Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 10 août 2004, présentée pour la société anonyme AXA, venant aux droits de la société anonyme Banque d’Orsay, prise en la personne du président de son directoire domicilié en cette qualité au siège social situé 25 avenue de Matignon à Paris (75008), par Me Meier ; la société anonyme AXA demande à la cour :
1°) d’annuler le jugement n° 0202884 en date du 22 juin 2004 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge des compléments d’impôt sur les sociétés auxquels elle a été assujettie au titre des années 1992 et 1993, et des pénalités y afférentes ;
2°) de prononcer la décharge des impositions litigieuses ;
3°) de condamner l’Etat à lui verser une somme de 5 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
…
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 2 mars 2007 :
– le rapport de M. Privesse, rapporteur,
– les observations de Me Meier, pour la société AXA,
– et les conclusions de M. Adrot, commissaire du gouvernement ;
Considérant que la société anonyme Banque d’Orsay, filiale de la société anonyme AXA, laquelle vient aux droits de celle-ci en tant que société mère d’un groupe fiscal régi par les articles 223 A à S du code général des impôts, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité à l’issue de laquelle des redressements ont été mis à sa charge au titre des années 1992 et 1993, sur le fondement et selon la procédure de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales pour des opérations multiples d’emprunt et d’achats à réméré de titres lui ayant permis d’obtenir des montants importants d’avoir fiscal ; que la société anonyme AXA fait appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande en décharge des droits et pénalités en résultant ;
Considérant d’une part, qu’aux termes de l’article 158 bis du code général des impôts, alors applicable : Les personnes qui perçoivent des dividendes distribués par des sociétés françaises disposent à ce titre d’un revenu constitué : Par les sommes qu’elles reçoivent de la société ; Par un avoir fiscal représenté par un crédit ouvert sur le Trésor. Ce crédit d’impôt est égal à la moitié des sommes effectivement versées par la société. Il ne peut être utilisé que dans la mesure où le revenu est compris dans la base de l’impôt sur le revenu dû par le bénéficiaire. Il est reçu en paiement de cet impôt. Il est restitué aux personnes physiques dans la mesure où son montant excède celui de l’impôt dont elles sont redevables ; qu’aux termes de l’article 209 bis du même code : Les dispositions des articles 158 bis et 158 ter sont applicables aux personnes morales ayant leur siège social en France, dans la mesure où le revenu distribué est compris dans la base de l’impôt sur les sociétés dû par le bénéficiaire. Le crédit d’impôt est reçu en paiement de cet impôt. Il n’est pas restituable ; qu’il résulte de ces dispositions que l’avoir fiscal constitue un revenu entrant dans la base imposable du bénéficiaire, ainsi qu’ un moyen de paiement de l’impôt ;
Considérant d’autre part, qu’aux termes de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales : Ne peuvent être opposés à l’administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d’un contrat ou d’une convention à l’aide de clauses : b) qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus L’administration est en droit de restituer son véritable caractère à l’opération litigieuse. En cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l’avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L’administration peut également soumettre le litige à l’avis du comité dont les avis rendus font l’objet d’un rapport annuel. Si l’administration ne s’est pas conformée à l’avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien fondé du redressement ; que l’administration ne peut faire usage des pouvoirs qu’elle tient des dispositions précédentes, lorsqu’elle entend contester, comme moyen de paiement de l’impôt dû, l’utilisation de l’avoir fiscal, laquelle ne déguise ni la réalisation, ni le transfert de bénéfices ou de revenus ; que par suite, alors qu’au soutien des redressements n’étaient invoquées que les seules dispositions de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, le Tribunal administratif de Paris a commis une erreur de droit en jugeant que l’administration pouvait se fonder sur la procédure de répression des abus de droit prévue par cet article pour remettre en cause l’utilisation faite par la société anonyme Banque d’Orsay des opérations susmentionnées d’emprunts et d’achats à réméré d’actions ;
Considérant toutefois qu’il appartient à la cour administrative d’appel, saisie de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés tant en demande par la société requérante devant le tribunal administratif et devant la cour qu’en défense par le ministre ;
Sur la substitution de base légale :
Considérant que si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l’administration tant qu’il n’a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient à l’administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d’obtenir l’application de dispositions de droit public, d’y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d’un acte de droit privé ; que ce principe peut conduire l’administration à ne pas tenir compte d’actes de droit privé opposables aux tiers ; que ce principe s’applique également en matière fiscale, dès lors que le litige n’entre pas dans le champ d’application des dispositions particulières de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales qui, lorsqu’elles sont applicables, font obligation à l’administration fiscale de suivre la procédure qu’elles prévoient ; qu’ainsi, hors du champ de ces dispositions, le service, qui peut toujours écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors qu’il établit que ces actes ont un caractère fictif, peut également se fonder sur le principe susrappelé pour écarter les actes qui, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, n’ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, s’il n’avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles ;
Considérant que dans un mémoire présenté le 17 novembre 2006 devant la cour, le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie invoque le principe ci-dessus énoncé et demande que les impositions litigieuses soient maintenues sur le terrain de la fraude à la loi ;
Considérant d’une part que, contrairement à ce que soutient la société requérante, aucun principe gouvernant l’instruction n’a été méconnu dès lors que ce mémoire régulièrement enregistré après la réouverture de l’instruction intervenue à la suite de la radiation de l’affaire inscrite à une première audience du 18 septembre 2006, lui a été aussitôt communiqué dans le cadre de la procédure contradictoire ;
Considérant d’autre part, que si l’administration peut, à tout moment de la procédure contentieuse y compris pour la première fois en appel, invoquer tout moyen nouveau propre à donner un fondement légal à une imposition contestée devant le juge de l’impôt, c’est à la condition qu’elle ne prive pas le contribuable des garanties de procédure prévues par la loi ; qu’en l’espèce, la société n’a été privée d’aucune garantie dès lors que la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires, dont la société a d’ailleurs été mise en mesure de demander la saisine ainsi qu’il ressort de la réponse aux observations du contribuable en date du 28 février 1996, n’était pas compétente pour apprécier si les opérations litigieuses pouvaient être qualifiées de fraude à la loi ;
Considérant que dans ces conditions il y a lieu d’examiner le bien-fondé de la demande de substitution de base légale ;
Sur l’existence d’une fraude à la loi :
Sur le but exclusivement fiscal :
Considérant que le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie soutient, sans être contesté, que la société anonyme Banque d’Orsay a réalisé durant les années 1992 et 1993 respectivement 18 et 32 opérations d’emprunts et 15 et 117 achats à réméré de valeurs mobilières qu’elle n’a détenues que durant de brèves périodes de temps encadrant le paiement des dividendes, soit que les emprunts aient été contractés pour moins d’un mois, soit que les vendeurs à réméré aient systématiquement et très rapidement exercé leur faculté de rachat ; que les capitaux engagés étaient ainsi de plus de 870 et 305 millions de francs pour les titres empruntés sur les deux années en litige et de plus de 738 et 2 058 millions de francs au titre des achats à réméré ; que l’analyse détaillée de l’opération d’achat à réméré de titres de la société Accor réalisée en 1993 fait ressortir que la banque, après avoir acheté les titres pour un prix de 508 413 920 F le 8 juin et encaissé un dividende de 16 341 976 F le 9 juin, les a revendus le 11 pour un prix de 488 322 491 F, d’où serait résultée, n’eût été la prise en compte de l’avoir fiscal, une perte d’environ 3 800 000 F résultant de ce que le prix de revente a été calculé en retranchant du prix d’achat d’une part une somme strictement équivalente au dividende perçu, d’autre part une « pénalité d’avoir fiscal » s’élevant à 4 080 623 F représentant la moitié de l’avoir fiscal attaché aux dividendes distribués ; que l’analyse globale des opérations d’emprunt et d’achat à réméré en litige à laquelle a procédé l’administration fait apparaître que l’intérêt financier de ces opérations ne tenait qu’aux acquisitions importantes d’avoirs fiscaux pour des montants nets de 20 247 422 F et de 24 491 393 F pour lesdites années ; que la Banque d’Orsay, qui se défend d’avoir eu recours à l’emprunt et d’avoir proportionné l’avoir fiscal à ses charges fiscales et soutient n’avoir contracté qu’avec des tiers sans lien avec elle, ne fait état d’aucun motif autre que fiscal tel que le respect des règles prudentielles, une meilleure présentation de son bilan ou la perspective de plus-values de cession ; qu’ainsi l’administration apporte la preuve lui incombant que lesdites opérations n’ont pu être inspirées par aucun motif autre que celui d’acquérir les moyens de payer les charges fiscales que la société ou le groupe auquel elle appartenait aurait dû normalement acquitter eu égard à sa situation et à ses activités réelles ;
Sur la contrariété des opérations en litige aux objectifs des auteurs du texte :
Considérant qu’il ressort de l’ensemble des travaux préparatoires de l’article 1er de la loi du 12 juillet 1965 créant l’avoir fiscal, alors codifié à l’article 158 bis du code général des impôts, que tant le Gouvernement que le Parlement qui en sont les auteurs ont eu comme objectifs de favoriser l’actionnariat des entreprises ainsi que le développement de la place financière de Paris et d’éliminer à cet effet la double imposition qui frappait les dividendes ;
Considérant d’une part que, s’agissant des personnes morales passibles de l’impôt sur les sociétés, l’avoir fiscal, s’il constitue aussi un élément du bénéfice de l’actionnaire, est essentiellement aux termes mêmes des articles 158 bis et 209 bis du code général des impôts un moyen de paiement de l’impôt dû par ce dernier au titre de ses résultats d’ensemble d’une année donnée ; que ces articles excluent qu’il puisse être restitué, en particulier au cas où l’avoir fiscal excède l’impôt dû ainsi qu’en présence de résultats déficitaires ;
Considérant d’autre part que le droit à l’avoir fiscal n’est nullement subordonné à une durée minimum de détention des titres avant ou après la mise en paiement des dividendes auxquels il est attaché ;
Considérant que d’un côté la Banque d’Orsay qui, comme il a été démontré ci-dessus par le ministre, était à la recherche de moyens de paiement de l’impôt sur les sociétés auquel le groupe dont elle était membre prévoyait d’être assujetti au titre des années 1992 et 1993 et, de l’autre, des sociétés placées du point de vue fiscal dans une situation différente, ont pu estimer qu’il était de leur intérêt mutuel d’échanger, fût-ce très brièvement, moyennant des contreparties qu’elles ont librement déterminées, la propriété ou la disposition de titres et les avantages en termes de dividendes et d’avoir fiscal qui y étaient légalement attachés ; que si les opérations d’emprunt ou d’achats à réméré de titres auxquelles s’est ainsi livrée pendant les années en litige la Banque d’Orsay se sont traduites, non par un renforcement des fonds propres des entreprises distributrices des dividendes, mais par un partage de fait de l’avoir fiscal avec les prêteurs ou les vendeurs à réméré et sont, sous cet angle, étrangères aux objectifs poursuivis par les auteurs du texte, elles ne s’en sont pas écartées au point de leur être contraires, dès lors qu’elles ont permis que ne soient pas doublement imposés, par le biais d’un avoir fiscal dont ni le principe ni le montant ne sont contestés, les dividendes des titres empruntés ou achetés à réméré par la Banque d’Orsay, conformément aux intentions des auteurs du texte ;
Considérant en définitive qu’alors même que leur but est purement fiscal les opérations en litige ne peuvent être qualifiées de fraude à la loi ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, qu’ il y a lieu de prononcer, au profit de la société AXA, la décharge des impositions litigieuses, et par voie de conséquence des pénalités y afférentes ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions de la requête présentées sur le fondement des susdites dispositions à concurrence d’une somme de 3 000 euros ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 22 juin 2004 du Tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La société anonyme AXA est déchargée des impositions litigieuses et des pénalités y afférentes qui lui ont été assignées au titre des années 1992 et 1993 sur le fondement de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales.
Article 3 : L’Etat versera à la société anonyme AXA une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la demande et de la requête de la société AXA est rejeté.
2
N° 04PA03397