Your cart is currently empty!
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
N°
[S]
C/
S.A.S. IMMO AMENAGEMENT
copie exécutoire
le 06 mai 2024
à
Me GOGNY GOUBERT
Me DELAHOUSSE
CPW/IL/MR/
COUR D’APPEL D’AMIENS
5EME CHAMBRE PRUD’HOMALE
ARRET DU 06 MAI 2024
*************************************************************
N° RG 23/00313 – N° Portalis DBV4-V-B7H-IU2F
JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE D’AMIENS DU 05 DECEMBRE 2022 (référence dossier N° RG 21/00057)
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
Monsieur [D] [S]
né le 10 Décembre 1977 à [Localité 3]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représenté, concluant et plaidant par Me Baudouin GOGNY GOUBERT, avocat au barreau de PARIS
Me Antoine PILLOT, avocat au barreau D’AMIENS, avocat postulant
ET :
INTIMEE
S.A.S. IMMO AMENAGEMENT
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée, concluant et plaidant par Me Franck DELAHOUSSE de la SELARL DELAHOUSSE ET ASSOCIÉS, avocat au barreau d’AMIENS substituée par Me Frédéric MALINGUE, avocat au barreau D’AMIENS
DEBATS :
A l’audience publique du 07 mars 2024, devant Mme Caroline PACHTER-WALD, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus les avocats en leurs conclusions et plaidoiries respectives.
Mme Caroline PACHTER-WALD indique que l’arrêt sera prononcé le 06 mai 2024 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme Caroline PACHTER-WALD en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :
Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,
Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,
Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,
qui en a délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :
Le 06 mai 2024, l’arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Caroline PACHTER-WALD, Présidente de Chambre et Mme Blanche THARAUD, Greffière.
* *
DECISION :
M. [S], né le 10 décembre 1977, a été embauché à compter du 3 septembre 2018 dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée en qualité de directeur de développement, statut cadre, niveau C3 de la convention collective de l’immobilier, par la société Immo aménagement (la société, la société Immo ou l’employeur), SARL exerçant une activité de construction d’autres ouvrages de génie civil et dont les gérants sont MM. [W] et [Z].
Par acte sous seing privé du 11 février 2019, la société Immo aménagement et M. [S] ont constitué la SAS City aménagement (la société City) immatriculée au RCS d’Amiens le 27 février 2019 et ayant le même objet social que celui de la société Immo aménagement, à savoir en particulier la recherche foncière et l’aménagement foncier, le capital social de la société City aménagement, filiale de la société Immo aménagement, étant réparti à hauteur de 740 actions pour la société Immo et 260 actions pour M. [S].
Une convention de recherche foncière, d’assistance administrative, financière et commerciale a été régularisée entre la société Immo aménagement et la société City aménagement courant juin 2019.
Par le biais d’une rupture conventionnelle régularisée le 17 juin 2020, homologuée le 24 juillet 2020 par la DIRECCTE, et fixant la date de la rupture au 1er août 2020, la société Immo aménagement et M. [S] ont convenu de mettre fin à son contrat de travail.
Le 1er février 2021, la société City aménagement a convoqué ses associés pour une assemblée générale ordinaire fixée le 17 février suivant, qui a décidé l’exclusion de M. [S] de la société pour avoir exercé une activité concurrente de manière occulte en infraction avec l’article 15 des statuts, et avoir porté atteinte aux intérêts et à l’image de marque de la société et de la société Immo aménagement.
Entre temps, par assignation délivrée aux sociétés City et Immo aménagement le 3 février 2021, M. [S] a saisi le tribunal de commerce d’Amiens statuant en référé, aux fins de désignation d’un administrateur provisoire du fait d’anomalies comptables et d’un état de cessation des paiements. Il a été débouté de ses demandes par ordonnance du 24 février 2021.
Entre temps, le 16 février 2021, il a assigné au fond devant le tribunal de commerce d’Amiens les mêmes parties ainsi que le dirigeant de la société City aménagement, aux fins de voir leur responsabilité engagée au titre de fautes de gestion. Cette instance est toujours pendante.
Le 22 février 2021, M. [S] a en outre saisi le conseil de prud’hommes d’Amiens pour solliciter l’indemnisation d’un préjudice évalué à 152 966,50 euros du fait d’un prêt de main d”uvre illicite réalisé par la société Immo aménagement à la société City aménagement. Par jugement du 5 décembre 2022, la juridiction prud’homale a :
dit et jugé que le prêt de main d”uvre illicite au sens des dispositions des articles L.8241-1 et L.8240-2 du code du travail n’était pas établi ;
débouté M. [S] de sa demande d’indemnité en lien avec son prétendu préjudice ;
débouté la société Immo aménagement de sa demande reconventionnelle pour procédure abusive ;
débouté les parties de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens.
Vu les dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 6 avril 2023 par M. [S], qui est régulièrement appelant de ce jugement, dans lesquelles il demande à la cour d’infirmer le jugement en ce qu’il a jugé le prêt de main-d”uvre illicite au sens des dispositions des articles L.8241-1 et L.8240-2 du code du travail non établi, l’a débouté de ses demandes et lui a laissé la charge de ses propres dépens, et statuant à nouveau, de :
– A titre principal, constater le prêt de main d”uvre à but lucratif effectué en violation des dispositions de l’article L.8241-1 du code du travail par la société Immo aménagement à la société City aménagement à son préjudice,
– A titre subsidiaire, constater le marchandage commis en violation des dispositions de l’article L.8231-1 du code du travail par la société Immo aménagement à la société City aménagement à son préjudice,
– A titre infiniment subsidiaire, constater le prêt de main d”uvre à but non lucratif effectué en violation des dispositions de l’article L.8241-2 du code du travail par la société Immo aménagement à la société City aménagement à son préjudice,
– En tout état de cause, condamner la société Immo aménagement à l’indemniser de son préjudice évalué à la somme de 152 966,5 euros, et à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre sa condamnation aux dépens.
Vu les dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 30 juin 2023 par la société Immo aménagement, dans lesquelles elle demande à la cour de la dire et la juger recevable et bien-fondée en ses moyens de défense et en son appel incident, de confirmer le jugement sauf en ce qu’il l’a déboutée de sa demande reconventionnelle pour procédure abusive, a débouté les parties de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et a laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens, ce faisant, débouter M. [S] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions, et statuant à nouveau de condamner M. [S]:
– au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de la procédure abusive,
– au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en première instance et au paiement de la même somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés devant la cour d’appel ;
– aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 8 novembre 2023.
MOTIFS DE LA DECISION :
A titre liminaire, il convient de préciser qu’il ne sera pas statué sur les demandes de M. [S] tendant à « constater », qui ne sont pas des prétentions, mais uniquement des moyens.
Sur le prêt de main d”uvre illicite
Selon l’article L.8211-1 du code du travail, sont constitutives de travail illégal, les infractions suivantes :
1° travail dissimulé ;
2° marchandage ;
3° prêt illicite de main-d”uvre ;
4° emploi d’étrangers non autorisé à travailler ;
5° cumul irrégulier d’emplois ;
6° fraude ou fausses déclarations prévues aux articles L.5124-1 et L.5429-1.
Plus particulièrement, l’article L.8241-1 dispose que « toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d”uvre est interdite. Toutefois ces dispositions ne s’appliquent pas aux opérations réalisées dans le cadre :
1° des dispositions du code du travail relatives au travail temporaire aux entreprises de travail à temps partagé et à l’exploitation d’une agence de mannequins lorsque celle-ci est exercée par une personne titulaire de la licence d’agent de mannequins ;
2° des dispositions de l’article L.222-3 du code du sport relative aux associations société sportives ;
3° des dispositions des articles L.2135-7 et L.2135-8 du code du travail relatives à la mise à disposition des salariés auprès des organisations syndicales, des associations d’employeurs mentionnés à l’article L.2231-1.
Une opération de prêt de main-d”uvre ne poursuit pas de but lucratif lorsque l’entreprise prêteuse ne facture à l’entreprise utilisatrice, pendant la mise à disposition, que les salaires versés aux salariés, les charges sociales afférentes et des frais professionnels remboursés à l’intéressé au titre de la mise à disposition. »
L’article L.8241-2 du code du travail encadre ensuite les conditions de prêt de main d”uvre à but non lucratif qui exige notamment l’accord du salarié et la régularisation d’un avenant.
Le prêt de main-d”uvre à but lucratif n’est cependant pas interdit lorsqu’il s’inscrit dans une prestation plus vaste de contrat d’entreprise ou de sous-traitance.
Le prêt de main-d”uvre n’est pas prohibé par l’article L.8125-3du code du travail lorsqu’il n’est que la conséquence nécessaire de la transmission d’un savoir-faire ou de la mise en ‘uvre d’une technicité qui relève de la spécificité propre de l’entreprise prêteuse. Il ne peut y avoir opération de sous-traitance ou de prestation de service que lorsqu’est confié à une entreprise un travail précisément identifié et objectivement défini, faisant appel à une compétence spécifique qu’elle va réaliser en toute autonomie, avec son savoir-faire propre, son personnel, son encadrement et son matériel moyennant le versement d’un prix fixé forfaitairement. Inversement, il y a prêt illicite de main d”uvre lorsque la convention a pour objet la fourniture de main d”uvre moyennant rémunération pour faire exécuter une tâche permanente de l’entreprise utilisatrice, sans transmission d’un savoir-faire ou mise en ‘uvre d’une technicité qui relève de la spécificité propre de l’entreprise prêteuse.
Le salarié ayant fait l’objet d’un prêt de main d”uvre illicite peut demander la réparation du préjudice qu’il a subi. Saisi d’une telle demande, le juge doit donc déterminer si le contrat de sous-traitance ou de prestations de services est réel ou s’il dissimule un prêt de main d”uvre prohibé en recherchant si l’opération qui lui est soumise constitue une fourniture de main-d”uvre déguisée ou si, au contraire, le prêt de personnel se justifie par la nature du contrat qui lie l’entreprise prestataire à l’entreprise utilisatrice, et ce sans s’arrêter à la qualification donnée par les parties à la relation contractuelle.
Les critères habituellement retenus pour distinguer les opérations licites de celles qui sont interdites sont le maintien ou non du lien de subordination avec l’entreprise d’origine du salarié, le fait que la mise à disposition du salarié soit ou non à prix coûtant, le fait que le salarié mis à disposition exerce ou non une activité spécifique distincte de celle de l’entreprise d’accueil, autant d’indices qui, pris isolément ne sont pas décisifs, mais dont la réunion est déterminante.
En l’espèce, alors que M. [S] était salarié de la société Immo aménagement depuis le 3 septembre 2018, une convention de recherche foncière, d’assistance administrative, financière et commerciale a été régularisée courant juin 2019 pour une durée indéterminée à effet rétroactif du 1er janvier 2019, entre son employeur la société Immo aménagement, et la société City aménagement créée le 11 février 2019 par le salarié lui-même détenteur de 26% des parts et la société Immo aménagement, et immatriculée le 27 février 2019.
La convention précise que « les soussignées sont des entreprises ayant entre elles directement ou indirectement des liens de capital conférant à la société SARL Immo aménagement un pouvoir de contrôle effectif sur la société City aménagement. (‘) La société City aménagement se trouve confrontée à des besoins liés à sa récente création, notamment dans sa recherche de terrains mais également dans les domaines administratifs, financiers et commerciaux. La société Immo aménagement, à la tête d’un groupe de plusieurs sociétés affiliées possède, en son sein les équipes, le savoir-faire, les installations nécessaires pour assurer une gamme importante de services aux sociétés qu’elle contrôle. (‘) En conséquence, les sociétés (‘) se sont rapprochées et ont déterminé, aux termes des présentes, les modalités de l’assistance administrative, financière et commerciale qui sera apportée par la société Immo aménagement à la société City aménagement. ».
La convention prévoit que l’ensemble des prestations est facturé par la société Immo aménagement. Elle stipule ainsi en son article 6 « rémunération ‘ remboursement de frais » :
« Article 1 ‘ Rémunération de la société Immo aménagement pour sa recherche foncière et son assistance administrative et foncière
En contrepartie des prestations de services et de son assistance, la société SARL Immo aménagement percevra une rémunération calculée d’après le barème suivant :
Refacturation du salaire de M. [S] [D] pour l’ingénierie foncière. Forfait de 1400 euros pour la mission comptable générale (utilisation de logiciel comptable, tenue comptable’). En sus, une facturation complémentaire pour les autres missions sera appliquée en fonction de chaque programme et fera l’objet d’une convention par programme.
Cette rémunération sera versée au minimum une fois annuellement calculée sur la base de 150 000 euros, une régularisation intervenant à la clôture de chaque exercice social de la société City aménagement.
Article 2 ‘ Rémunération de la société SARL Immo aménagement pour son assistance commerciale
En contrepartie de son assistance en matière d’organisation et de promotion commerciale, la société SARL Immo aménagement percevra une rémunération calculée ainsi qu’il suit : 500 euros pour chaque lot commercialisé par un salarié de la SARL Immo aménagement.
Article 3 ‘ Remboursement des frais encourus
Au surplus les frais encourus pour la réalisation par la société SARL Immo aménagement des prestations de service ci-dessus définies seront refacturés à la société City aménagement au prix coûtant (frais de mission engagés par M. [S] [D]) (‘) ».
L’objet exclusif de cette convention est sans équivoque la mise à disposition du salarié, à compter du 1er janvier 2019, la société Immo aménagement soulignant d’ailleurs dans ses conclusions que la facturation correspond à des prestations de service d’ingénierie réalisées par M. [S] au bénéfice de la société City aménagement.
La convention a ainsi été établie entre les sociétés pour définir les modalités pratiques d’exécution de la mise à disposition de M. [S] et, notamment, la question du remboursement de son salaire et de ses charges sociales.
M. [S] souligne à juste titre l’absence de date et de signature sur le document produit. Pour autant, la société Immo ne justifie pas d’une convention de mise à disposition de son personnel signée par les deux sociétés. Elle ne produit pas en effet d’éléments complémentaires et ne répond pas aux observations du salarié, se contentant de verser aux débats un document qui ne comporte ni date ni signature sur lequel figure un tampon « certifié conforme à l’original » et une mention manuscrite « copie certifiée conforme à l’original » avec une signature non identifiable.
Même à retenir la régularité de la convention non signée ainsi présentée, il demeure que l’employeur reconnaît qu’elle n’a été régularisée que plusieurs mois après la mise à disposition effective du salarié, avant même que la société utilisatrice ait débuté son activité. Il ressort en effet des moyens débattus et du procès-verbal de constat portant sur l’assemblée générale mixte des sociétés City aménagement et Immo aménagement du 22 décembre 2020, que la convention date du 3 juin 2019, ce dont il se déduit que, du 1er janvier au 3 juin 2019, M. [S] a concrètement été mis à disposition sans aucun cadre défini par une convention. Or, la société d’origine ne rapporte pas la preuve que, sur cette période, le salarié pourtant également actionnaire de la société utilisatrice, était toujours resté placé sous son autorité et son contrôle comme elle l’affirme sans élément à l’appui.
Par ailleurs, les fonctions du salarié, dans le cadre de son contrat de travail étaient les suivantes :
Recherche foncière
Réalisation d’études de capacité sommaire et de bilans d’opérations,
Négociation foncière,
Signature des promesses de ventes avec l’accord de la direction.
La tâche à accomplir dans le cadre de la mise à disposition était en particulier la « recherche de terrain », la société intimée soulignant dans ses conclusions qu’elle a été étendue à l’aménagement de foncier au bénéfice de la société City immobilier. Le salarié, qui s’est totalement dédié à la société utilisatrice, ne conteste pas avoir effectivement apporté son expérience dans ce cadre élargi qui ne correspond cependant pas à une activité spécifique distincte de celle de l’entreprise d’accueil, a donc exécuté pendant plus de 18 mois les tâches normalement dévolues à des salariés de la société utilisatrice. Sa mission a au demeurant été prévue pour une durée indéterminée dans la convention et n’ayant, dans les faits, été limitée qu’en raison de la rupture conventionnelle, permettant ainsi à la société City de faire l’économie d’une embauche.
Si le prêt de main-d”uvre permet à la société utilisatrice d’obtenir une main-d”uvre formée et qualifiée sans subir les contraintes de l’embauche de travailleurs en contrat à durée déterminée ou en contrat de travail temporaire, cet intérêt pécuniaire ne pouvant certes à lui seul suffire à caractériser le prêt de main-d’oeuvre illicite, néanmoins, il en va différemment si l’opération a ainsi concrètement permis de pourvoir durablement des emplois liés à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice, ce qui caractérise alors une fraude à la loi et fait apparaître le caractère lucratif de l’opération. Il est ici avéré que l’intervention de M. [S] dans le cadre de l’assistance prévue entre les deux sociétés d’un même groupe ayant la même activité, avant même la création de la société City aménagement, dont il n’est pas prouvé qu’elle a en parallèle embauché des salariés pour accomplir son objet social entre février 2019 et août 2020, a indiscutablement pourvu durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice.
Ces éléments, pris ensemble, caractérisent un prêt de main d”uvre à but lucratif.
Il s’ajoute que si la société Immo aménagement souligne ne pas avoir bénéficié d’un enrichissement du fait de la convention litigieuse, il apparaît néanmoins qu’elle a facturé les services de M. [S] dès le 1er janvier 2019, alors même que la société City créée le 11 février 2019 n’a été immatriculée que le 27 février et qu’il n’est pas justifié avant février 2019 d’une entrée en activité de la société, ni de sa personnalité morale, ni encore de l’accomplissement réel par le salarié d’une mission à son profit.
Il s’ajoute encore que la somme facturée inclus un montant forfaitaire pour la comptabilité correspondant au montant prévu par la convention. Or, a minima, pour pouvoir être refacturé à l’entreprise utilisatrice, les frais de gestion doivent être précisément chiffrables, justifiables, individualisables et correspondre à un coût réel et non à une somme forfaitaire. La rédaction de l’article L.8241-1 du code du travail conduit à considérer que les éléments autorisés à être facturés par l’entreprise prêteuse sont listés de manière limitative. Les frais de gestion qui résultent du fait que, durant la période de mise à disposition, le salarié reste rémunéré par l’entreprise prêteuse, qui établit ses bulletins de paie, suit ses compteurs de congés payés, jours de repos, etc, n’est pas prévu dans les frais que l’entreprise prêteuse est autorisée à facturer à l’entreprise utilisatrice. Le coût réel du travail est limité au coût des éléments visés à l’article L.8241-1 du code du travail que sont le salaire, les charges sociales et les frais professionnels. Dès lors que les frais forfaitaires facturés ne constituent pas l’exacte mesure de dépenses exposées par l’entreprise prêteuse, le but lucratif est retenu.
Ainsi, le but lucratif de l’opération est caractérisé du côté de la société prêteuse, le coût global de la facturation ayant excédé le coût du salaire et des charges sociales strictement afférentes à l’activité du salarié prêté.
En conséquence, sans qu’il soit utile de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, au regard de ces éléments pris ensemble, M. [S] établit que sa mise à disposition constituait une opération de prêt de main d”uvre illicite.
Il conviendra donc d’infirmer la décision déférée en ce qu’elle a rejeté la demande de reconnaissance du prêt de main d”uvre illicite.
2. Sur la demande indemnitaire
S’il ne résulte d’aucune pièce du dossier que M. [S] présentait une qualification particulière justifiant sa mise à disposition pour une durée indéterminée au sein de la société City aménagement, laquelle devait être en capacité de recruter du personnel pour la recherche de terrains comme pour l’aménagement de terrains compte tenu de son objet social, le salarié ne justifie cependant pas que sa mise à disposition auprès de celle-ci l’aurait lésé.
M. [S] affirme, sans le prouver, avoir subi un préjudice personnel résultant de la facturation par son employeur à la société City aménagement de son travail au titre de l’exercice 2020 pour un montant de 150 000 euros supérieur au coût réel de son salaire. Il produit, à l’appui de ses affirmations, le grand livre des comptes 2020 de la société City aménagement dont il est actionnaire, qui ne prouve cependant aucunement que la somme de 150 000 euros aurait été facturée pour son travail au cours de cet exercice, alors qu’il est par ailleurs établi par le rapprochement du détail de la facture et du bulletin de paie de régularisation de décembre 2020, que la société Immo aménagement pouvait légitimement, comme elle l’a fait, facturer la somme de 91 046,59 euros. Par ailleurs, aucun aveu judiciaire ne saurait être retenu à la lecture des conclusions de première instance de la partie adverse, qui a bien indiqué que la convention prévoit une rémunération annuelle de l’ensemble des prestations de la société «calculée sur une base de 150 000 euros» mais «donnant ensuite lieu à une régularisation au débit ou au crédit en fonction des coûts réels connus en fin d’exercice.»
Surabondamment, même à retenir une telle surfacturation, il n’est aucunement démontré que le montant de 150 000 euros correspondrait à la valeur réelle de son travail, et le salarié, dont le salaire a été payé durant tout le temps de la mise à disposition et qui bénéficiait de tous les avantages de la convention collective applicable dans l’entreprise utilisatrice qui est la même que celle applicable dans l’entreprise d’origine, ne justifie pas d’un préjudice.
Il soutient que son préjudice résulte également de la rupture conventionnelle sans reprise des relations de travail, affirmant avoir accepté la rupture conventionnelle de son contrat de travail en étant « persuadé qu’il disposerait par la suite d’un contrat régularisant sa situation juridique avec la société City aménagement. » à la suite de man’uvres de l’employeur qu’il se contente toutefois d’alléguer sans document à l’appui. Il se contente en effet d’affirmer sans élément à l’appui malgré les contestations adverses, qu’il n’a signé la convention de rupture que parce que l’employeur lui avait promis la poursuite des relations d’affaires par le biais de la société City aménagement, la seule mention dans la convention que les parties se laissaient la possibilité de poursuivre une forme de collaboration dans un autre cadre ne pouvant suffire à justifier des man’uvres alléguées ou la mauvaise foi de l’employeur.
Faute de justifier d’un préjudice personnel, réel et certain, la demande indemnitaire ne peut qu’être rejetée et le jugement déféré confirmé.
3. Sur la procédure abusive
La société Immo aménagement, qui succombe partiellement, sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
4. Sur les autres demandes
L’issue du litige conduit à confirmer la décision déférée.
Les parties, qui succombent chacune partiellement, seront condamnées à conserver la charge des dépens par elles exposés en cause appel, et seront déboutées de leurs demandes antagonistes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.
La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Infirme la décision déférée en ce qu’elle a dit que le prêt de main d”uvre illicite n’est pas établi,
La confirme sur le surplus en ses dispositions soumises à la cour,
Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,
Dit que le prêt de main d”uvre illicite est établi,
Déboute les parties de leurs demandes antagonistes au titre des frais irrépétibles,
Condamne chacune des parties à conserver la charge de ses propres dépens.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.