minima à ses sollicitations ainsi qu’à celles du recruteur allemand. Notamment, in fine, il apparaît que c’est M. [W] [O] lui-même qui a annoncé directement à Mme [T] le rejet de sa candidature avant même que l’entité Oracle France n’en soit informée.

Ce faisant, l’employeur ne justifie pas d’un accompagnement renforcé de la salariée alors qu’elle était dans la catégorie des salariés ayant une faible employabilité à la fois en raison de son âge et de son handicap contrairement à ce que prévoyait le plan.

La circonstance que la société Oracle France ait accepté de financer une formation, à titre très exceptionnel, le 1er octobre 2019, soit plusieurs mois après l’accord de départ volontaire et alors que son congé de reclassement avait pris fin, n’est pas de nature à démontrer que l’employeur a respecté son obligation de reclassement antérieure au départ volontaire.

Au regard de ces éléments pris dans leur globalité, l’employeur ne démontre pas suffisamment avoir exécuté son obligation de reclassement. Par voie de conséquence, la rupture subséquente du contrat de travail est sans cause réelle et sérieuse.

Infirmant le jugement entrepris, il est dit que la société Oracle France a manqué à son obligation de reclassement et que la rupture de son contrat de travail en date du 28 novembre 2018 est sans cause réelle et sérieuse.

II ‘ Sur les prétentions indemnitaires

Premièrement, l’article L.1235-3 du code du travail dispose que si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis ; et, si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux que cet article prévoit.

Mme [N] [T] disposait d’une ancienneté de plus de dix-huit années complètes et peut donc prétendre, par application des dispositions précitées, à une indemnisation du préjudice né de la perte injustifiée de son emploi comprise entre trois et quatorze mois et demi de salaire.

Âgée de 60 ans à la date du licenciement, elle percevait un salaire mensuel moyen de l’ordre de 5’504,68 euros brut et était reconnue comme travail handicapé.

Elle justifie avoir subi une perte de revenu à compter du 1er mars 2019 jusqu’à sa retraite à partir de juillet 2020. Elle établit également qu’elle a perdu une chance de travailler au-delà de l’âge de 62 ans pour accroitre ses revenus sur cette période et ses droits à la retraite tout en versant un récapitulatif des nombreuses démarches ou formations entreprises pour retrouver un emploi à compter de la rupture jusqu’à la fin de l’année 2020.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, infirmant le jugement déféré, la société Oracle France est condamnée à payer à Mme [N] [T] la somme de 79 817 euros brut à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision.

Deuxièmement, il appartient à l’employeur, débiteur de l’obligation de paiement de l’intégralité de l’indemnité due au titre des jours de congés payés, d’établir qu’il a exécuté son obligation (Soc., 1 mars 2023, pourvoi n° 21-19.497). Or, la société Oracle France n’établit pas avoir réglé l’intégralité du solde des congés payés mentionnés sur les bulletins de paie de mars et avril 2019 au titre du solde de tout compte repris dans le bulletin de paie de septembre 2019.

Infirmant le jugement entrepris, la société Oracle France est condamnée à payer à Mme [N] [T] la somme de 1’507,36 euros brut au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés, avec intérêts au taux légal à compter du 29 novembre 2019, date de la demande.

Troisièmement, ajoutant au jugement entrepris, il convient d’ordonner à la société Oracle France d’adresser un bulletin de paie conforme à la présente décision.

III – Sur les demandes accessoires

Au visa de l’article 696 du code de procédure civile, la société Oracle France, partie perdante, est condamnée aux dépens de première instance et d’appel.

Infirmant le jugement déféré et y ajoutant la société Oracle France est condamnée à payer à Mme [N] [T] la somme de 3’000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les procédures de première instance et d’appel.

Les parties sont déboutées du surplus de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, dans les limites de l’appel et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

DECLARE irrecevables les conclusions de Mme [T] notifiées électroniquement le 4 janvier 2024, postérieurement à la clôture de la mise en état fixée au 21 décembre 2023,

INFIRME le jugement du conseil de prud’hommes, sauf en ce qu’il a’:

– Débouté la société Oracle France de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance,

– Condamné la société Oralce France aux dépens de première instance,

Statuant des chefs infirmés et y ajoutant,

DIT que la société Oracle France a manqué à son obligation de reclassement,

DIT que la rupture ducontrat de travail de Mme [T] en date du 28 novembre 2018 est sans cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société Oracle France à payer à Mme [N] [T] les sommes de’:

– 79 817 euros brut (soixante-dix-neuf mille huit cent dix-sept euros) à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

– 1’507,36 euros brut (mille cinq cent sept euros et trente-six centimes) au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés, avec intérêts au taux légal à compter du 29 novembre 2019,

– 3’000 euros (trois mille euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

ORDONNE à la société Oracle France d’adresser à Mme [N] [T] un bulletin de paie conforme au présent arrêt,

DEBOUTE la société Oracle France de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel,

CONDAMNE la société Oracle France aux dépens d’appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière Le Président


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