Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL
D’ANGERS
Chambre Sociale
ARRÊT DU 08 Novembre 2011
ARRÊT N
CLM/ FB
Numéro d’inscription au répertoire général : 10/ 01201.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes-Formation paritaire du MANS, décision attaquée en date du 09 Avril 2010, enregistrée sous le no 09/ 00385
APPELANT :
Monsieur Jean-Christophe X…
…
72320 LAMNAY
représenté par Maître Gérard LE MAITRE, avocat au barreau du MANS
INTIMEE :
SOCIETE MATERIAUX X…
8 rue de La Rose Rouge
72320 LAMNAY
représentée par Maître Philippe RENAUD, avocat au barreau d’ESSONNE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 Septembre 2011, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Catherine LECAPLAIN MOREL chargé d’instruire l’affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Catherine LECAPLAIN-MOREL, président
Madame Brigitte ARNAUD-PETIT, conseiller
Madame Anne DUFAU, conseiller
Greffier lors des débats : Madame LE GALL,
ARRÊT :
prononcé le 08 Novembre 2011, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame LECAPLAIN-MOREL, président, et par Madame LE GALL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE :
La société Matériaux X… a pour activité la distribution, auprès d’entreprises du bâtiment, de matériaux préfabriqués.
Suivant contrat de travail verbal à durée indéterminée à effet au 1er juillet 1987, elle a embauché, avec la qualification de » manoeuvre « , M. Jean-Christophe X…, qui se trouve être le fils de son dirigeant.
Les bulletins de salaire révèlent que M. JC X… a ensuite eu la qualification de chauffeur, puis, à compter de décembre 1990, celle d’agent commercial.
En 2004, les parties ont signé un document intitulé : » Contrat de travail récapitulatif (CDI) » précisant qu’il avait pour seul objet de constater par écrit la relation de travail pré-existante entre elles, sans modifier le contrat de travail.
Cet acte précise que M. Jean-Christophe X… est employé par la société Matériaux X…, sans détermination de durée, en qualité de » commercial » au coefficient 220 ETAM, à temps complet, soit selon un horaire hebdomadaire de 35 heures » annualisables « , avec faculté d’accomplissement d’heures supplémentaires, la convention collective applicable étant celle des » Carrières & Matériaux « .
La mission du salarié est ainsi définie : » Le suivi de la partie de notre clientèle qui n’est pas gérée par un autre commercial salarié ou partenaire de l’entreprise, et la prospection et le développement, auprès d’une nouvelle clientèle, de la gamme de tuyaux du catalogue de l’entreprise, conformément aux directives de votre hiérarchie « .
Cet acte mentionne un salaire brut mensuel de 2003, 56 et la mise à disposition d’un véhicule de service avec lequel le salarié est autorisé à faire le trajet domicile/ entreprise.
Dans le dernier état de la relation de travail, les fonctions exercées par M. Jean-Christophe X…, avec le statut de cadre administratif, coefficient 400 étaient les suivantes :
– » suivi de la production,
– suivi de l’innovation dans le domaine des produits en béton,
– élaboration des propositions de détermination collégiale des prix de revient, élaboration des projets d’investissement,
– présélection des personnels nécessaires au déploiement des missions qui lui sont confiées « . (attestation de l’employeur du 24 juin 2009- pièce no 1 de l’appelant).
Par courrier recommandé du 4 avril 2008, M. Jean-Christophe X… s’est vu notifier deux rappels à l’ordre.
Par courrier recommandé du 31 octobre 2008, ce dernier a déploré auprès du président directeur général de la société Matériaux X… :
– de ne bénéficier ni des informations, ni des moyens nécessaires à l’accomplissement de ses fonctions,
– s’agissant de la » direction de la production « , de n’avoir pas été mis en mesure, depuis dix mois, de faire les moindres améliorations d’organisation ou de technique de production, grief étant adressé au PDG d’avoir directement donné l’ordre à la production de réduire, de manière significative, les dosages en ciment des bordures, d’où une sanction à la norme Nf et une contre-visite d’un coût de 1700 ,
– d’avoir souvent travaillé à sa demande sur des projets et d’avoir établi des études non consultées et laissées sans suite,
– d’avoir, depuis le début de l’année, vu arriver plusieurs nouveaux employés sans savoir quelle était leur affectation et sans avoir été consulté au moment de leur recrutement,
– de ne disposer, depuis le début de l’année, d’aucun remontée d’information lui permettant d’assurer la gestion de la qualité.
Il reprochait au dirigeant de mettre régulièrement en doute le travail qu’il avait accompli dans l’entreprise depuis vingt ans et de ne lui accorder aucune légitimité dans l’évolution de celle-ci. Il ajoutait que les agressions verbales de ce dernier à son encontre en présence du personnel de l’entreprise ou de fournisseurs de la société lui étaient de plus en plus insupportables.
Il concluait en indiquant : « L’énoncé de ces quelques exemples met en évidence le fait que je ne bénéficie pas de la délégation de direction dont il était question ; vous n’avez pas informé le personnel de ce type de fonctionnement, et votre attitude à mon égard n’en montre pas l’exemple.
Je vous demande donc ; de veiller à établir une véritable situation de légitimité par rapport à mes fonctions ; de bien vouloir me respecter. Si tel n’était pas le cas, de pourvoir simplement à mon départ de l’entreprise. ».
Ce courrier est resté sans réponse.
L’assemblée générale ordinaire des actionnaires du 25 février 2009, à laquelle participait M. Jean-Christophe X… a donné lieu à un incident, acté au procès-verbal, entre lui et M. Jean-Claude X…, président de la société.
M. Jean-Christophe X… est revenu sur cet incident par courrier recommandé du 27 février 2009. Rappelant être sans réponse à son précédent courrier, il a conclu : « Il ne m’est plus supportable de vivre cette situation au quotidien, à savoir ; être remis en cause en permanence dans l’attribution de mes fonctions et, tout simplement être le souffre douleur de l’entreprise.
Dans ces conditions je pense qu’il n’est plus envisageable de poursuivre une telle collaboration ; par conséquent et dans ces circonstances je vous demande d’organiser la rupture du contrat travail qui nous unit. ».
Par lettre recommandée du 3 avril 2009, il a indiqué à son employeur : « Sans réponse de votre part à mes précédents courriers. (Du 31 octobre 2008 et du 27 février dernier). Je souhaite par la présente vous faire part de mon souhait que nous engagions une rupture conventionnelle du contrat de travail qui nous unit. ».
Le 7 mai 2009, M. Jean-Christophe X… s’est vu signifier, par la SCP Y… & Z…, huissiers de justice à la Ferté Bernard, à la requête de la société Matériaux X…, un acte emportant remise des documents originaux suivants :
– un bulletin de paie pour la période du 1er au 30 avril 2009 d’un montant total de 54 527, 41 comportant le salaire brut du mois d’avril, des indemnités de congés payés, une « rémunération brute » de 9 161, 33 et une indemnité légale de licenciement d’un montant de 47 333, 56 ,
– un chèque d’un montant de 54 527, 41 émis par la société Matériaux X…,
– les documents de fin de contrat : certificat de travail et attestation ASSEDIC mentionnant comme date de fin du contrat de travail le 30 avril 2009 et comme motif de la rupture » licenciement pour autre motif « , ainsi qu’un reçu pour solde de tout compte en deux exemplaires dont un à retourner à l’employeur dûment complété et signé.
Par acte du même jour, la société Matériaux X… a fait signifier à M. Jean-Christophe X… une sommation d’avoir à lui restituer immédiatement et sans délai le véhicule » de fonction » mis à sa disposition avec les clefs et les papiers, ainsi que tous les documents et matériels appartenant à l’employeur et actuellement en sa possession.
Par courrier recommandé du 15 mai 2009, M. Jean-Christophe X… a accusé réception des documents de fin de contrat et de son solde de tout compte » afférents à la rupture de son contrat de travail » et souligné que son licenciement était intervenu sans respect de la procédure légale.
Par lettre du 19 mai 2009, il a été convoqué à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement pour faute, fixé au 27 mai suivant, auquel il ne s’est pas présenté.
Par courrier recommandé du 31 mai 2009, il s’est vu notifier son licenciement immédiat pour faute grave, sans indemnité de préavis ni de licenciement, l’employeur lui demandant de lui restituer la somme versée le 7 mai 2009 sous déduction de l’éventuelle indemnité compensatrice de congés payés à laquelle il pourrait prétendre.
C’est dans ces circonstances que M. Jean-Christophe X… a saisi le conseil de prud’hommes, le 10 juin 2009, afin d’obtenir le paiement d’une indemnité compensatrice de préavis, d’une indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement et d’une indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Après vaine tentative de conciliation du 4 septembre 2009, par jugement du 9 avril 2010 auquel il est renvoyé pour un ample exposé, le conseil de prud’hommes du Mans a :
– jugé irrégulière la procédure de licenciement de M. Jean-Christophe X…,
– jugé que son licenciement repose bien sur une faute grave,
En conséquence,
– condamné la société Matériaux X… à lui payer la somme de 4 362, 54 à titre d’indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement et celle de 700 en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté M. Jean-Christophe X… du surplus de ses demandes,
– condamné ce dernier à payer à la société Matériaux X… la somme de 47 333, 50 en restitution de l’indemnité de licenciement indûment versée et une indemnité de procédure de 700 ,
– débouté la société Matériaux X… du surplus de ses demandes reconventionnelles, à savoir de sa demande en remboursement de la somme de 9 161, 33 correspondant au montant des salaires versés, pour la période du 26 février au mois de mai 2009, outre celle de 916, 13 de congés payés y afférents,
– condamné M. Jean-Christophe X… aux entiers dépens.
Chacune des parties a reçu notification de ce jugement le 13 avril 2010.
M. Jean-Christophe X… en a régulièrement relevé appel par lettre recommandée postée le 5 mai 2010.
Les parties ont été convoquées pour l’audience du 7 mars 2011. A cette date, à la demande de l’intimée, l’affaire a été renvoyée au 6 septembre 2011.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Aux termes de ses écritures déposées au greffe le 8 novembre 2010, reprises et soutenues oralement à l’audience, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer, M. Jean-Christophe X… demande à la cour :
– de confirmer le jugement entrepris en ses dispositions relatives à l’irrégularité du licenciement et aux frais non compris dans les dépens, et en ce qu’il a débouté l’employeur de sa demande en remboursement des sommes de 9 161, 33 et 916, 13 versées au titre des salaires et congés payés afférents pour la période de février à avril 2009,
– de l’infirmer en toutes ses autres dispositions,
– de juger que son licenciement, faute de motivation, est dénué de cause réelle et sérieuse et, a fortiori, ne peut pas reposer sur une faute grave,
– de condamner la société Matériaux X… à lui payer les sommes suivantes :
¤ 13 087, 62 bruts (trois mois de salaire) à titre d’indemnité compensatrice de préavis, et 1 308, 76 de congés payés afférents,
¤ 157 051, 44 (36 mois de salaire) d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
¤ 3 000 en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– de la condamner aux entiers dépens de première instance et d’appel.
L’appelant conteste que ses courriers des 27 février et 3 avril 2009 puissent s’analyser, de sa part, en une prise d’acte de la rupture.
Il soutient que les significations intervenues le 7 mai 2009 manifestent clairement la volonté de la société Matériaux X… de rompre le contrat de travail à effet au 30 avril 2009 et caractérisent cette rupture à son initiative. Il fait valoir qu’en l’absence de mise en oeuvre de la procédure légale de licenciement et de remise d’un écrit énonçant les motifs de son licenciement, celui-ci ne peut qu’être déclaré dépourvu de cause réelle et sérieuse ; que, dès lors que le contrat de travail a été rompu à l’initiative de la société Matériaux X… dès le 7 mai 2009, les premiers juges ont retenu à tort qu’elle avait pu valablement mettre en oeuvre une nouvelle procédure de licenciement, régularisant la première.
A l’appui de sa demande indemnitaire, M. X… argue de son ancienneté dans l’entreprise, des difficultés qu’il a rencontrées dans l’exercice de ses fonctions, du caractère brutal et vexatoire de la rupture. Il précise que, s’il a rapidement repris une activité professionnelle, il eu des difficultés pour retrouver un emploi stable, ayant finalement créé sa propre entreprise.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées au greffe le 6 septembre 2011, reprises et soutenues oralement à l’audience devant la cour, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer, la société Matériaux X… demande à la cour :
– d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il l’a condamnée à payer à M. Jean-Christophe X… des dommages et intérêts pour licenciement irrégulier et une indemnité de procédure, et en ce qu’il a rejeté ses demandes reconventionnelles en restitution des salaires indûment versés,
– de le confirmer pour le surplus,
– de juger qu’à compter de l’année 2007, faute de lien de subordination et en raison de son rôle de dirigeant de fait, M. Jean-Christophe X… a cessé d’être lié à elle par un contrat de travail,
– subsidiairement, de juger que, le 27 février 2009, il a pris l’initiative de rompre son contrat de travail, sans préavis et au préjudice de l’employeur,
– de juger que la rupture du contrat de travail est donc bien imputable à M. Jean-Christophe X…, peu important qu’elle lui ait elle-même, par la suite, » versé une indemnité de rupture dans le cadre d’un accord remis en cause par son bénéficiaire, et qu’elle ait organisé une procédure de licenciement pour faute grave « ,
– de » constater » l’existence d’un accord verbal valant transaction au sens des articles 2044 et suivants du code civil et de débouter M. Jean-Christophe X… de l’ensemble de ses prétentions,
– plus subsidiairement, de juger que seule la procédure de licenciement » initiée en mai 2009 » doit être prise en compte et que le licenciement de M. Jean-Christophe X… pour faute grave est justifié par ses absences irrégulières et les malversations qu’il a commises,
– en conséquence, de le débouter de toutes ses prétentions ; de le condamner à lui rembourser toutes les sommes qu’il a perçues du jour de la rupture, soit à compter du 27 février 2009, notamment, les salaires perçus jusqu’en mai 2009 et l’indemnité de rupture, et de le condamner à lui payer la somme de 8 725, 08 à titre de répétition des salaires indus,
– en tout état de cause, de condamner M. Jean-Christophe X… à restituer » au dirigeant de la société Matériaux X… » la somme de 13 000 » reçue au titre de ce qu’il a qualifié un » don » » et ce, avec intérêts à compter du 15 décembre 2009, date de la mise en demeure, et capitalisation desdits intérêts,
– de condamner l’appelant à lui payer la somme de 3 000 en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens de première instance et d’appel.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la rupture du contrat de travail :
Attendu que la société Matériaux X… soutient tout d’abord que les prétentions de M. Jean-Christophe X… sont dépourvues de fondement juridique au motif que, de son fait, » le statut de salarié qui avait tout son sens avant 2007, avait complètement disparu après l’été 2008 « , l’intéressé ne pouvant plus, selon elle, être considéré comme salarié » à compter de la fin de l’année 2008 » ; qu’à l’appui de cette position, elle fait valoir que l’appelant » a entendu » se soustraire à tout lien de subordination et évincer son père de la direction de l’entreprise, en se faisant passer lui-même au yeux des tiers pour le véritable dirigeant de fait ;
Attendu que la preuve d’une rupture du contrat de travail à l’initiative de l’appelant, dès 2008, incombe à la société Matériaux X… ; qu’à les supposer avérées, les allégations de cette dernière selon lesquelles M. Jean-Christophe X… aurait eu et émis la prétention de prendre la place de son père en qualité de dirigeant ne suffisent pas à faire la preuve d’une telle prise de pouvoir effective et, qui plus est, d’une rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié à compter de l’été 2008, étant souligné que la qualité de dirigeant, de droit ou de fait, d’une personne morale n’est pas nécessairement exclusive du statut de salarié de cette dernière ;
Attendu que l’intimée se prévaut d’un article de journal paru le 20 mars 2008 dans lequel M. Jean-Christophe X… est présenté comme le » PDG d’une entreprise de matériaux de gros oeuvre » ; attendu qu’il résulte des débats que l’appelant pratique le rallye automobile depuis de nombreuses années et qu’il s’est trouvé engagé à plusieurs reprises dans le championnat de France des rallyes ; que la circonstance qu’il ait pu être désigné dans un article de rubrique sportive comme le » PDG d’une entreprise de matériaux de gros oeuvre » ne permet ni de démontrer qu’il aurait effectivement, à compter de l’été 2008, dirigé de fait la société Matériaux X… et qu’il se serait dégagé de tout lien de subordination envers cette dernière, ni de caractériser de sa part une volonté, de rompre les liens du contrat de travail conclu en 1987 ;
Attendu que, s’il n’est pas contestable que des différends émaillaient les relations de l’appelant et de son père s’agissant du fonctionnement de la société Matériaux X…, société familiale dans laquelle ils étaient tous deux porteurs de parts, pour autant, l’intimée ne justifie d’aucun acte de direction, ni d’aucune décision de dirigeant émanant de M. Jean-Christophe X…, et les pièces versées aux débats ne permettent d’établir ni que ce dernier serait effectivement devenu dirigeant de fait au cours de l’année 2008, ni que son contrat de travail aurait été rompu dès cette époque ;
Attendu que les termes du procès-verbal de l’assemblée générale du 25 février 2009 démontrent au contraire que M. Jean-Claude X…, président de la société, assumait bien encore à cette date tant la direction de droit que la direction de fait de cette dernière ; qu’en effet, il a présidé et dirigé la séance, exposé le rapport de gestion, répondu aux questions des actionnaires sur l’état de santé de l’entreprise face à la crise et aux difficultés économiques ; qu’il a refusé à deux reprises la parole à M. Jean-Christophe X… qui avait tenté de l’interrompre dès le début de son exposé relatif au fonctionnement de l’entreprise au cours de l’exercice écoulé, l’intéressé ayant alors quitté la séance ;
Et attendu qu’il ressort de ce procès-verbal que la société Matériaux X… considérait bien que M. Jean-Christophe X… avait eu la qualité de salarié tout au long de l’exercice 2008 puisque l’assemblée générale a été appelée à approuver, notamment, » les opérations conclues et autorisées par le conseil d’administration » au cours dudit exercice avec ce dernier, en l’occurrence, le versement de salaires en sa qualité de » cadre de la société » pour 50 038 et de frais de déplacement pour 14 935 , résolution qui fut adoptée à l’unanimité, l’intéressé ne prenant pas part au vote ;
Attendu que la société Matériaux X… a bien considéré M. Jean-Christophe X… comme son salarié tout au long de l’année 2008 et encore en 2009 puisqu’elle lui a réglé des salaires jusqu’en avril 2009 inclus, qu’elle lui a délivré un certificat de travail mentionnant une fin de contrat au 30 avril 2009 ainsi qu’une attestation ASSEDIC ;
Attendu qu’aux termes du courrier qu’il a adressé à la société Matériaux X… le 31 octobre 2008, M. Jean-Christophe X… se plaignait de ne pas disposer des moyens de remplir les missions qui lui étaient confiées et d’être écarté des processus de décision auxquels il estimait devoir être associé en raison de ses fonctions ; qu’indépendamment de leur bien fondé, ces récriminations ne caractérisent pas non plus de la part de l’intéressé une volonté de se présenter comme le dirigeant de l’entreprise, délié de tout lien de subordination et des obligations du contrat de travail ;
Attendu que la société Matériaux X…, qui ne rapporte pas la preuve qui lui incombe, est donc mal fondée à soutenir que le contrat de travail conclu le 1er juillet 1987 aurait été rompu, dès 2007 ou 2008, à l’initiative de M. Jean-Christophe X… en ce que ce dernier se serait comporté comme son dirigeant de fait ;
***
Attendu qu’en second lieu, l’intimée soutient que le courrier du 27 février 2009 caractérise de la part de M. Jean-Christophe X… une prise d’acte de la rupture du contrat de travail et que, faute pour lui de démontrer qu’elle aurait commis des manquements à l’origine de cette rupture, elle doit lui être imputée exclusivement ;
Qu’elle ajoute qu’au cours des mois de mars et avril 2009, un accord, non matérialisé par écrit, serait intervenu entre elle et M. Jean-Christophe X… aux termes duquel il aurait été décidé qu’en dehors de toute procédure de licenciement, elle lui adresserait les documents de fin de contrat ; que la somme qu’elle lui a versée le 7 mai 2009, après cette rupture, aurait valeur transactionnelle comme s’inscrivant dans cette transaction destinée à mettre fin au litige ;
Qu’elle en déduit que, pour l’ensemble de ces raisons, M. Jean-Christophe X… est autant irrecevable que mal fondé en ses prétentions ;
Attendu que la prise d’acte de la rupture entraîne cessation immédiate du contrat de travail et consomme la rupture de façon définitive ; qu’elle suppose en conséquence, de la part du salarié, l’expression claire et non équivoque de ce qu’il prend l’initiative de la rupture et considère le contrat de travail effectivement rompu, mais impute à l’employeur la responsabilité de cette rupture ;
Attendu que le courrier adressé le 27 février 2009 par M. Jean-Christophe X… à la société Matériaux X… est ainsi libellé : « Cher président. Je voudrais revenir sur l’incident survenu lors de l’assemblée générale de notre société les 25 courants.
Vous démarrez les débats par un étalage de chiffres liés aux derniers investissements ainsi qu’au développement commercial des nouveaux produits technibloc.
Me faisant un reproche de manque de développement des ventes de celui-ci. Je tiens d’abord à vous préciser que dans l’organisation mise en place par vous-même au début de l’année 2008, je n’apparais pas directement au registre du management commercial ; de plus je vous rappelle être toujours sans réponse à mon précédent courrier, dans lequel je vous exposais les dysfonctionnements de celle-ci. Pas même un entretien pour repartir sur de bonnes bases.
Il ne m’est plus supportable de vivre une telle situation au quotidien, à savoir ; être remis en cause en permanence dans l’attribution de mes fonctions et, tout simplement être le soufre douleur de l’entreprise.
Dans ces conditions je pense qu’il n’est plus envisageable de poursuivre une telle collaboration ; par conséquent et dans ces circonstances je vous demande d’organiser la rupture du contrat de travail qui nous unit. » ;
Attendu que le courrier recommandé du 3 avril 2009 est quant à lui libellé en ces termes : « Cher président. Sans réponse de votre part à mes deux précédents courriers. (Du 31 octobre 2008 et du 27 février dernier).
Je souhaite par la présente vous faire part de mon souhait que nous engagions une rupture conventionnelle du contrat travail qui nous unit. Dans l’attente de vous lire ; recevez mes sincères salutations. » ;
Attendu que si ces courriers contiennent l’expression du souhait de M. Jean-Christophe X… de voir mettre en oeuvre la rupture de son contrat de travail, notamment sur un mode conventionnel, ils ne contiennent pas, de sa part, l’expression ferme d’une décision prise de rompre le contrat de travail ;
Attendu que les significations auxquelles la société Matériaux X… a fait procéder le 9 mai 2009 contredisent d’ailleurs la thèse qu’elle soutient dans le cadre du présent litige d’une rupture du contrat de travail qui serait intervenue dès le 27 février ou le 3 avril 2009 à l’initiative du salarié ; qu’en effet, aux termes de la sommation de restituer signifiée à sa requête à M. Jean-Christophe X…, elle a expressément fait rappeler à ce dernier : » Le contrat de travail qui vous liait à la SA MATÉRIAUX X… depuis le 1er juillet 1987 a pris fin le 30 avril 2009, conformément au certificat de travail qui vous a été signifié préalablement au présent.
En conséquence, NOUS VOUS DEMANDONS DE NOUS RESTITUER IMMÉDIATEMENT ET SANS DÉLAI… » ;
Et attendu que le certificat de travail et l’attestation ASSEDIC signifiés aux termes du premier acte délivré le 7 mai 2009 mentionnent tous deux comme date de rupture du contrat de travail le 30 avril 2009 et non le 27 février ou le 3 avril 2009, l’attestation ASSEDIC énonçant en outre expressément comme motif de la rupture du contrat de travail : » licenciement pour autre motif » ;
Attendu que l’intimée soutient que la délivrance de ces actes et le paiement l’accompagnant seraient le fruit d’un accord verbal, valant transaction au sens de l’article 2044, qui serait intervenu entre elle et l’appelant à la fin du mois d’avril 2009 et qui n’aurait pas tenu compte de la rupture intervenue dès février ;
Mais attendu que si l’écrit prévu par l’article 2044 du code civil n’est pas exigé pour la validité même du contrat de transaction, la preuve de l’existence de ce dernier incombe à la société Matériaux X… qui l’allègue et, s’agissant d’un acte portant sur une somme bien supérieure à 1 500 , elle doit être rapportée par écrit ;
Or attendu que l’intimée, outre qu’elle ne s’explique pas sur les concessions réciproques auxquelles les parties auraient consenti, ne produit aucun écrit constatant l’accord dont elle argue, ni aucun commencement de preuve par écrit et s’avère ainsi défaillante à rapporter la preuve de la transaction qu’elle invoque ;
Qu’elle est donc mal fondée à soutenir que le contrat de travail se serait trouvé rompu à l’initiative du salarié dès le 27 février ou le 3 avril 2009 et que cette rupture serait imputable à l’appelant ;
Qu’elle est tout aussi mal fondée à soutenir que le différend opposant les parties au sujet de la rupture du contrat de travail aurait été réglé par le biais d’une transaction et que les sommes versées à M. Jean-Christophe X… le 7 mai 2009 constitueraient une indemnité transactionnelle ;
Que la fin de non-recevoir tirée de la prétendue existence d’une transaction doit dès lors être écartée ;
***
Attendu qu’en application des dispositions de l’article L 1232-2 du code du travail, l’employeur qui envisage de licencier un salarié doit, avant toute décision, le convoquer à un entretien préalable au moyen d’une convocation indiquant l’objet de la convocation, l’entretien ne pouvant se dérouler moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la lettre de convocation ;
Et attendu qu’aux termes de l’article 1232-6 du même code, la décision de licenciement doit être notifiée par lettre recommandée avec avis de réception qui doit comporter l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur ; que si la LRAR peut être remplacée par un acte d’huissier, celui-ci doit comporter cet énoncé du ou des motifs précis du licenciement ;
Attendu que la rupture d’un contrat de travail à l’initiative de l’employeur se situe à la date à laquelle celui-ci a manifesté sa volonté d’y mettre fin ;
Attendu qu’en l’espèce, la société Matériaux X… a clairement manifesté à M. Jean-Christophe X… sa volonté de mettre fin à son contrat de travail le 7 mai 2009, en lui faisant signifier, à sa personne :
– tout d’abord, un acte constatant la remise au salarié des documents de fin de contrat en originaux, à savoir :
¤ un bulletin de paie pour la période du 1er au 30 avril 2009 d’un montant total de 54 527, 41 comportant le salaire brut du mois d’avril d’un montant de 4 362, 54 , des indemnités de congés payés d’un montant de 4798, 79 , une « rémunération brute » de 9 161, 33 et une indemnité de licenciement d’un montant de 47 333, 56 ,
¤ un certificat de travail mentionnant comme date de début du contrat de travail le 1er juillet 1987 et de fin le 30 avril 2009,
¤ un chèque d’un montant de 54 527, 41 émis par la société Matériaux X…,
¤ l’original de l’attestation destinée à l’ASSEDIC comportant à la rubrique « authentification de l’employeur » le cachet de la société Matériaux X… et comme motif de la rupture du contrat de travail : » licenciement pour autre motif « ,
¤ un reçu pour solde de tout compte en deux exemplaires à l’en-tête de cette société dont un à retourner à l’employeur dûment complété et signé,
– en second lieu, une sommation lui intimant de lui restituer immédiatement le véhicule de fonction ainsi que tous les matériels et documents mis par elle à sa disposition pour l’exécution de son contrat de travail, précédée du rappel suivant : » Le contrat de travail qui vous liait à la SA MATÉRIAUX X… depuis le 1er juillet 1987 a pris fin le 30 avril 2009, conformément au certificat de travail qui vous a été signifié préalablement au présent.
En conséquence, NOUS VOUS DEMANDONS DE NOUS RESTITUER IMMÉDIATEMENT ET SANS DÉLAI… » ;
Or attendu que ces significations n’ont été précédées d’aucune convocation à un entretien préalable ; que M. Jean-Christophe X… est donc bien fondé à soutenir que la procédure suivie à son égard est irrégulière ;
Et attendu, aucun des deux actes délivrés au salarié le 7 mai 2009 ne comportant l’énonciation d’un quelconque motif de licenciement et l’intéressé n’ayant reçu de son employeur, avant cette date, aucun écrit comportant l’énoncé du ou des motifs invoqués à l’appui de la décision de rompre le contrat de travail, que le licenciement intervenu à cette date à l’encontre de l’appelant ne peut qu’être déclaré dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Et attendu que, contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges, la procédure n’a pas pu être » régularisée » ou valablement reprise par l’envoi, les 19 et 31 mai 2009, tout d’abord, d’une convocation à un entretien préalable, en second lieu, d’une lettre de licenciement motivée par une faute grave ; qu’en effet, la rupture du contrat de travail s’étant trouvée consommée dès le 7 mai 2009 à l’initiative de l’employeur, la mise en oeuvre d’une seconde procédure de licenciement était parfaitement inopérante ;
Que le jugement entrepris doit en conséquence être confirmé en ce qu’il a déclaré irrégulière la procédure de licenciement suivie à l’égard de M. Jean-Christophe X…, mais infirmé en ce qu’il a dit que son licenciement repose sur une faute grave ;
Sur les prétentions pécuniaires de M. Jean-Christophe X… :
Attendu, le licenciement de M. Jean-Christophe X… étant jugé sans cause réelle et sérieuse et l’inexécution du préavis, d’une durée de trois mois, étant imputable à l’employeur, qu’en application des dispositions de l’article 1234-5 du code civil, le salarié est bien fondé à solliciter le paiement d’une indemnité compensatrice de préavis d’un montant de 13 087, 62 bruts outre 1 308, 76 bruts de congés payés y afférents ;
Attendu, M. Jean-Christophe X… comptant plus de deux ans d’ancienneté dans l’entreprise au moment de son licenciement et celle-ci employant habituellement au moins onze salariés, que trouvent à s’appliquer les dispositions de l’article 1235-3 du code du travail selon lesquelles l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois (novembre 2008 à avril 2009 inclus) ;
Attendu que ceux-ci se so