Cour d’appel d’Agen, CIV.1, du 21 septembre 2005

·

·

Cour d’appel d’Agen, CIV.1, du 21 septembre 2005

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

DU 21 Septembre 2005 ————————-

C.A/S.B SOCIETE DES AUTEURS DES ARTS VISUELS ET DE L’IMAGE FIXE (SAIF), Lionel X… C/ S.A.R.L. LE GOURMET QUERCYNOIS RG N : 04/00952 – A R R E T No – —————————– Prononcé à l’audience publique du vingt et un Septembre deux mille cinq, par Bernard BOUTIE, Président de Chambre, LA COUR D’APPEL D’AGEN, 1ère Chambre dans l’affaire, ENTRE :

SOCIETE DES AUTEURS DES ARTS VISUELS ET DE L’IMAGE FIXE (SAIF), prise en la personne de son représentant légal actuellement en fonctions domicilié en cette qualité au siège Dont le siège social est 3, rue Cassini 75014 PARIS Monsieur Lionel X… né le 04 Mars 1952 à PARIS Demeurant Place du Sombral 46330 SAINT CIRQ LAPOPIE représentés par la SCP Guy NARRAN, avoués assistés de la SCP CAMBON & SAINT- PRIX, avocats APPELANTS d’un jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de CAHORS en date du 04 Juin 2004 D’une part, ET : S.A.R.L. LE GOURMET QUERCYNOIS, prise en la personne de son représentant légal actuellement en fonctions domicilié en cette qualité au siège Dont le siège social est 46330 SAINT CIRQ LAPOPIE représentée par la SCP Henri TANDONNET, avoués assistée de la SCP MERCADIER – MONTAGNE, avocats INTIMEE D’autre part, a rendu l’arrêt contradictoire suivant après que la cause ait été débattue et plaidée en audience publique, le 23 Juin 2005, devant Dominique NOLET, Conseiller faisant fonctions de Présidente de Chambre, Chantal AUBER, Conseiller et Christophe STRAUDO, Vice-Président placé désigné par ordonnance du Premier Président en date du 16 Juin 2004, assistés de Dominique SALEY, Greffier, et qu’il en ait été délibéré par les magistrats du siège ayant assisté aux débats, les parties ayant été avisées de la date à laquelle l’arrêt serait rendu. FAITS ET PROCÉDURE :

Lionel X… a créé un dessin représentant le village de SAINT-CIRQ-LAPOPIE qui a été reproduit sur les étiquettes des

produits commercialisés par la société Le GOURMET QUERCYNOIS.

Par acte du 4 décembre 2002, Lionel X… et la Société civile des Auteurs des Arts Visuels et de l’Image Fixe (SAIF) ont fait assigner la société LE GOURMET QUERCYNOIS pour faire juger qu’elle a porté atteinte à leur droits patrimoniaux et au droit moral de Lionel X… et pour obtenir l’indemnisation de leurs préjudices.

Par jugement du 4 juin 2004, le tribunal de grande instance de CAHORS a :

– débouté Lionel X… et la société S.A.I.F. de leurs demandes,

– condamné Lionel X… et la société SAIF à payer à la SARL LE GOURMET QUERCYNOIS la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 500 euros en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile,

– les a condamnés aux dépens.

Lionel X… et la société S.A.I.F. ont relevé appel de cette décision dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas contestées.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 7 juin 2005. MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Lionel X… et la société SAIF qui concluent à la réformation du jugement déféré, font observer à titre liminaire que le premier juge a fondé sa décision sur un moyen de droit relevé d’office tiré de l’article L 511-9 du code de la propriété intellectuelle qui est inapplicable en l’espèce. Ils rappellent en effet que les dessins et modèles bénéficient d’un cumul de protection par le régime du droit d’auteur (livre I du code de la propriété intellectuelle) et par le régime spécifique des dessins et modèles (livre V) ; or, ils précisent qu’il n’est question en l’espèce que de droit d’auteur.

Ils invoquent les dispositions de l’article L 111-1 du code de la

propriété intellectuelle en vertu duquel l’auteur d’une oeuvre jouit sur celle-ci, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle, sans qu’aucune formalité ne soit requise. Ils font valoir qu’il convient de faire application de l’article L 122-1 du même code qui est relatif au droit d’exploitation de l’auteur et de l’article L 121-4 selon lequel toute représentation ou reproduction faite sans le consentement de l’auteur est illicite.

Ils soutiennent en effet que la société LE GOURMET QUERCYNOIS a reproduit le dessin original de Lionel X… sans en avoir reçu l’autorisation préalable et expresse.

Ils demandent donc à la cour :

– de juger que la SARL LE GOURMET QUERCYNOIS n’a pas respecté le droit d’exploitation de Lionel X… et de la SAIF,

– de juger que la SARL LE GOURMET QUERCYNOIS a porté atteinte aux droits patrimoniaux, au droit intellectuel et au droit moral de Lionel X… sur ses oeuvres,

-de juger qu’elle a porté atteinte à l’intérêt collectif des auteurs représenté par la SAIF,

– en conséquence, de la condamner à payer à Lionel X… et à la société SAIF une provision de 5.000 euros chacun à valoir sur le montant des droits d’exploitation dus et sur l’indemnisation du préjudice,

– avant dire droit, d’ordonner à la SARL LE GOURMET QUERCYNOIS de produire et communiquer tous justificatifs, notamment le nombre d’étiquettes reproduites, y compris comptables, de toutes les exploitations et reproductions du dessin original créé par Lionel X… et ce, sous astreinte de 100 euros par jour de retard,

– de condamner la SARL LE GOURMET QUERCYNOIS à leur payer la somme de 2.500 euros à chacun au titre de l’article 700 du nouveau code de

procédure civile. * * *

L’EURL LE GOURMET QUERCYNOIS soutient que Lionel X…, qui était ami avec son gérant, M. Y…, lui a donné un dessin qu’il pourrait reproduire et utiliser dans le cadre de la diffusion de ses produits, mais qu’après plusieurs années d’utilisation au vu et au su de Lionel X…, celui-ci et la société SAIF ont manifesté leur opposition, qu’elle a alors immédiatement cessé toute utilisation de ce dessin et a fait créer un nouveau dessin de SAINT CIRQ LAPOPIE pour illustrer ses étiquettes.

Elle fait valoir, en droit, que les dispositions de l’article L 511-9 du code de la propriété intellectuelle s’ajoutent au régime général des articles L 111-1 et suivants et que le tribunal s’est donc fondé à juste titre sur ce texte pour retenir que Lionel X… ne justifiait pas d’un enregistrement auprès de l’INPI conditionnant son droit à protection.

Elle soutient à titre subsidiaire que même si les dispositions des articles L 111-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle étaient seules applicables à l’exclusion de l’article L 511-9, les prétentions de Lionel X… et de la société SAIF ne seraient pas fondées car il n’y a pas eu en l’espèce d’atteinte aux droits moraux ni aux droits patrimoniaux. Elle affirme en effet qu’en ce qui concerne les droits moraux, l’utilisation de l’oeuvre de Lionel X… a été faite avec son accord et que s’agissant des droits patrimoniaux, le droit de représentation défini par l’article L 122-2 ne correspond pas aux faits invoqués.

Elle rappelle en outre qu’aux termes de l’article L 122-7 du code de la propriété intellectuelle, ces droits sont cessibles à titre onéreux ou gratuit et que si les contrats de représentation, d’édition et de production doivent être constatés par écrit, la sanction de l’absence d’écrit n’est pas la nullité du contrat, mais

que les articles 1341 et 1348 du code civil sont alors applicables. Or, elle estime que la preuve de l’existence d’un contrat résulte de l’absence d’opposition à l’utilisation du dessin qui a été faite au vu et au su de tous.

Elle ajoute que l’utilisation du dessin ne peut donner lieu à l’allocation de dommages et intérêts puisqu’elle a cessé spontanément dès qu’il y a eu opposition. Elle souligne de plus que ce n’est pas le dessin figurant sur les étiquettes qui avait une valeur commerciale et que la commercialisation de ses produits du terroir à usage alimentaire n’est pas due à ce dessin, mais aux qualités et spécificités intrinsèques des produits, de sorte que même s’il y avait eu atteinte aux droits de Lionel X…, le préjudice causé ne pourrait être que symbolique.

Elle conclut en conséquence à la confirmation du jugement déféré en ce qu’il a débouté Lionel X… et la société SAIF de leurs demandes et, formant un appel incident, elle demande leur condamnation au paiement de la somme de 1.500 euros en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile. MOTIFS DE LA DÉCISION :

L’article L 111-1 alinéa 1 et 2 du code de la propriété intellectuelle dispose que: « L’auteur d’une oeuvre de l’esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres I et III du présent code. »

Aux termes des articles L 112-1 et L 112-2 du code de la propriété intellectuelle, les dispositions de ce code protègent les droits des auteurs sur toutes les oeuvres de l’esprit dont font partie les oeuvres de dessin.

En vertu du principe de l’unité de l’art, ils bénéficient de cette protection, même en l’absence d’enregistrement, et ce, par application des dispositions relatives au droit d’auteur à l’exclusion de la protection spécifique des dessins et modèles prévue par le livre V du code de la propriété intellectuelle et particulièrement l’article L 511-9.

En l’espèce, il n’est pas contesté que le dessin représentant le village de SAINT-CIRQ-LAPOPIE, réalisé par Lionel X… et reproduit sur les étiquettes des produits commercialisés par la société Le GOURMET QUERCYNOIS, constitue une oeuvre de l’esprit présentant un caractère original au sens du code de la propriété intellectuelle.

Lionel X… bénéficie ainsi de la protection de son droit d’auteur et il est fondé à agir pour en faire constater les atteintes.

D’autre part, Lionel X… ayant adhéré le 20 décembre 2000 à la société S.A.I.F. à laquelle il a fait apport de ses droits d’auteur, ainsi qu’il résulte des conclusions des appelants, de son acte d’adhésion et des statuts de cette société, celle-ci a qualité et intérêt à agir pour la défense des droits dont elle a statutairement la charge.

Selon les articles L 121-1 et L 121-2 du code de la propriété

intellectuelle, les droits d’ordre intellectuel et moral appartenant à l’auteur sont le droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre, ainsi que le droit de divulguer son oeuvre.

Les attributs patrimoniaux du droit d’auteur sont déterminés par l’article L 122-1 qui dispose que le droit d’exploitation comprend le droit de représentation et le droit de reproduction. L’article L 122-4 du code de la propriété intellectuelle précise que toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur est illicite.

En l’espèce, la société Le GOURMET QUERCYNOIS, qui ne conteste pas avoir reproduit le dessin créé par Lionel X… sur les étiquettes des bouteilles et des produits alimentaires régionaux qu’elle commercialise, n’établit pas avoir reçu l’autorisation de procéder à cette exploitation.

L’article L 131-2 du code de la propriété intellectuelle dispose que les contrats de représentation, d’édition et de production audiovisuelle doivent être constatés par écrit, qu’il en est de même des autorisations gratuites d’exécution et que dans tous les autres cas, les dispositions des articles 1341 à 1348 du code civil sont applicables.

Or, la société Le GOURMET QUERCYNOIS admet qu’aucun contrat écrit n’a été signé par les parties et elle ne prouve aucunement que Lionel X… lui aurait donné son dessin pour qu’elle l’utilise dans le cadre de la diffusion commerciale de ses produits.

La seule remise de ce dessin par Lionel X… n’est pas de nature à apporter une telle preuve dès lors qu’elle ne suffit pas à démontrer l’existence d’une autorisation d’exploitation et que l’article L 111-3 du code de la propriété intellectuelle précise que la propriété incorporelle définie par l’article L 111-1 est indépendante de la propriété de l’objet matériel.

L’autorisation de l’auteur devant nécessairement être préalable à tout commencement d’exploitation, la preuve de l’existence d’une convention ne peut pas résulter du seul fait que Lionel X… ne se serait pas opposé dès l’origine à l’utilisation de son dessin. De même, les témoignages produits par la société intimée ne sont pas de nature à prouver la réalité d’une autorisation d’exploitation, préalable à l’usage qu’elle a fait du dessin.

Il résulte de ce qui précède qu’en reproduisant l’oeuvre de Lionel X… sans le consentement de ce dernier, la société Le GOURMET QUERCYNOIS a agi de manière illicite et a porté atteinte au droit d’exploitation de l’auteur.

L’atteinte à ce droit a nécessairement causé à Lionel X… un préjudice d’ordre moral et matériel puisque la société Le GOURMET QUERCYNOIS n’allègue pas lui avoir consenti un avantage quelconque en contrepartie de l’utilisation et de la reproduction de son dessin. En outre, pour la période suivant l’adhésion de Lionel X… à la société SAIF, soit à compter du 20 décembre 2000, cette dernière invoque à juste titre l’atteinte au droit d’exploitation et à l’intérêt collectif des auteurs qu’elle représente.re invoque à juste titre l’atteinte au droit d’exploitation et à l’intérêt collectif des auteurs qu’elle représente.

Lionel X… et la société SAIF considèrent cependant à tort que pour établir les conséquences financières de l’exploitation du dessin et les dommages subis, la société Le GOURMET QUERCYNOIS devrait produire tous les justificatifs, y compris comptables, de toutes les exploitations du dessin.

En effet, si l’intimée a bien utilisé et reproduit le dessin de Lionel X…, elle n’a pas commercialisé ce dessin lui-même, mais ses propres produits, le dessin n’étant ainsi qu’un accessoire de cette commercialisation.

La production des justificatifs réclamés, qui ne sont d’ailleurs pas vraiment précisés par les appelants, n’apparaît donc pas indispensable à l’évaluation du préjudice résultant de l’atteinte au droit d’exploitation de l’auteur

Par ailleurs, aucun élément objectif ne démontre que la société Le GOURMET QUERCYNOIS a continué à utiliser les reproductions du dessin postérieurement aux lettres que lui a adressées la société SAIF au cours de l’année 2001 et les appelants n’ont d’ailleurs pas sollicité, au cours de la présente instance, la cessation de l’utilisation du dessin.

Selon les lettres adressées par la société SAIF à la société Le GOURMET QUERCYNOIS, l’exploitation illicite du dessin a eu une durée de cinq ans et cette dernière ne conteste pas l’avoir reproduit sur les étiquettes de tous ses produits. En outre, la production du dessin figurant sur les étiquettes permet d’en constater la qualité et d’estimer l’avantage lié à l’utilisation qui en a été faite.

Au vu de ces éléments d’appréciation, il apparaît justifié d’évaluer l’indemnisation du préjudice moral et financier résultant de l’atteinte au droit d’exploitation de Lionel X… à la somme de 3.000 euros et d’allouer à la société SAIF la somme de 1 euros à titre de dommages et intérêts.

Une atteinte au droit moral de l’auteur, c’est à dire affectant son droit de divulgation, ou le respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre, n’étant pas explicitée par les appelants et n’étant pas caractérisée par les éléments de la cause, aucune indemnisation ne sera allouée à ce titre.

Il y a lieu en conséquence d’infirmer le jugement déféré, de condamner la société Le GOURMET QUERCYNOIS au paiement des sommes précitées et de débouter les appelants du surplus de leurs demandes.

La société Le GOURMET QUERCYNOIS, qui succombe dans ses prétentions, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel et n’a pas droit au bénéfice de l’article 700 du nouveau code de procédure civile. Elle sera en outre condamnée, en application de ce texte, à payer à Lionel X… et à la société SAIF la somme globale de 1.200 euros. PAR CES MOTIFS :

La Cour, statuant en audience publique, contradictoirement et en dernier ressort,

Infirme le jugement rendu le 4 juin 2004 par le tribunal de grande instance de CAHORS,

Et statuant à nouveau,

Dit et juge que la société LE GOURMET QUERCYNOIS a porté atteinte au droit d’exploitation de Lionel X… et de la société S.A.I.F. sur l’oeuvre de dessin créée par Lionel X…,

Condamne la société LE GOURMET QUERCYNOIS, en réparation du préjudice causé par l’atteinte à ce droit, à payer à Lionel X… la somme de 3.000 euros et à la société S.A.I.F. la somme de 1 euros,

Déboute Lionel X… et la société SAIF du surplus de leurs demandes,

Condamne la société LE GOURMET QUERCYNOIS à payer à Lionel X… et à la société SAIF la somme globale de 1.200 euros en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile,

Condamne la société LE GOURMET QUERCYNOIS aux dépens de première instance et d’appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du nouveau code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Bernard BOUTIE, Président de Chambre et Dominique SALEY, Greffier présent lors du prononcé.

Le Greffier

Le Président


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x