Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
(4ème Chambre)
VU la requête, enregistrée le 12 juillet 1994 au greffe de la cour, présentée pour la société anonyme TV 6 par Me Y…, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, et Me Z…, avocat ; la société anonyme TV 6 demande à la cour :
1 ) de réformer le jugement n 8802289/6 du 24 mai 1994 par lequel le tribunal administratif de Paris a condamné l’Etat à lui verser la somme de 111.874.110 F en réparation du préjudice subi du fait de la résiliation de sa concession ;
2 ) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 1.471.811.998,45 F en réparation de son préjudice, sous réserve de la déduction de la somme de 200.000 F accordée à titre de provision par jugement du 6 juin 1989, avec intérêts et capitalisation des intérêts ;
3 ) de condamner l’Etat à prendre en charge la totalité des frais d’expertise ;
4 ) de condamner l’Etat à verser à la société anonyme TV 6 une somme de 1.000.000 F au titre de l’article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;
VU la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 21 janvier 1997 :
– le rapport de M. LAURENT, conseiller,
– les observations de Me Z…, avocat, pour la société anonyme TV 6 et celles de Me X…, avocat, substituant la SCP LAFARGE-FLECHEUX-REVUZ et associés, avocat, pour le Premier ministre,
– et les conclusions de M. LIBERT, commissaire du Gouvernement ;
Sur les indemnités demandées au titre de l’alinéa 1er de l’article 15 de la concession :
Considérant qu’aux termes de l’article 15, alinéa 1er, du traité de concession conclu entre l’Etat et la société anonyme TV 6 pour l’exploitation de la 6ème chaîne de télévision, approuvé par le décret susvisé du 21 février 1986 : « Au terme de la concession pour quelque cause que ce soit, à l’exception de la déchéance pour faute grave prononcée sous contrôle judiciaire, l’Etat prendra la suite des obligations du concessionnaire dans tous les contrats et marchés conclus par le concessionnaire dans l’intérêt de la concession. En outre, l’Etat prendra en charge les annuités d’intérêts et d’amortissement des emprunts éventuellement contractés par le concessionnaire pour réaliser l’équipement nécessaire à l’exploitation de la concession » ;
Considérant, en premier lieu, comme l’a jugé le tribunal administratif, que les découverts consentis à la société anonyme TV 6 par des établissements bancaires ne constituent ni des contrats ni des emprunts au sens des dispositions précitées de l’arti-cle 15, alinéa 1er, du traité de concession ; qu’ainsi la société requérante n’est pas fondée à demander, d’une part le versement d’une somme permettant le remboursement desdits découverts, d’autre part l’indemnisation des agios qu’elle a supportés à raison de ceux-ci ;
Considérant, en second lieu, que les intérêts produits par le montant des avances en compte courant consenties par les actionnaires et accessoires de cette somme ne peuvent, en tout état de cause, être assimilés à des intérêts d’emprunts contractés pour la réalisation d’équipement nécessaire à l’exploitation de la concession ; que, par suite, la société requérante n’est pas fondée à se plaindre de ce que la demande d’une somme de 323.276 F qu’elle a présentée à ce titre a été écartée par les premiers juges ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la société anonyme TV 6 n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a limité à 12.423.105 F la somme due par l’Etat au titre des dispositions susrappelées de l’article 15, alinéa 1er, de la concession ;
Sur les indemnités demandées au titre de l’alinéa 2 de l’article 15 de la concession :
Considérant qu’aux termes de l’article 15, alinéa 2, de ladite concession : « L’Etat remboursera au concessionnaire la valeur non amortie des installations matérielles et des dépenses utiles et justifiées engagées par le concessionnaire pour l’exploitation de la concession » ;
Considérant, en premier lieu, que le tribunal a déduit à juste titre du montant de la valeur non amortie des immobilisations corporelles la somme de 695.788 F correspondant au montant effectif des cessions des installations matérielles auxquelles la société anonyme TV 6 a procédé à la demande de l’Etat, et la somme de 131.097 F correspondant au coût de diverses installations directement pris en charge par l’Etat ; qu’il n’y a pas lieu de tenir compte des montants de deux factures de 58.656 F et 1.838 F correspondant à des dépenses insuffisamment justifiées ; que, par suite, l’estimation opérée par les premiers juges de la valeur non amortie des immobilisations corporelles, établie à la somme de 1.946.699 F, n’est pas entachée d’erreur ; qu’il résulte de l’instruction que les experts estiment le montant total des dépenses utiles à l’exploitation de la concession autres que celles afférentes aux immobilisations corporelles effectivement payées par la société anonyme TV 6 au 28 février 1987 à la somme de 107.290.035 F, les recettes encaissées antérieurement à cette date à la somme de 9.404.567 F, celles encaissées postérieurement à 7.990.884 F ;
Considérant qu’il n’y pas lieu d’écarter du montant de ces dépenses, contrairement à ce qu’ont décidé les premiers juges, les honoraires et les frais, d’un montant de 120.000 F exposés pour obtenir l’annulation du décret du 30 juillet 1986 portant résiliation du traité de concession avec la société anonyme TV 6 ; que la société requérante n’établit pas qu’en fixant à la somme de 400.000 F les dépenses à prendre en considération au titre des frais de voyages et de réception, les premiers juges ont fait une évaluation insuffisante des dépenses de cette nature utiles pour l’exploitation de la concession ; qu’ainsi et compte tenu d’une perte d’actifs consécutive à la résiliation de la concession, d’un montant de 11.794 F, la valeur non amortie des dépenses utiles s’établit à la somme de 89.180.529 F ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’indemnité due par l’Etat à la société anonyme TV 6 au titre de l’article 15, alinéa 2, doit être portée à 91.127.228 F ;
Sur les indemnités demandées au titre de l’alinéa 3 de l’article 15 de la concession :
Considérant qu’aux termes de l’article 15, alinéa 3, de ladite concession : « Sans préjudice des dispositions qui précèdent, l’Etat indemnisera le concessionnaire pour l’intégralité des dommages pouvant résulter d’une résiliation … » ;
Considérant, en premier lieu, qu’il n’est pas établi par les pièces du dossier que la réalisation d’un profit futur en cas de poursuite de l’exploitation de la concession aurait présenté un caractère certain, compte tenu notamment de la brièveté de la concession dans un secteur d’activité où la rentabilité n’apparaît qu’après plusieurs années d’exploitation, de l’instabilité du « paysage audiovisuel », de la multiplicité des hypothèses sur lesquelles se sont fondées les prévisions de résultats établis par la société anonyme TV 6 et, en conséquence, du caractère aléatoire de la justification de l’évaluation du préjudice du manque à gagner ; que la société ne saurait utilement invoquer, pour établir la réalité de ce dernier, les résultats d’exploitation connus de la chaîne M6 dont les caractéristiques ne lui sont pas comparables ; qu’il suit de là, en outre, qu’une expertise serait sur ce point inutile et frustratoire ;
Considérant, en deuxième lieu, qu’il convient d’admettre dans son principe, l’indemnisation de l’absence de rémunération du capital investi, qui aurait, faute qu’il n’eût été investi au titre de la concession, pu faire l’objet d’un placement ; qu’il sera fait une juste appréciation du montant de l’indemnisation de ce chef de préjudice en retenant la rémunération d’un placement bancaire opéré sans risque particulier ; qu’il résulte des constatations non contestées de l’expertise que les intérêts qui auraient ainsi été produits par les capitaux immobilisés de février 1986 à février 1987 se seraient élevés à la somme de 13.123.000 F ;
Considérant, en troisième lieu, que si la société requérante soutient avoir subi un préjudice du fait d’un manque à gagner en termes de recettes publicitaires entre le 30 juillet 1986 et le 2 février 1987, elle ne l’établit pas ; qu’en outre, la société requérante n’établit pas qu’un préjudice né d’une atteinte à son image et à sa stratégie serait lié à la résiliation de la concession intervenue pour des motifs d’intérêt général, alors que les règles d’attribution et d’usage des fréquences étaient en cours de changement ;
Considérant, en quatrième lieu, que les premiers juges ont fait une juste appréciation du préjudice correspondant à la « rémunération » du mandat de liquidation de la concession en l’évaluant à 100.000 F ;
Considérant, en cinquième lieu, que le préjudice lié à la « carence de l’Etat » n’est pas établi ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède et compte tenu de ce que l’indemnisation des agios bancaires évaluée par les premiers juges à la somme de 8.343.777 F et accordée sur le fondement des dispositions du 3ème alinéa de l’article 15 n’est pas contestée, que la somme totale à laquelle l’Etat a été condamné, par le jugement attaqué, à verser à la société anonyme TV 6 en réparation du préjudice subi du fait de la résiliation de son traité de concession, doit être portée à 125.117.110 F, dont à déduire la provision de 200.000 F accordée par jugement du 6 juin 1989 ;
Sur la capitalisation des intérêts :
Considérant que les conclusions tendant à la capitalisation des intérêts sont irrecevables dans la mesure où elles tendent à ce que la date d’effet de l’anatocisme soit antérieure à leur date d’enregistrement ; que, par suite, c’est à bon droit que les premiers juges, saisis de conclusions tendant à la capitalisation des intérêts par la société anonyme TV 6 le 1er février 1992 et le 11 juin 1993, n’ont accueilli que celles de ces demandes prenant effet de ces dates ;
Considérant que la nouvelle demande de capitalisation des intérêts, formulée par mémoire enregistré le 12 juillet 1994, est, à raison du principe ci-dessus rappelé, irrecevable en ce qu’elle comporte une date d’effet antérieure ; qu’il était dû au 12 juillet 1994, – et sous réserve, pour un montant d’indemnité de 111.874.110 F, que le jugement précité n’ait pas encore été exécuté -, au moins une année d’intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l’article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit dans cette mesure à la demande ;
Considérant que dans les termes où elle est rédigée la référence à la capitalisation des intérêts figurant dans le mémoire enregistré le 20 décembre 1995 ne peut être regardée comme une nouvelle demande ;
Sur les frais d’expertise exposés en première instance :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’affaire, de mettre la totalité des frais de l’expertise ordonnée par le tribunal administratif à la charge de l’Etat ;
Sur les frais non compris dans les dépens :
Considérant que l’Etat succombe dans la présente instance ; que sa demande tendant à ce que la société anonyme TV 6 soit condamnée à lui verser une somme au titre des frais qu’il a exposés, doit, en conséquence, être rejetée ; qu’en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, en application des dispositions de l’article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, de condamner l’Etat à payer à la société anonyme TV 6 la somme de 20.000 F ;
Article 1er : La somme de 111.874.110 F que l’Etat a été condamné à verser à la société anonyme TV 6 par le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 24 mai 1994 est portée à 125.117.110 F.
Article 2 : Les frais de l’expertise ordonnée par le tribunal administratif de Paris sont mis en totalité à la charge de l’Etat.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 26 mai 1994 est réformé en ce qu’il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Les intérêts produits à la date du 12 juillet 1994 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 5 : L’Etat versera à la société anonyme TV 6 la somme de 20.000 F au titre des dispositions de l’article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions de l’Etat fondées sur les dispositions de l’article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel sont rejetés.