Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 7 juin 2010 au greffe de la Cour administrative d’appel de Versailles, présentée pour la SOCIETE CREDIT AGRICOLE CORPORATE AND INVESTMENT BANK, dont le siège est 9, quai Paul Doumer à Paris la Défense Cedex (92920), par Me de Viry ;
La SOCIETE CREDIT AGRICOLE CORPORATE AND INVESTMENT BANK demande à la Cour :
1°) d’annuler le jugement n° 0800914 du 8 avril 2010 par lequel le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant au remboursement des impositions supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée mises à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2002 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions contestées et des pénalités y afférentes ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que lors de l’opération de placement des actions Crédit Agricole réalisée en 2001, elle n’a agi en tant qu’intermédiaire opaque que pour le compte de A ; qu’ainsi la base d’imposition correspondant au montant de la commission perçue doit être réduite à sa seule quote-part conjointe avec A, soit 2 654 539 euros ; que la commission de garantie est exonérée de taxe sur la valeur ajoutée sans faculté d’option, en tant que modalité spécifique d’une opération de prise ferme et, plus généralement, au même titre qu’une opération de crédit, ou, à titre subsidiaire, en tant que garantie constituant une opération d’assurance ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la sixième directive 77/388/CEE du Conseil des Communautés européennes du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 21 juin 2012 :
– le rapport de M. Delage, premier conseiller,
– les conclusions de M. Soyez, rapporteur public,
– et les observations de Me de Viry pour la SOCIETE CREDIT AGRICOLE CORPORATE AND INVESTMENT BANK ;
Considérant que, dans la cadre de la restructuration du groupe Crédit Agricole, 177 680 000 actions » Crédit agricole SA » ont été cédées dans le cadre d’un contrat global de garantie et de placement en date du 13 décembre 2001 conclu, d’une part, entre les caisses régionales de crédit agricole mutuel et le FCPR CNCA Transactions, actionnaires vendeurs et, d’autre part, entre divers établissements financiers dont la société Crédit Agricole Indosuez (CAI) et les chefs de file associés du placement global et de l’offre à prix ouvert ; que la société Calyon, anciennement dénommée société Crédit Agricole Indosuez et devenue SOCIETE CREDIT AGRICOLE CORPORATE AND INVESTMENT BANK, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité qui a porté, en matière de taxe sur la valeur ajoutée, sur la période du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2002, à l’issue de laquelle le service a considéré que les commissions de garantie perçues par la société Crédit Agricole Indosuez dans le cadre de l’activité de placement de titres susdécrite devaient être assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée ; que la société Calyon a contesté ces rappels devant le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise qui a rejeté sa demande par jugement du 8 avril 2010 ; que la requérante relève appel de ce jugement ;
Sur le bien-fondé de l’imposition :
Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 260 B du code général des impôts : » Les opérations qui se rattachent aux activités bancaires, financières et, d’une manière générale, au commerce des valeurs et de l’argent, telles que ces activités sont définies par décret, peuvent, lorsqu’elles sont exonérées de taxe sur la valeur ajoutée, être soumises sur option à cette taxe. L’option s’applique à l’ensemble de ces opérations et elle a un caractère définitif. Elle prend effet à compter du premier jour du mois suivant celui au cours duquel elle est déclarée au service local des impôts » ; que les dispositions de l’article 260 C du même code précisent que l’option mentionnée à l’article 260 B ne s’applique pas : » (…) 4° aux intérêts et agios ; 5° aux rémunérations assimilables à des intérêts ou agios (…) » ; qu’aux termes de l’article 23 O de l’annexe IV au code général des impôts : » La liste des rémunérations assimilables à des intérêts ou agios pour l’application des dispositions du 5° de l’article 260 C du code général des impôts est établie comme suit : /commission du plus fort découvert ; /commission d’endos ; /commission d’attente, d’engagement, d’ouverture ou de confirmation de crédit ; /commission de caution, d’aval ou de ducroire ; /commission d’acceptation ; /commission de garantie de placement d’obligations ou de bonne fin d’augmentation de capital ; /commission de garantie de bonne fin d’opérations immobilières ; /frais de gestion réglementés perçus par les sociétés de crédit différé ; /rémunération perçue par l’intermédiaire placeur d’emprunts émis par voie d’adjudication. » ; qu’il est constant que la société a opté pour la taxe sur la valeur ajoutée ;
Considérant, d’une part, que l’opération prévue par le contrat de garantie et de placement en litige, laquelle a consisté, contre le paiement d’une commission, à rechercher des acquéreurs pour le compte des actionnaires vendeurs et à garantir à ces derniers l’acquisition, par des investisseurs ou à défaut par eux-mêmes, des actions qui n’auraient pas été vendues au public dans le cadre de l’offre à prix ouvert, ne peut être assimilée à aucune de celles qui sont mentionnées dans la liste dressée par les dispositions précitées de l’article 23 O de l’annexe IV au code général des impôts, pour lesquelles il n’est pas prévu de possibilité d’option ; qu’en particulier, la seule circonstance que l’opération en cause procure un revenu à la société ne peut suffire à regarder l’opération de placement garanti en cause comme une opération de crédit au sens des dispositions précitées ;
Considérant, d’autre part, que, pour échapper aux conséquences de l’option pour l’opération donnant lieu au présent litige, la SOCIETE CREDIT AGRICOLE CORPORATE AND INVESTMENT BANK soutient que les opérations exonérées de taxe sur la valeur ajoutée sans possibilité d’option s’entendent de celles qui, antérieurement au 1er janvier 1979, étaient soumises à l’impôt de bourse et exonérées à ce titre de la taxe spéciale sur les activités bancaires et financières ; qu’au nombre de ces dernières figurait l’activité de prise ferme à laquelle, selon la société requérante, l’opération en litige devrait être assimilée au regard du régime de taxe sur la valeur ajoutée, dès lors notamment que ces deux types d’opérations poursuivent des objectifs similaires ; qu’il résulte toutefois de l’instruction que le service de prise ferme, qui consiste à souscrire ou acquérir directement auprès de l’émetteur ou du cédant des instruments financiers en vue de procéder à leur vente, est rémunéré par la valeur de l’écart entre le cours d’acquisition et le cours de revente ; qu’il ne saurait par suite être regardé comme similaire en tous points à l’opération de placement garanti telle que décrite précédemment, les deux opérations différant en ce qui concerne tant leur nature que leurs modalités de rémunération ; que, dès lors, le moyen ainsi soulevé ne peut qu’être écarté ;
Considérant, en deuxième lieu, qu’il résulte de ce qui précède que si la société soutient que les opérations en litige doivent être exonérées de taxe sur la valeur ajoutée, un tel moyen est inopérant eu égard aux effets de l’option exercée par la SOCIETE CREDIT AGRICOLE CORPORATE AND INVESTMENT BANK, laquelle emporte la soumission desdites opérations à la taxe sur la valeur ajoutée alors même qu’elles en seraient exonérées ;
Considérant, en troisième lieu, qu’aux termes des dispositions de l’article 13 B de la sixième directive n° 77-388-CEE du Conseil des Communautés européennes susvisée : » Sans préjudice d’autres exonérations communautaires, les Etats membres exonèrent, dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels : a) les opérations d’assurance et de réassurance, y compris les prestations de services afférentes à ces opérations effectuées par les courtiers et les intermédiaires d’assurance » ; que l’article 261 C du code général des impôts, pris pour l’adaptation de la directive précitée, dispose : » Sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée : (…) 2° Les opérations d’assurance et de réassurance ainsi que les prestations de services afférentes à ces opérations effectuées par les courtiers et intermédiaires d’assurance » ; que, conformément à l’interprétation des stipulations précitées de la sixième directive donnée par l’arrêt 349/96 du 25 février 1999 de la Cour de justice des Communautés européennes, doivent être regardées comme des opérations d’assurance au sens des dispositions précitées du 2° de l’article 261 C du code général des impôts, les opérations caractérisées par le fait que l’assureur se charge, moyennant le paiement préalable d’une prime, de procurer à l’assuré, en cas de réalisation du risque couvert, la prestation convenue lors de la conclusion du contrat ;
Considérant que la société requérante soutient à titre subsidiaire que l’opération en litige est également assimilable à une opération d’assurance exonérée sans possibilité d’option ; qu’à l’appui de ses conclusions elle soutient que les banques qui garantissent le placement supportent le risque de non vente ; que, toutefois, l’opération de placement garanti sus-décrite, rémunérée par une commission, ne peut être regardée comme une couverture de risque assimilable à une opération d’assurance au sens de la directive précitée ; que le moyen ainsi soulevé doit donc être écarté ;
Mais considérant en revanche, en quatrième et dernier lieu, que le service a déterminé la taxe en litige en se fondant sur un montant de 13 272 695 euros, correspondant au montant des commissions de garantie de placement perçues et regardées comme incluant la taxe sur la valeur ajoutée à laquelle cette prestation devait être assujettie ; que l’assiette ainsi retenue correspond au prix total de la souscription diminué des commissions ; que devant le tribunal la société a soutenu que la société CAI n’avait garanti que sa quote-part dans l’opération, soit 10 % ; que si, devant la Cour, la requérante soutient de nouveau qu’elle ne garantissait que sa quote-part dans l’opération de placement, le solde faisant l’objet d’une garantie des autres établissements financiers et qu’ainsi elle n’a effectivement perçu qu’un commission correspondant à ladite quote-part, elle indique que celle-ci peut être évaluée à 20 % compte tenu de sa qualité d’intermédiaire opaque pour A ; qu’il résulte effectivement du contrat global de garantie et de placement en date du 13 décembre 2001 que les garants se sont engagés à l’égard des actionnaires vendeurs, conjointement et sans solidarité entre eux, à faire acheter ou, à défaut, à acheter eux-mêmes, les actions de l’offre à prix ouvert ; que l’article 1.1 de ce contrat stipule que chaque garant s’engage à concurrence du seul nombre d’actions mentionné dans l’engagement de garantie prévu audit contrat ; qu’en vertu de l’article 1.2 du même contrat que l’engagement du garant » Crédit Agricole Indosuez A » porte sur 20 % des actions de l’opération de placement ; que l’article 10 stipule qu’en ce qui concerne les actions du placement, les actionnaires vendeurs s’engagent, conjointement et solidairement, à payer à la date de réalisation à la société CAI pour le compte des garants la commission de garantie, la commission de direction et la commission de placement, ce paiement étant libératoire à l’égard de tous les garants ; qu’enfin l’article 12 prévoit qu’à la date de réalisation, la société CAI transfèrera sur des comptes du mandataire ouvert auprès d’elle pour le compte des vendeurs les sommes correspondant au prix de l’offre multiplié par le nombre d’actions cédées, sous déduction des commissions susmentionnées ; que, dans ces circonstances, la société requérante justifie n’avoir encaissé la totalité des commissions de garantie de placement qu’au titre du mandat d’encaissement qui la liait aux autres opérateurs ; que, dès lors, en considérant que la société CAI avait agi en tant qu’intermédiaire opaque pour l’ensemble de l’opération et que la taxe devait par suite être calculée sur le montant total des commissions, les premiers juges n’ont pas tiré les conséquences des stipulations contractuelles qui existaient entre les opérateurs ; qu’il résulte de ces stipulations contractuelles, telles qu’elles viennent d’être rappelées, que la base d’imposition du rappel en litige doit être ramenée à la quote-part de la société requérante, conjointe avec A, pour des montants de commissions non contestés de 1 592 723 euros au titre de l’offre à prix ouvert et de 1 061 816 euros au titre du placement global, soit un montant total 2 654 539 euros ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la société est seulement fondée à demander à ce que sa base d’imposition à la taxe sur la valeur ajoutée, due au titre de la période du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2002, soit ramenée à 2 654 539 euros ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros que la SOCIETE CREDIT AGRICOLE CORPORATE AND INVESTMENT BANK demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La base d’imposition à la taxe sur la valeur ajoutée due au titre de la période du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2002 par la SOCIETE CREDIT AGRICOLE CORPORATE AND INVESTMENT BANK à raison des commissions de garantie perçues par la société Crédit Agricole Indosuez est réduite à la somme de 2 654 539 euros.
Article 2 : La SOCIETE CREDIT AGRICOLE CORPORATE AND INVESTMENT BANK est déchargée, en droits et pénalités, du rappel de la taxe sur la valeur ajoutée à hauteur de la réduction de base résultant de l’article 1er ci-dessus.
Article 3 : Le jugement du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise en date du 8 avril 2010 est réformé en ce qu’il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L’Etat versera à la SOCIETE CREDIT AGRICOLE CORPORATE AND INVESTMENT BANK une somme de 5000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la SOCIETE CREDIT AGRICOLE CORPORATE AND INVESTMENT BANK est rejeté.
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N° 10VE01753