Travaux de mise en conformité d’un hôtel

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Travaux de mise en conformité d’un hôtel

Dès lors, la clause du bail relative à la mise en conformité aux normes européennes devant s’interpréter strictement, la bailleresse est mal fondée à considérer que l’ordonnance 2005-102 du 11 février 2005 et les textes d’application, notamment les articles R 111-19-7 et suivants du code de la construction et de l’habitation et l’arrêté du 8 décembre 2014, constituent des normes européennes lui permettant de revendiquer l’application de la clause. Le premier juge a donc exactement retenu que les travaux de mise aux normes incombent au propriétaire.


 

N° RG 21/02632 –��N° Portalis DBVM-V-B7F-K5KF

C8

Minute N°

Copie exécutoire

délivrée le :

la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC

la SCP LACHAT MOURONVALLE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT DU JEUDI 12 JANVIER 2023

Appel d’un jugement (N° RG 15/00974)

rendu par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de GAP

en date du 12 avril 2021

suivant déclaration d’appel du 14 juin 2021

APPELANTE :

SARL CYT au capital social de 50.000 euros immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de GAP sous le n° 478 424 872, agissant poursuite et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège

[Adresse 4]

[Localité 1]

représentée par Me Josette DAUPHIN de la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC, avocat au barreau de GRENOBLE et par Me Franck MILLIAS, associé de la SELARL BGLM, avocat au barreau des HAUTES-ALPES

INTIMÉE :

Mme [B] [Y]

née le 11 Juin 1956 à [Localité 5] (13)

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Christophe LACHAT de la SCP LACHAT MOURONVALLE, avocat au barreau de GRENOBLE

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Marie-Pierre FIGUET, Présidente,

Mme Marie-Pascale BLANCHARD, Conseillère,

M. Lionel BRUNO, Conseiller,

Assistés lors des débats de Madame Caroline BERTOLO, greffière, et en présence de Clémence RUILLAT, greffière stagiaire

DÉBATS :

A l’audience publique du 26 octobre 2022, Mme FIGUET, Présidente, a été entendue en son rapport,

Les avocats ont été entendus en leurs conclusions.

Puis l’affaire a été mise en délibéré pour que l’arrêt soit rendu ce jour,

Exposé du litige

Suivant acte authentique reçu par Maître [Z] [J], notaire à [Localité 3] le 4 janvier 2008, monsieur [E] [X] et madame [B] [I] épouse [Y] ont donné à bail commercial à monsieur [N] [K] et son épouse, sur la commune de l’Argentière la Bessée, un bâtiment à usage de bar-hôtel-restaurant portant l’enseigne ‘Hôtel de la Gare’, pour une durée de neuf années entières ayant commencé à courir le 1er janvier 2008, moyennant un loyer annuel de 13.921,46 euros payable mensuellement et d’avance, révisable à chaque échéance triennale en fonction de la variation de l’indice du coût de la construction.

L’usufruit de monsieur [E] [X] s’est éteint avec son décès, madame [B] [I] épouse [Y] acquérant alors la pleine propriété.

Selon acte reçu par Maître [S] [H], notaire, le 29 septembre 2009, monsieur et madame [K] ont cédé leur fonds de commerce à la Sarl l’ABC Sport 2000, désormais dénommée Cyt.

Par courriers recommandés avec accusés de réception des 2 décembre 2013, 14 novembre 2014 et 13 février 2015, la société Cyt a réclamé à la bailleresse l’exécution de travaux urgents portant sur la toiture et les façades.

En l’absence de réalisation de ces travaux, la société Cyt a assigné Madame [B] [Y] devant le tribunal de grande instance de Gap par acte du 29 septembre 2015 en vue de voir réaliser les travaux sous astreinte, de voir effectuer la mise aux normes d’accessibilité du bâtiment aux personnes handicapées et de se voir allouer des dommages et intérêts.

Par ordonnance du 24 février 2016, le juge de la mise en état a ordonné l’organisation d’une expertise.

L’expert a déposé son rapport le 15 janvier 2018.

Par ordonnance du 20 juin 2018, le juge de la mise en état a autorisé la société Cyt à verser les termes du loyer à venir sur un compte séquestre jusqu’à la réalisation des travaux de réfection de toiture préconisés par l’expert.

La médiation ordonnée le 6 décembre 2018 sur l’appel interjeté par la bailleresse n’a pas permis le règlement complet du litige.

Par jugement du 12 avril 2021, le tribunal judiciaire de Gap a :

— donné acte à Madame [B] [Y] de la réalisation des travaux de réfection de la toiture,

— condamné Madame [B] [Y] à réaliser les travaux de réfection des façades sous astreinte de 50 € par jour de retard passé le délai de 6 mois à compter de la signification du présent jugement,

— débouté la société Cyt de sa demande afférente à la réalisation des travaux de mise aux normes d’accessibilité de l’établissement aux personnes handicapées,

— débouté la société Cyt de sa demande en paiement de dommages et intérêts,

— condamné Madame [B] [Y] aux entiers dépens comprenant le coût de l’expertise,

— condamné Madame [B] [Y] à payer à la société Cyt la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

— ordonné l’exécution provisoire de présent jugement.

Suivant déclaration du 14 juin 2021, la société Cyt a interjeté appel dudit jugement en ce qu’il a :

— donné acte à Madame [B] [Y] de la réalisation des travaux de réfection de la toiture,

— débouté la société Cyt de sa demande afférente à la réalisation des travaux de mise aux normes d’accessibilité de l’établissement aux personnes handicapées,

— débouté la société Cyt de sa demande en paiement de dommages et intérêts.

Prétentions et moyens de la société Cyt

Dans ses dernières conclusions notifiées le 28 septembre 2022, elle demande à la cour, au visa des articles 606, 1719 et 1720 du code civil et de l’article R 311-26 du code de la construction et de l’habitation, de :

— infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Gap le12 avril 2021en ce qu’il a :

* débouté la société Cyt de sa demande afférente à la réalisation des travaux de mise aux normes d’accessibilité de l’établissement aux personne handicapées,

* débouté la société de sa demande en paiement de dommages et intérêts,

Statuant à nouveau,

— dire et juger que Madame [B] [Y] a manqué à ses obligations,

A titre principal :

— condamner Madame [B] [Y] à payer à la société Cyt la somme de 87.750 euros ht au titre des travaux de mise aux normes,

— condamner Madame [B] [Y] à payer à la société Cyt la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêt en réparation du préjudice économique causé,

A titre subsidiaire,

— condamner Madame [B] à réaliser les travaux de mise aux normes, sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter de la décision à intervenir,

— condamner Madame [B] [Y] à payer à la société Cyt la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêt en réparation du préjudice économique causé,

En toutes hypothèses,

— condamner Madame [B] [Y] à payer à la société Cyt la somme de 5.000 euros en applications des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner Madame [B] [Y] aux entiers dépens,

— dire et juger qu’en cas d’exécution forcée par huissier, Madame [B] [Y] supportera le coût des sommes retenues par l’huissier par application de l’article 10 du décret du 8 mars 2001 modifié.

Sur les travaux de mise aux normes d’accessibilité, elle expose :

— que le bailleur doit, sauf convention contraire, supporter le coût des travaux nécessaires pour que les lieux loués soient conformes aux normes exigées par la réglementation en vigueur, lorsque cette mise aux normes a pour objet de permettre au locataire d’exercer dans les conditions exigées par la loi ou la réglementation l’activité prévue au bail, rendant ainsi les locaux conformes à leur destination contractuelle,

— que la réglementation relative à l’accessibilité est purement d’origine nationale et qu’en conséquence, la clause du bail stipulant ‘Dans le cas où l’activité commerciale du preneur exige une mise en conformité avec les normes européennes, les frais de mise en oeuvre (travaux, formalités administratives, etc.) seront supportés par le preneur qui s’y oblige’ n’a pas lieu de s’appliquer,

— que la clause selon laquelle le preneur prend les lieux dans l’état où ils se trouvent ne décharge pas le bailleur de son obligation de les maintenir, en cours de bail, dans l’état de servir à l’usage auquel ils sont destinés,

— que l’hôtel tel que désigné dans le bail commercial comprend 23 chambres et se trouve donc soumis à la réglementation relative à l’accessibilité des personnes handicapées, peu important que 13 chambres ne

soient pas actuellement exploitées, devant être intégralement rénovées en raison des infiltrations venant de la toiture,

— que Madame [B] [Y], propriétaire de l’immeuble, ne justifie pas avoir accompli des démarches pour obtenir une dérogation, étant souligné que le préfet des Hautes-Alpes a sursis à statuer sur la demande présentée par la société Cyt en considérant qu’elle devait être formulée par le propriétaire des murs,

— que le tribunal a privé sa décision de base légale en considérant que Madame [B] [Y] s’était prévalue à bon droit d’une possibilité de dérogation,

— qu’elle a fait chiffrer le coût des travaux de mise aux normes à la somme de 87.750 euros ht.

Sur le préjudice économique, elle soutient :

— que Madame [B] [Y] a refusé obstinément de se conformer à ses obligations essentielles,

— que la société Cyt a accusé une baisse de son chiffre d’affaires d’environ 35.000 euros entre 2014 et 2018,

— que l’insalubrité des lieux, due aux fuites d’eau et à la dégradation de la façade, ne donne pas envie aux clients de revenir dans l’établissement malgré la bonne gestion de la locataire,

— qu’elle n’a pu exploiter les chambres situées au 2ème étage en raison de l’état de la toiture d’où un préjudice estimé à 10.000 euros,

— qu’elle subit un préjudice d’image évalué à 5.000 euros.

Elle s’oppose à la levée du séquestre judiciaire en faisant remarquer que seulement un quart des travaux a été réalisé.

Prétentions et moyens de Madame [B] [Y]

Dans ses dernières conclusions notifiées le 8 décembre 2021, elle demande à la cour de :

— juger que la société Cyt ne justifie pas d’une mise en demeure de l’autorité administrative d’avoir à exécuter des travaux de mise aux normes,

— juger que le contrat de bail met à la charge du preneur les travaux de mise aux normes

handicapés,

— confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Gap le 12 avril 2021 en ce qu’il a :

* débouté la société Cyt de sa demande afférente à la réalisation des travaux de mise aux normes d’accessibilité de l’établissement aux personnes handicapées,

* débouté la société Cyt de sa demande en paiement de dommages-intérêts,

Subsidiairement, si la cour devait retenir vis-à-vis du propriétaire bailleur une obligation d’avoir à supporter de tels travaux,

— rejeter toute demande de condamnation à une somme d’argent, au motif que le propriétaire bailleur doit rester maître de son ouvrage et qu’il reste possible d’obtenir des dérogations de la part de l’autorité publique,

— juger que toute éventuelle obligation d’avoir à faire réaliser des travaux de mise aux normes handicapés qui pourrait être imposée au propriétaire bailleur sera prononcée sous réserve des éventuelles dérogations qui pourraient être accordées par l’autorité administrative,

Y ajouter,

— constater que les travaux de toiture ont été réalisés,

— ordonner la mainlevée du séquestre judiciaire ordonnée par ordonnance juridictionnelle du 24 février 2016,

— débouter la société Cyt de l’ensemble de ses demandes,

— condamner la société à verser à Madame [B] [Y] la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens d’appel.

Elle relève que l’ensemble des travaux mis à la charge du bailleur, à savoir les travaux de toiture et de façade ont été à ce jour réalisés; que le séquestre était limité dans sa durée jusqu’à la réalisation des travaux de réfection de la toiture; que dès lors, il convient d’ordonner la mainlevée du séquestre.

Sur la demande au titre des travaux de mise aux normes, elle fait remarquer :

— que la demande de condamnation à une somme de 87.750 euros doit être d’emblée écartée, une exécution en nature devant être privilégiée, Madame [B] [Y] étant en droit de conserver la maîtrise d’ouvrage des travaux,

— qu’il n’existe aucune obligation ou mise en demeure émanant de l’autorité administrative d’avoir à effectuer à ce jour de tels travaux,

— qu’il est possible d’obtenir des dérogations en cas d’impossibilité technique, de contraintes liés à la conservation du patrimoine et de disproportion manifeste entre les améliorations apportées par la mise en accessibilité et leurs coûts, leurs effets sur l’usage du bâtiment et de ses abords,

— qu’en outre, les établissements ne comportant pas plus de 10 chambres dont aucune n’est située au rez-de chaussée ou en étage accessibles par ascenseur ne sont pas tenus par la mise aux normes d’accessibilité,

— qu’en l’espèce, l’établissement comporte moins de 10 chambres ouvertes au public et n’a pas d’ascenseur,

— que le SDIS lui a indiqué que l’hôtel de la Gare est classé en type TPO (très petit hôtel), N de 5ème catégorie avec un effectif dans les chambres de 20 personnes réparties dans 8 chambres au R+1, l’établissement étant sous avis favorable,

— que c’est donc à tort que le premier juge a retenu une capacité de 20 chambres,

— que Madame [B] [Y] n’a pas formé de demande de dérogation estimant que ces travaux relèvent du locataire,

— qu’à supposer qu’ils relèvent du bailleur, elle serait encore libre de déposer une demande de dérogation,

— que l’article R111-26 du code de la construction et de l’habitation visé par la société Cyt a été abrogé et que dès lors, celle-ci ne fonde sa demande ni en fait, ni en droit,

— qu’en application d’une clause du bail, tous les travaux rendus nécessaires par une évolution de la législation découlant d’une réglementation européenne doivent être supportés par le preneur,

— que la législation française concernant l’accessibilité découle justement de la Charte sociale européenne (article 15) qui engage les états membres du Conseil de l’Europe à prendre les mesures nécessaires en vue de garantir aux personnes handicapées l’exercice du droit à l’autonomie, à l’intégration sociale et à la participation à la vie de la communauté.

Sur les demandes au titre du préjudice économique, elle fait observer :

— que la locataire ne démontre pas que sa baisse de chiffre d’affaires est en relation avec les prétendus manquements du bailleur, celle-ci pouvant avoir pour origine d’autres causes telles que l’évolution de l’activité économique ou le mode de gestion de l’exploitant,

— que l’état de la toiture ou de la façade n’a pas eu d’incidence sur l’exploitation de l’hôtel, la société Cyt ne justifiant pas avoir été dans l’incapacité d’exploiter les lieux.

Pour le surplus des demandes et des moyens développés, il convient de se reporter aux dernières écritures des parties en application de l’article 455 du code de procédure civile.

L’instruction de la procédure a été clôturée le 29 septembre 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

1) Sur la demande de la société Cyt au titre des travaux de mise aux normes d’accessibilité

Aux termes de l’article 1719 du code civil, les bailleur est tenu par la nature du contrat et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière de délivrer au preneur la chose louée et de l’entretenir en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée.

Si le bail du 4 janvier 2008 met à la charge du preneur les réparations locatives et d’entretien, les travaux de mise aux normes ne relèvent pas de cette clause.

Par ailleurs, comme relevé justement par le tribunal, la clause selon laquelle le locataire prendra les lieux en l’état où ils se trouvent au moment de son entrée en jouissance ne décharge pas le bailleur de son obligation de les maintenir en état de servir à l’usage auquel ils sont destinés.

Seule une clause contractuelle mettant expressément à la charge du preneur les travaux de mise en conformité peut exonérer le bailleur de son obligation.

En l’espèce, le bail stipule dans un paragraphe intitulé ‘Mise en conformité aux normes européennes’ que dans le cas où l’activité commerciale du preneur exige une mise en conformité avec les normes européennes, les frais de mise en oeuvre seront supportés par le preneur qui s’y oblige.

Cette dérogation au droit commun est donc limitée aux seuls travaux de mise en conformité avec les normes européennes, cette clause devant être interprétée strictement.

Les dispositions relative aux normes d’accessibilité aux handicapés sont issues de la loi 2005-102 du 11 février 2005 dont il n’est pas établi qu’elle constitue la transposition de directives européennes.

Il n’est pas non plus démontré que cette ordonnance résulte de dispositions contraignantes de la Charte Sociale Européenne dans sa version révisée du 3 mai 1996.

Dès lors, la clause du bail relative à la mise en conformité aux normes européennes devant s’interpréter strictement, Madame [Y] est mal fondée à considérer que l’ordonnance 2005-102 du 11 février 2005 et les textes d’application, notamment les articles R 111-19-7 et suivants du code de la construction et de l’habitation et l’arrêté du 8 décembre 2014, constituent des normes européennes lui permettant de revendiquer l’application de la clause.

Le premier juge a donc exactement retenu que les travaux de mise aux normes incombent au propriétaire.

Par ailleurs, si en application de l’article 17 de l’arrêté du 8 décembre 2014, les établissements ne comportant pas plus de dix chambres, dont aucune n’est située au rez-de-chaussée ou en étage accessible par ascenseur sont dispensés de la mise aux normes, les locaux loués sont désignés dans le bail comme portant au premier étage sur 8 chambres, une salle de bain et un appartement de quatre pièces et dépendance et au deuxième étage sur 13 chambres, une salle de bains, une réserve et deux chambres indépendantes, soit un nombre de chambres supérieur à 10.

Le bailleur est tenu de délivrer au preneur les locaux visés au bail, à savoir un hôtel de 23 chambres, et de les maintenir en état de servir à l’usage auquel ils sont destinés par leur mise en conformité aux normes d’accessibilité, peu important que les chambres du deuxième étage ne soient pas actuellement exploitées.

Dès lors, ainsi que le tribunal l’a retenu, Madame [Y] ne peut se prévaloir de la dispense prévue par l’article 17 de l’arrêté du 8 décembre 2014.

Aux termes de son rapport dressé le 15 janvier 2017, l’expert judiciaire a conclu que les problèmes d’accessibilité nécessitent une régularisation urgente compte tenu de la loi d’accessibilité pour tous en application depuis plusieurs années et des délais déjà écoulés s’agissant des reports accordés concernant la réalisation des travaux même s’il a noté aussi que la demande de dérogation n’a pas été accordée mais n’a pas été totalement rejetée ce qui peut conduire à une solution d’attente.

Si l’article R 111-19-10 devenu l’article R 164-3 du code de la construction et de l’habitation prévoit la possibilité d’obtenir des dérogations en cas d’impossibilité technique résultant de l’environnement du bâtiment, de contraintes liées à la conservation du patrimoine architectural ou de disproportion manifeste entre les améliorations apportées par la mise en ‘uvre des prescriptions techniques d’accessibilité, d’une part, et leurs coûts, leurs effets sur l’usage du bâtiment et de ses abords ou la viabilité de l’exploitation de l’établissement, d’autre part, Madame [Y] ne justifie pas de l’obtention d’une telle dérogation malgré le temps écoulé depuis le dépôt du rapport d’expertise.

Il ressort ainsi du courrier du 21 mars 2017 émanant de la préfecture des Hautes-Alpes que la demande de dérogation a été formée par le preneur, à savoir la représentante de la société Cyt, et non par la bailleresse, que des travaux de mise en conformité seraient possibles et permettraient d’améliorer sensiblement l’accessibilité, notamment pour ce qui est des sanitaires, et que la commission départementale n’a pas souhaité statuer sur cette dérogation en considérant qu’au vu des éléments transmis, la mise en conformité est à effectuer par le propriétaire des murs.

Dès lors que Madame [Y] ne justifie pas avoir déposé une demande de dérogation depuis ce courrier, ni a fortiori avoir obtenu une telle dérogation, elle ne peut s’en prévaloir pour s’opposer à la demande formée par la société Cyt, contrairement à ce qu’a retenu le tribunal.

Par ailleurs, il importe peu que Madame [Y] n’ait pas reçu une mise en demeure émanant de l’autorité administrative dès lors qu’elle est tenue de maintenir les locaux en état de servir à l’usage auquel ils sont destinés par leur mise en conformité aux normes d’accessibilité en vigueur.

Madame [Y] fait valoir aussi que la société Cyt fonde sa demande sur l’article R111-26 du code de la construction et de l’habitation qui a été abrogé. Toutefois, cet article a fait l’objet d’une nouvelle codification à droit constant sous l’article R 111-2 . Cet élément est donc dénué de pertinence.

En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu’il a débouté la société Cyt de sa demande afférente à la réalisation des travaux de mise aux normes d’accessibilité de l’établissement aux personnes handicapées.

Toutefois, Madame [Y] étant en droit de conserver la maîtrise d’ouvrage des travaux, la demande de la société Cyt au paiement d’une somme d’argent au titre des travaux de mise en conformité doit effectivement être rejetée.

Madame [Y] sera donc condamnée à réaliser les travaux de mise aux normes d’accessibilité aux personnes handicapées de l’établissement loué suivant bail du 4 janvier 2008 dans un délai de 6 mois courant à compter de la signification du présent arrêt sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

2) Sur la demande de la société CYT au titre des dommages et intérêts

Le bailleur ne conteste pas l’existence de fautes mais seulement la réalité du préjudice et le lien de causalité avec l’état de la toiture ou de la façade pour lesquels le tribunal a ordonné des travaux.

La société Cyt produit le détail de ses comptes de résultat retraités. S’il en résulte une diminution du chiffre d’affaires entre le 30 avril 2015 et le 30 avril 2018, celui-ci passant de 174.324,20 euros à 141.111,73 euros, aucun élément ne permet de relier cette baisse du chiffre d’affaires aux carences du bailleur concernant la toiture et le soubassement de la façade, étant précisé que la variation du chiffre d’affaires peut résulter de causes extérieures tenant à la conjoncture économique mais également internes tenant aux modalités de gestion. En outre, la cour observe que les résultats des exercices ont été fluctuants, passant de 12.783,99 euros à 7.7756,04 euros pour remonter à 10.503,86 euros avant de redescendre à 1.207,40 euros.

Faute de démontrer le lien de causalité, le montant de 35.000 euros au titre de la perte de chiffre d’affaires ne peut être retenu.

La société Cyt fait aussi état de l’impossibilité d’exploiter les chambres du 2ème étage, perte qu’elle évalue à 10.000 euros. Toutefois, comme relevé par le tribunal, il résulte du rapport d’expertise que les chambres du 2ème étage ne sont plus exploitées depuis de nombreuses années faute d’avoir fait l’objet d’une rénovation et de présenter les caractéristiques d’un confort moderne, et non pas en raison d’infiltrations provenant de la toiture. Ce montant ne sera donc pas retenu.

En revanche, il est justifié, eu égard à la vétusté de la toiture dont les ardoises se cassent et chutent et à la dégradation du soubassement de la façade de l’hôtel, de retenir une atteinte en terme d’image vis à vis de la clientèle qui sera évaluée à la somme de 5.000 euros.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il a débouté la société Cyt de toute demande de dommages et intérêts. Madame [Y] sera condamnée à payer la somme de 5.000 euros à la société Cyt à titre de dommages et intérêts.

3) Sur la demande de Madame [Y] en mainlevée du séquestre judiciaire

Par ordonnance en date du 20 juin 2018, le juge de la mise en état a autorisé la société Cyt à verser les termes du loyer à venir sur un compte séquestre ouvert auprès de la CARPA des hautes Alpes jusqu’à la réalisation des travaux de réfection de la toiture préconisés dans le rapport d’expertise de Monsieur [M].

Il résulte du procès-verbal de constat d’huissier dressé le 10 décembre 2021 que les travaux de réfection de la toiture ont été entièrement réalisés.

Le séquestre n’a été ordonné que jusqu’à la réalisation des travaux de réfection de la toiture et non jusqu’à la réalisation des travaux de réfection des façades. En tout état de cause, il ressort du procès-verbal de constat dressé le 22 septembre 2021que les travaux concernant le soubassement ont aussi été réalisés.

En conséquence, il sera fait droit à la demande en mainlevée du séquestre judiciaire.

4) Sur les demandes accessoires

Madame [Y] qui succombe sera condamnée aux entiers dépens de l’instance d’appel et à payer la somme de 3.500 euros à la société Cyt au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour l’instance d’appel.

La société Cyt demande qu’il soit jugé qu’en cas d’exécution forcée, Madame [Y] supportera le coût des sommes retenues par l’huissier par application de l’article 10 du décret du 8 mars 2001. La cour relève que désormais les sommes retenues par l’huissier sont régies par les articles R 444-3 tableau 3-1 n°128 et 129 et R 444- 55 du code de commerce, que les sommes mises à la charge du créancier et du débiteur sont cumulables et qu’aucune disposition ne permet au juge de mettre à la charge du débiteur les émoluments mis à la charge du créancier sauf en matière de contrefaçon. La société Cyt sera donc déboutée de cette demande.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement rendu le 12 avril 2021par le tribunal judiciaire de Gap en ce qu’il a débouté la société Cyt de sa demande en condamnation de Madame [Y] à lui payer la somme de 87.750 euros au titre des travaux de mise aux normes.

L’infirme en ses autres dispositions soumises à la cour.

Statuant à nouveau,

Condamne Madame [Y] à réaliser les travaux de mise aux normes d’accessibilité aux personnes handicapées de l’établissement loué suivant bail du 4 janvier 2008 dans un délai de 6 mois courant à compter de la signification du présent arrêt sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Condamne Madame [Y] à payer la somme de 5.000 euros à la société Cyt à titre de dommages et intérêts.

Y ajoutant,

Ordonne la mainlevée du séquestre judiciaire ordonné par ordonnance du 20 juin 2018.

Condamne Madame [Y] aux dépens de l’instance d’appel.

Condamne Madame [Y] à payer la somme de 3.500 euros à la société Cyt au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Déboute la société Cyt de sa demande tendant à mettre à la charge de Madame [Y] les émoluments de l’huissier de justice devant être supportés par le créancier en cas d’exécution forcée.

Signé par Mme FIGUET, Présidente et par Mme RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente

 

 


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