Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
ARRET DU
29 Septembre 2006 N 2187/06 RG 05/02059 GDR/SLO
JUGEMENT DU
Conseil de Prud’hommes de MAUBEUGE
EN DATE DU
27 Mai 2005 NOTIFICATION à parties
le 29/09/06 Copies avocats
le 29/09/06
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes – APPELANT : M. Denis X… … – 92140 CLAMART Représentée par Me Isabelle JONQUOIS (avocat au barreau de PARIS) INTIME : SA SAMBRE ET MEUSE 54 rue des Usines – 59750 FEIGNIES Représentée par Me Frédéric COVIN (avocat au barreau de VALENCIENNES) DEBATS :
à l’audience publique du 13 Juin 2006
Tenue par G. DU ROSTU
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe. GREFFIER :
K. HACHID COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE JG. HUGLO :
PRESIDENT DE CHAMBRE G. DU ROSTU : CONSEILLER P. NOUBEL : CONSEILLER ARRET :
Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 29 Septembre 2006
JG. HUGLO, Président, ayant signé la minute
avec K. HACHID, greffier lors du prononcé
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Monsieur Denis X… a été engagé le 22 février 2002 par la société SAMBRE et MEUSE en qualité de directeur commercial ;
Par lettre en date du 29 juillet 2004 la société SAMBRE et MEUSE a convoqué Monsieur X… à un entretien préalable à son licenciement ;
Par lettre en date du 15 septembre 2004 la société SAMBRE et MEUSE a proposé à Monsieur X…, à titre de sanction, sa rétrogradation au poste de délégué commercial ;
Par lettre en date du 20 septembre 2004 Monsieur X… a refusé cette rétrogradation et par lettre en date du 27 septembre 2004 la société SAMBRE et MEUSE lui a notifié son licenciement pour faute grave ;
Contestant la légitimité de son licenciement Monsieur X… a saisi le 8 octobre 2004 le Conseil de Prud’hommes de Maubeuge lequel par jugement en date du 27 mai 2005 a :
dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse
condamné la société SAMBRE et MEUSE à payer à Monsieur X… les sommes suivantes :
20.590,96 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis
2.059,10 euros au titre des congés payés y afférents
3.008,49 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement
1.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile
Débouté Monsieur X… de ses autres demandes
s’est déclaré incompétent pour juger de la demande de remboursement
d’actions
condamné Monsieur X… à payer à la société SAMBRE et MEUSE la somme de 80,86 euros au titre de remboursement de facture de téléphone
débouté la société SAMBRE et MEUSE de sa demande au titre des dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Le 28 juin 2005 Monsieur X… a régulièrement interjeté appel de cette décision ;
Vu les conclusions de Monsieur X… en date du 13 juin 2006 et celles de la société SAMBRE et MEUSE en date du 8 juin 2006 ainsi que les observations développées oralement à l’audience par les parties qui ont repris leurs conclusions auxquelles il est renvoyé pour l’examen détaillé de leurs moyens et prétentions en cause d’appel ;
Attendu qu’aux termes de ses conclusions et observations orales Monsieur X… demande à la Cour de condamner son employeur au paiement des sommes suivantes :
20.590,96 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis
2.059,10 euros au titre des congés payés y afférents
3.008,49 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement
61.772,88 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
6.000 euros à titre de dommages et intérêts pour perte de valeur des actions
2.159,44 euros à titre de dommages et intérêts pour perte de l’avantage en nature durant le préavis
3.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile et d’ordonner la remise des fiches de paie, d’un certificat de travail et d’une attestation ASSEDIC conformes à la décision à intervenir sous astreinte
Attendu qu’aux termes de ses conclusions et observations orales la
société SAMBRE et MEUSE demande à la Cour de débouter Monsieur X… de l’ensemble de ses demandes et de le condamner au paiement d’une indemnité de 3.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Attendu qu’à l’issue de l’audience des plaidoiries les parties ont été autorisées à adresser à la Cour une note en délibéré portant uniquement sur l’agenda et les notes de frais de Monsieur X… ; MOTIFS DE LA DECISION
Sur le licenciement ;
Attendu que la faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise même pendant la durée du préavis ans risque de compromettre les intérêts légitimes de l’employeur ;
Attendu qu’aux termes des dispositions de l’article L122-14-2 du code du travail l’employeur est tenu d’énoncer le ou les motifs du licenciement dans la lettre de licenciement prévue à l’article L122-14-1 du code du travail ; que la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, lie les parties et le juge qui ne peut examiner d’autres griefs que ceux énoncés dans celle-ci, peu important les motifs allégués antérieurement ou en cours de procédure ;
Attendu qu’en l’espèce la lettre de licenciement est ainsi motivée :
« que nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave. Les faits motivant notre décision sont les suivants : 1- non respect des procédures en matière de suivi d’encours client 2- utilisation à des fins personnelles de votre véhicule de fonction. En ce qui concerne le premier point, nous avons découvert en date du 29 juin 2004 que l’encours de la société GEDIMAT-DEHESTRU à Maubeuge
avait été dépassé d’environ 3.000 euros, alors que nous avions de mauvaises informations sur la santé financière de ce client . Nous vous avons notifié par lettre recommandée en date du 1er juillet 2004 que nous considérions cette négligence comme une faute professionnelle et que nous vous tenions personnellement responsable. Nous savions par ailleurs cette entreprise sous contrôle et avions déjà exigé des paiements pour en limiter les encours. Lors de l’entretien préalable, nous avons trouvé votre réaction un peu légère au rappel de ces faits. En effet, selon vos termes : « le dépassement n’était que de 2.000 euros! ». Cette prise de position n’est pas tolérable de la part d’un cadre dirigeant qui, en tant qu’actionnaire, est bien informé des difficultés de gestion de Sambre et Meuse en période de redressement. Par ailleurs, dans votre courrier du 20 septembre, vous niez l’existence de notes au sujet des encours que ce soit de Sambre et Meuse ou de Manoir Industries. C’est pourtant une règle en vigueur dans l’entreprise qui, sans être écrite, est connue de tous. Vous niez les informations relatives aux difficultés financières de GEDIMAT- DEHESTRU à Maubeuge, vous fondant sur un article de la presse locale. Nous trouvons ces remarques très inquiétantes, eu égard à vos fonctions et responsabilités : en effet, vous avez, en date du 22 avril 2003, rempli de votre main un état détaillant les engagements vis à vis de cette société suite à un avis de réduction de garantie reçu de la SFAC-CREDIT . Vous n’êtes pas sans connaître la signification de ce genre de document. Pour finir sur ce point, vous comparez la situation de ce client avec l’état des commandes fin juin des clients Bombardier et Alstom : ce faisant, vous confondez sciemment ou non, carnet de commandes et encours à risque. Vos explications, pour conclure sur ce premier point, demeurent donc insuffisantes. Concernant le deuxième point évoqué, des dépenses abusives ayant déjà été relevées sur certaines notes de
frais, une note de rappel précisant les modalités et les limites de remboursement des frais professionnels avait été diffusée an date du 8 juillet 2003 à l’ensemble du personnel concerné. Devant le non-respect persistant de ces consignes, un nouveau rappel des instructions et avertissements verbaux vous a été adressé en date dommages et intérêts 31 mars 2004, insistant particulièrement sur la limitation à un usage strictement professionnel du télé péage. Dans votre réponse du 11 avril 2004, vous précisez que vous respectez la procédure de remboursement de frais, qui pour vous ne concerne que les véhicules personnels. Le 19 avril 2004, nous vous répondons :
« Votre interprétation de la note de frais nous semble prouver une certaine mauvaise foi. En clair, il est inacceptable que Sambre et Meuse prenne en charge vos péages sur la route des vacances et sur le chemin du travail. Ces frais ne concernent donc pas uniquement l’utilisation de votre véhicule personnel mais également l’utilisation de votre véhicule de fonction à des fins personnelles. » Malgré ce dernier courrier et nouveau rappel, vous avez continué après le 19 avril 2004 à utiliser le télé péage en notre possession. Nous reprenons ci-dessous le détail des anomalies énoncées le jour de l’entretien ainsi que vos explications :
Le lundi 14 juin :
un télé péage sur le trajet Roissy-Feignies pour votre retour d’un déplacement du vendredi 11 chez Lafarge au Havre
le lundi 21 juin :
un télé péage sur le trajet Roissy- Feignies pour votre retour d’un déplacement du jeudi 17 à la SNCF à Lyon
le lundi 5 juillet :
un télé péage sur le trajet Roissy- Feignies pour votre retour d’un déplacement du vendredi 2 chez Lafarge au Havre
le jeudi 8 juillet :
un télé péage sur le trajet Feignies – Roissy , correspondant à votre départ en déplacement chez Lafarge à Martres (Toulouse) le 9, d’où vous avez continué vers l’Espagne pour votre période de vacances
le lundi 26 juillet :
un télé péage sur le trajet Roissy- Feignies pour votre retour de congé. De plus, ces anomalies ne sont pas isolées: bien que cela ne soit pas l’objet de la présente lettre, nous vous rappelons que vous avez eu de telles pratiques le 3 mai 2004 (un télé péage sur le trajet Roissy-Feignies pour votre retour de vacances) et le 24 mai 2004 (un télé péage sur le trajet Roissy-Feignies pour votre retour de congé du pont de l’Ascension). Le trajet du lundi matin, pour revenir sur votre lieu de travail à Feignies, ne peut être qualifié de « retour de déplacement » entrepris le vendredi de la semaine précédente puisqu’il est interrompu par le week-end. Il en va de même pour un trajet du lundi matin domicile-usine que vous qualifiez de « retour de déplacement » après une période de vacances de quinze jours, ce qui est le cas pour le retour du lundi 26 juillet 2004. Votre utilisation du télé péage, réservé à un usage strictement professionnel, n’est donc pas justifiée pour de tels trajets. Nous considérons qu’à un tel niveau de responsabilité a sein de l’entreprise , ce comportement est inacceptable. Non seulement de tels faits sont préjudiciables à l’entreprise mais aussi à l’image que doit donner une équipe dirigeante. En conclusion, vous avez agi au mépris de consignes très claires et en toute connaissance de la fiscalité française qui interdit aux entreprises la prise en charge
de frais non professionnels (règles en vigueur rappelées dans notre note du 8 juillet 2003). Au cours de l’entretien, vous nous avez signalé que vous pratiquiez de cette façon depuis votre entrée en fonction. Nous sommes surpris de votre remarque et nous vous signalons qu’au début de votre arrivée, nous ne contrôlions pas vos frais avec la même rigueur car nous vous faisions totale confiance . Dans votre courrier du 20 septembre, vous n’apportez aucune nouvelle justification sur ce deuxième point .nous vous faisions totale confiance . Dans votre courrier du 20 septembre, vous n’apportez aucune nouvelle justification sur ce deuxième point . Nous considérons vos pratiques comme constitutives de fautes professionnelles, par votre refus réitéré d’appliquer nos consignes, en matière de remboursement de frais professionnels comme en matière de suivi d’encours client. Malgré ces agissements très graves, nous avons pris en considération, votre fonction chez Sambre et Meuse et l’éventualité que vous modifiez votre comportement, en vous proposant une mesure de rétrogradation. Bien au contraire, non seulement vous refusez notre proposition mais encore, vous vous permettez clairement de vous positionner contre la direction générale , critiquant l’intégralité de l’organisation de l’usine . Nous ne pouvons que conclure en vous citant : « il est illusoire de pouvoir envisager une collaboration future ».
Attendu qu’il résulte des éléments versés aux débats (notes de service, rappels des instructions du 31 mars 2004) concernant tant le motif tiré du dépassement d’encours que des conditions d’utilisation du véhicule professionnel que préalablement à la mesure de licenciement le salarié avait reçu toutes informations utiles et que son attention avait été attirée afin qu’ils soient respectées ; que par ailleurs il résulte des notes en réponse adressées par le salarié à son employeur que ce dernier a entendu remettre en cause et
contester de façon quasi systématique toutes les instructions émanant de la direction de l’entreprise ;
Attendu que les éléments versés aux débats démontrent la réalité des motifs invoqués par l’employeur à l’appui de la mesure de licenciement , le salarié n’apportant aux débats aucun élément ou explications susceptibles de contredire cette situation et plus particulièrement en ce qui concerne les frais de déplacements dont le salarié, eu égard à sa qualification, ne pouvait ignorer qu’ils ne pouvaient être pris en frais professionnels dès lors qu’il s’agissait d’un retour de week-end ou de congés sans activité professionnelle justifiée pendant cette période ;
Attendu que Monsieur X… occupait au sein de la société SAMBRE et MEUSE un emploi de cadre hautement responsable disposant d’une grande autonomie d’organisation ; que les manquements professionnels relevé par l’employeur à son encontre sont dans ces conditions d’une particulière gravité alors que par ailleurs le salarié avait été invité à respecter les instructions données par la hiérarchie ; que la persistance du salarié dans son attitude justifie la mesure de licenciement pour faute grave prise à son encontre ;
Attendu qu’il convient en conséquence de réformer sur ce point le jugement déféré ;
Sur les demandes de Monsieur X… afférentes à un licenciement sans cause réelle et sérieuse :
Attendu que le licenciement étant justifié par une faute grave le salarié ne peut prétendre à l’intégralité des indemnités de rupture dont il sollicite le règlement ; qu’il convient en conséquence de le débouter de ses demandes et de réformer le jugement déféré ;
Attendu qu’il appartiendra au salarié de rembourser à son employeur le montant des sommes qu’il a perçues au titre de l’exécution provisoire du jugement déféré avec intérêts au taux légal à compter
de la notification du présent arrêt ;
Sur les dommages et intérêts pour perte de la valeur des actions ;
Attendu que la qualité de salarié de la société SAMBRE et MEUSE a permis à Monsieur X… d’acquérir des actions de la société HOLDING du NORD et d’en devenir un des associés ; que les statuts précisent que tout associé que tout associé qui viendrait à perdre la qualité de salarié au sein de la société SAMBRE et MEUSE pour quelque cause que ce soit est de plein droit exclu de la société, les conditions et le prix de cession des actions étant fixés par l’article 13-5b des statuts ;
Attendu que la société SAMBRE et MEUSE ne peut donc être concernée par la demande de dommages et intérêts formulée par Monsieur X… dès lors que la mesure de licenciement pour faute grave est justifiée et que par voie de conséquence la société SAMBRE et MEUSE n’a commis aucune faute susceptible d’être à l’origine du dommage dont se plaint le salarié lequel ne peut que s’adresser à la société HOLDING du NORD pour la liquidation de ses droits, société qui n’a pas été attraite dans la présente procédure ;
Attendu qu’il convient en conséquence de débouter Monsieur X… de sa demande de dommages et intérêts et de réformer sur ce point le jugement déféré ;
Sur les demandes au titre des dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Attendu que Monsieur X… succombant en ses prétentions sera débouté de sa demande ;
Attendu que l’équité commande de laisser à la société SAMBRE et MEUSE la charge de ses frais hors dépens ; qu’il convient en conséquence de la débouter de sa demande ; PAR CES MOTIFS
Réforme le jugement déféré et statuant à nouveau,
Dit que le licenciement est justifié par une faute grave ;
Déboute Monsieur Denis X… de l’ensemble de ses demandes ;
Dit que Monsieur X… sera tenu aux intérêts moratoires au taux légal sur les sommes perçues en exécution du jugement du Conseil des Prud’hommes à compter de la notification du présent arrêt ;
Déboute la société SAMBRE et MEUSE de sa demande au titre des dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Condamne Monsieur Denis X… aux dépens de première instance et d’appel.
Le Greffier,
K. HACHID
Le Président,
J-G. HUGLO