Cour d’appel de Basse-Terre, 24 septembre 2012, 11/00675

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Cour d’appel de Basse-Terre, 24 septembre 2012, 11/00675

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE BASSE-TERRE

CHAMBRE SOCIALE

ARRET No 346 DU VINGT QUATRE SEPTEMBRE DEUX MILLE DOUZE

AFFAIRE No : 11/ 00675

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes de Pointe à Pitre du 5 avril 2011.

APPELANTS

SOCIETE CASINO DU GOSIER

43 Pointe de la Verdure

97190 LE GOSIER

Représentée par Maître GARRIC-FAYET subsituant Maître Isabelle OLLIVIER, avocats au barreau de Fort de France

Monsieur Pascal Y…

97180 SAINTE ANNE

Représenté par Maître Maryan MOUGEY (Toque 8), avocat au barreau de la Guadeloupe

INTIMÉS

Monsieur Pascal Y…

97180 SAINT ANNE

Représenté par Maître Maryan MOUGEY (Toque 8), avocat au barreau de la Guadeloupe

SOCIETE CASINO DU GOSIER

Pointe de la Verdure

97190 LE GOSIER

Représentée par Maître GARRIC-FAYET subsituant Maître Isabelle OLLIVIER, avocats au barreau de Fort de France

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 25 Juin 2012, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant M. Bernard ROUSSEAU, président de chambre, chargé d’instruire l’affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Bernard ROUSSEAU, Président de chambre, président, rapporteur

M. Jacques FOUASSE, conseiller,

Mme Marie-Josée BOLNET, conseiller.

Les parties ont été avisées à l’issue des débats de ce que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 24 septembre 2012

GREFFIER Lors des débats Mme Valérie FRANCILLETTE, Greffier.

ARRET :

Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l’article 450 al 2 du CPC.

Signé par M. Bernard ROUSSEAU, Président de chambre, président, et par Mme Valérie FRANCILLETTE, Greffier, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.

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Faits et procédure :

Un contrat de travail à durée indéterminée était signé le 12 février 1999 entre la Société CASINO CARAÏBE CLUB, devenue Société CASINO du GOSIER, et M. Y…, aux termes duquel celui-ci était engagé en qualité de directeur adjoint des machines à sous à l’issue d’une  » Période d’Adaptation à l’Entreprise  » d’une durée de six mois, devant prendre fin le 5 mai 1999, dont il bénéficiait en sa qualité de militaire retraité.

M. Y…faisait citer son employeur devant le bureau de conciliation du Conseil de Prud’hommes de Pointe-à-Pitre le 5 mars 2010 pour des faits de harcèlement moral, discrimination et non règlement d’une partie de sa rémunération.

Les parties n’ayant pu se concilier à l’audience du 23 mars 2010, l’affaire était renvoyée devant le bureau de jugement.

Le 6 avril 2010, M. Y…, à la suite d’une première visite médicale de reprise, était déclaré inapte au poste par le médecin du travail, lequel a conclu toutefois qu’il était apte à un poste à domicile en télétravail, à temps partiel.

Le médecin du travail confirmait cette inaptitude, lors de la seconde visite qui s’est tenue le 21 avril 2010, dans les termes suivants : « inapte définitif, même recommandation qu’à la première visite ».

Le 20 mai 2010 M. Y…était convoqué à un entretien préalable à un licenciement.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 25 mai 2010, M. Y…était licencié pour impossibilité de reclassement consécutif à son inaptitude.

Devant le conseil de prud’hommes, M. Y…demandait alors à la fois paiement d’indemnités au titre du préjudice moral, pour le coût de sa psychothérapie, pour l’absence d’évolution de sa rémunération, pour l’absence de versement de primes, pour la perte d’une chance d’évolution de carrière, et paiement d’un rappel de salaire et de diverses indemnités liées à la rupture du contrat de travail qu’il qualifiait d’illicite et dépourvue de cause réelle et sérieuse.

Par jugement du 5 avril 2011, la juridiction prud’homale, retenant la réalité du harcèlement moral et considérant que le licenciement était nul, condamnait la Société CASINO du GOSIER à payer à M. Y…les sommes suivantes :

-50 000 euros au titre du préjudice moral,

-5055, 65 euros à titre de rappel de salaire pour le 13e mois,

-1000 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement,

-44 064 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-44 064 euros à titre d’indemnité en raison du caractère illicite du licenciement,

-11 016 euros à titre d’indemnité pour l’absence de contrepartie financière de la clause de non-concurrence,

-3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

M. Y…était débouté du surplus de ses demandes.

Par déclaration adressée le 26 avril 2011, la Société CASINO du GOSIER interjetait appel de cette décision.

Par déclaration du 10 mai 2011, M. Y…interjetait appel du jugement.

Les deux instances d’appel étaient jointes par décision du 14 novembre 2011.

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Par conclusions du 19 janvier 2012, auxquelles il a été fait référence lors de l’audience des débats, la Société CASINO du GOSIER demande à titre principal qu’il soit sursis à statuer en l’attente de la décision sur la plainte pénale avec constitution de partie civile en date du 24 juillet 2009 déposée par M. Y….

À titre subsidiaire la Société CASINO du GOSIER sollicite l’infirmation du jugement déféré et entend voir juger que M. Y…n’a pas fait l’objet de faits de harcèlement moral, que son licenciement n’est pas nul, mais qu’il est justifié. Elle entend voir constater que le salarié a perçu son indemnité de licenciement et que la clause de non-concurrence a été levée. Elle conclut au rejet des demandes de M. Y…et réclame paiement de la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La Société CASINO du GOSIER expose que les critères posés par la loi et la jurisprudence comme étant constitutifs du harcèlement moral ne sont pas réunies, les faits invoqués par M. Y…étant soit inexacts, soit ne pouvant être considérés comme constitutifs de harcèlement moral. Elle fait valoir notamment que les salaires des cadres du casino étant individualisés, et qu’il n’est pas démontré que M. Y…ait été traité différemment des autres cadres, ni que l’intéressé aurait été écarté d’augmentations générales de 3 % l’an accordées aux cadres, précisant qu’il n’y a pas eu d’évolution de salaires des cadres du casino de 3 % en moyenne, les demandes de M. Y…qui prétend avoir été privé d’une évolution de salaire de 3 % en moyenne, étant donc infondées.

La Société CASINO du GOSIER ajoute que dans ses comparaisons M. Y…oublie de faire référence à son salaire brut annuel, qui comprend les primes qu’il a perçues et qui ne peuvent être exclues de ses comparaisons. En ce qui concerne la perte de chance de faire évoluer sa carrière, la Société CASINO du GOSIER fait valoir que M. Y…n’apporte aucune justification.

En ce qui concerne la demande de 13e mois pour les années 2008 et 2009, la Société CASINO du GOSIER explique que ce 13e mois est destiné à rémunérer une activité effective du salarié, et que cette prime doit être proratisée lorsque le salarié est absent une partie de l’année.

La Société CASINO du GOSIER conteste la nullité du licenciement en tant que conséquence du harcèlement moral allégué par M. Y…, exposant qu’il est pas démontré que l’inaptitude, qui justifie le licenciement en l’absence de possibilité de reclassement, et qui serait liée à sa dépression, serait le résultat d’un harcèlement moral qu’il aurait subi.

****

Par conclusions notifiées à la partie adverse le 31 mai 2012, auxquelles il a été fait référence lors de l’audience des débats, M. Y…sollicite le rejet de la demande de sursis à statuer et entend voir confirmer le jugement entrepris :

– en ce qu’il a dit que le harcèlement moral était établi et que le licenciement était nul,

– en ce qu’il lui a alloué la somme de 50 000 euros au titre du préjudice moral résultant de la dépression subie, et celle de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Il conclut à l’infirmation du jugement déféré pour le surplus.

Demandant à la Cour de statuer à nouveau il entend voir condamner la Société CASINO du GOSIER à lui payer les sommes suivantes :

-5200 euros représentant le coût de sa psychothérapie non remboursée par la sécurité sociale,

-77 281, 53 euros au titre du préjudice consécutif à l’absence d’évolution de sa rémunération compte tenu de la discrimination dont il a fait l’objet en rapport avec le harcèlement subi,

-7000 euros au titre du préjudice consécutif à l’absence de versement de primes compte tenu de la discrimination dont il a fait l’objet, toujours en rapport avec le harcèlement subi,

-5000 euros au titre du préjudice consécutif à la perte d’une chance d’évolution de carrière,

-5055, 65 euros de rappel de salaire au titre du 13e mois.

-1 608 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,

-12 729, 60 euros d’indemnité compensatrice de préavis,

-1272, 90 euros d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

-95 472 euros d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (2 ans de salaires),

-95 472 euros d’indemnité en raison du caractère illicite du licenciement,

-11 016 euros d’indemnité pour absence de contrepartie financière de la clause de non-concurrence.

À titre subsidiaire, invoquant les dispositions de l’article 1226-2 du code du travail, il entend voir constater que la Société CASINO du GOSIER a manqué à son obligation de reclassement du salarié, et qu’en conséquence son licenciement est sans cause réelle et sérieuse. Il réclame à ce titre paiement des indemnités de rupture telles que déterminées ci-avant.

Il réclame paiement de la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

À l’appui de ses demandes M. Y…explique que l’origine du conflit a pris naissance entre lui-même et M. Z…, actionnaire majoritaire du casino, lorsqu’après avoir accepté en décembre 1999, en plus de ses fonctions habituelles, et contre la promesse d’une compensation financière, de superviser les travaux de construction d’extension du casino et d’assurer provisoirement l’intérim du directeur du département machine à sous, il a, en février 2000 sollicité l’augmentation de salaire qui lui avait été promise, celle-ci lui ayant été, contre toute attente refusée. Selon M. Y…à partir de ce moment il aurait fait l’objet d’une véritable mise à l’écart de la part de l’actionnaire principal qui l’avait manifestement « pris en grippe ».

Il fait état de la surcharge importante de travail qu’il a dû supporter, et du peu de considération qui en est résultée pour lui, ainsi que de dénigrements de la part de la direction, et de discrimination en ce qui concerne les primes et augmentations de salaire allouées aux cadres. Il invoquait des incidents survenus en mai 2008 avec des techniciens, pour lesquels il n’aurait fait l’objet d’aucun soutien de la part de la direction, ayant dû être hospitalisé à la suite de ces incidents pour dépression majeure. Précisant que lorsqu’il a saisi le conseil de prud’hommes, il était, près de 2 ans après les faits, toujours en arrêt maladie de longue durée. Il fait état d’un suivi psychiatrique et en particulier du rapport d’un psychologue clinicien et psychothérapeute.

En ce qui concerne la nullité de son licenciement, M. Y…soutient qu’il est parfaitement établi que son inaptitude n’est qu’une des conséquences du harcèlement moral dont il a fait l’objet depuis de nombreuses années, et qu’il est ainsi fondé à solliciter les indemnités de rupture proprement dites, mais aussi l’indemnité spécifique résultant du caractère illicite du licenciement telle que prévue par les dispositions de l’article L 1235-11 du code du travail.

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Motifs de la décision :

Sur la demande de sursis à statuer :

Il ressort des pièces produites que la plainte déposée le 24 juillet 2009 par M. Y…à l’encontre du casino, de M. A…et de M. Z…pour harcèlement moral, a été adressée au Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de Pointe-à-Pitre. Cette plainte en elle-même ne mettant pas en mouvement l’action publique, il n’y a pas lieu de surseoir à statuer en l’attente d’une décision sur une telle action.

Sur la demande de rappel de salaire :

Dans ses attestations des 24 juin et 5 octobre 2000, M. A…, en sa qualité de président du directoire de la Société CASINO du GOSIER, certifie que M. Y…perçoit un revenu annuel brut de 299 000 francs payables sur 13 mois.

Il en résulte que le salaire annuel de M. Y…est payé sur 13 mois, et que les sommes versées au titre du 13e mois font partie intégrante de son salaire de base, et ne constituent pas une prime allouée en fonction du travail effectif dans l’entreprise, et ne sauraient être suspendues en cas de congé maladie.

M. Y…n’ayant perçu que la somme de 2288, 35 euros en 2008 au titre de son 13e mois, au lieu de 3672 euros, et n’ayant rien perçu en 2009 au titre de ce 13e mois, a droit au paiement de la somme de 5055, 65 euros à titre de rappel de salaire.

Sur les faits de harcèlement moral allégués par M. Y…:

L’examen du tableau comparatif des salaires des membres du comité de direction établi à partir de l’année 2001 sur la base des bulletins de paie des intéressés, fait apparaître, à partir de l’année 2002 une nette disparité non seulement entre les montants des primes exceptionnelles allouées d’une part à M. Y…et d’autre part à ses collègues, mais également dans l’évolution des salaires de base.

Ainsi le salaire de base de M. Y…est resté stable depuis son embauche en 1999 jusqu’en février 2007, une augmentation de 2, 67 % lui ayant été accordée en mars 2007, puis une seconde de 2 % en avril 2008, alors qu’au cours de la période 2001 à février 2007 ses collègues ont bénéficié de plusieurs augmentations substantielles, généralement au moins deux augmentations de 5 à 6 %, atteignant parfois même 11 %.

On peut relever également que si M. Y…a bénéficié en mars 2007 d’une augmentation de 2, 67 %, il s’agit de l’augmentation la plus faible accordée à cette date aux membres du comité de direction, les augmentations allouées à la même époque aux collègues de M. Y…s’étageant entre 2, 73 % et 3, 57 %, l’augmentation accordée en avril 2008 étant cette fois ci, seulement, uniformément fixée à 2 % pour l’ensemble des membres du comité de direction.

On constate donc une discrimination flagrante dans l’évolution des rémunérations des membres du comité de direction au cours de la période 2001 à 2008, au désavantage de M. Y….

Si celui-ci a pu au cours de l’année 2000 bénéficier de plusieurs primes, comme le relève la Société CASINO du GOSIER, il y a lieu de rappeler qu’en décembre 1999 M. Y…a accepté, en plus de ses fonctions habituelles, d’assumer des tâches supplémentaires à savoir :

– superviser les travaux de construction de l’extension du casino,

– assurer provisoirement l’intérim du directeur du département machines à sous, suite au départ de ce dernier.

M. Y…a donc dû faire face à une surcharge de travail qui justifiait amplement les primes accordées à hauteur de 9811 euros pour l’année 2000, le montant desdites primes apparaissant loin d’être suffisantes pour assurer la contrepartie des tâches supplémentaires confiées à M. Y…. Cette surcharge de travail était telle que dans la nuit du 9 au 10 avril 2000, M. Y…a été hospitalisé au CHU de Pointe-à-Pitre pour surmenage et épuisement, ayant totalisé du 1er avril au 9 avril 101 heures de travail sans jour de repos (cf. tableau de service figurant pièce no10 du dossier de M. Y…et récapitulatif adressé le 10 août 2000 au directeur de la société M. A…).

Hormis l’attribution de ces primes au cours de l’année 2000, il n’apparaît pas que l’investissement de M. Y…ait été réellement apprécié par sa hiérarchie. Ainsi il relate que dès son arrivée en août 2000, le nouveau directeur du département machine à sous, M. B…a remis en cause le travail effectué au cours de son intérim en lui signifiant publiquement « tu n’as pas être fier du travail qui a été fait ».

Une illustration de ce manque de considération pour l’implication de M. Y…dans l’intérim et les travaux supplémentaire assurés, apparaît dans l’exclusion tardive de celui-ci du voyage organisé à Las Vegas, auquel il avait été initialement convié après avoir participé à la gestion et à la résolution d’un conflit social.

Dans son attestation, M. Michel C…indique que lors d’une réunion des cadres, membres du comité de direction, il a été fait part à l’ensemble des personnels présents que M. Y…ne bénéficierait ni de la prime, ni de l’augmentation accordées à tous les autres cadres, ce qui confirme la discrimination constatée à partir de l’examen des bulletins de paie.

Dans un message adressé en juillet 2004 au directeur M. A…, M. Y…fait observer que le rapport d’audit de M. D…met en exergue la qualité du travail qu’il a réalisé et sa compétence, ce dernier mentionnant « M. Y…assure plus spécialement la gestion du parc MAS et sa rigueur et sa méticulosité sont avérées ».

Après avoir rappelé à son directeur qu’il avait été exclu du voyage à Las Vegas en 2001 puis en 2003, M. Y…relève qu’en février 2003 il avait été accordé à tous les cadres une prime dont il avait été exclu, et lui fait savoir comment, en novembre 2003, au cours d’un entretien avec M. Z…, actionnaire majoritaire, celui-ci lui avait fait part de son souhait de le voir quitter l’entreprise, sans aucune compensation, en utilisation une métaphore le concernant : « une verrue sur le nez dont il faut faire l’ablation ».

Il poursuivait son message en rappelant qu’au mois de février 2004, au cours d’un repas, M. Z…lui avait adressé devant M. A…et une partie des cadres présents, ses félicitations pour le travail effectué, l’actionnaire majoritaire reconnaissant son erreur et par là même avoir été mal informé à l’époque de l’entretien de novembre 2003, ses sources d’information n’ayant pas fait preuve, selon lui, d’objectivité et d’impartialité dans leur jugement.

Se prévalant des dernières appréciations de M. Z…et du compte rendu de l’audit, M. Y…sollicitait auprès du directeur M. A…un entretien d’ordre professionnel en vue d’obtenir une « régularisation financière de ce qui injustement ne (lui) a pas été accordé ».

Il y a lieu de constater que la direction du casino ne donnera aucune suite à la demande de revalorisation de sa rémunération, M. Y…ne bénéficiant que près de 3 ans plus tard d’une augmentation de salaire, en mars 2007, au demeurant inférieure à celle de ses collègues.

Il apparaît également que le peu de considération de la direction à l’égard de M. Y…, ait rendu plus difficile l’exercice par celui-ci de ses fonctions de directeur adjoint des machine à sous, notamment quand il assurait l’intérim du directeur desdites machines. Ainsi dans un message de janvier 2005 adressé à M. A…, M. Y…fait part de l’opposition exprimée à l’encontre de ses instructions.

Au demeurant il ressort de l’organigramme établi par la direction pour le département machine à sous, que la qualité de directeur adjoint de M. Y…est passée sous silence, puisqu’il figure au même rang que les membres du comité de direction qu’il encadre, et qui plus est en dernière place de ce rang.

Le manque de soutien de la direction à l’égard de M. Y…, se manifestera de façon flagrante, lors d’incidents survenus en mai 2008, dans le cadre desquels M. Y…n’a jamais bénéficié du soutien de sa direction, ayant été obligé, à la suite d’un problème de planning, et afin de rouvrir l’entreprise, de formuler des excuses publiques, pour avoir soi-disant insulté un technicien au téléphone, et été contraint d’assumer la fonction de technicien lui-même jusqu’à 21 heures.

En outre, alors que le 27 mai 2008, en présence de membres du comité de direction et de techniciens, l’un de ceux-ci insulte et menace M. Y…de la façon suivante : « j’en ai plein le cul de vos conneries et je vais vous éclater votre petite gueule », le directeur M. A…, auprès duquel M. Y…était venu relater l’incident, s’abstenant de toute intervention à l’égard du technicien fautif, se borne à proposer à M. Y…de prendre quelques jours de repos.

C’est d’ailleurs à la suite de cet incident pour lequel la direction a fait preuve d’inertie, et a choisi de mettre à l’écart M. Y…, voire le désavouer, que ce dernier est tombé dans une dépression profonde, ayant nécessité son hospitalisation au CHU de Pointe-à-Pitre, et a subi à la suite un arrêt maladie de longue durée.

Les documents médicaux produits par M. Y…montrent que celui-ci a subi un état de dépression durant de nombreux mois, étant victime d’une situation de névrose post-traumatique, réactionnelle aux conditions de travail, la caisse de sécurité sociale lui notifiant une prise en charge à 100 % pour une affection de longue durée.

Cette dépression n’était pas sans incidence sur la carrière de M. Y…puisque le 6 avril 2010 le médecin du travail délivrait une première fiche de visite concluant à l’inaptitude de l’intéressé à son poste, précisant qu’il était apte à un poste à domicile en télétravail, à temps partiel, une seconde visite devant être effectuée le 21 avril 2010. À cette date une seconde fiche de visite était établie par le médecin du travail concluant à une inaptitude définitive avec les mêmes recommandations qu’à la première visite.

Compte tenu de la discrimination dont M. Y…a fait l’objet pendant plusieurs années quant au niveau de sa rémunération par rapport aux autres membres du comité de direction, et ce malgré l’investissement personnel et les charges qu’il avait acceptées d’assumer notamment en assurant à plusieurs reprises l’intérim de directeur des machines à sous, compte tenu du peu de considération dont il a fait l’objet et de l’absence de soutien de sa direction lors de conflits avec le personnel, cette attitude de la direction ayant entraîné une grave altération de sa santé physique et mentale et ayant compromis très sérieusement son avenir professionnel, il y a lieu de constater que le salarié a fait l’objet de la part de sa direction, d’un harcèlement moral tel que défini à l’article L 1152-1 du code du travail.

Ainsi M. Y…a dû subir, depuis au moins 2001, une attitude de la direction de la société ayant pour effet, sinon pour but, de le dévaloriser dans l’exercice de ses fonctions. Par ailleurs la gravité des troubles psychologiques engendrés par le harcèlement subi, l’a empêché à partir de mai 2008, d’exercer sa profession et a rendu nécessaire un traitement médicamenteux et une prise en charge psychothérapique au cours de l’année 2008 et 2009 comme en attestent les rapports et certificats médicaux produits aux débats. Compte tenu de ces constatations, le préjudice moral subi par M. Y…sera indemnisé par l’octroi d’une somme de 50 000 euros.

En ce qui concerne les frais de traitement thérapeutique, si M. Errol E…, psychologue et psychothérapeute, en estime le coût à 5200 euros, il n’est pas démontré qu’une telle somme soit restée à la charge de M. Y…, celui-ci étant pris en charge à 100 % au titre de longue maladie.

La discrimination entretenue par la direction à l’encontre de M. Y…ayant privé celui-ci d’une augmentation du salaire de base équivalente à celle de ses collègues, et l’ayant privé du versement de primes exceptionnelles telles que celles dont ont bénéficié ces derniers, M. Y…est fondé à réclamer indemnisation de ces préjudices à hauteur de 7000 euros.

Par ailleurs du seul fait du harcèlement moral subi par M. Y…, qui l’a conduit à interrompre son activité professionnelle en raison d’une très longue dépression, et a amené la médecine du travail à constater son inaptitude au poste de directeur adjoint des machines à sous, et à la nécessité de l’éloigner de son environnement de travail en lui confiant seulement du télétravail, a privé très sérieusement M. Y…de la possibilité de faire évoluer sa carrière alors qu’il apparaissait être capable d’assumer, comme il l’a fait à plusieurs reprises, des fonctions de directeur du département des machines à sous.

Pour la perte de chance de faire évoluer sa carrière professionnelle, M. Y…sera indemnisé à hauteur de 60 000 euros.

Sur la nullité du licenciement de M. Y…:

Selon les dispositions de l’article L 1152-3 du code du travail, toute rupture du contrat de travail intervenu en méconnaissance des dispositions, notamment de l’article L 1152-1 du même code est nul.

Le comportement de la direction de la Société CASINO du GOSIER, constitutif de harcèlement moral à l’égard de M. Y…, ayant provoqué l’inaptitude définitive de M. Y…, sur le fondement de laquelle son licenciement a été prononcé, il y a lieu de déclarer nul ce licenciement.

M. Y…ne sollicitant pas sa réintégration au sein de la Société CASINO du GOSIER, a droit d’une part aux indemnités de rupture et d’autre part à une indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement, laquelle devant être au moins égale à celle prévue par l’article L 1235-3 du code du travail.

Sur l’indemnisation du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement :

Le licenciement de M. Y…ayant mis fin à sa carrière professionnelle au sein de la Société CASINO du GOSIER, il en est résulté pour celui-ci une perte de ses revenus salariaux, et compte tenu de la spécificité des compétences acquises par M. Y…, et des possibilités extrêmement étroites de retrouver un poste équivalent au sein d’une entreprise analogue, le préjudice subi par celui-ci sera indemnisé par l’octroi d’une somme de 40 000 euros, étant relevé que les dispositions de l’article L 1135-11 du code du travail invoqué par le salarié prévoyant une indemnité minimale égale aux 12 derniers mois de salaire ne sont pas applicables en l’espèce puisque concernant la sanction d’irrégularités commises par l’employeur en matière de licenciement pour motif économique.

Sur les indemnités conventionnelles de rupture du contrat de travail :

La convention collective nationale des casinos du 29 mars 2002, étendue par arrêté du 2 avril 2003, applicable aux départements d’outre-mer en application de son article 1er, prévoit dans son article 25-2 une indemnité de licenciement égale à 1/ 6 ème de mois de salaire par année d’ancienneté pour chacune des 6 premières années et à partir de la 7e année pour les années suivantes à 1/ 3 de mois de salaire par année d’ancienneté, sans que le montant total de l’indemnité puisse dépasser 10 mois de salaire.

En conséquence, sur la base d’un revenu mensuel de 3978 euros, compte tenu du fait que la rémunération annuelle fait l’objet de 13 versements mensuels, l’indemnité légale de licenciement due à M. Y…qui a plus de 11 ans d’ancienneté s’élève à 10 608 euros. L’intéressé ayant déjà perçu à ce titre la somme de 9 112 euros, comme le montre son bulletin de paie du mois de mai 2005, il lui reste dû la somme de 1 496 euros.

Le même texte prévoit que pour les cadres, le préavis est de 3 mois. Par ailleurs compte tenu du fait que l’inaptitude du salarié a été constatée par le médecin du travail le 21 avril 2010 et que la lettre de licenciement a été adressée le 25 mai suivant, soit plus d’un mois après la constatation de l’inaptitude, M. Y…a droit en application de l’article L 1226-4 du code du travail au paiement de son salaire jusqu’à la date de rupture de son contrat de travail.

En conséquence il sera fait droit à la demande de paiement de la somme de 12 729, 60 euros représentant le montant auquel a droit M. Y…au titre du salaire dû à compter du 21 mai 2010 et au titre de l’indemnité compensatrice de préavis.

Sur ce montant M. Y…est en droit de réclamer paiement de la somme de 1272, 90 euros d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis.

Sur l’indemnisation de la clause de non-concurrence dépourvue de contrepartie financière :

L’article 8 du contrat de travail stipule une clause de non-concurrence d’une durée d’un an en cas de résiliation du contrat de travail, sans qu’il soit prévu de contrepartie financière. Force est de constater que l’employeur n’a pas libéré M. Y…de cette clause de non-concurrence à la date du départ de l’entreprise comme le permettait le contrat de travail, mais seulement par lettre du 8 juin 2010. En conséquence il sera alloué à M. Y…une indemnité de 4000 euros en réparation du préjudice causé par l’absence de contrepartie financière à la clause de non-concurrence.

Comme il paraît inéquitable de laisser à la charge de M. Y…les frais irrépétibles qu’il a exposés tant en première instance qu’en cause d’appel, il lui sera alloué la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par ces motifs,

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Rejette la demande de sursis à statuer,

Réforme le jugement déféré,

Et statuant à nouveau,

Déclare nul le le licenciement de M. Y…,

Condamne la Société CASINO du GOSIER à payer à M. Y…la somme de 5 055, 65 euros à titre de rappel de salaire,

Condamne la Société CASINO du GOSIER à payer à M. Y…les sommes suivantes au titre de l’indemnisation du préjudice résultant du harcèlement moral qu’il a subi :

-50 000 euros au titre de l’indemnisation du préjudice moral,

-7000 euros au titre de l’indemnisation du préjudice résultant de la discrimination sur les salaires,

-60 000 euros au titre de l’indemnisation du préjudice résultant de la perte de chance d’évolution de carrière,

Condamne la Société CASINO du GOSIER à payer à M. Y…les sommes suivantes au titre de l’indemnisation de la rupture du contrat de travail :

-40 000 euros au titre de l’indemnisation du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement,

-1 496 euros au titre du solde de l’indemnité conventionnelle de licenciement,

-12 729, 60 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

-1272, 90 euros d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

-4000 euros à titre d’indemnisation pour absence de contrepartie financière de la clause de non-concurrence,

Condamne la Société CASINO du GOSIER à payer à M. Y…la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la Société CASINO du GOSIER aux entiers dépens,

Déboute les parties de toute conclusion plus ample ou contraire.

Le Greffier, Le Président.


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