Cour d’appel de Grenoble, du 18 septembre 2001

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Cour d’appel de Grenoble, du 18 septembre 2001

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

R.G. N° 99/03488 N° Minute : AFFAIRE :

X… c/ Y… Grosse délivrée le : S.C.P. POUGNAND S.E.LA.R.L. DAUPHIN & NEYRET AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS COUR D’APPEL DE GRENOBLE 1ERE CHAMBRE CIVILE ARRET DU MARDI 18 SEPTEMBRE 2001 Appel d’une décision (N° R.G. 9600584) rendue par le Tribunal de Grande Instance de BOURGOIN-JALLIEU en date du 30 juin 1999 suivant déclaration d’appel du 27 Juillet 1999 APPELANT : Monsieur Patrick X… né le 14 Janvier 1943 à LYON (69006) de nationalité Française 81 chemin de Chavril 69110 STE FOY LES LYON Représenté par la SCP HERVE JEAN POUGNAND (avoué associé à la Cour) Assisté de Maître BURDEYRON (avocat au barreau de LYON) INTIME : Monsieur Bernard Y… né le 20 Février 1943 à NEUILLY SUR SEINE (92200) de nationalité Française 30 rue du Petit Bion 38300 BOURGOIN JALLIEU Représenté par la SELARL DAUPHIN & NEYRET (avoués à la Cour) Assisté de Maître ALLAGNAT (avocat au barreau de BOURGOIN-JALLIEU) COMPOSITION DE LA COUR : LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE : Madame Odile FALLETTI-HAENEL, Président, Madame Claude-Françoise KUENY, Conseiller, M. Jean-Pierre VIGNAL, Conseiller, Assistés lors des débats de Madame Hélène Z…, Greffier. DEBATS : A l’audience publique du 26 Juin 2001, les avoués et les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries. Puis l’affaire a été mise en délibéré pour l’arrêt être rendu à l’audience de ce jour. –oOo–

FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES

Monsieur Patrick X… détenteur de 1500 actions de la Société DGMT, de 119 actions de la Société EGR et de 5 actions de la Société SODED, a cédé le 25 Janvier 1995 ses actions à Monsieur Bernard Y…, PDG de cette société et détenteur de 51 % du capital social, pour le prix de 700.000 francs à la condition qu’intervienne une cession globale du Groupe DGMT.

Estimant qu’il avait été victime de manoeuvres dolosives de la part

de Monsieur Bernard Y… lequel lors de la vente avait déjà consenti une cession de l’ensemble des titres à la Société BAILLY COMTE moyennant un prix plus élevé sans l’informer des conditions de cette opération, Monsieur X… a fait assigner Monsieur Bernard Y… aux fins suivantes :

– voir dire et constater que les cessions de 1500 actions de la Société DGMT, de 5 actions de la Société SODED et de 119 actions de la Société EGR le 25 Janvier 1995 sont entachées de dol,

– voir condamner Monsieur Bernard Y… à lui payer, à titre d’indemnité, une somme de 214.055 francs à parfaire le cas échéant, en fonction des autres éléments de valorisation du prix, outre une somme correspondant à la valeur des 5 actions SODED et des 119 actions EGR, le tout avec intérêts au taux légal à compter de la prise d’effet de la vente au Groupe BAILLY-COMTE,

– voir condamner Monsieur Bernard Y… à lui payer la somme de 70.000 francs pour préjudice moral,

– et le voir condamner à lui payer 15.000 francs au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Par jugement en date du 30 Juin 1999, le Tribunal de Grande Instance de Bourgoin-Jallieu a :

– dit que Monsieur Patrick X… ne rapporte pas la preuve de réticences dolosives imputables à Monsieur Bernard Y…,

– rejeté l’intégralité des demandes formées par Monsieur X…,

– débouté Monsieur Bernard Y… de sa demande pour préjudice moral et condamné Monsieur X… à lui payer une indemnité de 5.000 francs en application des dispositions de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Monsieur X… a relevé appel de ce jugement le 12 Août 1999 demandant à la Cour de le réformer,

de constater les manoeuvres dolosives de Monsieur Y…,

de surseoir à statuer et de commettre un expert comptable avec la mission définie dans les conclusions d’incident du 09 Juin 2000,

à défaut, de constater la responsabilité contractuelle de Monsieur Y…,

de le condamner à lui payer la somme de 284.000 francs à titre d’indemnité au titre de la sous estimation de la valeur des actions, celles de 150.000 francs et de 104.400 francs correspondant au revenu brut résultant du contrat de travail consenti à Monsieur Bernard Y… et à ses droits à indemnités de chômage, celle de 52.200 francs au titre de la commission de négociation, celle de 500.000 francs en réparation de son préjudice moral et celle de 15.000 francs en application des dispositions de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Il expose que pour réaliser une plus-value financière, le PDG de la Société DGMT a décidé de la vendre et a recherché un acquéreur dès le 27 Juillet 1993 pour le prix de 13 millions de francs établi sur la base du bilan 1992, que différentes négociations ont été engagées sous la surveillance de Maître Jacques Y…, que lui-même était dans un état dépressif par suite de difficultés familiales, qu’il a fait confiance à Monsieur Bernard Y… qui était un ami d’enfance et qu’il a découvert trop tard qu’il avait été évincé et qu’il avait été victime de manoeuvres dolosives destinées à lui faire céder ses actions à un prix qui était inférieur à celui offert par un acquéreur avant même l’acte de cession.

Il indique que lors de la cession le 13 Janvier 1995, tous les administrateurs de DGMT étaient présents, que cependant aucun procès-verbal n’a été établi, qu’aucune information sur les pourparlers avec la Société BAILLY-COMTE ne lui a été donnée, qu’il a été convoqué rapidement pour le 25 Janvier 1995 afin de concrétiser la vente, qu’un chèque de 700.000 francs établi quelques jours

auparavant lui a été remis pour le contraindre à signer l’acte de vente et que cette précipitation s’explique par le fait que la Société BAILLY-COMTE avait déjà réglé 1.000.000 francs le 04 Janvier 1995 et devait régler la même somme le 31 Janvier 1995.

L’appelant estime que le silence volontaire de Monsieur Y… est dolosif étant précisé que l’intéressé bénéficiait d’un contrat de travail qui représente un supplément de prix et qu’il est évident qu’il n’aurait pas contracté s’il avait bénéficié de ces informations.

Au soutien de sa demande, il relève que pour contester l’existence de manoeuvres dolosives, l’intimé soutient :

– que le prix des actions résulte d’un accord entre les parties,

– que l’engagement est intervenu à l’occasion de la réunion de l’ensemble des associés de la Société DGMT,

– que ceux-ci ont été informés des modalités de la cession de la totalité des actions à la SA BAILLY-COMTE, tel que cela résulte des attestations Y… et GARET,

– qu’il ne produit aucun document démontrant que la parité du prix des actions offert par la Société BAILLY-COMTE était déterminante, mais que ces affirmations ne sont corroborées par aucun procès-verbal d’assemblée ou lettre, de sorte qu’il convient qu’un expert comptable puisse répertorier tous les procès-verbaux d’assemblée du Groupe DGMT et examine les bilans de cette société ou des sociétés satellites afin d’informer la Cour sur l’évolution financière et comptable des sociétés, dire quels ont été les mouvements de titres avant et après la cession litigieuse et indiquer quelles ont été les circonstances dans lesquelles des mandats ont été donnés.

Il souligne que son action est de nature contractuelle, que dans la mesure où la Société BAILLY-COMPTE exigeait un seul vendeur, Monsieur Y… aurait dû l’informer de l’existence de cette vente et du prix

convenu mais que si la Cour estime qu’il n’y a pas de lien contractuel elle devra retenir une responsabilité délictuelle.

Monsieur Y… sollicite la confirmation du jugement déféré, excepté en ce qu’il a rejeté sa demande de dommages et intérêts.

Il réclame 30.000 francs en réparation de son préjudice moral et 20.000 francs en application des dispositions de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Il fait valoir que l’action de Monsieur X… est irrecevable puisqu’il invoque des manoeuvres dolosives sans contester la validité de la convention.

Il demande à la Cour d’adopter les motifs des premiers juges qui ont parfaitement démontré que les termes de la convention ont été fixés par Monsieur X… lui-même, que les deux opérations n’étaient aucunement liées, que lorsque Monsieur X… a vendu ses actions, le prix réel de cession au profit de la Société BAILLY-COMTE n’était pas déterminé et que les manoeuvres dolosives alléguées n’existent que dans l’imagination de l’appelant.

Il s’oppose à la demande d’expertise qui intervient tardivement et qui ne saurait pallier une carence manifeste dans l’administration de la preuve.

MOTIFS ET DECISION

Sur la demande d’expertise et la demande de sursis à statuer:

Monsieur X… ne peut prétendre faire vérifier au moyen d’une expertise comptable certaines affirmations de l’intimé alors qu’il les dément à peine et qu’en ce qui concerne les témoignages produits il n’a pas soutenu qu’il s’agissait de faux témoignages et n’a engagé aucune instance pénale pour les contester.

Les éléments que Monsieur X… entend faire vérifier ne sont nullement indispensables à la solution du litige et la demande d’expertise qui a d’ailleurs été formée tardivement et pour la

première fois en cause d’appel sera rejetée.

Sur les manoeuvres dolosives :

La jurisprudence intervenue en application des dispositions des articles 1116 et 1117 du Code Civil a décidé que le droit de demander la nullité d’un contrat n’exclut pas l’exercice par la victime des manoeuvres dolosives, d’une action en responsabilité délictuelle pour obtenir de son auteur réparation du préjudice qu’elle a subi, que la possibilité de demander des dommages et intérêts persistait malgré le désistement de l’action en nullité pour dol et qu’une telle action fondée sur l’article 1382 du Code Civil est soumise à la prescription décennale depuis la loi du 5 Juillet 1985. Il en résulte que l’action de l’appelant est recevable.

Il résulte d’une LR avec AR adressée par Monsieur X… à Maître Jacques Y… le 12 Décembre 1994 que celui-ci était manifestement très pressé de vendre ses actions DGMT, qu’il manifestait de l’impatience devant le comportement de la Société OLMETAL qui ne régularisait pas la vente convenue, et qu’il a lui-même et de façon unilatérale repris sa liberté à compter du 06 Février 1995 dans les termes suivants « Je profite de cette occasion pour vous informer que passé cette date du 06 Janvier 1995, je resterais vendeur de la totalité de mes actions du Groupe DGMT à 700.000 francs en précisant que je me réserve la possibilité de modifier mon prix de cession dès la clôture du prochain exercice, soit au 30 Mars 1995 ».

Ainsi, Monsieur X… a lui-même fixé le prix à 700.000 francs à titre provisoire, se réservant de le modifier au vu de la valeur réelle des actions d’après le bilan.

Dans son engagement du 13 Janvier 1995, Monsieur X… « cède la totalité de ses actions moyennant le prix de 700.000 francs payable au plus tard le 1er Avril 1995, sans aucun engagement de garantie, ni d’actif, ni de passif. Cette cession est faite sous réserve de la

cession globale du Groupe DGMT… ».

Dans cet acte, Monsieur

Dans cet acte, Monsieur X… a renoncé à se réserver la possibilité de modifier le prix de cession au vu des résultats de la société mais cette renonciation n’est pas sans contrepartie puisque par rapport à l’acte antérieur il est dispensé de toute garantie et le prix est exigible rapidement.

Cet acte trahit encore l’impatience de Monsieur X… notamment en ce qui concerne le délai de règlement et la renonciation volontaire à se prévaloir du prix exact des actions.

Attendre la clôture de l’exercice retardait nécessairement le paiement du prix et Monsieur X… a volontairement renoncé à réclamer la valeur exacte de ses actions d’après les résultats de l’exercice et a volontairement fixé une valeur forfaitaire, de sorte qu’il ne peut maintenant se plaindre d’avoir vendu à un prix inférieur à la valeur réelle des titres.

Aucun élément ne démontre que Monsieur X… aurait été influencé pour consentir à la cession de ses titres et dès lors qu’il savait que la cession qu’il consentait était faite sous réserve de la cession globale du Groupe DGMT, la condition d’un vendeur unique étant exigée par les acquéreurs, il lui appartenait d’insérer dans ses engagements une clause prévoyant qu’il se réservait d’ajuster le prix avec le prix d’acquisition par la société acquéreur de l’ensemble des actions.

Monsieur X… a vendu en acceptant l’éventualité, qu’il ne pouvait ignorer, d’une revente à un prix supérieur.

Il est établi que lorsque le prix de 700.000 francs a été réglé à Monsieur X…, des pourparlers étaient en cours avec la Société BAILLY-COMTE et si cette société avait déjà versé à cette date deux acomptes de 1.000.000 francs, ces deux versements avaient été

effectués sur un compte bloqué (compte CARPAL) dans l’attente de la fixation du prix réel des actions après audit et clôture de l’exercice fiscal.

Il est dès lors certain qu’au mois de Janvier 1995, le prix de cession à la Société BAILLY-COMTE n’était pas définitif, de sorte qu’il ne pouvait être communiqué.

Les circonstances dans lesquelles Monsieur X… a cédé ses actions révèlent qu’il a voulu se retirer rapidement de la société, en cédant ses actions à un prix forfaitaire, en étant totalement dégagé et sans assumer aucun risque.

Dans son acte introductif d’instance, l’appelant indique qu’en 1994 la crise économique affectant la rentabilité du Groupe, Monsieur Bernard Y… a obtenu l’accord des actionnaires pour négocier la vente de l’ensemble des titres et les difficultés alléguées peuvent expliquer sa précipitation à vendre rapidement ses actions.

Dans ses conclusions en cause d’appel, il soutient de façon tout à fait contradictoire et cela dans le but manifeste de donner quelque crédit à sa thèse que Monsieur Bernard Y… a voulu vendre pour réaliser une bonne plus-value financière.

Monsieur X… qui s’est volontairement écarté de la société sans se soucier de son devenir est mal fondé à soutenir qu’il aurait été victime de réticences dolosives, de sorte que pour ces motifs et ceux pertinents des premiers juges que la Cour adopte, son recours sera rejeté.

Monsieur Y… n’a ni caractérisé, ni justifié du préjudice qu’il invoque, de sorte que sa demande de dommages et intérêts sera rejetée.

En revanche, il convient, en équité, de lui allouer une indemnité de 10.000 francs pour compenser les frais irrépétibles qu’il a exposés en cause d’appel. P A R C E S M O T I F S LA COUR A…

publiquement, par arrêt contradictoire, et après en avoir délibéré conformément à la loi,

DEBOUTE Monsieur X… de ses demandes d’expertise et de sursis à statuer,

DECLARE recevable mais non fondée l’action de Monsieur X…,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,

DEBOUTE Monsieur Y… de sa demande de dommages et intérêts,

CONDAMNE Monsieur X… à lui payer une indemnité de 10.000 francs (dix mille francs) en application des dispositions de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

DEBOUTE Monsieur Y… de sa demande à ce titre,

LE CONDAMNE aux dépens avec application au profit des avoués de la cause des dispositions de l’article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile. Rédigé par Madame KUENY, Conseiller, et prononcé par Madame FALLETTI-HAENEL, Président, qui a signé avec le greffier


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