Cour d’appel de Bastia,Ch. civile B, 6 juillet 2011, 10/00218

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Cour d’appel de Bastia,Ch. civile B, 6 juillet 2011, 10/00218

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Ch. civile B

ARRET

du 06 JUILLET 2011

R.G : 10/00218 C-PH

Décision déférée à la Cour :

jugement du 05 février 2010

Tribunal de Commerce de BASTIA

R.G : 08/951

SARL VIA CORSA

C/

S.A.R.L. SOCIETE ROUTIERE DE HAUTE CORSE

COUR D’APPEL DE BASTIA

CHAMBRE CIVILE

ARRET DU

SIX JUILLET DEUX MILLE ONZE

APPELANTE :

SARL VIA CORSA

Prise en la personne de son représentant légal

RN 193

CASATORRA

20620 BIGUGLIA

représentée par la SCP René JOBIN Philippe JOBIN, avoués à la Cour

assistée de la SCP RETALI-GENISSIEUX, avocats au barreau de BASTIA

INTIMEE :

S.A.R.L. SOCIETE ROUTIERE DE HAUTE CORSE

Prise en la personne de son représentant légal en exercice

R.N. 193

B.P 43

20620 BIGUGLIA

représentée par Me Antoine-Paul ALBERTINI, avoué à la Cour

assistée de Me Anne-Christine BARRATIER, avocat au barreau de BASTIA

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 910 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 13 mai 2011, devant Monsieur Philippe HOAREAU, Conseiller, chargé du rapport, les avocats ne s’y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Jean BRUNET, Président de Chambre

Monsieur Philippe HOAREAU, Conseiller

Madame Marie-Paule ALZEARI, Conseiller

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Madame Marie-Jeanne ORSINI.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 06 juillet 2011.

ARRET :

Contradictoire,

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Philippe HOAREAU, Conseiller, le Président de Chambre empêché, et par Madame Marie-Jeanne ORSINI, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*

* *

Vu le jugement du 5 février 2010 du Tribunal de commerce de BASTIA qui a :

rejeté l’opposition de la Société VIA CORSA et confirmé l’ordonnance d’injonction de payer du 22 février 2008,

condamné la Société VIA CORSA à payer à la Société Routière de Haute-Corse la somme de 149 708,10 euros avec intérêts de droit à compter du 27 février 2008, date de la signification de l’ordonnance,

condamné en sus la Société VIA CORSA à payer à la Société Routière de Haute-Corse la somme de 1 926,81 euros, montant de deux factures impayées, avec intérêts de droit à compter du jugement,

condamné la Société VIA CORSA à payer à la Société Routière de Haute-Corse la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

condamné la Société VIA CORSA aux entiers dépens comprenant les frais de la procédure d’injonction de payer, les frais de signification et le coût des actes d’huissier.

Vu la déclaration d’appel déposée le 15 mars 2010 pour la Société VIA CORSA.

Vu les dernières conclusions du 17 septembre 2010 de la Société VIA CORSA aux fins d’infirmation du jugement entrepris :

de voir constater et au besoin dire et juger que les pratiques de la Société Routière de Haute-Corse (S.R.H.C) sont discriminatoires et abusives, qu’elles sont constitutives d’une faute à son égard et que cette faute prive la S.R.H.C de toute créance à son encontre, la condamner à lui payer, en tant que de besoin, à titre de dommages-intérêts une somme égale au montant de la créance alléguée de 149 708,10 euros, la condamner au paiement de la somme de 1 707 613 euros en réparation de son préjudice,

subsidiairement, dire que cette somme de 1 707 613 euros se compensera avec la créance de la S.R.H.C et condamner la S.R.H.C à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de première instance et d’appel,

plus subsidiairement encore d’ordonner une expertise avec mission en particulier de déterminer les pratiques de vente et de fixation des prix par la S.R.H.C à son égard en tenant compte des conditions d’approvisionnement, du prix de revient des produits vendus et des prix pratiqués sur le Continent et dans le département limitrophe de Corse du Sud, et en ce cas réserver les dépens.

Vu les dernières conclusions de la S.R.H.C du 26 novembre 2010 aux fins de confirmation du jugement entrepris sauf en ce qui concerne le point de départ des intérêts, de voir rejeter l’ensemble de demandes de la Société VIA CORSA, condamner la Société VIA CORSA à payer les intérêts de droit sur la somme de 149 708,10 euros et sur celle de 1 926,81 euros à compter de date d’échéance des factures représentant lesdits soldes, soit la somme de 149 708,10 euros pour 2005 et 1 926,81 euros pour 2007, y ajoutant de voir condamner la Société VIA CORSA au paiement de la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts, rejeter la demande d’expertise sollicitée et condamner la Société VIA CORSA au paiement d’une de 3 500 eruuos en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Vu l’ordonnance de clôture du 9 février 2011.

*

* *

La S.R.H.C a obtenu le 22 février 2008 une ordonnance d’injonction de payer à l’encontre de la Société VIA CORSA pour un montant de 149 708,10 euros augmentée des intérêts de droit à compter de l’ordonnance, au titre des factures impayées d’enrobé et d’émulsion.

Cette ordonnance a été signifiée le 27 février 2008 à personne à la Société VIA CORSA qui en a formé opposition le 19 mars 2008.

Par jugement du 5 février 2010, le Tribunal de commerce de BASTIA a rejeté l’opposition et a condamné la Société VIA CORSA au paiement de la somme de 149 708,10 euros avec intérêts à compter de la signification de l’ordonnance, le 27 février 2008, de celle de 1 926,81 euros avec intérêts à compter du jugement, au titre de deux autres factures impayées et de celle de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, en relevant que l’abus de position dominante allégué par la Société VIA CORSA n’était pas démontré du fait qu’il existait localement une autre entreprise, la Société Corse Travaux qui offrait des prestations de même nature et que les prix facturés à la Société VIA CORSA par la S.R.H.C étaient moins élevés que ceux accordés à diverses entreprises locales.

Devant la Cour, la Société VIA CORSA précise qu’elle achète de l’enrobé et de l’émulsion à la S.R.H.C qui est également sa concurrente pour la mise en oeuvre de l’enrobé.

Elle invoque l’article L 422-6 1o du code de commerce, applicable avant la promulgation de la loi du 4 août 2008 et soutient que la S.R.H.C a pratiqué des conditions de vente reposant sur l’état de dépendances dans lequel elle a été placée puis maintenue.

Elle précise que son activité se situant dans la région de BASTIA il ne lui est pas possible de s’approvisionner auprès de la Société Corse Travaux à ALERIA ou en BALAGNE en raison du surcoût afférent au transport.

Elle indique que la S.R.H.C est son fournisseur exclusif et lui impose des conditions d’achat à un prix unitaire très élevé.

Elle compare les prix pratiqués en CORSE et sur le Continent et considère que la S.R.H.C impose des prix abusivement majorés, réduit de facto la concurrence et lui cause un préjudice économique important qui mérite réparation et sera mis en lumière par la mesure d’instruction qu’elle demande à titre subsidiaire.

Elle se réfère à une attestation de Monsieur Y…, ancien chef de centre de la S.R.H.C, pour soutenir que l’intimée a interrompu brutalement l’application d’un accord, la plaçant dès 2005 dans une position financière déséquilibrée vis à vis de son unique fournisseur en violation de l’article L 422-6 5o du code de commerce.

Elle invoque l’existence de pratiques discriminatoires et abusives qui engagent la responsabilité de la S.R.H.C et devraient la conduire à réparer la perte financière provoquée.

La S.R.H.C réplique en contestant les moyens avancés par la Société VIA CORSA pour, selon elle, retarder le paiement d’une dette ancienne dont elle n’avait, avant la procédure d’injonction de payer, jamais contesté le principe ni l’exigibilité.

Elle soutient que les pratiques discriminatoires invoquées et l’abus dans la fixation du prix de vente doivent être appréciées en référence à la rédaction de l’article L 442-6 alinéa 1er du code de commerce tel qu’il résulte de la loi du 4 août 2008 applicable au litige mais que, même sous l’empire de la loi ancienne, les demandes de la Société VIA CORSA ne sauraient aboutir du fait qu’elle pouvait s’approvisionner localement auprès de la Société Corse Travaux et qu’elle a bénéficié de prix inférieurs à ceux accordés à d’autres entreprises locales.

Elle précise n’être pas en situation de monopole et signale que la Société SN SOVIACO qui a racheté le fonds de commerce de l’appelante s’approvisionne indifféremment auprès d’elle ou de la Société Corse Travaux.

Elle avance l’impact significatif du coût du transport et l’importance des charges fixes au regard des faibles volumes industriels pour justifier les prix pratiqués par elle comparés à ceux du Continent.

Elle conteste l’état de dépendance économique avancé par la Société VIA CORSA et précise que depuis 2003 elle accepte que la majorité des règlements des factures de cette société s’opère par compensation et lui accorde une remise de 25 %, supérieure à celle dont bénéficient les autres clients.

Elle souligne que la dette date de plus de cinq ans et que la Société VIA CORSA a reconnu sa dette dans le cadre d’une procédure antérieure et a proposé des modalités de paiement jamais respectées.

Elle conteste la demande de dommages-intérêts présentée par la Société VIA CORSA et entend obtenir sa condamnation au paiement des intérêts à compter de la date d’échéance des factures en cause ainsi qu’au paiement d’une somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts justifiée par sa mauvaise foi et les conséquences financières du refus de paiement.

*

* *

MOTIFS :

Attendu qu’une société commerciale qui a vendu son fonds de commerce sans s’acquitter de dettes anciennes peut regretter que les conditions d’une concurrence pure et parfaite ne soient pas remplies dans le monde insulaire mais qu’il lui appartient en application de l’article 9 du code de procédure civile de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de ses prétentions ;

Attendu qu’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur le caractère économiquement justifié des prix pratiqués par la S.R.H.C mais seulement sur l’existence de pratiques discriminatoires et abusives imposées à la Société VIA CORSA qui a fait le choix de recourir à un fournisseur exclusif, se trouvant par ailleurs être un concurrent dans la mise en oeuvre de l’enrobé, alors qu’elle aurait pu s’abstenir de contracter avec la S.R.H.C, exercer son activité sur un secteur permettant de s’approvisionner auprès d’une autre société ou recourir à un fournisseur continental ;

Attendu que l’analyse des factures émises à l’égard de sociétés concurrentes de l’appelante versées aux débats démontre que la Société VIA CORSA ne se voyait pas appliquer des prix unitaires plus élevés que ses concurrents et qu’elle bénéficiait de remises importantes ;

Attendu que l’appelante ne démontre pas l’existence de pratiques discriminatoires ni le caractère manifestement disproportionné du prix au regard du service rendu au sens de l’article L 442-6, 1o du code de commerce dans sa rédaction résultant de la loi du 4 août 2008 ;

Attendu que l’appelante invoque l’article L 442-6, 5o du code de commerce et l’existence d’une rupture brutale d’une relation commerciale mais le litige est intervenu à l’occasion d’une demande en paiement afférente à des factures anciennes que la Société VIA CORSA ne contestait pas avant la présente instance ;

Attendu que la lettre du 29 décembre 2006 adressée par la S.R.H.C à l’appelante pour lui indiquer une modification des conditions de règlement et la mise en place d’un paiement à la livraison précise que cette décision intervient après plusieurs relances et alors que le solde des factures impayées s’élève à 237 444,27 euros ;

Attendu que la preuve d’une situation de dépendance économique ne peut résulter du simple fait que la S.R.H.C acceptait des paiements par compensation, toujours préférables à une absence de règlement ;

Attendu que l’attestation de Monsieur Y… versée aux débats par l’appelante précise le contexte dans lequel le contrat de sous-traitance a été conclu entre la Société VIA CORSA et la S.R.H.C mais ne démontre pas la dépendance économique ou les pratiques abusives dont fait état l’appelante ;

Attendu que les factures et pièces comptables produites établissent en revanche que la S.R.H.C a justifié de la réalité de sa créance ; qu’il y aura lieu en conséquence de rejeter l’ensemble des demandes principales ou subsidiaires de la Société VIA CORSA et de confirmer le jugement entrepris ;

Attendu que les parties avaient mis en place un mécanisme de compensation qui fait obstacle à voir retenir la date d’échéance des factures comme point de départ des intérêts moratoires ; qu’il y aura lieu de rejeter la demande présentée à ce titre par la S.R.H.C ;

Attendu que l’intimée ne démontre pas l’existence d’un préjudice distinct de celui réparé par les intérêts moratoires pas plus que le caractère abusif du comportement de l’appelante ; que sa demande de dommages-intérêts sera en conséquence rejetée ;

Attendu que l’équité commande, s’agissant de l’application de l’article 700 du code de procédure civile, d’accueillir à hauteur de la somme de 3 000 euros la demande présentée de ce chef par la S.R.H.C en sus de la condamnation de première instance ;

Attendu que la Société VIA CORSA qui succombe supportera les entiers dépens de l’instance.

*

* *

PAR CES MOTIFS,

LA COUR :

Confirme le jugement du Tribunal de commerce de BASTIA du 5 février 2010 en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Rejette l’ensemble des demandes de la Société VIA CORSA ainsi que la demande de dommages-intérêts et la demande relative au point de départ des intérêts moratoires présentées par la Société Routière de Haute-Corse,

Condamne la Société VIA CORSA à payer à la Société Routière de Haute-Corse la somme de TROIS MILLE EUROS (3 000 €) au titre des frais irrépétibles d’appel en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la Société VIA CORSA aux entiers dépens.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


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