Cour administrative d’appel de Paris, 6ème Chambre, 19/01/2015, 13PA04344, Inédit au recueil Lebon

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Cour administrative d’appel de Paris, 6ème Chambre, 19/01/2015, 13PA04344, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 29 novembre 2013, présentée pour la société Demathieu Bard Construction SAS, dont le siège est au 17 rue Vénizélos à Montigny-lès-Metz (57950), par Me C… ;

La société Demathieu Bard SAS Construction demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1205448/7-3 en date du 31 octobre 2013 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté les conclusions à fins d’annulation, d’injonction et d’indemnisation présentées par la société Demathieu et Bard TP Ile-de-France et la société Demathieu et Bard comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître ;

2°) de déclarer les juridictions administratives compétentes pour connaître du présent litige ;

3°) de condamner la société Paris Batignolles Aménagement (PBA) à lui verser la somme de 2 054 341,20 euros TTC au titre des conséquences liées à la résiliation partielle du marché qui lui avait été confié, ladite somme étant soumise à intérêts au taux légal commençant à courir à compter du 28 mars 2012, outre leur capitalisation ;

4°) de condamner la société PBA à lui verser la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative ainsi qu’aux entiers dépens dont le remboursement de la contribution juridique de 35 euros ;

Elle soutient que :

– la société Paris Batignolles Aménagement (PBA) étant une société publique locale d’aménagement (SPLA), les solutions jurisprudentielles applicables aux sociétés d’économie mixte ne lui sont pas transposables ; le statut légal des SPLA implique nécessairement que les collectivités actionnaires leur confient un mandat implicite ; les SPLA sont en effet des opérateurs  » in house  » de leurs collectivités actionnaires ; la société PBA disposait donc d’un mandat de la Ville de Paris ; le contrat qu’elle a passé avec la société Demathieu Bard était, par suite, un contrat de droit public relevant de la compétence de la juridiction administrative ;

– le fractionnement du marché est artificiel ; la tranche conditionnelle n° 2 n’a jamais existé et relève, en réalité, de la tranche ferme, dès lors qu’elle a été exécutée et donc affermie avant le commencement de la tranche ferme ; la société PBA ne pouvait dès lors légalement démentir l’affermissement de cette tranche ; le préjudice qu’elle a subi du fait de cette illégalité s’élève à 1 717 676,59 euros HT ;

– les travaux commandés par l’ordre de service n° 4 correspondent à un affermissement de la tranche conditionnelle n° 2 ;

– la décision de non-affermissement de la tranche conditionnelle n° 2 constitue une décision de résiliation partielle du marché ; cette résiliation ne peut être considérée comme étant justifiée par un motif d’intérêt général ; elle est au contraire nécessairement fautive ; la société PBA ne saurait donc lui opposer les stipulations du CCAG prévoyant les formes, délais et justifications encadrant une demande d’indemnisation ; son préjudice indemnisable, qui comprend tant les pertes subies que les bénéfices perdus, s’élève à 2 054 341,20 euros TTC ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 30 mai 2014, présenté pour la société publique locale d’aménagement (SPLA) Paris Batignolles Aménagement, par MeB… ; la SPLA Paris Batignolles Aménagement conclut au rejet de la requête,

Elle soutient que :

– aux termes de la convention d’aménagement, elle n’est maître d’ouvrage que de la réalisation d’ouvrages destinés à être remis à la Ville de Paris ; cela découle de son statut de SPLA, qui implique qu’elle doit exercer ses activités exclusivement pour le compte de ses collectivités actionnaires ; elle doit être considérée comme mandataire légal de la Ville de Paris ; le contrat conclu est donc un contrat administratif dont il appartient à la juridiction administrative de connaître ;

– la requête de première instance est irrecevable car introduite par la société postérieurement à sa radiation ; l’intervention volontaire formée devant le Tribunal est irrecevable car elle n’a pas été formée par mémoire distinct et, en toute hypothèse, présente un caractère accessoire par rapport à l’instance, ouverte par une requête irrecevable ;

– à supposer même que la décision de ne pas affermir la tranche conditionnelle n° 2 constitue une résiliation, elle répond à un motif d’intérêt général ; le nouveau projet d’ouvrage est radicalement différent de celui qui était décrit en tranche conditionnelle n° 2 ; le non-affermissement de cette tranche ne saurait en toute hypothèse être requalifié en résiliation aux torts du maître d’ouvrage ;

– l’entreprise n’a pas présenté sa demande indemnitaire dans les conditions et délais prévus par le CCAG travaux ; la demande présentée dans la requête introduite le 28 mars 2012 est, par conséquent, irrecevable ; l’entreprise ayant intégré la demande indemnitaire au projet de décompte final, il ne saurait être statué sur cette demande tant que le décompte général et le solde du marché n’auront pas été établis ;

– à titre subsidiaire, elle n’a jamais affermi la tranche conditionnelle n° 2, et ce non-affermissement n’ouvre à l’entreprise aucun droit à indemnité ; la réalisation des travaux correspondants ne saurait être interprétée comme un affermissement implicite ;

– le projet de décompte final établi par l’entreprise fait ressortir qu’aucune des prestations de la tranche conditionnelle n° 2 n’a été réalisée ; les prestations et travaux de cette tranche n’ont pas été matériellement réalisés, ce que l’entreprise ne conteste pas ; le fait pour l’entreprise d’avoir dû prendre en compte les contraintes induites par l’ouvrage prévu en tranche conditionnelle n° 2 n’a pour effet ni d’affermir cette tranche, ni d’impliquer que cette tranche ait commencé à être exécutée ;

– les travaux se sont poursuivis postérieurement à la décision de non-affermissement, qui ne saurait donc s’analyser comme une résiliation ;

– à titre très subsidiaire, si devait être reconnue une résiliation pour motif d’intérêt général, l’entreprise n’aurait droit, aux termes des stipulations contractuelles du marché, qu’à une indemnité de 5% du montant initial HT des tranches affermies diminué du montant HT des prestations reçues, ainsi qu’à une indemnité correspondant aux frais et investissements strictement nécessaires à l’exécution du marché qui n’auraient pas été pris en compte dans le montant des prestations payées ; l’entreprise ne saurait alors prétendre à indemnisation qu’à hauteur de 313 831,35 euros ;

Vu la mise en demeure de produire, notifiée le 17 avril 2014 à la défenderesse, en application de l’article R. 612-3 du code de justice administrative ;

Vu l’ordonnance du 12 août 2014 fixant la clôture de l’instruction au 12 septembre 2014, en application de l’article R. 613-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l’urbanisme ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 5 janvier 2015 :

– le rapport de M. Auvray, président,

– les conclusions de Mme Vrignon, rapporteur public,

– les observations de MeC…, pour la société Demathieu Bard Construction SAS ;

– et les observations de Me A…pour la société publique locale d’aménagement Paris Batignolles Aménagement ;

1. Considérant que, par une convention de concession d’aménagement signée le

18 décembre 2007, la Ville de Paris a, à l’issue d’une procédure de publicité et de mise en concurrence, confié à la société d’économie mixte de la Ville de Paris (SEMAVIP) la réalisation de la zone d’aménagement concerté (ZAC) Clichy Batignolles, dans laquelle est prévue la construction de logements, de bureaux, d’équipements publics et de commerces ; que, par un avenant signé le

6 octobre 2010, la SEMAVIP a, en accord avec la Ville de Paris, cédé le contrat d’aménagement de cette ZAC à la société publique locale d’aménagement (SPLA) Paris Batignolles Aménagement, société anonyme dont la création a été décidée en février 2010 conjointement par la Ville et le Département de Paris ; que pour la réalisation de cette opération d’aménagement et à l’issue d’une procédure d’appel d’offres ouvert, la SPLA Paris Batignolles Aménagement a, le 13 décembre 2010, confié au groupement composé de la société Demathieu et Bard TP Ile-de-France, mandataire de ce groupement, et de la société Demathieu et Bard, notamment l’exécution du lot n°1  » Dalle Sud  » du marché n° ZCB-2101/019 relatif à la construction d’une dalle couvrant des installations ferroviaires ; que la société Demathieu Bard Construction SAS, qui vient aux droits et obligations de la société Demathieu et Bard, interjette appel du jugement du 31 octobre 2013 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa requête, dirigée contre la décision de la société Paris Batignolles Aménagement de ne pas affermir la tranche conditionnelle n° 2 du lot en cause, comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître ;

Sur la compétence de la juridiction administrative :

2. Considérant, d’une part, qu’un contrat conclu entre deux personnes privées est, en principe, un contrat de droit privé ; qu’il en va toutefois autrement dans le cas où l’une des parties au contrat agit pour le compte d’une personne publique ;

3. Considérant, d’autre part, que lorsqu’une personne privée, cocontractante d’une personne publique dans le cadre d’une concession d’aménagement au sens de l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme, conclut avec d’autres entreprises un contrat en vue de la réalisation de travaux pour des opérations de construction de la zone d’aménagement, elle ne peut être regardée, en l’absence de conditions particulières, comme un mandataire agissant pour le compte de cette personne publique ; que, notamment, une convention de concession d’aménagement qui n’a pas pour seul objet de faire réaliser, pour le compte de la personne publique, des ouvrages destinés à lui être remis dès leur achèvement ou leur réception, n’a pas le caractère d’un mandat donné par cette personne publique à l’aménageur pour intervenir en son nom ;

4. Considérant, en premier lieu, que si, aux termes de l’article 23.1 de la convention d’aménagement de la ZAC de Clichy Batignolles, conclue entre la Ville de Paris, collectivité concédante, et la société Paris Batignolles Aménagement, concessionnaire :  » Les ouvrages (…) constituent des biens de retour qui appartiennent à la Ville au fur et à mesure de leur réalisation et qui lui reviennent automatiquement dès leur achèvement « , il résulte des stipulations des articles 3 et 21 de cette convention qu’en tant qu’aménageur, la société Paris Batignolles Aménagement a également pour mission, après acquisition des terrains, la réalisation de travaux et d’ouvrages nécessaires à l’aménagement d’ensemble de la ZAC ainsi que la commercialisation de biens immobiliers bâtis ou non bâtis devant être cédés ou loués à des personnes privées ou à d’autres personnes publiques ; qu’ainsi que l’ont relevé à juste titre les premiers juges, dès lors que cette convention n’a pas pour objet exclusif la réalisation d’ouvrages destinés, dès leur achèvement ou leur réception, à être remis à la Ville de Paris, la société Paris Batignolles Aménagement ne peut être regardée comme mandataire ayant agi pour le compte de la Ville lorsqu’elle a conclu avec la société requérante, pour la réalisation de cette zone d’aménagement, le marché subséquent, seul ici en litige, qu’elle a d’ailleurs soumis à l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 et non au code des marchés publics, dont relèverait un tel marché s’il avait été conclu par la Ville ;

5. Considérant, en second lieu, que, contrairement à ce que soutiennent les parties, les dispositions de l’article L. 327-1 du code de l’urbanisme, selon lesquelles les sociétés publiques locales d’aménagement sont compétentes pour réaliser, pour le compte de leurs actionnaires et sur le territoire des collectivités territoriales, toute opération d’aménagement au sens de ce code, si elles limitent le cadre d’intervention de ces sociétés aux missions qui leur sont confiées par leurs actionnaires que sont les collectivités territoriales, n’ont, par elles-mêmes, ni pour objet, ni pour effet, de conférer aux sociétés publiques locales d’aménagement un mandat permettant de les regarder, lorsqu’elles concluent avec d’autres sociétés les marchés nécessaires à la réalisation des opérations d’aménagement, comme agissant au nom et pour le seul compte de leurs actionnaires que sont les collectivités territoriales, alors surtout que les dispositions en cause n’interdisent pas aux sociétés publiques locales d’aménagement de céder ou de louer, à titre onéreux et à des tiers, des biens immobiliers situés à l’intérieur du périmètre de l’opération d’aménagement, ce que prévoient d’ailleurs, comme il vient d’être dit au point précédent, les articles 3 et 21 de la convention d’aménagement de la ZAC de Clichy Batignolles ; que, par suite, il n’appartient qu’à la juridiction judiciaire de connaître des différends nés de l’exécution du marché litigieux ;

6. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la société Demathieu Bard Construction SAS n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande comme étant portée devant une juridiction incompétente pour en connaître ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la SPLA Paris Batignolles Aménagement, qui n’est pas, en la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société Demathieu Bard Construction SAS demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu’il y a en revanche lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société requérante le versement à la SPLA Paris Batignolles Aménagement d’une somme de 1 000 euros sur le fondement des mêmes dispositions ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Demathieu Bard Construction SAS est rejetée comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Article 2 : La société Demathieu Bard Construction SAS versera à la société publique locale d’aménagement Paris Batignolles Aménagement la somme de 1 000 (mille) euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Demathieu Bard Construction SAS et à la société publique locale d’aménagement Paris Batignolles Aménagement.

Délibéré après l’audience du 5 janvier 2015, à laquelle siégeaient :

M. Auvray, président de la formation de jugement,

Mme Sirinelli, premier conseiller,

Mme Larsonnier, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 19 janvier 2015.

Le président-rapporteur,

B. AUVRAYL’assesseur le plus ancien,

M. SIRINELLI Le greffier,

P. TISSERAND

La République mande et ordonne au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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N° 13PA04344


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