Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
R. G. No 07 / 02172
Grosse délivrée
à :
SCP GRIMAUD
SCP CALAS
SELARL DAUPHIN & MIHAJLOVIC
SCP POUGNAND
Me RAMILLON
COUR D’ APPEL DE GRENOBLE
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU LUNDI 17 MARS 2008
Appel d’ un Jugement (No R. G. 04 / 02101)
rendu par le Tribunal de Grande Instance de VALENCE
en date du 27 mars 2007
suivant déclaration d’ appel du 13 Juin 2007
APPELANTES :
Madame Annick Y… épouse Z…
…
SCI RIBESSEILLES, poursuites et diligences de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège
Quartier Ribesseilles
26160 LE POET LAVAL
représentée par Me Marie- France RAMILLON, avoué à la Cour
assistée de Me GUG, avocat au barreau de PARIS substitué par Me POIROT, avocat au barreau de DIJON
INTIMES :
S. A. S. VALOREST poursuites et diligences de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège
Impasse Thomas Edison- Lot Numéro 4
ZI La Palud- BP 98
83602 FREJUS
représentée par la SELARL DAUPHIN & MIHAJLOVIC, avoués à la Cour
assistée de Me ROUGIER, avocat au barreau de LA ROCHELLE
Monsieur Christian Z…
né le 10 Août 1950 à AGADIR (MAROC)
de nationalité Française
…
représenté par la SCP GRIMAUD, avoués à la Cour
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
Madame Françoise LANDOZ, Président,
Madame Claude- Françoise KUENY, Conseiller,
Madame Véronique KLAJNBERG, Conseiller,
Assistées lors des débats de Madame Hélène LAGIER, Greffier.
DEBATS :
A l’ audience publique du 11 Février 2008, Madame LANDOZ a été entendue en son rapport.
Les avoués et les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries.
Puis l’ affaire a été mise en délibéré pour l’ arrêt être rendu à l’ audience de ce jour.
—— 0——
Exposé du litige
La société VALOREST se prévalant de la cession faite à son profit le 25 octobre 2001 par la société banque de Chine, de la créance qu’ elle détenait à l’ encontre de Christian Z… en vertu d’ un jugement du Tribunal de Commerce de PARIS du 21 mai 1996 et d’ un arrêt de la Cour d’ Appel de PARIS du 17 septembre 1999, a fait assigner le 1er juin 2004 devant le Tribunal de Grande Instance de VALENCE, Christian Z…, son épouse, Annick Y… et la S. C. I. RIBESEILLES constituée entre eux, pour faire juger nuls et en tout cas inopposables divers actes faits en préjudice de ses droits.
Par jugement du 27 mars 2007 le tribunal, après avoir constaté la validité de l’ acte de cession de créance au profit de la société VALOREST et rejeté la demande de Christian Z… tendant à voir exercer sa faculté de rachat, a déclaré recevable l’ action paulienne de la société VALOREST et statué comme suit :
Déclare inopposable à la société VALOREST
– l’ augmentation de capital décidée par l’ assemblée générale de la S. C. I. RIBESEILLES du 22 septembre 1997,
– toutes dispositions postérieures à l’ assemblée générale du 22 septembre 1997 augmentant le capital et le nombre de parts de Madame Annick Y… épouse Z…,
– la vente des 2001 parts sociales de Monsieur Christian Z… à Madame Annick Y… épouse Z… suivant acte notarié du 13 janvier 2004,
Constate que les dispositions du procès- verbal d’ assemblée générale du 12 mai 2003 sur la cession des parts sociales, les pouvoirs de la gérance et les décisions collectives extraordinaires ont été annulées le 25 août 2003,
En tant que de besoin, les déclare inopposables à la société VALOREST et les éventuels adjudicataires des parts sociales de Christian Z…,
Dit qu’ à l’ égard de la société VALOREST et plus particulièrement pour la saisie des parts sociales de Monsieur Christian Z…, le capital social de la S. C. I. RIBESEILLES est réparti entre 2001 parts détenues par Monsieur Christian Z… et 99 parts détenues par Madame Annick Y… épouse Z….
La même décision a condamné in solidum Christian Z…, Annick Y… épouse Z… et la S. C. I. RIBESEILLES à payer à la société VALOREST une indemnité de 3. 000 au titre de l’ article 700 du nouveau code de procédure civile.
Annick Y… épouse Z… et la S. C. I. RIBESEILLES ont interjeté appel de cette décision le 13 juin 2007.
Elles font valoir que la création en 1991 de la S. C. I. est bien antérieure aux procédures engagées par la banque de Chine, et ce à concurrence de moitié entre les époux.
Elles prétendent que l’ augmentation de capital décidée le 22 septembre 1997 n’ avait pas pour but de contourner le jugement du 26 août 1997 dont elles n’ avaient pas connaissance, mais de veiller à l’ équilibre financier de la S. C. I. RIBESEILLES et de diminuer ses dettes.
Elles assurent que le compte- courant de Madame Z… dans la S. C. I. RIBESEILLES existe bien et qu’ il a été incorporé au capital pour permettre l’ augmentation du capital contestée, de sorte qu’ il n’ y a eu aucune fraude aux droits des créanciers de Christian Z….
Elles ajoutent qu’ on ne peut léser les droits d’ Annick Y… épouse Z… pour restaurer ceux de Christian Z… et que si la Cour décide de confirmer la décision du tribunal sur l’ inopposabilité, elle devra imposer à la société VALOREST de désintéresser Annick Y… épouse Z… des comptes courants qu’ on lui aura confisqués.
En second lieu, elles soutiennent que la cession des parts sociales du 13 janvier 2004 n’ a été réalisée que dans leur intérêt et non pas dans le but de frauder les droits des créanciers en organisant l’ insolvabilité de Christian Z… ; elles exposent que les parts étant nanties, il appartient à la société VALOREST de faire valoir ses droits par une autre action que l’ action paulienne.
Elles font valoir que le tribunal n’ a pas tenu compte de l’ augmentation de capital intervenue le 25 novembre 2003, conférant effectivement 16395 parts supplémentaires à Madame Z… s’ ajoutant aux 7099 parts qu’ elle détenait déjà.
Elles maintiennent qu’ il n’ est pas établi que le changement de gérance du 2 janvier 2001 a été fait dans le but de nuire aux créanciers de Christian Z… et que cette modification était logique dès lors que Madame Z… était associé majoritaire et que les liens avec son mari se distendaient.
Elles prétendent qu’ en l’ absence de preuve d’ un préjudice causé à la société VALOREST du fait des opérations critiquées, et qu’ en tout état de cause, étant des tiers par rapport à elle, cette société ne peut leur reprocher un manquement contractuel et obtenir une condamnation à leur encontre.
Elles concluent dans les termes ci- dessous :
Confirmer la décision entreprise en ce qu’ elle a retenu comme valable le changement de gérance du 2 janvier 2001 ;
Confirmer la décision entreprise en ce qu’ elle a débouté la société VALOREST de toute demande de condamnation à l’ encontre de Mme Z… et de la SCI RIBESSEILLES ;
Réformer la décision entreprise en ce qu’ elle a déclaré inopposables à la société VALOREST l’ assemblée générale du 22 septembre 1997 et toutes dispositions postérieures modifiant le capital social de la SCI RIBESSEILLES
Statuant à nouveau
Constater que les actes pratiqués par la SCI RIBESSEILLES sont des actes de gestion courante, réglementés par les statuts et la loi, et à ce titre parfaitement valables,
En conséquence, débouter la société VALOREST de toutes ses demandes, fins et conclusions,
Dire que le capital social de la SCI RIBESSEILLES est détenu en totalité par Mme Z…, conformément à la cession de parts du 13 janvier 2004, soit à hauteur de 25 495 parts sur les 25 495 parts composant le capital de cette SCI ;
Subsidiairement, dans l’ hypothèse où la Cour déciderait de remettre en cause les opérations intervenues au sein du capital de la SCI RIBESSEILLES,
Dire que le capital de la SCI RIBESSEILLES doit être réparti entre les parties, y compris M. Z…, à raison de la moitié des parts à M. Z… et la moitié des parts à Mme Z…, comme à la création de la SCI, et que sur le prix des parts de M. Z… qui reviendrait à VALOREST, que cette dernière verse, avant tout autre paiement ou prélèvement à Mme Z… une somme égale à celle qu’ elle a incorporée, à due concurrence, au capital de la SCI RIBESSEILLES par prélèvement sur ses comptes courants d’ associé.
Elles demandent la condamnation de la société VALOREST à leur payer une indemnité de 5. 000 au titre de l’ article 700 du nouveau code de procédure civile.
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La société VALOREST rappelle que par décision du 26 août 1997, le Tribunal de Grande Instance de VALENCE a rendu inopposable à la Banque de Chine une précédente cession de parts et que depuis les époux Z… se sont livrés au sein de la S. C. I. RIBESEILLES à une succession de man uvres visant à déposséder Christian Z… au profit de la S. C. I. RIBESEILLES et à décourager tout recouvrement sur les parts sociales.
Elle maintient que l’ augmentation de capital du 22 septembre 1997 est frauduleuse et conteste toute valeur à l’ attestation établie par Christian Z…, alors gérant, selon laquelle Annick Y… épouse Z… était créancière de la S. C. I. RIBESEILLES » d’ une somme principale au moins équivalente » ; elle invoque en effet la personnalité de Christian Z…, le contexte de la procédure, l’ approximation du document et son absence d’ enregistrement.
Elle conteste toute valeur à la présentation des comptes dans le bilan de la S. C. I. RIBESEILLES ; elle relève que le poste compte courant de Christian Z… représente en réalité le poste compte courant des époux et que l’ analyse des écritures du poste compte courant présenté comme étant celui de Madame Z… démontre le caractère frauduleux des apports réguliers de Monsieur Z… au profit de son épouse, laquelle est finalement seule bénéficiaire des augmentations de capital postérieures à l’ action en recouvrement engagée.
Elle maintient que c’ est à bon droit que le tribunal lui a déclaré inopposable l’ acte du 13 janvier 2004 par lequel Christian Z… a cédé en pleine propriété 2001 parts lui appartenant dans la S. C. I. RIBESEILLES à Annick Y… épouse Z….
Elle demande à la Cour de compléter l’ appréciation du tribunal qui a retenu l’ action concertée et frauduleuse des époux Z… et de dire que son préjudice, résultant de la diminution de la valeur du patrimoine de Christian Z… est avéré ; elle ajoute que les décisions frauduleuses du gérant emportent responsabilité de la S. C. I qu’ il représente et que la complicité d’ Annick Y… épouse Z… et de la S. C. I. RIBESEILLES a pour conséquence qu’ elles doivent participer à la réparation du préjudice causé.
Elle demande à la Cour de confirmer le jugement déféré sauf en ce qu’ il a rejeté sa demande tendant à obtenir la condamnation d’ Annick Y… épouse Z… et de la S. C. I. RIBESEILLES ; elle sollicite la somme de 304. 898, 03 montant du principal de la condamnation du 17 septembre 1999, celle de 137. 388, 05 représentant les intérêts au taux légal du 31 mai 1996 au 31 mai 2004, ainsi que les intérêts au taux légal majoré de cinq points à compter du 1er juin 2004 jusqu’ à parfait paiement.
Elle sollicite une indemnité de 10. 000 sur le fondement de l’ article 700 du nouveau code de procédure civile.
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Christian Z… malgré une injonction donnée à son avoué le 15 janvier 2008, n’ a pas conclu.
Motifs et décision
Il convient de relever que le litige devant la Cour ne porte plus que sur le fond de l’ action paulienne engagée par la société VALOREST à l’ encontre de Christian Z…, d’ Annick Y… épouse Z… et de la S. C. I. RIBESEILLES.
L’ article 1166 du Code Civil dispose que les créanciers peuvent exercer tous les droits et actions de leur débiteur, à l’ exception de ceux qui sont exclusivement attachés à la personne.
L’ article 1167 du même code ajoute que les créanciers peuvent aussi, en leur nom personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits.
La proximité de l’ augmentation du capital votée par l’assemblée générale extraordinaire des associés réunie le 22 septembre 1997 et du prononcé du jugement le 26 août 1997 par le Tribunal de Grande Instance de VALENCE rendu de manière contradictoire et assorti de l’ exécution provisoire, ne laisse aucun doute sur les intentions des époux Z… qui cherchaient à établir l’ insolvabilité apparente de Christian Z… ; en effet, il est certain que cette opération n’ avait pour but que de déséquilibrer l’ apport de chacun des actionnaires et par voie de conséquence, de faire échapper aux poursuites le patrimoine de Christian Z… constitué par la valeur des parts qu’ il détient dans la S. C. I. RIBESEILLES.
Il est permis de relever que l’ assemblée générale des associés, à savoir Christian Z… et Annick Y… épouse Z…, s’ est tenue de manière extraordinaire sans que rien dans les motifs de la résolution adoptant l’ augmentation de capital pour la somme de 700. 000 Frs ne justifie cette soudaine précipitation ni l’ utilité de cette résolution.
L’ attestation signée le 22 septembre 1997 par Christian Z… en sa qualité de gérant, qui comporte curieusement l’ indication qu’ elle est faite en double exemplaire, établie postérieurement à l’ assemblée générale, ne permet pas de vérifier la sincérité de l’ opération, d’ autant qu’ elle ne fait pas référence au bilan annuel de la S. C. I. RIBESEILLES qui sera arrêté au 31 décembre 1997.
Quant au courrier adressé à Christian Z… le 25 septembre 1997 par la société KPMG sous la signature de Daniel D…, Directeur de Bureau, expert- comptable, il n’ apporte rien à la démonstration que veulent faire les appelantes, au contraire, puisque vu sa date, il est censé intervenir après la décision de l’ assemblée générale qui a adopté l’ augmentation de capital, mais il vise le fait qu’ une nouvelle opération d’ augmentation pour 700. 000 Frs a été » envisagée « …
Par des motifs pertinents que la Cour adopte, le tribunal qui a relevé les invraisemblances sur le nombre de parts détenues et vendues par rapport à la résolution du 22 septembre 1997, a retenu à bon droit que la cession de parts du 13 janvier 2004 était encore un acte par lequel Christian Z… se dépouillait de ses biens au détriment de ses créanciers, en l’ espèce, la société VALOREST.
En tout état de cause, Annick Y… épouse Z… n’ est pas fondée à invoquer l’ augmentation de capital intervenue le 25 novembre 2003, lui conférant effectivement, ou fictivement, 16395 parts supplémentaires s’ ajoutant aux 7099 parts qu’ elle détenait déjà, dès lors qu’ elle ne produit aucun document établissant de manière incontestable, au regard de la réglementation sur le fonctionnement des sociétés, que l’ augmentation a été régulièrement décidée et effectivement réalisée.
De jurisprudence constante, l’ action paulienne ne peut atteindre que l’ auteur et les complices de la fraude et lorsqu’ elle est admise, elle a pour effet de révoquer rétroactivement l’ acte frauduleux, ce qui entraîne le retour du bien aliéné dans le patrimoine du débiteur, où le créancier pourra seul éventuellement le saisir.
Les diverses procédures auxquelles Annick Y… épouse Z… était partie, jusques et y compris celle se rapportant à un prétendu bail de location de meublé de la maison qui constitue le patrimoine de la S. C. I. RIBESEILLES, et sa qualité d’ associée dans une S. C. I qui ne comportait que deux associés, établissent avec certitude sa complicité dans les tentatives organisées par Christian Z…, dans le seul but de soustraire son patrimoine aux poursuites de ses créanciers, étant observé que celui- ci n’ a jamais soutenu qu’ il disposait de biens de valeur suffisante pour les désintéresser.
Il en résulte que l’ action paulienne de la société VALOREST a été justement accueillie par le tribunal et qu’ en application du principe selon lequel l’ acte frauduleux demeure valable entre le débiteur auteur et le tiers complice de la fraude, Annick Y… épouse Z… n’ est pas fondée à solliciter le versement par cette société d’ une somme à due concurrence de celle qu’ elle- même aurait incorporée au capital de la S. C. I RIBESSEILLES.
La demande de dommages- intérêts présentée par la société VALOREST peut prospérer sur le fondement des dispositions de l’ article 1382 du Code Civil ; les agissements d’ Annick Y… épouse Z… et de la S. C. I. RIBESEILLES représentée par son gérant en exercice, ont causé à la société VALOREST, par le retard apporté aux mesures d’ exécution destinées à obtenir le recouvrement de sa créance, un préjudice qui n’ est pas réparé par la seule inopposabilité des actes reconnus frauduleux ; il lui sera alloué la somme de 20. 000 de ce chef.
Il paraît inéquitable de laisser à la charge de la société VALOREST les frais qu’ elle a dû exposer en cause d’ appel et non compris dans les dépens ; Annick Y… épouse Z… et la S. C. I. RIBESEILLES devront lui payer une indemnité de 5. 000 sur le fondement de l’ article 700 du nouveau code de procédure civile.
Par ces motifs
La Cour,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme les dispositions déférées du jugement du 27 mars 2007, sauf celle concernant la demande de dommages- intérêts de la société VALOREST,
et statuant à nouveau de ce chef,
Condamne in solidum Annick Y… épouse Z… et la S. C. I. RIBESEILLES représentée par son gérant à payer à la société VALOREST la somme de 20. 000 à titre de dommages- intérêts et une indemnité de 5. 000 sur le fondement de l’ article 700 du nouveau code de procédure civile,
Condamne Annick Y… épouse Z… et la S. C. I. RIBESEILLES
aux dépens d’ appel et autorise la S. E. L. A. R. L DAUPHIN- MIHAJLOVIC, avoués, à recouvrer directement contre elles, les frais avancés sans avoir reçu provision.
PRONONCÉ en audience publique par Madame LANDOZ, Président, qui a signé avec Madame LAGIER, Greffier.