Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL D’ANGERS CHAMBRE COMMERCIALE YM/ IL ARRET N AFFAIRE N : 04/ 01549 Jugement du 19 Mai 2004 Tribunal de Commerce d’ANGERS no d’inscription au RG de première instance : 03/ 011154
ARRÊT DU 31 MARS 2005
APPELANT : Maître Eric X…agissant en qualité de liquidateur judiciaire à la liquidation judiciaire de la SAS LES CAVES SAINT FLORENT (CSF) …49101 ANGERS CEDEX 02 représenté par la SCP GONTIER-LANGLOIS, avoués à la Cour assisté de Maître TUFFREAU, avocat au barreau d’ANGERS
INTIMEE : LA SCI DOMAINE DU BUISSON Le Buisson 49410 LA CHAPELLE ST FLORENT représentée par la SCP CHATTELEYN ET GEORGE, avoués à la Cour assistée de Maître Christian BEUCHER, avocat au barreau d’ANGERS COMPOSITION DE LA COUR : L’affaire a été débattue le 01 Février 2005 à 14 H 15 en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame FERRARI, Président de Chambre
Madame LOURMET, Conseiller
Monsieur MOCAER, Conseiller
qui en ont délibéré Greffier lors des débats : Monsieur BOIVINEAU
ARRET : contradictoire
Prononcé publiquement le 31 mars 2005 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Nouveau Code de procédure civile ;
Signé par Madame FERRARI, Président, et Monsieur BOIVINEAU, Greffier.
Vu les dernières conclusions de Maître Eric X…, membre de la SCP X…-BACH, ès qualités de mandataire liquidateur de la société LES CAVES DE SAINT FLORENT, du 18 janvier 2005
Vu les dernières conclusions de la SCI DOMAINE DU BUISSON du 13 janvier 2005
Vu l’avis du Procureur Général en date du 3 janvier 2005 EXPOSE DU LITIGE
La SCI DOMAINE DU BUISSON, propriétaire de terres à usage d’exploitation viticole situées en la commune de La Chapelle Saint Florent (49), les a louées, par bail en date du premier juin 1992, à la société Y…Frères. Divers avenants ont augmenté la superficie des terres louées.
Par jugement du 16 février 2000, le Tribunal de commerce d’Angers a prononcé le redressement judiciaire de la société Y…Frères, Maître Z…étant désigné en qualité d’administrateur judiciaire.
Par un nouveau jugement en date du 9 juin 2000, le même tribunal a admis le plan de cession proposé au profit de la société LES CAVES DE SAINT FLORENT.
La société LES CAVES DE SAINT FLORENT a été déclarée en liquidation judiciaire par jugement du Tribunal de commerce d’Angers en date du 23 octobre 2002, Maître Eric X…en étant nommé mandataire liquidateur.
Le 19 novembre 2003, Maître Eric X…, ès qualités, a assigné la SCI DOMAINE DU BUISSON en extension de la liquidation judiciaire de la société LES CAVES DE SAINT FLORENT.
Il en a été débouté par jugement du 19 mai 2004 du Tribunal de commerce d’Angers dont il est appelant. Il reprend cette demande devant la cour tandis que la SCI DOMAINE DU BUISSON conclut à la confirmation du jugement déféré et à la condamnation de Maître Eric X…, ès qualités, à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
Le Procureur Général a requis l’extension de la liquidation judiciaire de la société LES CAVES DE SAINT FLORENT à la SCI DOMAINE
DU BUISSON MOTIFS DE LA DECISION
Par application de l’article L 621-5 du code de commerce, la procédure collective prononcée à l’égard d’une personne peut être étendue à d’autres personnes, et notamment à une personne morale en cas de confusion de leurs patrimoines ou si la personne morale est fictive.
Maître Eric X…soutient que la SCI DOMAINE DU BUISSON est une société fictive et qu’il existe une confusion des patrimoines entre le sien et celui de la société LES CAVES DE SAINT FLORENT, ce que conteste la SCI DOMAINE DU BUISSON.
Il convient d’abord de relever que la situation juridique créée par les frères Michel et Bernard Y…en 1992 est très classique :
création d’une SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE, propriétaire bailleur des terres, et d’une société d’exploitation, en l’occurrence la société Y…Frères, locataire.
Même si leurs dirigeants et leurs associés sont les mêmes, même si leur siège social est le même, ces deux sociétés ont chacune leur propre patrimoine et leur propre objet social. Elles ne peuvent être confondues et il n’existe aucune imbrication entre leurs deux activités.
Le bail conclu entre elles le premier juin 1992 précisait en son article 4 que toutes les améliorations apportées par le preneur resteront, en fin de bail, la propriété du bailleur sans indemnité.
Cette clause est, elle aussi, très classique et ne se heurte à aucune disposition d’ordre public ; elle n’a pas modifié la nature du bail, lequel est un bail rural puisque l’immeuble sur lequel il porte est à usage agricole (article L 411-1 du code rural), aucune des exceptions prévues par l’article L 411-2 du même code ne se trouvant applicable à l’espèce.
Ce bail est soumis en conséquence aux dispositions d’ordre public du statut du fermage, lequel prévoit notamment l’interdiction de la cession du bail, hormis au bénéfice du conjoint et du descendant avec l’accord du bailleur ou, à défaut, avec l’autorisation du Tribunal Paritaire des Baux Ruraux (article L 411-35 du code rural).
Le preneur, la société Y…Frères, a fait construire divers bâtiments d’exploitation sur les terres louées (chais et bureaux), financés à l’aide d’emprunts bancaires cautionnés par la SCI DOMAINE DU BUISSON. Ces bâtiments ont été inscrits à l’actif du bilan de la société Y…Frères pour la somme de 9 638 348 euros.
Ce cautionnement ne crée lui-même aucune confusion entre les deux sociétés ; il était en effet de l’intérêt de la société Y…Frères de réaliser cette opération de manière à remplir son objet social qui était l’exploitation vinicole, et de celui de la SCI DOMAINE DU BUISSON de l’y aider afin de pouvoir non seulement percevoir les loyers mais aussi d’acquérir, en fin de bail, les bâtiments ainsi construits.
Le plan de cession homologué par le Tribunal de commerce d’Angers le 9 juin 2000 au profit de la société LES CAVES DE SAINT FLORENT portait sur la clientèle de la société Y…Frères, les marques, le matériel, mais excluait à juste titre le droit au bail dont la cession était impossible.
Il prévoyait cependant la reprise par la société LES CAVES DE SAINT FLORENT des remboursements des emprunts de la société Y…Frères pour la construction des bâtiments et la réalisation par la société LES CAVES DE SAINT FLORENT de certains travaux de mise en conformité de ces bâtiments, exigés par l’Administration. Il comportait de plus un paragraphe ainsi rédigé :
» Il est indiqué que le repreneur a acquis 60 % des parts de la SCI DOMAINE DU BUISSON. Afin de résoudre le problème de propriété, il y aura ensuite soit fusion, soit apport en nature afin que l’ensemble immobilier soit entre les même mains. »
Par acte notarié en date du 21 juillet 2000 en effet, Jean-Claude A…, dirigeant et principal actionnaire de la société LES CAVES DE SAINT FLORENT, avait acquis de Bernard Y…126 parts de la SCI DOMAINE DU BUISSON et de son frère Michel 252 parts. Par acte sous seing privé en date du 30 octobre 2000, Bernard Y…a cédé 31 de ses parts à la SCI DOMAINE DU BUISSON, puis, par un nouvel acte sous seing privé en date du 10 septembre 2001, il a cédé les 158 parts qu’il lui restait à Jean-Claude A…. Enfin par acte sous seing privé du 22 septembre 2001, Michel Y…a cédé à Jean-Claude A… les 63 parts sociales qu’il lui restait, de sorte qu’à ce jour les porteurs de parts de la SCI DOMAINE DU BUISSON sont Jean-Claude A… pour 599 parts sur 630 et la société LES CAVES DE SAINT FLORENT pour 31 parts.
Par acte notarié de délégation parfaite, en date du 22 juin 2002, le CREDIT AGRICOLE, principal prêteur, a accepté la reprise par la société LES CAVES DE SAINT FLORENT du paiement des échéances des prêts consentis à la société Y…Frères.
Il n’existait pourtant et n’a jamais existé de contrat entre la SCI DOMAINE DU BUISSON, propriétaire des terres, et la société LES CAVES DE SAINT FLORENT, celle-ci n’étant ni locataire des terres, une promesse de bail, en date du 3 juillet 2000, n’ayant pas été suivie de contrat, ni propriétaire des bâtiments et n’ayant pas vocation à le devenir, sauf à acquérir l’ensemble immobilier comme le jugement du 9 juin 2000 du Tribunal de commerce d’Angers l’avait envisagé.
Ce projet ne s’est pas concrétisé, la société LES CAVES DE SAINT FLORENT ayant été déclarée en liquidation judiciaire par jugement du Tribunal de commerce d’Angers en date du 23 octobre 2002.
La société LES CAVES DE SAINT FLORENT a donc remboursé pour partie des échéances de prêts consentis pour des bâtiments dont elle n’était ni propriétaire ni locataire, bâtiments dont la SCI DOMAINE DU BUISSON a vocation à devenir propriétaire à la fin du bail conclu avec la société Y…Frères, et dont elle est devenue propriétaire selon les conclusions conformes des parties.
La SCI DOMAINE DU BUISSON est restée depuis sa création propriétaire des terres. Elle a rempli un objet social distinct de celui de son locataire la société Y…Frères ainsi que de la société LES CAVES DE SAINT FLORENT avec laquelle elle n’a jamais été liée contractuellement.
Il n’existe aucune imbrication des sociétés DOMAINE DU BUISSON et LES CAVES DE SAINT FLORENT dont les activités sont totalement différentes, de sorte qu’il est impossible de qualifier la SCI DOMAINE DU BUISSON de fictive, ce qui supposerait qu’elle n’ait eu aucune indépendance ni autonomie vis à vis de la LES CAVES DE SAINT FLORENT. Au contraire, elle est restée à l’écart de l’imbroglio juridique créé par la cession d’une exploitation agricole sans cession d’un droit quelconque sur les terres.
Si la SCI DOMAINE DU BUISSON est devenue propriétaire des bâtiments construits par la société Y…Frères, ce n’est pas par l’effet d’une quelconque man. uvre destinée à les faire échapper à la procédure collective de la société LES CAVES DE SAINT FLORENT, mais par le simple jeu des clauses classiques du bail initial, connues et acceptées par tous les intervenants.
La société LES CAVES DE SAINT FLORENT fait à juste titre observer qu’il était anormal qu’elle règle les échéances des emprunts consentis par la société Y…Frères pour ces bâtiments, mais, ce faisant, elle n’a fait que remplir l’engagement pris dans le cadre du plan de cession auquel la SCI DOMAINE DU BUISSON est complètement étrangère, de sorte que cette circonstance est indifférente.
La SCI DOMAINE DU BUISSON est une société indépendante et distincte de la société LES CAVES DE SAINT FLORENT et ne peut être qualifiée de société fictive.
Maître Eric X…soutient encore que les patrimoines de la SCI DOMAINE DU BUISSON et de la société LES CAVES DE SAINT FLORENT sont confondus, ce qui justifierait l’extension de la procédure collective. Lorsque les éléments qui composent le patrimoine de plusieurs personnes morales sont mêlés sans qu’on puisse distinguer ce qui est propre à chacun, l’extension est justifiée.
Mais la prise en charge des échéances du prêt par la société LES CAVES DE SAINT FLORENT ne crée aucune confusion entre les patrimoines : la dette prise en charge par la société LES CAVES DE SAINT FLORENT n’est pas celle de la SCI DOMAINE DU BUISSON mais celle de la société Y…Frères, la SCI DOMAINE DU BUISSON n’en étant que caution et non débitrice.
Cette prise en charge est de plus tout à fait étrangère à l’acquisition des bâtiments par la SCI DOMAINE DU BUISSON, laquelle résulte de l’accession (article 546 du code civil) et de l’article 4 du bail du premier juin 1992.
La SCI DOMAINE DU BUISSON a maintenu au profit de la société LES CAVES DE SAINT FLORENT le cautionnement donné au profit de la société Y…Frères, ce qui ne crée aucune confusion de patrimoine entre eux, celui de la caution étant naturellement distinct de celui du débiteur. Cette opération d’autre part était dans l’intérêt de la SCI DOMAINE DU BUISSON car elle a permis la délégation parfaite du 22 juin 2002 alors que le CREDIT AGRICOLE était alors en mesure d’exiger d’elle le remboursement intégral du prêt.
Il est indifférent que la société LES CAVES DE SAINT FLORENT ait cru pouvoir porter à son actif la valeur des bâtiments construits sur les terres de la SCI DOMAINE DU BUISSON, cette écriture comptable, au demeurant erronée, relevant de sa seule responsabilité et étant étrangère à la SCI DOMAINE DU BUISSON.
Il n’est révélé de surcroît aucun mouvement de fonds qui démontrerait une imbrication des deux sociétés et si la société LES CAVES DE SAINT FLORENT a été amenée à régler des sommes pour des opérations de construction de bâtiments dont elle n’a pas profité, c’est en raison d’engagements qui n’ont pas été pris envers la SCI DOMAINE DU BUISSON d’une part et ces dettes, d’autre part, n’étaient pas celles de la SCI DOMAINE DU BUISSON.
C’est en conséquence à juste titre que le jugement déféré a débouté Maître Eric X…, ès qualités, de sa demande d’extension. *
L’équité commande de condamner Maître Eric X…, ès qualités, à payer à la SCI DOMAINE DU BUISSON la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
Maître Eric X…, ès qualités, qui succombe en son appel, en supportera les dépens. PAR CES MOTIFSPAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré ;
Ajoutant ;
Condamne Maître Eric X…, ès qualités, à payer à la SCI DOMAINE DU BUISSON la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Condamne Maître Eric X…, ès qualités, aux dépens recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du nouveau code de procédure civile.
LE GREFFIER
LE PRESIDENT
D. BOIVINEAU
I. FERRARI