Cour d’appel de Caen RG n° 22/01320 7 mai 2024

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Cour d’appel de Caen RG n° 22/01320 7 mai 2024
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Cour d’appel de Caen
RG n° 22/01320
7 mai 2024
AFFAIRE : N° RG 22/01320 – N° Portalis DBVC-V-B7G-G7WI

 

ARRÊT N°

ORIGINE : DÉCISION du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CAEN du 11 Mars 2022

RG n° 20/00075

COUR D’APPEL DE CAEN

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 07 MAI 2024

APPELANTS :

Madame [J] [E] née [P] agissant tant en son nom personnel qu’ès qualités de représentant légal de ses enfants :

[H], [Y], [X] [E], née le [Date naissance 8] 2008 à [Localité 10]

née le [Date naissance 5] 1980 à [Localité 3]

[Adresse 7]

[Localité 4]

représentée et assistée de Me Alice DUPONT-BARRELLIER, avocat au barreau de CAEN

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 141180022022003489 du 25/05/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de CAEN)

Monsieur [U] [E]

né le [Date naissance 6] 2005 à [Localité 3]

[Adresse 7]

[Localité 4]

représenté et assisté de Me Alice DUPONT-BARRELLIER, avocat au barreau de CAEN

INTIMÉES :

La SA ABEILLE IARD & SANTE anciennement dénommée AVIVA ASSURANCES

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 2]

[Localité 9]

représe tée et assistée de Me Thomas LECLERC, substitué par Me COPAVER, avocats au barreau de CAEN

La CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE BASSE NORMANDIE (CPAM) prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

[Localité 3]

non représentée, bien que régulièrement assignée

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

M. GUIGUESSON, Président de chambre,

Mme DELAUBIER, Conseillère,

Mme VELMANS, Conseillère,

DÉBATS : A l’audience publique du 13 février 2024

GREFFIER : Mme COLLET

ARRÊT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile le 07 Mai 2024 et signé par M. GUIGUESSON, président, et Mme COLLET, greffier

EXPOSE DU LITIGE

Le 15 octobre 2014, Madame [J] [P] divorcée [E] a été victime d’un accident de la circulation dans lequel était impliqué un véhicule automobile assuré auprès de la Compagnie AVIVA Assurances, alors qu’elle se trouvait à pied.

Le droit à indemnisation n’a pas été contesté par la Compagnie AVIVA qui a missionné le Docteur [I] afin de procéder un examen médical contradictoire qui aura lieu en présence du Docteur [L], médecin conseil choisi par Madame [E], et qui lui a alloué une indemnité provisionnelle de 1.000,00 € à valoir sur l’indemnisation de son préjudice.

Une seconde indemnité provisionnelle de 5.000,00 € lui sera ensuite allouée à la suite du premier examen réalisé par les médecins le 23 avril 2015.

La compagnie AVIVA a adressé à Madame [E] une offre d’indemnisation le 30 septembre 2017, sur la base du dernier rapport déposé par le Docteur [I].

Madame [E] estimant cette offre dérisoire et incomplète, a saisi le tribunal de grande instance de Caen afin d’obtenir l’indemnisation de ses préjudices.

Par jugement du 11 mars 2022, le tribunal a :

– fixé le préjudice de Madame [E] comme suit :

* dépenses de santé actuelles : 13.603,56 € (CPAM)

* frais divers dont assistance tierce personne temporaire: 19.057,84 €

* assistance d’un tierce personne permanente : 37.066,45 €

* incidence professionnelle : rejet

* déficit fonctionnel temporaire : 2.613,00 €

* souffrances endurées : 8.000,00 €

* préjudice esthétique temporaire : 1.000,00 €

* déficit fonctionnel permanent : 16.280,00 €

Total : 97.620,85 € dont 84.017,29 € revenant à la victime, soit 78.017,29 € après déduction de la provision de 6.000,00 € déjà allouée,

– dit que les indemnités au titre de l’évaluation du préjudice de Madame [E] à hauteur de 97.620,85 €, avant imputation de la créance des tiers payeurs et sans tenir compte des provisions versées, produiront intérêts au double du taux légal à compter du 15 mai 2015 et jusqu’au jour où le présent jugement aura un caractère définitif,

– condamné la société AVIVA Assurances à payer à Madame [E] ès qualités de représentante légale de ses enfants mineurs [U] et [H] [E], la somme de 1.000,00 € chacun en réparation de leurs préjudices subis par ricochet,

– rejeté la demande de doublement des intérêts au titre de la somme allouée à Madame [E] ès-qualités de représentante légale de ses enfants mineurs,

– dit que ces condamnations pourront produire intérêts au taux légal à compter de l’acte introductif d’instance du 30 décembre 2019, avec capitalisation des intérêts échus dus au moins pour une année entière,

– condamné la société AVIVA Assurances à payer à Madame [E] la somme de 4.000,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société AVIVA aux dépens en ce compris l’intégralité des droits proportionnels de recouvrement et d’encaissement prévus à l’article L.111-8 du code des procédures civiles d’exécution, ces derniers étant recouvrés directement au profit de l’avocat qui en a fait la demande conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

– déclaré le présent jugement commun à la CPAM de Basse-Normandie,

– rappelé que l’exécution provisoire est de droit.

Par déclaration du 25 mai 2022, Madame [E] a formé appel de la décision tant en son nom personnel qu’en sa qualité de représentante légale de ses enfants mineurs sauf en ce qu’il a ordonné la capitalisation des intérêts et a condamné la Compagnie AVIVA au paiement d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Aux termes de ses dernières écritures en date du 9 janvier 2024, Madame [E] conclut à l’infirmation du jugement entrepris en ce qu’il a :

– fixé son préjudice au titre du besoin en tierce personne permanente à 37.066,45 €,

– condamné la société AVIVA à lui payer la somme de 84.017,29 € soit 78.017,29 € après déduction de la provision de 6.000,00 €,

– dit que les indemnités fixées au titre de l’évaluation de son préjudice à hauteur de 97.620,85 € avant imputation de la créance des tiers payeurs et sans tenir compte des provisions versées, produiront intérêts au double du taux légal à compter du 15 juin 2015 et jusqu’au jour où le jugement aura un caractère définitif,

– rejeté la demande de doublement des intérêts pour l’indemnité qui lui a été allouée ès-qualités de représentante légale de ses enfants mineurs, [U] et [H] [E],

Elle demande à la cour de :

– condamner Abeille Iard et Santé à lui verser 106.011,64 € ou subsidiairement 105.314,04 €, soit provision de 6.000,0 € déduite, 100.011,64 € ou subsidiairement 99.314,04 € en réparation de son préjudice corporel se décomposant comme suit :

* dépenses de santé actuelles : 13.603,56 € (CPAM)

* frais divers : 3.590,76 €

* assistance tierce personne temporaire: 16.588,79 €

* assistance d’un tierce personne permanente : 57.939,09 € ou subsidiairement 57.241,49 €

* déficit fonctionnel temporaire : 2.613,00 €

* souffrances endurées : 8.000,00 €

* préjudice esthétique temporaire : 1.000,00 €

* déficit fonctionnel permanent : 16.280,00 €

Total : 119.615,20 € ou subsidiairement 118.917,60 € dont 106.011,64 € ou subsidiairement 105.314,04 € revenant à la victime, soit 100.011,64 € ou subsidiairement 99.314,04 € après déduction de la provision de 6.000,00 € déjà allouée,

– condamner Abeille Iard & Santé à lui payer les intérêts au double du taux légal sur le total des préjudices incluant la créance des tiers payeurs et provision non déduite, du 15 juin 2015 jusqu’au jour où la décision aura un caractère définitif et avec anatocisme à compter du 15 juin 2016,

– débouter Abeille Iard & Santé de l’intégralité de ses demandes,

– condamner Abeille Iard & Santé à lui payer ès-qualités de représentante légale de ses enfants mineurs, [U] et [H] [E], les intérêts au double du taux légal, du 30 mars 2020 jusqu’au jour où la décision aura un caractère définitif et avec anatocisme à compter du 30 mars 2021,

– condamner Abeille Iard & Santé à lui payer au titre de l’article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 modifiée, la somme de 7.000,00 €,

– condamner Abeille Iard & Santé aux entiers dépens et dire qu’ils seront recouvrés directement conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières écritures en date du 16 janvier 2024, la Compagnie Abeille Iard & Santé venant aux droits de la Compagnie AVIVA Assurances du 16 janvier 2024 sollicite à titre principal le prononcé de la nullité du jugement entrepris et subsidiairement son infirmation partiel sur les postes frais divers dont assistance à tierce personne, assistance à tierce personne (permanent), déficit fonctionnel temporaire et préjudice esthétique temporaire, le doublement des intérêts et l’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle demande à la cour de :

– débouter Madame [E] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

– évaluer le préjudice de Madame [E] comme suit :

* frais divers : 3.060,00 €

* assistance tierce personne : 7.468,50 €

* déficit fonctionnel temporaire : 1.990,00 €

* souffrances endurées : 8.000,00 €

* préjudice esthétique temporaire : 0

* déficit fonctionnel permanent : 16.280,00 €

Total : 36.797,50 €

Provision : 6.000,00 €

Solde : 30.797,50 €

– limiter le montant de l’indemnisation due à Madame [E] à une somme qui ne saurait être supérieure à 30.797,50 €,

– débouter Madame [E] de l’ensemble de ses autres demandes, fins et conclusions y compris celle formée ès qualités de représentante légale de sa fille [H],

– débouter Monsieur [U] [E] de l’ensemble de ses autres demandes, fins et conclusions,

– débouter Madame [E] de sa demande de doublement des intérêts de retard et de celui sollicité ès qualités de représentante légale de sa fille [H],

– débouter Monsieur [U] [E] de sa demande de doublement des intérêts de retard,

A titre infiniment subsidiaire,

– confirmer le jugement en ce qu’il a appliqué le barème de la Gazette du Palais 2020,

– fixer le point de départ du doublement des intérêts au 26 mai 2017,

En tout état de cause,

– débouter Madame [E] de sa demande formulée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner les consorts [E] in solidum au paiement d’une somme de 5.000,00 € au titre de l’article 700 ainsi qu’aux dépens.

La CPAM de Basse Normandie à laquelle ont été signifiées la déclaration d’appel et les conclusions des parties, n’a pas constitué avocat.

Pour l’exposé complet des prétentions et de l’argumentaire des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures susvisées conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 31 janvier 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de la Compagnie Abeille Iard et Santé tendant au prononcé de la nullité du jugement

La Compagnie Abeille Iard et Santé conclut à titre principal à la nullité du jugement au motif que le tribunal n’aurait pas répondu à ses contestations relatives à la demande d’actualisation des préjudices sollicitée par Madame [E].

Les conclusions de première instance de La Compagnie Abeille Iard et Santé ne sont pas versées aux débats.

La cour n’est donc pas en mesure de prendre connaissance de son éventuelle argumentation relative à la demande d’actualisation de Madame [E], alors que le jugement qui rappelle le dispositif de ses écritures, ne mentionne pas spécifiquement qu’elle aurait contesté cette demande.

En tout état de cause, force est de constater que le tribunal y a répondu implicitement en indiquant :

‘ Compte tenu du temps écoulé depuis le fait générateur et dans la mesure où l’évaluation du préjudice doit être fait par le juge au moment où il rend sa décision, il y a lieu conformément à la demande de Madame [E], d’actualiser au jour de l’arrêt les indemnités allouées au titre des préjudices patrimoniaux en fonction de la dépréciation monétaire sur la base de l’indice des prix à la consommation….’

Il n’y a donc pas lieu de prononcer la nullité du jugement pour défaut de réponse à conclusions constitutif d’un défaut de motif.

Ce moyen sera donc rejeté.

Sur l’indemnisation des préjudices de Madame [E]

Il convient de rappeler tout d’abord que les lésions initiales dont a souffert Madame [E] sont une contusion du genou gauche et une fracture transverse droite L5 et qu’existe une difficulté quant à la version du rapport d’expertise amiable à retenir, dès lors que la première version mentionnant une expertise le 23 avril 2015, a ensuite été suivie d’un deuxième version rédigée par le Docteur [I] le 4 février 2016, puis d’une troisième version rédigée unilatéralement par le Docteur [I] mentionnant là encore la date du 4 février 2016, dont les conclusions ont été contestées par le Docteur [L] qui assistait Madame [E], notamment s’agissant du poste tierce personne permanente.

Ne seront examinés que les postes de préjudices contestés par les parties.

Il sera rappelé que les demandes de Madame [E] s’analysant en des demandes de dommages-intérêts, le montant des sommes allouées doit donc nécessairement être fixé au jour où la juridiction saisie statue.

C’est donc à juste titre que le tribunal a procédé à leur actualisation à laquelle il sera également fait droit devant la cour lorsqu’une telle demande est formulée par Madame [E].

Sur les frais divers

Le tribunal a alloué à Madame [E] au titre de ce poste de préjudice, la somme totale de 3.228,84 € au titre des honoraires du médecin conseil l’ayant assistée.

Madame [E] sollicite l’actualisation de la somme allouée pour un montant de 3.590,76 €.

La Compagnie Abeille Iard et Santé conclut à la réformation du jugement en ce qu’il a actualisé les frais de médecin conseil de Madame [E].

Comme il a été indiqué ci-dessus, l’actualisation des préjudices subis par une victime est de droit.

C’est donc à juste titre que le tribunal a procédé à cette actualisation.

Madame [E] est également bien-fondée à solliciter une actualisation de ce poste de préjudice.

Il lui sera donc allouée la somme de 3.590,76 € à ce titre ( 840 € X 1,175 + 960 € X 1,1174 + 1260 € X 1,1172).

Sur l’assistance tierce personne temporaire

La Compagnie Abeille Iard et Santé conteste le montant alloué par le tribunal à Madame [E] au titre de l’assistance à tierce personne temporaire et s’oppose à titre subsidiaire à toute demande de réactualisation.

Madame [E] sollicite la réactualisation de ce poste de préjudice, qu’elle estime avoir été fixé à juste titre par le tribunal sur la base d’un coût horaire de 22 €.

La tierce personne est la personne qui apporte de l’aide à la victime incapable d’accomplir seule certains actes essentiels de la vie courante.

Il est établi qu’une indemnisation de ce poste de préjudice s’effectue en fonction des besoins et non en fonction de la dépense justifiée.

L’indemnité allouée à ce titre ne saurait être réduite en cas d’assistance bénévole par un proche de la victime.

S’il est habituellement admis que la victime hospitalisée n’a pas besoin d’assistance par une tierce personne, il est établi par les attestations versées aux débats que durant son hospitalisation du 15 au 17 octobre 2014, Madame [E], mère célibataire, a été contrainte de faire garder ses deux enfants âgés de 6 et 9 ans par des proches.

L’assistance à tierce personne n’est pas réellement contestée par la Compagnie Abeille Iard et Santé pour la période ultérieure, qui propose une indemnisation selon le même tableau que celui retenu par le tribunal, mais sur la base de 13 € de l’heure au lieu de 22 €.

La cour estime que c’est à juste titre que le tribunal a indemnisé ce poste de préjudice sur la base de 22 €, correspondant au tarif généralement admis.

Il convient néanmoins d’actualiser la somme allouée par le tribunal qui sera donc fixée à la somme de 16.588,79 €.

Sur le déficit fonctionnel temporaire

La Compagnie Abeille Iard et Santé conteste la base indemnitaire retenue par le tribunal pour indemniser Madame [E] au titre du déficit fonctionnel temporaire, soit 30 € par jour.

Elle estime ce taux excessif et propose une indemnisation sur la base de 25 € par jour.

Madame [E] sollicite la confirmation du jugement de ce chef.

Ce poste de préjudice inclut pour la période antérieure à la consolidation, la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique, le préjudice temporaire d’agrément.

Le Docteur [I] a fixé la date de consolidation au 5 octobre 2015.

Il retient un DFT total du 15 au 17 octobre 2014, de 75 % du 18 octobre au 10 novembre 2014, de 50 % du 11 novembre au 31 décembre 2014, de 25 % du 1er janvier au 27 mars 2015 et 10 % du 28 mars au 4 octobre 2015.

La cour estime que c’est à juste titre par une motivation qu’elle adopte, que le tribunal a retenu un taux journalier de 30 €.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a fixé ce poste de préjudice à la somme de 2613 euros.

Sur le préjudice esthétique temporaire

La Compagnie Abeille Iard et Santé sollicite l’infirmation du jugement en ce qu’il a accordé à Madame [E] une indemnité au titre du préjudice esthétique temporaire.

Elle soutient qu’un tel préjudice n’a pas été consacré par le Docteur [I] et qu’il a en réalité été indemnisé au titre du déficit fonctionnel temporaire.

Ce poste de préjudice correspond à l’altération durant la période d’incapacité temporaire de l’altération physique de la victime et est donc distinct du déficit fonctionnel temporaire qui vise à indemniser la perte de la qualité de vie et des joies usuelles de la vie ainsi que le préjudice temporaire d’agrément avant la consolidation.

S’il n’a pas retenu de préjudice esthétique permanent, le Docteur [I] a toutefois chiffré le préjudice esthétique temporaire subi par Madame [E] à 3/7 jusqu’à l’abandon du lombostat le 10 novembre 2014 puis de 2/7 jusqu’au 6 janvier 2015.

L’intimée ne peut soutenir que ce poste de préjudice n’était pas clairement identifié en première instance alors que le tribunal lui a consacré un paragraphe, ce qui démontre qu’il a clairement identifié la demande formée à ce titre qui est reprise par Madame [E] en cause d’appel pour solliciter la confirmation du jugement de ce chef.

Au regard des taux retenus par l’expert, la somme de 1.000,00 € allouée par le tribunal apparaît justifiée.

Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point.

Sur l’assistance d’une tierce personne à titre permanent

Madame [E] reproche au tribunal d’avoir retenu l’existence d’un état antérieur, pourtant non mentionné par l’expert dans son rapport comme susceptible d’avoir une incidence sur les séquelles de l’accident du 15 octobre 2014, et notamment sur l’indemnisation de la tierce personne à titre permanent.

Elle sollicite donc l’infirmation du jugement sur le montant qu’il lui a été alloué et sollicite sur la base de 22 € de l’heure pour 3 H 30 par mois, une somme de 57.939,09 € sur la base d’un nouveau logiciel ou subsidiairement de 57.241,49 € sur la base du barème de capitalisation de la Gazette du Palais.

La Compagnie Abeille Iard et Santé soutient au contraire que le Docteur [I] a mentionné dans son rapport que le besoin d’aide humaine de Madame [E] après consolidation n’était pas imputable à l’accident du 15 octobre 2014.

Comme il a été indiqué à titre liminaire, il existe une difficulté quant à la version du rapport d’expertise du Docteur [I] à retenir puisqu’il en a réalisé deux après consolidation, avec des dates différentes, 2 février 2016 pour la première alors que l’expertise a eu lieu le 4 février, et 4 février pour la seconde version, qui ont été contestées par le Docteur [L], médecin conseil de Madame [E].

S’il est exact que le Docteur [I] indique dans la première version de son rapport qu’il n’existe pas de problème d’imputabilité concernant les éléments rapportés, il précise dans la seconde version dudit rapport qu’il convient de faire la part des choses entre les conséquences de l’accident du 15 octobre 2014 et la situation imputable à l’état antérieur, en relation avec l’accident du 21 mars 2014 qui a entraîné une rupture du LCA du côté droit, qui n’avait pas encore été opérée lors de l’accident du 15 octobre 2014, et le sera ultérieurement.

Dans la première version, le Docteur [I] ne mentionne que la nécessité d’une tierce personne à titre temporaire, sachant que la consolidation n’était alors pas acquise.

Puis dans la deuxième version, il indique que le besoin d’une aide humaine après consolidation n’est que partiellement imputable à l’accident du 15 octobre 2014, et limité dans le temps à 5 ans à raison de 3 h 30 par mois, et n’en fait plus état dans la troisième version.

Cet avis est contesté par le Docteur [L], médecin conseil de Madame [E], qui a rappelé à son confrère, d’une part qu’une tierce personne pendant 5 ans impliquait que la victime n’était pas consolidée, et d’autre part que compte tenu de l’aide humaine partielle, il a été convenu de retenir 3 h 30 par mois à titre pérenne.

S’agissant d’un préjudice permanent, il ne peut pas être retenu un besoin en aide humaine sur une période limitée à cinq ans.

Tant le Docteur [I] dans la deuxième version de son rapport, que le Docteur [L] font état d’un besoin d’aide humaine de 3 h 30 par mois, ce dernier précisant qu’ils s’étaient mis d’accord sur ce point pour tenir compte de ce que cette aide était partielle.

Il est donc surprenant que le Docteur [I] ne mentionne plus d’aide humaine dans sa dernière version, qui n’a pas été validée par son confrère.

La cour estime au regard de ces éléments et notamment des courriers du Docteur [L] que l’aide humaine a été arrêtée par les deux médecins lors des opérations d’expertise à 3 h 30 par mois de façon pérenne, précisément pour tenir compte de l’imputation partielle à l’accident du 15 octobre 2014, de telle sorte que c’est à tort que le tribunal a déduit de la somme calculée sur cette base, un taux d’imputabilité à l’état antérieur de 20 % qui ne figure dans aucun des rapports du Docteur [I].

Il convient donc de calculer ce poste de préjudice sur cette base et en fonction du barème de la Gazette du Palais 2022, le plus proche de la date du présente arrêt, cette table de capitalisation présentant l’avantage d’être fondée sur une espérance de vie actualisée (2017-2019) et un taux d’actualisation, dont le calcul est basé sur la valeur moyenne du TEC 10 et la prise en compte de l’inflation moyenne sur la période 2020-2021, fixé à 0%, avec une variante à – 1 %.

Compte tenu de la conjoncture actuelle, la cour retiendra la table de capitalisation basée sur le taux à 0%, ce qui permet de protéger la victime contre les effets de l’érosion monétaire et répond en conséquence à l’exigence de réparation intégrale.

Le calcul s’établit donc comme suit :

– du 6 octobre 2015 au 16 avril 2024 : 364 h X 22 € = 8.008,00 €

– pour l’avenir sur la base du taux de rente viagère pour une femme de 44 ans 41,902 au taux 0 % : 934 € X 41,902 = 39.136,46 €

Total de 47.144,46 €

Le jugement sera donc infirmé, ce poste de préjudice étant fixé à la somme de 47.144,46 €

.

Aucune contestation ne portait sur les indemnités allouées au titre des dépenses de santé actuelles (13.603,56 €) des souffrances endurées (8.000,00 €) et du déficit fonctionnel permanent ( 16.280,00 €).

C’est donc la somme totale de 95.217,01 € qui sera allouée à Madame [E] en réparation de ses préjudices, dont à déduire la provision de 6.000,00 € déjà perçue et de celle de 13.603,56 € au titre de la créance de la CPAM de Basse Normandie, soit une évaluation de l’ensemble des préjudices à 108.820,57 €.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il a fixé à 84.017,29 € la somme devant revenir à Madame [E].

Sur le doublement des intérêts

L’article L.211-9 du code des assurances impose à l’assureur du responsable de l’accident, de formuler une offre d’indemnisation à la victime qui a subi une atteinte à sa personne, dans le délai de trois mois à compter de la demande d’indemnisation qui lui est présentée lorsque la responsabilité n’est pas contestée, et dans un délai maximum de huit mois à compter de l’accident. Cette offre doit comprendre tous les éléments indemnisables du préjudice.

Elle peut avoir un caractère provisionnel lorsque l’assureur n’a pas, dans les trois mois de l’accident, été informé de la consolidation de l’état de la victime.

L’offre doit alors être faite dans un délai de cinq mois suivant la date à laquelle l’assureur a été informé de cette consolidation.

Si elle n’a pas été faite dans ce délai, l’article L.211-13 du même code prévoit que le montant de l’indemnité offerte par l’assureur ou allouée par le juge à la victime, produira intérêt de plein droit au double du taux de l’intérêt légal à compter de l’expiration du délai et jusqu’au jour de l’offre ou du jugement devenu définitif.

Ce texte s’applique tant à la victime de l’accident qu’aux victimes par ricochet que sont les enfants de Madame [E].

Il est constant que le versement d’une provision ne dispense pas l’assureur de faire une offre, ce qu’il ne justifie pas avoir fait, l’envoi des lettres accompagnant les provisions ne comportant aucun détail sur les indemnisations proposées.

Le Docteur [I] ayant été désigné par la Compagnie Aviva Assurances aux droits de laquelle vient la Compagnie Abeille Iard et Santé, l’affirmation de cette dernière selon laquelle elle n’aurait pas été destinataire des deux premières versions du rapport de cet expert, qui a pourtant été adressé à Madame [E] le 23 mai 2016, n’apparaît pas crédible.

En tout état, de cause, sa proposition d’indemnisation en date du 30 septembre 2017 est incomplète ( absence d’offre au titre du préjudice esthétique temporaire et des frais médicaux et pharmaceutiques notamment).

Cette offre ne respectant pas les prescriptions de l’article L.211-9 du code des assurances, c’est à juste titre que le tribunal a prononcé le doublement des intérêts.

Le point de départ sera néanmoins fixé au 23 octobre 2016, soit cinq mois après que l’assureur ait été informé de la date de consolidation.

Le jugement sera infirmé sur ce point, tout comme il le sera s’agissant du refus de doublement des intérêts pour les victimes par ricochet que sont [U] et [H], les enfants de Madame [E], pour lesquels aucune offre d’indemnisation de leurs préjudices n’a été adressée par l’assureur du responsable de l’accident dès que leur demande d’indemnisation a été connue dans le cadre de la procédure de première instance, soit à compter du 30 mars 2020.

Sur la capitalisation des intérêts

La Compagnie Abeille Iard et santé reproche également au tribunal d’avoir fait droit à la demande de capitalisation des intérêts présentée par Madame [E] au motif que cette demande n’est pas justifiée et qu’elle a déjà été indemnisée au titre du doublement des intérêts.

L’article 1343-2 du code civil dispose que les intérêts échus dus au moins pour une année entière, produisent intérêt au taux légal si une décision de justice le précise.

Il s’agit d’une disposition d’ordre public dont il ne peut être soutenu qu’elle ferait double emploi avec la sanction du doublement des intérêts, alors qu’il s’agit d’une disposition totalement distincte de celle de l’article L.211-13 du code des assurances, qui ne trouve d’ailleurs à s’appliquer qu’en l’absence de règlement de la condamnation par le débiteuret ne vise que les intérêts échus dus pour une année entière.

Dès lors que Madame [E] en a fait la demande, le tribunal pouvait donc ordonner la capitalisation des intérêts en vertu de l’article 1343-2 du code civil.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

L’équité commande de confirmer le jugement entrepris qui a condamné la Compagnie AVIVA Assurances aux droits de laquelle vient la Compagnie Abeille Iard et Santé, à payer à Madame [E] une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, de la condamner à lui payer une somme de 5.000,00 € au titre de l’article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991, et de la débouter de sa demande à ce titre.

Succombant, la Compagnie Abeille Iard et Santé sera condamnée aux dépens d’appel, le jugement étant confirmé en ce qui l’a condamnée aux dépens de première instance, ce, avec droit de recouvrement direct au profit du conseil de Madame [E] en application de l’article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, rendu en dernier ressort, mis à disposition au greffe,

DÉBOUTE la société Abeille Iard et Santé de sa demande en nullité du jugement du tribunal judiciaire de Caen du 11 mars 2022,

INFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Caen du 11 mars 2022 en ce qu’il a :

– fixé l’indemnité due au titre de l’assistance à tierce personne permanente à la somme de 37.066,45 €,

– condamné la société Aviva Assurances à payer à Madame [J] [P] divorce [E] la somme de 84.017,29 €, soit 78.017,29 € après déduction de la provision de 6.000,00 € déjà allouée,

– dit que les indemnités fixées au titre de l’évaluation du préjudice de Madame [J] [P] divorcée [E] à hauteur de 97.620,85 €, avant imputation de la créance des tiers payeurs et sans tenir compte des provisions versées produiront intérêts au double du taux d’intérêt légal à compter du 15 juin 2015 et jusqu’au jour où le présent jugement aura un caractère définitif,

– rejeté la demande d’intérêts au double du taux d’intérêt légal de Madame [J] [P] divorcée [E] ès qualité de représentante légale de ses enfants mineurs [U] et [H] [E],

LE CONFIRME pour le surplus, sauf à actualiser les postes relatifs aux frais divers et à l’assistance à tierce personne temporaire,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

FIXE l’indemnité due au titre du préjudice relatif aux frais divers actualisé à la somme de 3.590,76 €,

FIXE l’indemnité due au titre du préjudice relatif à l’assistance à tierce personne temporaire actualisé à la somme de 16.588,79 €,

FIXE l’indemnité due au titre de l’indemnité due au titre du préjudice relatif à l’assistance à tierce personne permanente à la somme de 47.144,46 €,

En conséquence,

FIXE le préjudice total de Madame [J] [P] divorcée [E] comme suit :

* dépenses de santé actuelles : 13.603,56 €

* frais divers : 3.590,76 €

* assistance tierce personne temporaire: 16.588,79 €

* assistance d’un tierce personne permanente : 47.144,46 €

* déficit fonctionnel temporaire : 2.613,00 €

* souffrances endurées : 8.000,00 €

* préjudice esthétique temporaire : 1.000,00 €

* déficit fonctionnel permanent : 16.280,00 €

Total : 108.820,57 €

CONDAMNE la société Abeille Iard et Santé à payer à Madame [J] [P] divorcée [E] la somme totale de 89.217,01 € après déduction de la provision de 6.000,00 € déjà versée, et de la créance de la CPAM d’un montant de 13.603,56 €,

DIT que les indemnités fixées au titre de l’évaluation du préjudice de Madame [J] [P] divorcée [E] à hauteur de 108.820,57 €, avant imputation de la créance des tiers payeurs et sans tenir compte des provisions versées produiront intérêts au double du taux d’intérêt légal à compter du 23 octobre 2016 et jusqu’au jour où le présent arrêt aura un caractère définitif,

CONDAMNE la société Abeille Iard et Santé à payer à Madame [J] [P] divorcée [E] ès qualités de représentante légale de sa fille mineure, [H] [E], et à Monsieur [U] [E], les intérêts au double du taux légal sur l’indemnité qui leur a été allouée à chacun, ce, à compter du 30 mars 2020 et jusqu’au jour où le présent arrêt sera devenu définitif,

CONDAMNE la société Abeille Iard et Santé à payer à Madame [J] [P] divorcée [E] une somme de 5.000,00 € en application de l’article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991,

DÉBOUTE la société Abeille Iard et Santé de l’ensemble de ses demandes, en ce compris celle formée en application de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Abeille Iard et Santé aux dépens d’appel avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Dupont-Barrelier, en application de l’article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

M. COLLET G. [D]


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