Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
ARRET No
R. G : 08/ 00522
X…
C/
SA MOORINGS ANTILLES
COUR D’APPEL DE FORT DE FRANCE
CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 26 FEVRIER 2010
Décision déférée à la cour : Jugement du tribunal mixte de commerce de Fort de France, en date du 22 Avril 2008, enregistré sous le no 08/ 00080
APPELANT :
Monsieur Henri X…
…
…
06500 CASTELLAR
représenté par Me Olivier TOMAS, avocat au barreau de FORT DE FRANCE, postulant et par Me AVOCATS SELARL BOSIO EVRARD & ASSOCIES, avocat au barreau de NICE, plaidant,
INTIMEE :
SA MOORINGS ANTILLES
OYSTER POND
97150 SAINT MARTIN
représentée par Me Jean MACCHI 101, avocat au barreau de FORT DE FRANCE, postulant et la SCP LEFEVRE PELLETIER & Associés, avocats au barreau de PARIS, plaidant,
INTEVENANT ET APPELANT INCIDENT :
Me Jean-Pierre Y…, ès qualité de liquidateur judiciaire de la SARL SAIL MED,
…
20000 AJACCIO
Représenté par Me Olivier THOMAS, avocat postulant au barreau de FORT DE FRANCE et Me Daniel BOSIO de la Société d’avocats BOSIO EVRARD et ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de NICE
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 18 Décembre 2009 en audience publique, devant la cour composée de :
Mme HIRIGOYEN, présidente de chambre, chargée du rapport,
Mme SUBIETA-FORONDA, conseillère
Mme DERYCKERE, conseillère
qui en ont délibéré, les parties ayant été avisées de la date du prononcé de l’arrêt fixée au 26 Février 2010
Greffier, lors des débats : Mme DELUGE,
ARRET : Contradictoire
prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
La société SAIL MED dont le siège est à Ajaccio, a été créée en 1996 avec notamment pour objet la location de voiliers et la vente de bateaux de plaisance, entre M. Henri X…, jusqu’alors salarié du groupe MOORINGS, l’un des principaux acteurs du marché, et la société MOORINGS, M. X…, devenu gérant, détenant 66, 66 % des parts sociales, et la société MOORINGS, 33, 33 %.
Suivant contrat du 8 octobre 1996, un accord de partenariat a été conclu entre les sociétés SAIL MED et MOORINGS pour permettre à la première de développer son activité en Corse et Côte d’Azur, moyennant l’usage du nom et du logo MOORINGS et le bénéfice de l’assistance technique et commerciale de cette dernière.
En vertu d’un protocole d’accord signé le 31 octobre 1996, la société SAILMED a repris l’activité de gestion de bateaux de location qui était jusqu’alors exercée par la société MCCV, filiale de MOORINGS.
Le 5 mars 2001, la société MOORINGS a cédé sa participation dans le capital de la société SAIL MED à la société MOORINGS Antilles françaises (MAF) laquelle a repris le contrat de partenariat et les obligations de la société cédante par avenant du 10 mai 2001.
Par LRAR du 4 juillet 2002, la société MAF a notifié à la société SAIL MED la résiliation du contrat de partenariat à l’issue d’un préavis de 15 mois.
Par délibération de son assemblée générale du 12 septembre 2003, la société SAID MED a prononcé sa dissolution anticipée et sa mise en liquidation amiable.
Elle a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce d’Ajaccio en date du 8 décembre 2003, Me Jean-Pierre Y… étant désigné en qualité de liquidateur.
Soutenant que la société MAF a rompu abusivement les relations commerciales, tirant profit de sa position dominante et de sa mainmise sur la société SAIL MED, et lui imputant la responsabilité de la liquidation, Me Y…, ès qualité, a assigné la société MAF en paiement de dommages et intérêts.
Le tribunal mixte de commerce d’Ajaccio, juridiction saisie, s’est déclaré compétent mais sur contredit, par arrêt du 7 décembre 2005, la cour d’appel de Bastia a fait droit à l’exception d’incompétence et a renvoyé l’affaire devant le tribunal mixte de commerce de Basse-Terre qui, malgré le caractère impératif du renvoi, s’est lui-même déclaré incompétent au profit du tribunal mixte de commerce de Fort-de-France. M. Henri X… est intervenu à l’instance devant le tribunal mixte de commerce de Basse-Terre pour réclamer réparation d’un préjudice personnel.
Par jugement du 22 avril 2008, le tribunal mixte de commerce de Fort-de-France a débouté Me Y…, ès qualité, ainsi que M. X… de l’ensemble de leurs demandes, débouté la société défenderesse de ses demandes reconventionnelles de dommages et intérêts et condamné Me Y…, ès qualité, et M. X… à payer la somme de 8 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Appel a été relevé par M. X… selon déclaration reçue le 27 mai 2008 intimant la société MAF, Me Y…, ès qualité, intervenant ensuite et formant appel incident pour le compte de la société SAIL MED.
Par conclusions récapitulatives déposées le 8 avril 2009, M. X…, appelant principal, demande à la cour, au visa des articles 1134 et suivants, 1832 du code civil, L 233-16 alinéa IV, L 223-22 et L 223-23 du code commerce, 70 et 696 du code de procédure civile, de confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté comme prescrites les demandes faites à son encontre par la société MAF, de l’infirmer pour le surplus, de débouter la société MAF de toutes ses demandes, de déclarer que cette société a engagé sa responsabilité en rompant abusivement les relations commerciales tirant profit de sa position dominante et de l’emprise économique qu’elle avait sur la société SAIL MED en refusant le renouvellement du contrat de partenariat et en s’installant à sa suite aux fins de captation de sa clientèle, dire que la société SAIL MED s’est trouvée en situation de dépendance économique à l’égard de la société MAF, que cette dernière a agi de manière déloyale à l’encontre de la société SAIL MED et de son associé gérant et qu’elle a détourné indûment les actifs de la société SAIL MED, déclarer, en conséquence, que la société MAF est responsable de la liquidation judiciaire de la société SAIL MED, dire que ses agissements ont, en outre, causé à M. X… un préjudice spécifique distinct de celui de la société SAIL MED, condamner la société MAF à lui payer à ce titre les sommes de 86 400 euros pour perte de rémunération de sa gérance, 300 000 euros pour la perte sur la valeur des parts sociales qu’il détenait, 86 400 pour son préjudice moral ainsi que 15 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions récapitulatives du même jour, Me Y…, ès qualité, sollicite l’infirmation du jugement dans les mêmes termes et sollicite la condamnation de la société MAF à payer à la société SAILMED la somme de 1 960 000 euros au titre du préjudice économique et 609 364, 46 euros au titre du passif produit outre 15 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans un argumentaire commun, M X… et la société SAILMED dénoncent la force d’inertie de MOORINGS dans sa stratégie globale sur le marché Corse-Côte d’Azur qui, selon eux, démontre qu’elle n’a souhaité que contrôler le développement de SAIL MED au mieux de ses intérêts propres et au détriment de la société aujourd’hui en faillite ce qu’elle a fait en abusant de sa position dominante, étant numéro1 sur le marché international du nautisme, et de la mainmise opérée sur la société SAIL MED qui lui a permis de s’opposer à la diversification des activités de cette société. Ces parties soutiennent que la résiliation du contrat, aboutissement d’une stratégie déloyale, a condamné la société SAIL MED dont l’autonomie avait toujours été fictive à la liquidation, la société MAF dont la présence au capital interdisait toute approche d’un concurrent et qui a toujours imposé sa politique, pouvant ainsi récupérer pour elle seule l’activité poursuivie par SAIL MED et capter sa clientèle et donc ses actifs comme le prouve l’installation de la société intimée dans des locaux proches de l’ancien siège de l’établissement de SAIL MED à Nice.
Contestant tout abus de position dominante ou situation de dépendance économique et soutenant que la faillite de la société SAIL MED est imputable aux difficultés conjoncturelles du secteur ainsi qu’aux erreurs de gestion de son gérant et à la stratégie développée par ce dernier qui entendait se contenter de son partenariat en négligeant la diversification des activités de SAIL MED ce qui a conduit à une dégradation constante de la situation financière à compter de 1998 qui ne pouvait conduire qu’à la résiliation du partenariat, un préavis de quinze mois étant cependant accordé bien au delà du délai conventionnel, et qui a ensuite tenté de revendre ses parts au meilleur prix en brandissant la menace d’une mise en liquidation et en se refusant à toute solution alternative, par conclusions du 9 décembre 2008, la société MAF sollicite la confirmation du jugement sauf en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes reconventionnelles et formant appel incident de ce chef, demande à la cour de condamner M. X… à lui payer la somme de 580 000 euros à titre de dommages et intérêts du fait d’agissements fautifs et de condamner solidairement Me Y…, ès qualité, et M. X… au paiement de 103 288 euros pour procédure abusive et 30 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
La procédure a été clôturée le 22 octobre 2009.
MOTIFS
-Sur l’appel principal et l’appel incident formé par Me Y…, en qualité de liquidateur de la société SAIL MED :
Il est établi que la société SAIL MED a été créée entre M. X… et la société MOORINGS à laquelle a succédé la MAF, associés respectivement à hauteur de 66, 66 % et 33, 33 %, avec pour objet » la location, l’achat, la vente et l’exploitation de bateaux et toutes autresactivités se rapportant de près ou de loin aux activités de la mer et aux loisirs, la création, l’acquisition, l’exploitation, la prise ou mise en location-gérance de tous fonds de commerce ou d’industrie ayant la même activité, la prise, l’acquisition et la création de tous brevets, marques, licences, procédés ayant un rapport direct ou indirect avec l’objet ci-dessus, leur exploitation, cession ou apport et plus généralement toutes opérations industrielles, commerciales, financières, mobilières ou immobilières pouvant se rattacher directement ou indirectement à son objet social ou tous objets similaires ou connexes « .
Cette participation de MOORINGS au capital de SAIL MED s’est doublée d’une relation commerciale formalisée par un contrat de partenariat, conclu pour une durée initiale de trois ans, renouvelable à chaque date anniversaire, entre la société MOORINGS puis MAF et la société SAIL MED, qui visait à créer et développer la location et la gestion de voiliers dans la région Corse-Côte d’Azur avec pour SAIL MED, l’usage exclusif du nom MOORINGS dans la région et l’assistance fournie par la MAF dans les domaines de l’exploitation des flottes de voiliers et bases opérationnelles sous l’enseigne exclusive MOORINGS, la commercialisation et la réservation des séjours locatifs, la gestion comptable, la définition des flottes.
Il est constant que le 4 juillet 2002, la société MAF a dénoncé le partenariat non pas à l’échéance suivante d’octobre 2002 mais à celle du 6 octobre 2003 » pour permettre de réorganiser dans les meilleures conditions possibles l’activité de la société » et que la liquidation judiciaire de la société SAIL MED a été prononcée le 8 décembre 2003.
Selon l’article L 420-2 alinéa 1 du code de commerce, est prohibée l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises d’une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent consister notamment dans la rupture de relations commerciales établies au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des commissions injustifiées.
Comme en première instance, M. X… et la société SAIL MED se bornent à affirmer que MOORINGS est le numéro1 sur le marché international du nautisme sans produire d’éléments pouvant corroborer leurs allégations d’abus de position dominante, lesquelles sont, au surplus, démenties par les éléments fournis par la société MAF, en particulier les comparaisons entre les flottes des diverses sociétés concurrentes parues dans les revues spécialisées. Il n’est donc pas caractérisé une position dominante de la société MAF sur le marché pertinent Corse-Côte d’Azur, seul à considérer.
Quant à l’exploitation abusive d’un état de dépendance économique au sens de l’article L 420-1 alinéa 2 du code de commerce qui précise que cette situation peut consister en refus de vente, ventes liées ou pratiques discriminatoires, on ne saurait la déduire de la participation de la société MAF au capital de la société SAIL MED ni des conditions du partenariat notamment quant à la rémunération de la société SAIL MAID voire même de la conjonction de ces deux situations.
En effet, si l’activité de la société SAIL MED a été presque exclusivement consacrée au partenariat, dès lors que le contrat n’imposait pas à SAIL MED de limiter son activité à ce partenariat mais laissait la place à d’autres prestations conformes à l’objet social dont il n’est aucunement démontré que la MAF s’y serait opposée comme associée, il n’apparaît pas que la société SAIL MED se serait trouvée dans l’impossibilité de fournir ou recevoir des produits ou prestations autres que MOORINGS. La dépendance économique au sens de l’article précité n’est donc pas caractérisée.
Par ailleurs, la résiliation du contrat s’inscrit dans le cadre contractuel qui accorde à chaque partie une faculté de résiliation à chaque date anniversaire soit en l’espèce chaque année avec un préavis de trois mois et on ne saurait voir dans l’octroi d’un préavis de quinze mois le signe d’une volonté malveillante de la MAF.
A cet égard, il sera observé qu’à la suite de la résiliation du partenariat, le gérant de la société SAIL MED a reçu de l’assemblée générale, par délibération du 25 juillet 2003, tous pouvoirs pour rechercher un autre partenariat, permettant de pérenniser les activités de la société, que l’un au moins de ses contacts s’est révélé fructueux même s’il l’y a pas donné suite,. De plus, les correspondances échangées entre M. X… et la société MAF montrent que les parties ont négocié en vue d’un accord prévoyant la conclusion d’un nouveau contrat de partenariat d’une durée déterminée avec à son terme le rachat par la société MAF des parts sociales de M. X…, que les parties sont parvenues à s’entendre sur un montant de 300 000 euros sur lequel M. X… a donné son agrément dans un premier temps, le 9 avril 2003, avant de se rétracter en sollicitant de nouvelles conditions ce qui n’est pas contesté.
La société SAIL MED et M. X… allèguent donc sans la démontrer une stratégie déloyale de la MAF dont la résiliation du partenariat serait l’aboutissement étant souligné que l’installation le 19 décembre 2003 dès la cessation de l’activité de SAIL MED dans des locaux proches de son siège d’une société MOORINGS YACHTING ne peut être considérée comme la preuve d’une captation des actifs.
Faute de preuve d’un abus ou d’une intention de nuire à l’origine de la résiliation du partenariat, les premiers juges doivent être approuvés pour avoir débouté la société SAIL MED et M. X… de leurs demandes dirigées contre la société MAF.
– Sur l’appel incident de la société MOORINGS Antilles françaises :
C’est par une juste application du droit que les premiers juges ont déclaré l’action engagée par la MAF par voie reconventionnelle contre M. X… s’agissant de l’action en responsabilité contre le gérant régi par l’article L 223-23 du code commerce qui se prescrit par trois ans à compter du dernier fait dommageable, que le dernier acte de gérant de M. X… se situe, comme les parties en conviennent dans leurs écritures, le 1er septembre 2003 et que les conclusions formalisant la demande ont été déposées devant le tribunal mixte de commerce de Basse-Terre après l’intervention volontaire de M. X…, le 18 juillet 2007.
Il sera souligné qu’en présence de dispositions spéciales régissant la responsabilité du gérant, les articles1382 et suivants du code civil n’ont pas vocation à s’appliquer.
De même, la demande de dommages et intérêts formée contre Me Y…, ès qualité, n’étant accompagnée d’aucune démonstration objective d’un préjudice, le jugement sera confirmé en ce qu’il en a débouté la société MAF.
– Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens :
L’équité ne commande pas de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au delà de ce qui a été alloué par les premiers juges.
PAR CES MOTIFS ;
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Dit n’y avoir lieu à l’application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de l’une quelconque des parties ;
Condamne Me Y…, ès qualité, et M. Henri X… aux dépens d’appel ;
Signé par Mme HIRIGOYEN, présidente et par Mme SOUDOROM, greffier lors du prononcé, auquel la minute a été remise.
LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,